Quand le cuir se fait la malle !
«Pour mon arrière-grand-père, Georges Vuitton, l’essentiel était de faire voyager les effets personnels d’un client dans le plus grand confort.»
Patrick-Louis Vuitton.
“Louis Vuitton, malletier à Paris, maison fondée en 1854”, peut-on lire au fronton du magasin des Champs-Élysées construit en 1912.
Plus de 150 ans plus tard, l’entreprise du luxe international est devenue incontournable pour qui veut afficher sa réussite.
Âme de l’entreprise, Louis Vuitton naît en 1821.
Son père est menuisier, et c’est auprès de lui qu’il va apprendre à manier la varlope et le riflard.
Louis Vuitton crée sa propre affaire en 1854.
En 1858, il présente son premier modèle de malle plate.
Elle est fabriquée à partir de peupliers et est recouverte d’une toile de qualité supérieure, collée selon un procédé qui la rend imperméable, et équipée de coins, équerres, poignées, emboîtures en métal laqué noir et de lattes de hêtre fixées par des rivets.
L’intérieur est équipé de châssis et de casiers.
La “malle Vuitton” est née.
Recouverte d’une toile gris Trianon, elle connaît un succès immédiat.
Louis en propose bientôt une variante, recouverte de rayures bicolores.
Puis, en 1888, c’est un nouvel imprimé, un damier beige et brun, où apparaît l’inscription “L. Vuitton Marque déposée“.
Voici son histoire…..
De la malle recouverte de toile enduite grise des années 1850 aux collections de prêt-à-porter de luxe, en passant par les multiples bagages et sacs frappés du célèbre monogramme, plus de cent cinquante ans se sont écoulés, marqués par une extraordinaire accélération des techniques et une prodigieuse ouverture au monde.
Cent cinquante ans pendant lesquels une dynastie, fidèle à son fondateur, n’a mis d’autre borne à sa créativité que ce qu’exige le respect des savoir-faire traditionnels.
En 1835, louis Vuitton quitte son Jura natal.
Balluchon au dos, il part sur les chemins se former au métier du bois.
Un an plus tard, il est apprenti à Paris, chez M. Maréchal, le plus réputé des layetiers-emballeurs, les laies étant de grandes caisses de peuplier emballant les encombrantes robes féminines du Second Empire de la capitale.
Remarqué dans la boutique de la rue Faubourg-Saint-Honoré par l’impératrice Eugénie, dont on sait la passion pour les villégiatures balnéaires et thermales et le goût des voyages, le jeune Louis ouvre son propre atelier en 1854, rue Neuve-des-Capucines, près de la place Vendôme, dans ce nouveau Paris animé d’une fièvre de construire et d’investir symbolisée par les travaux du baron Haussmann.
L’esprit d’invention de Louis Vuitton est à la mesure de ce siècle où tout s’accélère et qui voit naître le chemin de fer, la marine à vapeur, l’automobile et l’aéroplane.
De layetier-emballeur, il se fait malletier et crée, pour répondre à une mode féminine plus fluide et plus légère qui a délaissé la crinoline, des malles plates (elles étaient jusque-là bombées pour permettre l’écoulement de l’eau sur le toit des diligences) donc empilables et logeables dans les express intercontinentaux ou dans les transatlantiques qui prennent leur essor au tournant du siècle.
Dotées d’une “charpente” de peuplier ou de hêtre recouverte d’une toile imperméabilisée grise rayée beige et marron, elles sont adaptées aux multiples transbordements et parfaitement étanches grâce à un système d’assemblage du couvercle au moyen de toiles encollées permettant la suppression des charnières de métal.
A la simplicité élégante de ces premiers bagages répond la sophistication de l’aménagement intérieur conçu pour recevoir les mille et un vêtements et accessoires qui constituent la garde-robe d’une élégante au XIXe siècle.
Malle a chaussure pouvant contenir 18 paires
A la veille de la guerre de 1870, Louis a 50 ans et sa réputation lui vaut déjà la clientèle, outre celle de l’impératrice Eugénie, de quelques grands de ce monde tel Ismaïl pacha, vice-roi d’Egypte.
Louis se retire en 1880 et c’est Georges, son fils aîné, qui lui succède.
Celui-ci construit à Asnières, près de l’atelier, une villa qui restera la maison familiale jusqu’à sa
transformation récente en musée.
