La mégalomanie est un terreau fertile où s’épanouissent des visions inédites, protubérances grotesques d’esprits dénués de tout recul, des créateurs démiurgiques s’y créent des surmoi automobilistiques à la hauteur de leur profonde estime d’eux-mêmes, généralement en dépit de tout bon sens.
Dans ce domaine, je pense avoir trouvé un modèle absolu en la personne de Neil Brown…, un ancien agent immobilier de Las Vegas, sourire, brushing et regard de winner…, un enfant du siècle, capitaliste pur jus à la réussite a priori très douteuse, qui aspire pourtant à d’autres sphères supérieures, loin, là-haut, tout près des étoiles.
Dans l’intimité protectrice de son confort pécuniaire, Neil rêve de Rat-Rod’s pour donner libre cours à ses idées, ses convictions, sa doxa post Century 21…, d’aucuns prétendent que c’est un golden boy raté, en pleine crise de la quarantaine…, ils n’ont pas complètement tort.
En 2005, Neil saute le pas gaillardement et se lance dans l’aventure…, pas besoin d’un high-concept, cher aux rois du style Californien (Boyd Coddington, repose en paix), pour lancer son projet : Neil est son propre high concepteur…, doté de son vécu, de son expérience, de ses opinions profondes, il compte faire passer un message crucial en donnant de sa personne…, comment faire autrement ?
Neil, en informaticien “génial” (sic !) et solitaire (gag !)…, prend le contrôle de sa vie de Rat-Rodder en luttant contre ses dépressions et obsessions pour la mort et l’amour… (si je peux croire les dires de sa copine, qui reste toutefois hermétique à plus d’informations, son visage restant impassible)…
Il dépense en 7 ans tous les dollars qu’il ne possède pas vraiment pour construire un Rat-Rod Pick-Up totalement dingue… et en 2012, le monde “ébloui” (re-sic !), peut admirer son œuvre : l’engin de ce reportage !
En jean’s et marcel, conduisant son Rat-Rod Pick-Up, Neil Brown, la voix dotée du timbre typique de l’assurance des justes, me dit : “J’étais premier en classe d’informatique. Je me suis engagé et suis devenu pilote de chasse. J’ai gagné des médailles pour mes actions. J’ai toujours vécu entre ce monde et l’autre. Je suis maintenant un agent secret. Un mercenaire. Pour n’importe quelle nation qui veut prendre le contrôle d’une autre. Je me suis engagé dans les services secrets pour combattre le terrorisme à travers le monde, et devenir le meilleur agent qu’ils aient jamais eu. J’ai trouvé le moyen de contrôler n’importe quel ordinateur ou satellite du gouvernement”….
Le tout avec un matos pour le moins rudimentaire dans la benne remplie de poussière : en gros, trois laptops toujours éteints, deux téléphones cellulaires… et une parabole. .., mieux : il m’explique qu’il a créé un bouclier invisible tuant automatiquement les moindres impétrants.
A l’aide de moult, moult stock-shots… et de deux pistes musicales montées en boucles quasi psychotiques (qui eurent d’ailleurs raison d’un assistant-technicien pourtant robuste, qui est mort foudroyé en branchant le système ), ce super super agent secret (gag !) ressasse constamment à quel point il est le meilleur : la crème de la crème, le chef des satellites et des ordinateurs de toute la planète…, il a même concocté un plan d’attaque terroriste de plusieurs grandes villes au cas où il lui arriverait malheur (grâce à une poudre capable de tuer tous les poissons du lac où il aime bien chiller).
Neil Brown est auto-suffisant : il contrôle tout de son QG automobile, ce Rat-Rod déglingué…, et prétend qu’il n’a besoin pour se nourrir que de boîtes de thon (qu’il laisse traîner un peu partout)…, en loucedé, il prépare son plus gros coup : le black out, pendant plusieurs semaines, du strip de Las Vegas !
Mais qu’est-ce qui meut ce loustic frapadingue ?
Des sentiments complexes et contradictoires, engendrés par la perte de son amour de jeunesse, une mignonne rencontrée à l’âge de dix-sept ans aux autos-scooter dans la foire annuelle de Carson-City : ensuite durant vingt ans ils vont vivre l’Amour total chacun de leur coté…, puis, au terme de ces 20 ans, ils se retrouvent par hasard… et les deux ex-tourtereaux vont romantiquement flirter dans un endroit désert pour fêter leurs retrouvailles…, mais, il tente de la sodomiser… et en se débattant, l’amour de sa vie succombe à une crise cardiaque…, faisant définitivement basculer Neil Brown dans la quatrième dimension.
