1970 Manic GT, la p’tite pute du Québec…
C’était en 1970, elle s’appelait Manic…, comme dans Manicouagan.
Elle avait des dessous français habillés d’une robe toute québécoise.
Elle aura vécu ce que vivent les roses, l’espace de quelques matins….
Sans doute inspiré par la chanson Follow that dream, rendue célèbre par Elvis Presley en 1962, dont le refrain se lit comme suit : I’ve got to follow that dream, wherever that dream may lead, Jacques About, un Montréalais d’origine française né en 1938, qui travaillait aux relations publiques chez Renault Canada, décida de suivre son rêve…, sauf que son rêve à lui n’était pas de trouver l’amour d’une femme, comme dans la chanson d’Elvis Presley.
Ses motivations étaient plutôt d’ordre mécanique, sa passion étant l’automobile…, il a entrepris une étude sur la faisabilité d’importer au Québec, l’Alpine Renault, un coupé sport deux places construit par Alpine et animé par une mécanique Renault.
L’étude a été concluante, mais Renault a finalement décidé de ne pas importer l’Alpine.
À l’époque, les berlinettes Alpine A110 faisaient un malheur en rallye automobile en Europe et remportaient de nombreux honneurs devant la jeune Porsche 911.
Mais About, séduit par le potentiel d’une telle voiture, a décidé de lancer la construction de sa propre voiture sport basée sur un concept semblable à celui de l’Alpine.
Il s’attela tout d’abord à la tâche de constituer une écurie de pilotes de courses canadiens et obtint une commandite du cigarettier Gitane, puis il se trouva une voiture, une monoplace de Formule B… et réussit même à établir des records de vitesse sur les pistes de Saint-Jovite et de Mosport.
Grâce à son écurie, il se fit connaitre dans le monde de l’automobile Québécois.
Il était donc de mieux en mieux placé, pour enfin concrétiser son rêve le plus cher, construire une automobile sport au Québec.
Il se mit à sa table à dessin et bientôt un prototype voyait le jour.
Ayant des entrées chez Renault, il utilisa la plateforme et la mécanique d’une Renault R-8, incluant son pare-brise et la lunette arrière d’une R-16.
Jacques About a fondé Automobile Manic inc. en 1968, dans le but de construire son coupé sport biplace baptisé Manic GT.
Il parvint ensuite à trouver des capitaux, pour se lancer en affaires.
Bombardier International Capital Corporation…, la Caisse de dépôt…, la famille Steinberg…, l’Office du crédit industriel du Québec… et le gouvernement du Canada…, investirent plus d’un million et demi de dollars canadiens dans la nouvelle compagnie : Manic…
Ce nom avait sans doute été choisi pour profiter de l’aura que projetait le nom de Manicouagan, symbole de la réussite et du savoir-faire des Québécois qui étaient encore en pleine révolution tranquille, occupés à prendre le contrôle des leviers économiques de leur province.
Grâce à René Lévesque qui était parvenu à convaincre le premier ministre de l’époque, Jean Lesage, de nationaliser Hydro-Québec, ce dernier, avait accepté la mise en marche du processus de nationalisation de l’Hydro, malgré le fait qu’il (Lesage) était vert de peur face à la réaction de ses amis de Toronto…, cette nationalisation a permis au gouvernement Québécois de forcer les banques Canadiennes à fournir le financement nécessaire à la réalisation de grands projets, comme celui de la Manicouagan, chose qu’elles avaient refusé de faire dans un premier temps, afin de faire échouer ce projet.
Avant cette prise de contrôle d’Hydro-Québec, il ne faut pas oublier que les capitaux étaient réservés exclusivement aux entrepreneurs ayant des accointances avec les gens de la rue St-James.
Cette discrimination a eu comme effet positif de donner à Jacques Parizeau l’idée de créer la Caisse de dépôt et placement du Québec qui est devenue un levier important de l’économie du Québec, du moins quand elle est bien administrée…
Mais ça, c’est une autre histoire.
Fin de la digression.
Un local fut trouvé, sur la rue de Limoge, à Terrebonne… et la production démarra, de façon artisanale.
C’est au Salon de Montréal de 1969 que la Manic GT a été dévoilée au grand public…, la Manic était offerte en trois versions différentes de motorisation 1300 cc.
