1967/1992 Monteverdi…
375’S, 375’L, 375/4, 450 Haï SS & GTS, 650 Haï F1
Il est toujours un peu triste de constater – puis de vérifier régulièrement – qu’au fil de l’histoire de l’automobile, les créations à priori mues par un “droit à la différence”, finissent invariablement par se ressembler toutes, plus ou moins…, le public réagissant par son “droit à l’indifférence”…, autant par nécessité que par réflexe de survie.
Ces “auto-copiages” ne sont pas vraiment mauvais, mais se révèlent déjà vu, adoptés d’avance par les médias toujours en manque de sujets.
Leurs géniteurs sont bien intentionnés, peut-être, mais leurs créations sont endossées avec plus de posture que de sincérité de génies véritablement touchés par leur sujet.
Parfois, ils cherchent la nouveauté, s’aventurent dans des formes peu usitées, mais souvent la forme tue la fonction…, mais une fois réalisées “pour de vrai”, les formes restent à peu près les mêmes.
Dans ce genre, les années ’60 ont été plutôt fastes.
À cette époque pas si lointaine, encore beaucoup de personnes pouvaient se permettre de construire leur propre voiture.
Il n’était certes plus question de bâtir un véhicule à partir de rien comme l’avaient fait les pionniers (Ford, Buick, Benz et j’en passe des centaines), mais quiconque avait les moyens financiers, la débrouillardise et, surtout, la volonté, pouvait se créer une voiture en partant d’éléments existants.
DeTomaso, Iso, Bizzarini, Jensen par exemple et entre autres, avaient compris le principe…, c’est ainsi qu’un certain Peter Monteverdi a eu l’intuition de se mettre en scène sur un terrain assez peu fréquenté, mais suffisant pour intriguer
Il allait se faire un nom dans l’automobile en montant, sur un châssis de sa conception, une suspension arrière De Dion (plus conventionnelle à l’avant mais quand même indépendante), un groupe motopropulseur Chrysler et une carrosserie en aluminium dessinée par l’Italien Pietro Frua. Le résultat, encore aujourd’hui, impressionne. Mais avant d’en arriver à fabriquer une voiture qui fera école, il y a l’expérience d’une vie…
Peter Monteverdi nait en Suisse en 1934, son père, un immigrant italien, possède un garage…, le jeune Monteverdi devient rapidement un amateur de voitures, maniaque serait plus approprié…, il fait son apprentissage chez Saurer et construit sa première voiture de course à 17 ans avec une mécanique de Fiat 1100 et un châssis maison : la Monteverdi Spécial (1951).
À 19 ans, il travaille dans le garage de son père à Binningen près de Bâle, mais réparer des vieilles guimbardes et des machines agricoles n’est pas ce qui l’excite le plus…, les voitures sport, elles…, ça l’allume !
À 20 ans, (en 1954), sa première “vraie” voiture est une Porsche 356 qu’il s’empresse de modifier pour lui faire cracher quelques chevaux supplémentaires (La Turismo)…, en 1956 il reprend le garage de son père et fonde Monteverdi Binningen Motors : il a 22 ans.
Monteverdi représente aussi Jensen, Rolls-Royce, Bentley et Lancia.
Par hasard il achète à un de ses clients, une Ferrari Mille Miglia V12 qui ne fonctionne pas (c’est classique, mais peu de propriétaires l’avouent de crainte de ne plus pouvoir revendre leur mauvais achat)…, pour la réparer, il faut des pièces…, introuvables en Suisse, puisqu’il n’y a pas de concessionnaire.
Le jeune Monteverdi a du culot, fort d’être concessionnaire de 4 marques prestigieuses pour la Suisse, il va voir Enzo Ferrari en personne et décroche la première concession Ferrari de Suisse…
Simultanément, il s’adonne (avec un relatif succès d’estime), à la course automobile, avec ses propres réalisations.
Un accident de Formule1 en 1961 met fin à sa carrière.
En 1962, il fait transformer le petit garage en un immeuble moderne, avec un show-room dédié aux automobiles de luxe : Ferrari, Lancia, Jensen, Rolls Royce et BMW.En 1964, comme d’habitude pour tous ceux qui dépendent du Commendatore, les choses tournent au vinaigre entre Enzo Ferrari et Peter Monteverdi qui cesse de représenter la marque au cheval cabré. Il a 30 ans et se met à penser que posséder sa propre marque lui assurerait un contrôle total.
