C’est trĂšs gentil de venir me lire, mais quelle drĂŽle d’idĂ©e !
Je ne sais pas si, comme ça, sans vous connaĂźtre, je pourrai vous donner une image de moi-mĂȘme…
Du reste… et s’il me faut ĂȘtre honnĂȘte avec vous comme avec moi-mĂȘme , je ne sais pas d’avantage ce que suis venu faire ici.
Je n’ai pas plus la prĂ©tention de faire Ćuvre littĂ©raire que de me livrer Ă une quelconque thĂ©rapie.
Je laisse filer les mots, sans savoir oĂč ils vont mener.
Parler de soi, se raconter, se mettre en scÚne, en billets, en images : quelle prétention !
Mais de qui pourrais-je parler d’autre que de moi-mĂȘme ?
Je me connais si bien…
Ou du moins , je pense bien me connaitre, ce qui au fond revient au mĂȘme.
Les personnes qui, en revanche, me connaissent peu ou mal, disent que je suis froid et distant mais je ne me sens ni froid ni distant, je me sens simplement naturel et jusquâĂ prĂ©sent jâavais horreur de parler de ma vie privĂ©e.
Est-ce que cela vous paraĂźt extravagant Ă vous ?
Non, bien sûr.
C’est quand mĂȘme Ă©tonnant, cette Ă©poque oĂč tout le monde doit laver sa chemise, ouvrir son lit ou exhiber ses sentiments en public.
Je trouve ça affreux.
Remarquez, je ne suis pas pudique par discipline, j’ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© comme ça.
Ăa facilite la pudeur, le secret, donc le bonheur dit-on.
Suis-je quelqu’un d’heureux ?
Comment le savoir ?
Il y a des moments oĂč je suis trĂšs heureux, des moments oĂč je suis trĂšs malheureux… et si peu entre les deux.
En fait, voyez-vous, quand je suis trÚs heureux, ça me fait peur.
J’ai l’impression que le malheur, enfin la mĂ©lancolie est plus normale que la gaĂźtĂ©, que la joie.
Quand je suis heureux, j’ai l’impression que je vais devoir le payer plus tard et mĂȘme souvent il m’arrive de le payer d’avance.
Vous trouvez ça fou…
Eh bien moi, je ne trouve pas le bonheur naturel… et je vous assure qu’il y a beaucoup de gens comme moi.
J’en connais beaucoup qui ont peur du bonheur, enfin qui adorent ça, bien sĂ»r, mais qui en ont peur.
En fait, je ne pensais pas qu’on pouvait adorer la vie en Ă©tant pessimiste sur elle.
Quand je dis pessimiste sur la vie, je pense aux gens.
Au fait, je ne vous ai mĂȘme pas offert Ă boire, c’est dramatique !
Vous ne voulez rien ?…
Vous ne pouvez vraiment plus boire d’alcool du tout, c’est Ă©pouvantable !
Moi, de temps en temps, j’adore ça.
Je bois deux, trois Mojitos comme ça, pendant une semaine, dix jours, quinze jours.
Quand je dis que je bois, c’est un petit peu exagĂ©rĂ©, je m’arrĂȘte quand je veux et il y a des mois entiers oĂč je ne bois pas une goutte d’alcool.
Mais il y a des soirs, on ne sait pas pourquoi, grĂące Ă lui, on parle, on s’amuse comme des fous.
Il y a belle lurette que l’on dĂ©nonce dans des films, des piĂšces, des livres, la lancinante mutilation que notre propre image peut infliger Ă notre nature… et surtout la fĂ©roce absence que laisse en vous cette image lorsqu’elle s’absente aussi des mĂ©moires.
Et cette vieillesse, mĂȘme lointaine, qui se rĂ©vĂšle dĂ©jĂ cruelle, humiliante et pĂ©nible pour tout le monde, comment supporter qu’elle soit en plus pour vous dĂ©gradante, dĂ©shonorante, implacable ?
Comment supporter que le temps, cet ennemi vague de tout un chacun, devienne pour vous un ennemi si prĂ©cis, si complet, destructeur aussi bien de votre carriĂšre, votre entourage, votre mode de vie, que de votre travail mĂȘme, c’est-Ă -dire, un peu, de votre honneur…
Un ennemi qui fera de vous, un jour forcĂ©ment, l’objet Ă abattre pour ceux ou celles qui, nĂ©s plus tard, se retrouveront automatiquement les vainqueurs, les voleurs de tout ce que vous avez possĂ©dĂ©, gagnĂ© par vos mĂ©rites, ou acquis aux dĂ©pens de rivaux dĂ©modĂ©s.