Sa puissance s’étalait de 65 chevaux, en version de base, de 80 chevaux en version médiane et de 105 chevaux pour la version haute performance, qui portait le nom de Gordini.
Évidemment, les prix de vente obéissaient au même classement; soit 2200 $, 2400 $ et un costaud 3400 $ pour la Gordini.
La Manic GT devait faire concurrence à de gros canons comme la Ford Mustang et la Chevrolet Camaro.
Cette concurrence redoutable, associée à des problèmes propres à bien des nouvelles entreprises, ont immédiatement nuit à la Manic.
L’entreprise s’est rebaptisée Les Automobiles Manic (1970), mais les difficultés ont persisté.
Selon certains, c’est Renault qui ne livrait pas à temps les éléments nécessaires, forçant l’usine à se procurer des pièces chez les concessionnaires Renault du Québec.
Selon d’autres, c’est la compagnie qui ne tenait pas ses engagements, forçant Renault à cesser ses livraisons.
En plus d’avoir une carrosserie aux lignes agréables, la Manic était construite pour avoir une tenue de route sportive…, elle était munie de freins à disques aux quatre roues, ce qui lui donnait une capacité de freinage supérieure à celle de ses contemporaines.
Sa suspension, très robuste, était indépendante aux quatre roues, avec des amortisseurs télescopiques.
La suspension avant était équipée d’une barre de torsion.
Sa boite de vitesse manuelle était à quatre rapports (une transmission cinq rapports était offerte en option).
Son intérieur, bien qu’exigu, était pourvu de sièges baquets confortables, alors que sa planche de bord et son volant étaient visiblement inspirés par la compétition.
L’ineffable Jacques Duval écrivait dans son Guide de l’auto, après avoir testé une Manic, que cette dernière était perfectible…
Le reproche le plus souvent évoqué par ceux qui ont eu la chance d’en conduire une était sa mauvaise répartition du poids…, son moteur étant monté à l’arrière, très peu de poids reposait sur les roues avant.
À haute vitesse, l’avant trop léger avait une tendance à vouloir s’envoler.
Rencontré par l’excellent journaliste Jacques Gagnon, Jacques About déclarait que : “Oui, cette voiture n’a jamais été facile à conduire, car elle est, avant tout, construite pour le sport et que son défaut d’être trop légère du devant, comme tant d’autres, a été corrigé peu avant la fermeture de l’usine”.
Il ajouta que la voiture avait toujours été un succès, grâce à son style et à ses lignes racées qui n’avaient pas tellement vieilli, malgré les années, que leur carnet de commandes était bien garni, qu’un distributeur de New York proposait même des commandes fermes, qui à elles seules auraient garanti la survie de la compagnie, à la condition qu’on soit en mesure de les produire.
Il poursuivait en disant que les pièces de base leur étaient fournies par Renault, mais qu’il manquait constamment de petites pièces.
Comme exemple, il citait le cas de boulons spéciaux permettant de fixer le moteur au châssis.
Ils en avaient manqué pendant près de dix semaines, ce qui avait bloqué la sortie des voitures de l’usine pendant un temps interminable.
Ces mésaventures avaient entrainé des pertes importantes, qui avaient, en fin de compte, provoqué la fermeture des Automobiles Manic.
Les chiffres de production étaient fixés à environ 120 voitures par mois, pour atteindre par la suite 2000 par année.
C’est vraiment dommage, car dès sa fondation, les Automobiles Manic semblaient vouées à un grand avenir.
Pour atteindre ces objectifs, en janvier 1971, la compagnie déménagea ses pénates à Granby, dans une usine neuve construite pour elle.
Puis les choses se gâtèrent et cinq mois et demi plus tard, le 20 mai 1971, les gestionnaires durent se résigner à mettre la clé sous le paillasson de la porte, après que seulement 160 carrosseries et à peine 100 voitures aient été assemblées.
D’une façon ou d’une autre, le beau rêve s’est soldé par la fermeture de l’usine de Granby, en mai 1971.
En tout, près de 170 Manic GT ont été produites.
Jacques About avait tout perdu dans l’aventure, maison, voiture… et a mis plus de dix ans à rembourser les dettes personnelles contractées pour pouvoir concrétiser son rêve.