En 1965, il a fini de penser (gag !)…, il commence à s’activer à sa propre création, une voiture très puissante possédant une tenue de route supérieure : une GT comme il y en a tant !
J’aimerais à ce stade du récit, ne pas me sentir blasé.
J’aimerais pouvoir être touché par ce qui serait un témoignage sincère de la création d’une automobile vraiment exceptionnelle, au sein d’une communauté méconnue hors de ses frontières, sauf pour ses banques, ses couteaux, ses fromages et ses chocolats : la Suisse…
Mais voilà : je sens trop à quel point la démarche de Peter Monteverdi, au demeurant pas honteuse, respecte des balises plus ou moins discrètes mais bien présentes de ce qui est sournoisement devenu un genre implicitement codifié.
On est en Suisse…, on n’est pas dans les situations-types de la galère franchouille, de la débrouille typiquement britannique et de son impact sur les cellules sociales et familiales ou on identifie les archétypes derrières les spécificités…, là ou on pressent qui va s’en tirer, qui va y rester, qui va s’accommoder de son sort.
Tel le poids qu’on prête à la fatalité dans la réussite et l’échec, car il y a comme une fatalité dans la création d’automobiles extraordinaires…, elles sont presque toutes similaires et en finale, elles font toutes faillite, parfois reprises par des sociétés ayant besoin de danseuses comme d’hommes de maîtresses.
Du coup, l’aventure de Peter Monteverdi, on a l’impression de l’avoir déjà vue dans d’autres pays, avec d’autres visages.
Certains objecteront, avec raison, que la misère intellectuelle et la précarité des richesses sont aussi sales partout dans le monde… et qu’en témoigner n’est pas un mal, c’est même une nécessité.
Certes !
Néanmoins, le public, même s’il est en grande part constitué de beaufs ahuris, reste en droit d’attendre d’une automobile, une certaine plus-value, c’est-à-dire un peu plus que la reproduction de design et techniques décalquées paresseusement et qui n’engagent pas franchement la sincérité du prétendu génie qui les expose.
La première création “sérieuse”, de peter Monteverdi sort en 1967, c’est la 375’S High Speed, une biplace carrossée par Frua, motorisée par un V8 Chrysler de 7 litres de 375 chevaux.
Sa popularité surprend Monteverdi lui-même…
La demande pour une 375’S à quatre places est tellement forte que Peter Monteverdi ne met pas de temps à la dévoiler en 1968.
C’est la 375’L, une 2+2 équipée du V8 de 440ci Chrysler et d’une transmission automatique TorqueFlite à trois rapports…, la voiture la plus populaire de l’histoire de Monteverdi : 66 exemplaires !
Le 0-100 km/h s’effectue en 7,2 secondes et la vitesse maxi approche 250 km/h.
Pour en posséder une depuis environ 20 ans, je peux vous assurer que la 375’L n’est intéressante parce que rare et Suisse, mais que les chronos débités par les journaleux en extase, sont subjectifs…, en effet la voiture est lourde, instable, virevoltante, pétaradante…, elle freine mal et “long” (très long, façon Facel Véga HK500, c’est peu dire)… et “bouffe” plus de 70 litres si on tente d’égaler les performances d’une Mini Cooper’S…
En 1969, après 11 coupés fabriqués par Frua, la construction de la 375’S est transférée chez Fissore car Frua ne peut produire assez de modèles .Fissore en profite pour décliner le coupé en cabriolet et réalise la 375’C.
Fissore redessine ensuite la 375’S (très semblable à l’AC 428 ou à la Maserati Mistral ), puis le coupé 375’L en 1970 et une berline en 1971, la 375/4.
Alors que le nombre de modèles s’agrandit, Monteverdi prend le risque de développer ce que l’on appelle aujourd’hui une supercar.
Coup de publicité pour le reste de la gamme ou réel désir de concurrencer Ferrari, Maserati et Lamborghini, on ne saura jamais.
C’est au Salon de Genève en mars 1970 que Monteverdi présente la 450 Haï (requin en allemand) qui reprend une architecture encore peu commune, avec un moteur placé en position centrale arrière, le dessin est l’œuvre de Trevor Fissore.
Le plus décevant de cette automobile, reste le manque de parti pris ferme d’un design moins mu par “une vision” que par des options techniques et des réflexes esthétiques.
L’intérieur est très cossu mais exigü…, avec une finition haut de gamme comprenant du cuir Connolly, un autoradio Blaunkpunt (gag !) et la climatisation.
L’avant biseauté et les inévitables phares rétractables typiques de cette époque, tranchent avec un arrière tout en rondeur dans lequel les feux sont très mal imbriqués.