La sĂ©duction, ses soleils et ses casseroles, certaines personnes ont passĂ© la moitiĂ© de leur vie Ă la fuir. D’autres ont failli lui abandonner la leur.
D’autres, tant d’autres, tellement d’autres, l’ont recherchĂ©e jusqu’Ă leur mort… et certaines sont mortes de n’avoir pu la trouver.
Mais, qu’elle se soit transformĂ©e en passion ou en horreur, en nĂ©cessitĂ© ou en nĂ©vrose, il y a au dĂ©part un dĂ©sir de rĂ©sonance, d’Ă©cho, de reflet.
Signe du destin ?
DĂ©but de la fin ?
ParenthÚse désenchantée en fait !
Dolent, le cĆur un peu tournĂ©, geignant plus par gourmandise que par nĂ©cessite, l’Ă©dredon ventru comme un rempart…, livres imbĂ©ciles, programmes tĂ©lĂ©s bien niais, petite maison dans la prairie…, petite grotte de plumes et de coton ou je me pelotonne tel un ourson en gĂ©sine .
37,2 le matin…
J’ajoute Ă la douceur rose-crĂšve-cĆur de ce tableau, la main fraiche et inquiĂšte d’Anna, effleurant mon front tiĂ©dit par ses baisers !
Cette mĂȘme main est aussi celle qui, en d’autres lieux, égare les diamants qui la parent dans les braguettes d’hommes susceptibles de lui en offrir quelques carats de plus.
Vous trouvez que j’exagĂšre ?
Allons donc , nous n’en sommes qu’au dĂ©but !
HalĂ©e et parfumĂ©e, tenue de chez Dior…, depuis qu’Anamary a quasi ruinĂ© un chocolatier Suisse, elle a attrapĂ© mauvais genre, juste ce qu’il faut.
Comme jâaime.
Bref, une pintade Azuréenne.
Elle sĂ©journe sur la French Riviera, donc elle sâhabille lĂ©gĂšre !
Un bisou, deux bisous : “non- pas- la- bouche- y- a- du- monde”… et nous voici parti pour la principautĂ© Ă bord dâun pot de yaourt si exigu que mes genoux flirtent dangereusement avec le tableau de bord.
Me voilĂ bien tranquille, je vais pouvoir roter mon Mojito, pĂ©ter mon caviar et prononcer des mots inconnus du dictionnaire sans provoquer dâincidents diplomatiques.
La demeure ou elle me mĂšne ressemble Ă une version miniature du Palais Sans-souci de Potsdam, quoi quâen plus chargĂ©e.
Bref, une meringue.
– Sâil te restait un doute, tu peux en faire le deuil : tu es bien chez les riches, me sussure-t’elle avec un sourire pervers…, aussi incongru, dĂ©placĂ©, malsĂ©ant quâun poivrier sauvage dans une roseraie, mĂȘme si lâincongruitĂ© est devenue Ă ce point quotidienne chez elle que je n’y prĂȘte plus attention !
Une armoire Ă glace avec de faux airs de Body-Guard, des Ă©paules Ă dĂ©mĂ©nager les pianos, une bouche Ă embraser les banquises, des dents de magazines, bref, une bombe sexuelle, un pur concentrĂ© de testostĂ©rone…, apparait soudain, ouvre le coffre de la vieille Fiat et dĂ©charge mon mini sac de voyage.
A mon avis, lorsque ce mastodonte traverse un passage cloutĂ©… (double sens), les pamplemousses doivent suinter, les noix de cajou Ă©clater, les bananes jouer les mĂ©tronomes sur son passage !
Il faut distribuer du Temesta en intraveineuses pour calmer la tachycardie des donzelles, du bromure Ă la louche pour empĂȘcher un viol collectif.
Du reste, moi-mĂȘme je ne me sens pas trĂšs bien Ă la vue des seins d’Anna dont les tĂ©tons pointent Ă travers son T-shirt.
Une Ă©cume blanchĂątre Ă la commissure des lĂšvres, je dĂ©raille sur toute la ligne, je rougis, je palis, je brĂ»le de partout, je perds mes mots, jâen invente dâautres ; ceci au grand agacement d’Anamary.
– Calme tes ardeurs, me conseille-t-elle…, en me fixant de ses yeux du mĂȘme vert translucide des jades anciens !Â
PiquĂ© dans ma vanitĂ©, jâenfourche illico mon plus fougueux destrier.
Mais comment ose-t-elle me prĂȘter de si vils desseins alors que je ne suis quâangĂ©lisme et probitĂ©… ?
