Rat-Look : construction psychologique…
Rat-VW : déconstruction psychiatrique…
Rat-Rod : surconstruction neurologique…
Il y a des traumatismes, des chocs brutaux qui vous font prendre conscience, subitement et intrinsèquement, de faits qui jusque là n’étaient envisagés que dans le subconscient commun, vaguement admis dans des élucubrations éthyliques ou dans les discours de gourous underground : l’observation du boson de Higgs, le ras-le-bol des bagnoles hors de prix, des femmes vénales et des bouteilles d’eau-pure d’Iceberg à 10 euros les 75cl… ou le dernier avant dernier album de Johnny Casse-couilles sont des exemples de cet effondrement du quatrième mur, de ce pan de réalité pressenti qui se révèle avec fracas…, alors qu’on se rend compte rétrospectivement de son évidence.
Au fond plus on vieillit, plus les coulisses de ce dramatique incident qu’est la vie sur Terre se révèlent, laissant l’homme effrayé devant un tableau monstrueux qu’enfant on apercevait par accident et qu’on oubliait aussitôt, replongeant dans le “jouer à”, bien tranquillement installé dans une réalité construite pour nous.
Plus tard, on verra le délitement, le dépouillement de notre “âme d’enfant”, on aura envie de niquer, premier signe que la magie a disparu au profit de la jouissance ingrate de la moindre goutte de parfums d’enfance à l’arrière goût rance.
Certains resteront même à jamais accrocs à ces moments suspendus, cherchant le moindre prétexte pour revivre les émotions les plus sincères de l’enfance.
Mais était-ce sincère ?
A-t-on jamais été innocent ?
Les Rat-rods étaient-ils là depuis le début ?
Dans chaque Rat-Rod il y a un être humain qui pourrait sûrement essayer de baiser votre reum à la première occasion venue…, c’est une construction psychologique…
Si la formule du tout pourri n’est pas foncièrement différente des Hot-Rods de la fin des années ’40 aux USA, les Rat-Rods ont renouvelé la saga qui partait vers des sommets financiers insoutenables à cause des réalisations hors de prix (500.000 US$ en moyenne) de Foose et Coddington, chassant au bazooka les vieux Hot-Rodders nostalgiques devenus millionnaires et bien plus…
Leurs “petits” changements stylistiques bien trouvés, ont été nommés “High-Tech” ; le Hot-Rodder rebelle n’était plus un étranger pouilleux au look Rock’N’Roll bestial mais un cadre supérieur américain venant s’encanailler dans les grandes réunions du genre, y raflant coupe et gloire, pour le plus grand bonheur des journaleux de la presse Kustom-Kulture.
Il s’agissait presque de payer pour regarder ces Hors-la-loi bon chic bon genre faire semblant de jouer avec la mort, dans une sorte de show porno soft : l’homme dans ses vices les plus horribles…
Pour illustrer cette idée, je pense que pour échapper à la condition humaine, l’homme essaye de tout ramener à un plan infantile, à savoir transformer les angoisses métaphysique en jeu où il serait sûr de gagner à la fin, dans une immoralité presque “innocente”.
Les mecs pleins aux as, à la mort de Boydd Coddington, ont déserté le milieu du Hot-Rodding, la majorité de leurs jouets ont été les vedettes de ventes aux enchères…, la masse a cru un temps qu’on allait revenir aux sources : des Hot-Rods basiques et simples sont apparus…, qui ont été nommés Rat-Rods.
Les adeptes de ce renouveau sont des jouisseurs de rebuts…, le jeu est donc pour eux de braver les derniers territoires inconnus qui sont la souffrance et la mort en se caressant les bourses…, le domaine de l’irréversible comme dernier rempart d’une humanité asservie au plastique et au reproductible, en quelque sorte…, alors que…, eux jouissent dans les tôles pourries, dans les ferrailles rouillées, dans les pièces de récupération…
Au plus c’est déglingué, au mieux c’est, rien de neuf, plus de peintures laquées et de peausseries de qualité, plus de boiseries avec marqueterie et inserts de préciosités…
Dans la forme, ces machines ont l’allure de Steampunk bricolés, faisant penser aux machines de fin du monde des premiers Mad-Max, mais évoluant dans un univers gothico-sado-maso qui cartonne grââââve en ce moment sur internet, dans lequel des hommes et des femmes évoluent en cuir râpé déchiré, tatoués de partout, les seins et parfois les couilles à l’air…
Bien…, faut pas vous faire d’illusion, tout cela a déjà été récupéré par toute une clique de petits malins qui construisent des Rat-Rods plus pourris que pourris…, à prix d’or, sous prétexte que c’est de l’art !
J’avoue que c’est souvent magnifique dans l’absurdement dégueux, comme un magnifique vomi assorti d’excréments présenté comme une oeuvre d’art…, on est dans une veine nettement plus “vénale” encore que ce que réalisait Boydd Coddington (en un peu plus soigné tout de même).