Georges se passionne pour les écrivains, les artistes, les ingénieurs et, d’une façon générale, les innovateurs et les créateurs qui ont fait la réputation de la Belle Epoque.
Philéas Fogg, le héros de Jules Verne, incarne l’idéal Vuitton.
Curieux des nouvelles techniques, épris d’art, d’automobile, globe-trotter élégant et soucieux de confort, c’est pour ce client idéal que sont imaginés quelques-uns des articles devenus des symboles de la marque, présentés dans le nouveau magasin de la rue Scribe et souvent récompensés aux expositions universelles de Paris et des grandes capitales européennes et américaines :
Malle-cabine-Idéale extraplate, recouverte de toile enduite selon un nouveau procédé,
Steamer bag en toile et cuir,
Malle coloniale en zinc et cuivre,
Malle-lit de Savorgnan de Brazza,
Ward-robe permettant de transporter des vêtements sur cintres.
Et, pour tous ces bagages, une serrure à cinq gorges inviolable et une clef unique pour le voyageur, du nécessaire de toilette à la malle-secrétaire.
Les commandes spéciales d’une clientèle dont les exigences sont à la mesure de sa fortune stimulent en permanence l’imagination et la recherche des matériaux les plus rares adaptés aux formes et aux techniques décoratives les plus sophistiquées.
L’entreprise Vuitton compte toujours un atelier et une soixantaine d’ouvriers mais sa réussite excite la concurrence et les contrefaçons se multiplient.
Pour y remedier, Georges crée, en 1896, la fameuse toile Monogram, inspirée des motifs geométriques et floraux des arts décoratifs japonais dont le Tout-Paris s’est engoué lors de l’Exposition universelle de 1878.
Un siècle plus tard, la lutte contre les imitations, très souvent d’origine asiatique, est toujours d’actualité malgré l’arsenal juridique et financier mis en oeuvre.
Rançon de la gloire….
Touchée de plein fouet par la Première Guerre mondiale, la société se reconvertit dans l’industrie de guerre en fabriquant des cantines militaires et des brancards pliants.
Mais très vite, après le conflit, la clientèle internationale retrouve ses habitudes de vagabondage luxueux : le prince Youssoupov (celui-là même qui aurait assassiné Raspoutine), le maharadjah de Barod, les Gulbenkian, Vanderbilt, Rockfeller, Mary Pickford et Douglas Fairbanks, Jeanne Lanvin, Marlène Dietrich et tant d’autres ” dévalisent” la nouvelle boutique des Champs-Elysées, ou celles de Londres et de New-york.
La nouvelle génération Vuitton, celle de Gaston et des jumeaux Pierre et jean, s’emballe pour l’aventure automobile.
Et la maison rivalise d’ingéniosité et de créativité dans cette course folle pour aller toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus haut !
La marque fait alors la preuve de la résistance de ses équipements, notamment dans les célèbres croisières Noire (1925) ou Jaune (1932), sous toutes les latitudes, à toutes les altitudes et pour tous les modes de transport, de l’aéroplane au dos de chameau ou d’éléphant, et continue de marier sa toile fétiche aux lignes les plus hardies et aux matières les plus raffinées.
Après la Seconde Guerre mondiale, les mutations de la clientèle qui fréquente les Champs-Élysées inciteront Gaston-Louis Vuitton à déménager son magasin au 78 bis, avenue Marceau.
Celui-ci ouvre ses portes en mai 1954 pour le centenaire de la Maison.
La quatrième génération de la famille Vuitton s’adapte une fois de plus à la demande nouvelle.
C’est que la toile Monogram est plus que jamais à la mode.
Sa haute qualité est le plus sûr garant de l’unicité de la marque.
Petite maroquinerie, pochettes, sacs à bandoulière ou à main concurrencent désormais le bagage rigide.
Louis Vuitton décide d’étendre sa distribution dans le monde entier et ouvre des magasins entièrement contrôlés par la marque, tant sur le plan esthétique et financier que commercial.
Le precurseur de la toile Monogram n’est autre que le troisième du nom, Gaston-Louis Vuitton (1883-1970) passionné par les technologies nouvelles, ce n’est qu’en 1959 que les progrès de la chimie vont permettre à son fils Claude-Louis de mettre au point une toile enduite souple, avec support lin ou coton.
Une ère nouvelle commence.
De nouvelles lignes de bagages malléables et faciles à vivre vont naître.
Pour des générations, la toile Monogram est plus qu’un signe de reconnaissance : c’est une véritable caution de qualité.