FĂąchĂ©e que la discussion ricoche dans une direction contrariante…, plus pincĂ©e quâune chanoinesse en carĂȘme, elle me fait valoir que je dois mâestimer encore bienheureux dâĂȘtre admis dans son antre, et de mâabstenir de me montrer brutal et discourtois en culbutant la maitresse de cĂ©ans (elle) avant mĂȘme dâavoir vidĂ© sa cave Ă vins et mis Ă sac son palais dâĂ©tĂ©.
Et lĂ , tandis que je mâapprĂȘte Ă enfiler des arguments oiseux, dâaucuns diraient des clichĂ©s…, voici quâun feu rouge me stoppe net.
Warning !
Terrain glissant !
Ăviter le sujet du : Jâencule les Altesses, je con-chie les Milords, je pisse Ă la raie des Aristos ! GrĂące Ă mon intelligence, nous ne sommes pas du mĂȘme monde et vive la rĂ©volution !…, histoire de ne pas sâentendre rĂ©pondre : Mais alors, que viens-tu faire dans le mien de monde, anarchiste de mes deux ! Je ne te lĂšcherais plus ! DĂ©gage sâil ne te convient pas, mon monde, bouseux, manant, cloporte !...
A force de baiser hors de sa classe, ont finit par le connaßtre le grand livre des phares, par ne plus confondre la braise racoleuse et le signal de détresse !
Pour le coup, je passe fissa du mode cigĂŒe au mode miel aux lĂšvres.
– Mon lapin, ma puce, mon canard en sucre, je mâen fiche moi de tout ça, je connasse parfaitement, j’y Ă©tais dĂ©jĂ dans ce monde alors que tu n’Ă©tais qu’au stade des secrets de secrĂ©taires au sein d’une multinationale du chocolat. Que tu aies rĂ©ussi Ă emberlificoter ton ex grand patron, lĂ c’est un coup de gĂ©nie autant qu’un coup d’arnaque… Ce n’Ă©tait qu’un con spontanĂ©, ça se voyait ! Toi tu es tellement plus intĂ©ressante, tellement plusâŠ
– Tellement plus-plus quoi ?
Elle nâest pas dupe un centiĂšme de seconde, mais pas plus que moi elle nâa envie de passer la semaine sous les retombĂ©es acides dâun parasol thermonuclĂ©aire.
Aussi me sourit-elle.
Aussi mâouvre-t-elle les bras.
Et les draps dâun lit si haut que si on en tombe on se tue.
Câest une bonne pomme, Anamary… et dans le fond, il se peut quâelle mâaime.
Sans apprĂȘts et ruisselante sous l’orage Ă Times Square, au milieu de la foule Ă la recherche d’un taxi…, croulant sous la chaleur et les tapis au grand bazar d’Istanbul en buvant un thĂ© Ă la menthe…, seule, la nuit, place Djemaa el-Fna Ă Marrakech au milieu des vendeurs de quatre vents et des charmeurs de serpents…, aux puces de Broadway essayant de vieux manteaux de peau, de vieux blousons de cuir, des chapeaux rigolos…, si elle vit la nuit, elle a besoin de longues plages de silence, mais mĂȘme dans les grands espaces elle peut suffoquer, une mauvaise graine ça vit sa vie Ă lâenvers.
Trentenaire joyeuse et irresponsable.
Ex-adolescente studieuse, un peu grise, un peu fade, beaucoup moquée.
Ătonnez-vous que se coltinant le prĂ©nom d’Anne Marie… de ce poids elle ait tournĂ© vinaigre.
Et puis en vieillissant la mauvaise graine est devenue belle plante.
Les regards ont changé et les mots.
– Lorsque voici quelques annĂ©es, gonflĂ© de condescendance imbĂ©cile ; bedaine Suisse, teint fleuri et Ćil arrondi de satisfaction bovine, mon chef de service mâannonça, que jâĂ©tais mutĂ©e Ă Rome, jâavoue que je fis un peu la gueule.
– Il se dit quâĂ Rome les bouches dâĂ©gout mordent les doigts des menteurs.
– C’est faux…
– Il se dit quâĂ Rome les fontaines rient du long rire gouleyant des putes Ă©rudites qu’aimĂšrent les papes du Quattrocento.
– C’est vrai…
– Il se dit qu’Ă Rome des chats, gras Ă lard, car nourris jusqu’Ă l’Ă©cĆurement par les bonnes Ăąmes du voisinage, vivent par centaines dans une maison situĂ©e en plein centre-ville entre les quatre temples de Largo Agentina.