Le tout est souligné par une ligne de caisse très basse faisant le tour de la carrosserie (la patte Suisse), quelques chromes autour des vitres, des ailes larges et de magnifiques jantes Borrani à rayons.
Marcel Beligond, l’un des pères de l’Alpine A310, s’inspirera d’ailleurs d’une maquette que réalisa le même Fiore pour la Régie Renault.
Le châssis de la Monteverdi Haï est semblable à celui des 375 et à d’autres petites productions de l’époque (Iso, Jensen)…, c’est un très basique et hyper robuste “bazar” surdimensionné en acier, composé de tubes de section rectangulaire dessiné par Peter Monteverdi lui-même…
Du côté des suspensions on retrouve à l’avant une double triangulation avec ressorts hélicoïdaux et amortisseurs Koni réglables… et à l’arrière est placé un essieu rigide De Dion dont le pont est fixé au châssis, ceci permettant de réduire les masses non suspendues ancrées sur le châssis par un parallélogramme de Watt lui aussi équipé de ressorts hélicoïdaux et amortisseurs Koni réglables.
Le freinage est assuré par quatre disques ATE ventilés, ceux à l’arrière étant montés in-board avec double circuit et un servo-frein pour l’assistance, ce qui n’est pas le cas de la direction !
Afin de ne pas concevoir son propre moteur, Monteverdi avait fait appel à Chrysler pour être fourni en V8, comme tant d’autres constructeurs indépendants.
Bizzarrini avait fait de même avec le V8 Chevrolet, DeTomaso fera de même avec le V8 Ford tout comme Shelby avant lui pour l’AC Cobra.
Contrairement aux Monteverdi 375, ce sera un V8 426 Hemi qui équipera la Haï…, ce V8 faisait partie de la deuxième génération de moteur à culasse hémisphérique de Chrysler.
Sortie en 1964, la version de série servit à homologuer ce V8 Hemi en Nascar.
426ci, cela donne 6974 cm3 avec un alésage généreux de 108 mm et une course de 95,3 mm…, il est conçu avec des chambres de combustions hémisphériques, des soupapes en tête (mais culbutées) et reçoit deux carburateurs quadruple corps Carter, le tout est donné pour 450 chevaux SAE soit environ 360 chevaux réels.
Accouplé à une boite manuelle ZF à cinq rapports et à un différentiel à glissement limité et aidé par son poids de seulement 1290 kg, la Monteverdi Haï 450 SS annonce des performances fantastiques pour l’époque : 290 km/h, un 1000 m DA en 23,9 secondes et un 0 à 100 en 4,9 secondes !
Même si un certain Paul Frère ne réussira pas à atteindre de telles performances au cours d’un essai, surtout pour la vitesse de pointe 20 km/h moins élevée (sic !), la nouvelle GT de Monteverdi fait sensation.
Mais si les proportions générales sont sensationnelles avec une voiture très basse, courte et très large, elle s’avère un non-sens technique en raison de la position du moteur qui arrive en partie entre les deux sièges, rendant toutes les interventions mécaniques quasi impossibles à défaut d’être laborieuses après avoir démonté les sièges et les cloisons “pare-feu”…, sans oublier que cette disposition entraine un vacarme incessant et une chaleur que ne parvient pas à atténuer l’air conditionné…
Mais il y a pire, “elle chauffe comme une bouilloire”… et l’eau de refroidissement finit par bouillir après une demi-heure…
On sue, on transpire, on râle, on tempête…, après plusieurs scènes similaire, on a même envie de torturer Peter Monteverdi…
Il faut impérativement stopper… attendre deux heures que tout soit refroidi (y compris l’idée de continuer la balade)…
La voiture est mal conçue, inutilisable, inroulable…, un cauchemar à vivre…, mais elle est belle !
Belle comme une splendide maîtresse qui n’a que la fonction d’être belle (et très chère)…, mais, qui s’en plaindra en dehors des très rares acquéreurs successifs !
Il était prévu de construire 50 exemplaires de la Monteverdi Haï 450 SS mais en raison des problèmes techniques révélés plus avant, ainsi que de soucis financiers… et de son prix trop élevé, seul deux exemplaires seront construit…, pour faire croire à un début de production !
