Ursus Wehrli, l’art dérangé du rangement…
Des vermicelles triés en dehors de leur soupe par ordre alphabétique, des voitures classées par couleur sur le parking d’un supermarché, les estivants d’un camping présentés en rang d’oignon : la nouvelle performance de l’artiste suisse Ursus Wehrli étonne encore une fois par son caractère proprement incongru.
Vous passez d’Italie en Suisse puis vous allez en France…, à chaque fois le contraste est saisissant.,,, en Suisse tout est propre, bien rangé, pas un papier qui traine, certains Suisses les plient plutot que les chiffoner avant de les jeter rangés dans une poubelle… qui sont toutes fermées en attente d’être (soigneusement) vidées par des des ouvriers en col blanc portant cravate et smoking…, j’exagère à peine…, le toit des maisons semble quotidiennement nettoyé, les jardins sont impeccables… et tout semble si naturel qu’on en reste bouche bée…
Essayez un restaurant de luxe, tout est millimétré sur la table (les nappes aussi), dans les assiettes, le personnel est au garde à vous…, les lustres et les serviettes sont à la parade…, même la presse, les journaux et magazines, chaque article est calibré, soigneusement mis en page, pas une photo qui ne soit pas en alignement.,,, toutes les montres, les horloges, indiquent exactement l’heure à la même seconde…, les trains sont incroyablement ponctuels… et quand ils marchent, les Suisses sont tous au même pas.
Pas une tache, pas un bouton qui manque, les chaussures bien cirées, les vêtements repassés de frais… et les billets de banque, rangés méthodiquement, pas un qui est froissé, tous repassés chaque matin, comme nouvellement imprimés, et les liasses calculées par paquets identiques…, en finale, on s’attend même à ce que les oiseaux sur les fils sont en ordre croissant, volent en en files indiennes…, mais en Suisse, c’est l’avant-garde, il n’y a plus de fils, c’est souterrain.
L’ordre Suisse fascine ou fascise, selon les tempéraments, pire à la frontière autrichienne ou on s’attend à voir les forêts, les montagnes rangées parfaitement… et, quoique la criminalité Suisse est quasi négative…, les rares malfrats n’ont pas de cran-d ‘arrêt, mais un couteau suisse multifonction…, il n’y a que le gruyère qui n’a pas les trous de mêmes tailles ni bien rangés, mais c’est à l’étude, croyez-le bien…, c’est ça la Suisse… et bien, lorsqu’un Suisse fait de l’art, c’est tout cela qui est mis en avant…
Kunst Aufraümen, le nouveau livre d’Ursus Wehrli, recueille les dernières œuvres développées autour du concept du rangement artistique, les derniers objets du quotidien ayant échappé à l’obsession de l’ordre de notre société se retrouvent ainsi détournés et photographiés par Wehrli au profit de son rangement artistique.
Des chambres ordonnées d’hôtel où séjournait l’artiste naquit l’inspiration de ce nouveau concept : “L’idée qu’un inconnu range ma chambre en mon absence m’a semblé fascinante”, explique l’artiste.
En testant les réactions du personnel d’hôtel confronté à la découverte d’objets placés à d’étonnants recoins de la chambre, Ursus Wehrli développa ce goût étrange pour le rangement dérangé… il ressort cependant de cette performance absurde une sérieuse méthode artistique, testée déjà par trois fois…, Kunst Aufraümen clôt ainsi un cycle sur le rangement expérimenté sur différents supports.
Avant de détourner les objets du quotidien à travers la photographie, l’artiste avait également appliqué sa méthode aux grands classiques de la peinture, reconstituant les œuvres d’un Miro ou d’un Van Gogh pièce par pièce dans un élan quasi maniaque.
Ursus Wehrli, qui officie également sur les planches avec le duo comique Ursus et Nadeschkin, soulève de manière humoristique le malaise et l’incompréhension rencontrés face à l’art et l’art contemporain : “La règle du Aufraümen insiste sur la liberté d’interprétation et d’appropriation d’une œuvre”, rappelle son fondateur… et, pour cette raison, la méthode constitue pour l’artiste une thérapie qui réconcilie l’art contemporain et ses opposants les plus sceptiques.
Wehrli, pour qui la déconstruction d’une œuvre devenait systématique, concède avoir mis cependant un certain temps avant de retrouver le chemin d’une galerie.