La crise de laquelle est née le désir de tourner le dos aux finitions léchées est pour beaucoup responsable de ce souk jubilatoire, mais c’est aussi une volonté de ne plus faire un Hot-Rod “à la manière de Boydd Coddington” et de ne pas trop se poser de question dans le look final, ce qui ici fonctionne bien et réussit même parfois à donner une ambiance glauque, ce qui n’était pas gagné avec la récupération d’épaves pourries qui dans l’ensemble vont du correct à l’épouvantable.
Il ne faut pas se voiler la face : ça marche essentiellement via le style rouillé…, à tel point que, déjà, le pire du pire apparaît, avec des Rods ex-Coddington qui sont repeints comme s’ils étaient tout pourris-rouillés…, c’est alors laid comme le tout venant des caisses-détritus et n’a pas grand chose d’original ou de recherché…, c’est le premier degré qui triomphe ici, et l’absence de recul dans le style va dans ce sens et nous met la tête dans le seau, si je puis dire, sans ménagement.
Ces engins se photographient dans des hangars pourris et pas dans des jardins fleuris, il faut que l’esprit “Very Bad Trip” transparaisse, afin que les lecteurs (de plus en plus rares) des mag’s Kustom & Rods survivants (souvent des étudiants en école de commerce ou de sciences po) s’imaginent héros d’aventures dingues et dégueux : démembrer, éviscérer, énucléer, tronçonner, castrer ou mutiler leurs copains-copines pendant que des milliardaires parient de l’argent en se branlant de bonheur.
Partant de là, pour un Rat-rodder un poil friqué, il n’est pas trop difficile de se faire fabriquer une vraie merderie roulable, même avec un manchot cocaïnomane aux manettes.
Pour ces nouveaux créateurs-carrossiers de l’absurde cher payé, il ne s’agit plus seulement de faire souffrir quelqu’un sadiquement pour assouvir l’extase perverse ultime, il s’agit de faire disparaître aussi les contraintes de l’âge adulte en donnant une illusion tout en garantissant la fin…, ce sont exactement les règles de la bourse : à un niveau d’abstraction donné, on ne pense plus aux vies humaines en jeu, il s’agit d’un mécanisme de jeu basé sur le gain, ou tout est rationalisé.
C’est Stéphane Mallarmé qui écrivait je crois : “Ô Mort le seul baiser aux bouches taciturnes !”…
Ben oui y’a un peu cette ambiance dans le Rat-Rodding…, c’est donc paradoxalement quelque chose qui est gratuit et source d’emmerdes sociétaux (déjà qu’un beau Rod est l’objet de milliers de tracasseries administratives et policières, imaginez un Rod tout pourri sans garde-boue) mais qu’on désire ardemment.
Tout le monde est là pour profiter ou jouer dans l’horreur la plus totale, ce qui rend chaque Rat-Rod presque Sacré…, il n’y a même pas d’amour, c’est pour passer le temps, pour ressentir l’excitation des chasseurs primitifs, mais à aucun moment il n’y a de passion, pas plus d’ailleurs que chez “les jeunes” qui hésitent 5 minutes avant de tromper l’amour de leur vie avec une pute camée dans les chiottes d’un macumba local…, au fond, c’est juste un peu plus excitant.
Le vrai salut est dans le courage de l’abandon et le renoncement à la puissance, ce qui fait de moi un épicurien au milieu des stoïciens, j’imagine…, c’est d’autant plus touchant que je fais passer mon propos via quelques Rat-Rods baroques et décadents sur base VW…
L’homme est une raclure comme une autre… et ce sont les plus riches qui survivent dans la grande majorité des cas…, dans l’histoire de l’art, il y a toujours eu une fascination pour les vanités, et pour les ruines…, Hubert Robert ou Panini ne peignaient que des ruines, comme une méditation sur le temps qui passe.
Aujourd’hui, il y a quelque chose de fascinant dans ces entrailles de voitures rouillées…, certains les achètent comme des objets d’art sans les restaurer, certains musées les acquièrent pour les laisser en l’état…, il en est qui font de l’or avec des dizaines de vieux (mais prestigieux modèles) corrodés par la rouille.
La valeur étalon devrait être la capacité d’une œuvre, quelle qu’elle soit, à donner du bonheur…, puis s’ajouteraient des critères objectifs comme la rareté, l’année…, pour l’acquérir s’y ajoute une “valeur marchandise”…, cette valeur qu’imposent la concurrence et le marché pour que les beaufs puissent l’acquérir.
On connaît bien ça en bourse, où parfois le profit est très loin derrière la ligne d’horizon…, mais quand cette “plus-value marchandise” devient dingue, il y a forcément des risques de petites punitions…
Je vous cause de VW pourries, car depuis quelques mois les Porscheries atteignent des prix stratosphériques, surtout les plus basiques, les plus stupides, telles les fumeuses (double-sens) 911 L, T ou S, même (et surtout) équipées de blocs 4 cylindres…
200.000 euros pour une telle bricole qui, il y encore quelques années ne trouvait acquéreur que dans des Casses-autos ou auprès de Customizeurs-Tuneurs s’évertuant à leur donner le “Look-Turbo 930″…, les mêmes les remettent actuellement en look d’origine…, le look qui fait que les gens vous regardent avec pitié !