Le second exemplaire, rouge, ne sera jamais vendu, il restera perpétuellement chez Monteverdi ou il restera exposé…
Le premier et unique exemplaire de la Haï 450 SS, présenté à Genève de couleur pourpre, sera exposé dans différents salons automobile avec trois couleurs différentes (pourpre, rouge et gris ) et des intérieurs aussi différents (cuir noir, brun et blanc)…, tout cela jusqu’en 1971 date à laquelle la voiture sera vendue à Karl-Heinz Schuberth.
Cette Monteverdi Haï 450 SS retrouvera sa couleur d’origine en 2006 au cours d’une restauration avant d’être exposée à Pebble Beach.
En 1980, elle était dans les mains de Norbert McNamera qui l’a repeinte en imitation or !
Elle a ensuite été vendue pour 300.000 US$ à Bruce Milner.
Dix ans plus tard, elle a été retournée à ses spécifications de 1970, peinture pourpre, intérieur blanc et est apparue de cette façon au concours d’élégance de Pebble-Beach 1989.
Elle a finalement été achetée en 2000 par un propriétaire exigeant qui a décidé de soutenir une Nième restauration complète, retournant à sa couleur magenta d’origine.
Présentée de nouveau à Pebble Beach 2006, elle a été classée 3ième.
Plus tard, elle a été présentée dans le magazine Classic & Sports Car et exposée à Rétromobile 2010 ou elle fut la vedette du stand Bonhams et vendue pour € 398,000…
Dernièrement (2012), chez Gooding&Company aux USA, elle a été une nouvelle fois vendue, ce coup-ci à 577.500 US$…
En 1973 est présentée une version prétendument améliorée de la Haï, la 450 GTS.
L’empattement est rallongé de 50mm pour améliorer l’espace dans l’habitacle (Gag ! 5cm ne changent rien), des jantes Campagnolo en magnésium remplacent les jantes rayon de la 450 SS, la peinture est une deux tons : rouge et noir, les poignées de portes migrent en dessous des vitres et la 450 GTS est équipée d’un nouveau moteur.
Regression !
En fait c’est celui des 375’S, le V8 Chrysler 440 Magnum de 7,2l développant 390 chevaux.
Mais les ventes de Monteverdi sont de toute façon sur le déclin et la production de la 450 GTS sera annulée à cause d’un prix de vente 50% plus élevé que celui d”une Ferrari Daytona ou d’une Lamborghini Miura.
De 1974 à la fin…, plus rien de spectaculaire ne va se passer…, les Monteverdi Haï 450 SS et GTS avaient tout pour être bien vendues malgré leur prix élitiste, elles resteront du domaine du rêve, sauf pour l’unique exemplaire 450 SS qui est arrivé à s’échapper !
Elle permettait au gré de ses expositions d’attirer l’attention sur le reste de la production de Monteverdi qui continuait à produire ses Coupé et Cabriolet 375 et quelques berlines jusqu’en 1976, année ou, au bord de la faillite, Monteverdi se tourna vers le Moyen-Orient et explora le monde des 4×4 de luxe (Sierra en 1977, Safari en 1976 et Sahara en 1978) puis ira jusqu’à recarrosser des Mercedes Classe S jusqu’en 1984 (Tiara).
Cependant en 1992 l’usine va tenter “un dernier grand coup” en décidant de construire deux autres Monteverdi Haï avec des châssis de type GTS mais avec les accessoires restant de la SS : les Monteverdi Haï 650 F1.
C’est un procédé répandu et sur-utilisé dans une large portion de constructeurs d’automobiles “hors du commun” se piquant de suivre l’argent des milliardaires de près, se calquant sur leurs pas et répercutant sur le design, les détours, l’errance, les tremblements de réels individus en marche (acteurs comme personnages).
Mais l’effet avait perdu de son impact et de sa pertinence, il était devenu un outil utilisé par réflexe quand on veut obtenir une certaine impression, fût-elle vue cent fois ailleurs.
Autrement dit, quand on n’a pas d’idée plus personnelle pour faire surgir le réel : on ne crèe qu’un outil académique.
L’ennui est que cette banalité du choix esthétique accrédite l’idée d’une réalisation plus consumériste que personnelle, se refusant à observer les alentours, la rue, les gens.
Telles sont, exposées tôt ou tard, les œillères de l’académisme, même le mieux intentionné, dont la capacité d’observation s’arrête là où commence sa soumission aux conventions.
Ces deux exemplaires ne seront pas vendus, “le coup” aura ainsi foiré…, ils resteront la propriété de l’usine, exposés dans le musée Monteverdi avec la première et seule 450 GTS.
L’usine sera transformée en musée des vanités perdues où sera exposée la collection personnelle de Peter Monteverdi…
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