Sa clientèle, fortunée et nomade, est attachée à la beauté, à la qualité et à la fonctionnalité de ses articles de voyage, médiatisés par la duchesse de Windsor dans les années 1960, Jerry Lewis dans les années 1980 ou Sharon Stone aujourd’hui.
Cependant, pour satisfaire une clientèle moins attirée par la toile monogramme trop imitée par d’autres marques, Vuiton crée les sacs en cuir épi monocolore ou en cuir précieux (lézard, crocodile ou peau d’autruche) signés des plus grands noms design et de la mode.
Depuis son intégration à l’empire LVMH de Bernard Arnault dans les années 1990, la société compte plus de deux cent cinquante magasins dans le monde et, malgré la récession actuelle, réalise des chiffres d’affaires records liés, entre autres, à forte demande asiatique.
Et désormais, Louis Vuitton fournit les malles et tout ce qu’il faut pour les remplir….
À Asnières, l’ancienne rue du Congrès est aujourd’hui la rue Louis Vuitton.
Les premiers ateliers se sont agrandis et modernisés.
On y cultive toujours un savoir-faire, un sens aigu de la tradition et de l’innovation.
Des prototypes y sont conçus avant d’être testés dans des magasins phares.
De la réaction des clients dépend la mise en fabrication.
Il s’opère ici une transmission des expériences, de compagnons à apprentis, et les futurs collaborateurs viennent se former.
Aucune machine ne remplace le tour de main, le coup d’oeil, le bon sens d’une expérience humaine.
Ainsi au fil de l’évolution des techniques, une nouvelle philosophie s’est-elle développée.
Le rythme du travail, les outils, les gestes employés n’ont guère varié depuis la Belle Époque ; c’est dans le domaine des matériaux et de la technologie que l’évolution est constante.
Et c’est toujours un descendant de Louis qui garantit la qualité.
Patrick-Louis Vuitton s’occupe du département des commandes spéciales.
Les bagages rigides façonnés à milliers de petits coups de marteau sortent tous des ateliers d’Asnières et l’on y concrétise les exigences les plus imprévisibles.
La famille Vuitton, au fil du temps et de ses pérégrinations, a mis en scène un musée dans la maison d’Asnières.
Il réunit une étonnante collection de coffres cloutés de la Renaissance ou du Grand Siècle et de meubles chargés d’histoire et illustre l’histoire du voyage et les prouesses de la technique.
Tout bagage doit tendre à la plus grande mobilité, dans la plus grande légèreté.
Ces deux conditions sont indissociables d’une robustesse à (presque) toute épreuve.
De tout temps, la maison a offert à ses clients la possibilité d’étudier et de réaliser des commandes spéciales.
Le premier secrétaire-linge apparaît dans le catalogue Louis Vuitton en 1914.
Le “Ward-robe”, de toile et cuir, est créé par Georges Vuitton en 1875.
Il s’en commande plusieurs dizaines chaque année et la malle à châssis, inventée dans les années 1860 est toujours proposée en trois tailles.
Une seule limite toutefois : toutes les créations fabriquées dans les ateliers doivent être mobiles.
“Je me refuse à concevoir des meubles, dit Patrick-Louis Vuitton, nous sommes dans le mouvement. Rien ne sort des mains d’un compagnon qui ne puisse être aisément transporté.“
L’arrivée chez Louis Vuitton de Marc Jacobs, fin 1997, en tant que directeur de la création, a ouvert la maison Vuitton à la mode avec la création du prêt-à-porter, des souliers et de la joaillerie, tout en contribuant à développer de nouvelles lignes de maroquinerie.
Ces mutations ont modifié l’image et l’architecture des magasins.
Même s’il est parfois considéré comme un enfant terrible de la mode new-yorkaise, Marc Jacobs est passionné par l’histoire de la mode, sa culture, ses basiques, ses invariants : tous les éléments de ce que l’on appelle le style.
Il ne crée pas une mode qui ne descendra jamais dans la rue, mais tire de son observation du quotidien des éléments transcendés par son souci du détail et de la qualité, et capables de répondre aux besoins des femmes les plus sophistiquées.
Un dialogue fructueux s’est instauré entre le malletier et ce jeune homme moderne qui se veut moins artiste que créateur d’un certain art de vivre.
Ainsi, au sein de la vieille Maison, on aura su préserver le délicat équilibre entre une tradition séculaire et un désir de nouveauté, de vivacité et de beauté.