Nonobstant cette précision agrémentée de flashbacks enchevêtrés de façon chaotique, il se lance alors dans un monologue que j’écoute patiemment : “Ça m’étonne toujours de voir à quel point les gouvernements à travers le monde sont préoccupés par les missiles nucléaires et les bombes nucléaires, et surtout par les technologies très coûteuses qu’elles impliquent. La vérité, c’est que les armes chimiques ou bactériologiques sont bien plus dangereuses pour les sociétés et leur économie que les armes nucléaires. Elles coûtent moins cher, peuvent être transportées par n’importe qui, n’importe où, elles impliquent peu de technologies scientifiques. Elles peuvent être dispersées discrètement, sans que personne ne s’en aperçoive. Et les terroristes peuvent s’en sortir sans se faire prendre. C’est pour ça que les gouvernements se concentrent à ce point sur les armes nucléaires : ils ne veulent pas que le public soit au courant du vrai danger, que les armes chimiques et bactériologiques sont des armes de destruction massive. Comment puis-je vous aider à comprendre cela ?”…
Je me réveille, allongé comme un cuitard de base à côté de sa bagnole…, et…, me voyant prêt à écouter la suite de ses aventures, Neil Brown se laisse aller à me conter qu’au détour d’une de ses traditionnelles ballades, il est tombé sur un vieux, voué à mourir une minute plus tard en se fracassant le crâne sur un rocher, non sans lui avoir remis un étrange talisman : “Je lui ai concocté une tombe pas trop dégueu en lui répétant : Come back again, come back again”…
Une scène bucolique à souhait, à peine troublée par un ange qui passe, en plein doute, il hurle : “Where are you ?”… à la cantonade dans le désert, puis me demande si j’ai saisi le sens de la vie…, que ses parents décédés lui apparaissent parfois lorsqu’il dépasse les 200 km/h dans son Rat-Rod…, il ne peut alors s’empêcher de la ramener sur son job : “Vous savez, les grandes poursuites, les immeubles qui explosent, c’est dans les films ou à la télé. En vrai, tout se fait secrètement, sous couverture, et électroniquement”… Après je me concentre sur mon plan, aligner les satellites”…
Si c’est ça le meilleur agent du monde, je n’ose imaginer le bilan de fin d’année de la CIA.
Il m’explique ensuite qu’il a du lutter contre ses démons, et traverser une série d’épiphanies toutes plus absurdes les unes que les autres afin d’avoir le Karma nécessaire pour s’inscrire dans des courses de Dragsters…, qu’il vise à devenir le numéro un planétaire de sa catégorie et qu’il m’enverra une invitation…
Que penser de tout ceci ?…
– D’une, sa narration n’a de cesse de se contredire et de se perdre dans des méandres répétitifs ou des digressions franchement grotesques.
– De deux, le style très particulier de son Rat-Rod, imputable en partie à sa confection artisanale, me pousse encore plus à la perplexité, voire au craquage nerveux.
Constitué à 65 % de pièces récupérées dans des casses automobiles (à vue de nez, hein), son Rat-Rod a été réalisé à la va-comme-je-te-pousse.
Cette somme de partis pris esthétiques douteux ronge sournoisement le cerveau.
Poseur au dernier degré, d’une lenteur criminelle dans son rythme, totalement incohérent et farouchement incompréhensible pour le commun des mortels, Neil Brown n’est en définitive qu’un fou qui a créé un véhicule à sa gloire permanente, se considérant un héros de notre époque troublée, il rêve que tous les Rat-Rodders n’aient de cesse de se prosterner devant lui, ne vivant que pour l’écouter déblatérer ses discours alarmistes sur le Secret Défense et les armes bactériologiques dans un monde où, de toute façon, l’amour est mort…
Sa voix sacerdotale et son discours tout bonnement aberrant, au fur et à mesure des interminables minutes ou je l’ai écouté, me l’ont fait définitivement apparaître comme une personnalité définitivement à part, une planète à lui tout seul, un rebelle sur le retour qui aurait repoussé les limites de l’égocentrisme pour accéder à un ailleurs complètement inédit, celui d’un Rat-Rodder prisonnier d’obsessions conspirationnistes et d’un ego de la taille du Nevada…