– Il parait…
– Il se dit quâĂ Rome les statues parlent, les portes dĂ©livrent les secrets de sortilĂšges oubliĂ©s, les rĂ©verbĂšres enchainent pour lâĂ©ternitĂ© le cĆur des amants.
– C’est beau…
– Il se dit quâĂ Rome il est possible de dĂ©guster des parfums au coin dâun bar comme chez nous des grands crus dâAlsace, de Bordeaux ou de Bourgogne.
– Pas qu’Ă Rome…
– Il se dit qu’Ă Rome les femmes sont plus belles, plus chaudes, plus accessibles que n’importe oĂč en Italie.
– J’y Ă©tait la reine…
– Raconte-moi tout !
– A cette Ă©poque, depuis des semaines, les Cassandres des couloirs, plus visionnaires que la Pithye de Delphe , me faisaient espĂ©rer New Yok en sifflotant allĂ©grement Yankee Doodle daddy sur mon passage. Je mâĂ©tais imaginĂ©e au petit matin, prĂšs du grand fleuve, un beau mec Ă mon cou, assise sur un banc qui, peut-ĂȘtre, nâexiste plus ; Ă©voquant Dos Pasos et Woody Allen, tandis quâau-dessus de nous Ă©mergeait de la nuit comme un paquebot sort de la brume, lâarmature fantastique du pont de Brooklyn. Jâavais rĂȘvĂ© du Chrysler building, du Rockefeller center, dâune java sur Broadway, d’un pique-nique Ă Central Park et d’un brunch Ă Soho, ainsi que d’une virĂ©e au marchĂ© bio dâUnion Square. Je me dĂ©lectais d’avance, accompagnĂ©e de quelques grammes de caviar de la Caspienne, dâune tasse de ‘Prince Vladimir’ au subtil gout de vanille et dâĂ©pices dĂ©gustĂ©e au ‘Russian Team Room’. Jâavais rĂȘvĂ©, Gershwin, dâune rapsodie en bleu, des empreintes laissĂ©es par Billie Holliday et Truman Capote dans ces clubs underground du lower east side ou se fumaient d’Ă©tranges cigarettes, dâun bar un peu bizarre sur Christopher street peuplĂ© de faux marins, de faux flics, de faux durs, de tendres voyous…, dâun aprĂšs-midi shopping chez Bloomingdaleâs en compagnie de Carrie Bradshaw ou Rachel Green. Bref alors que j’avais fantasmĂ© la grosse pomme en paillettes, Technicolor et cinĂ©mascope, on m’envoyait me faire exorciser dans un champ d’Antiques ruines veillĂ©es par des curĂ©s et des cornettes !
– Jâavais visitĂ© briĂšvement Rome quelques annĂ©es auparavant et je nâen garde pas un souvenir impĂ©rissable. Il y avait bien eu une cuite Ă lâAsti qui m’avait valu quelques fous rires ; or cela je m’Ă©tais tapĂ© toutes les Ă©glises de la crĂ©ation, tous les vestiges du Palatin, du Capitole, les vastes tombeaux de la voie Apienne, les monastĂšres de l’Aventin…, mangĂ© des pizzas aigres et des pĂątes collantes dans des trattorias qui sentaient la misĂšre… et passĂ© de bien mauvaises nuits allongĂ© au premier Ă©tage dâune ancienne abbaye reconvertie en hĂŽtel… qu’on n’avait plus dut chauffer depuis les jours empourprĂ©s ou les Borgia rĂ©pandaient la luxure, l’inceste et le meurtre aux pieds du Saint siĂšge.
– Je protestais auprĂšs de mon chef de service. Je parle couramment Anglais ; le bureau de New York mâeut mieux convenu ! L’autre putain de sa race maudite, qu’il lui vienne la gratte, les bras courts et une paire de cornes au cul, balaya lâargument dâun geste vague de la main comme on chasse une poussiĂšre. Trois semaines plus tard je dĂ©barquais Ă Fiumicino sous un orage comme on en avait plus vu depuis TibĂšre l’ancien et prenait logis dans un appartement vaste et poussiĂ©reux, Via Gregoriana, Ă deux pas de la Piazza di Spagna. Quelques jours plus tard le soleil Ă©tait revenu et je croisais sur le chemin du bureau un long manteau de daim crĂšme portĂ© par un garçon dont les souples cheveux bruns balayaient un front vaste, voilant parfois dans le vent de la marche lâĂ©clat dâun regard, un peu oblique aux reflets de glacier. Une large besace en bandouliĂšre, des rouleaux dâaffiches plein les bras, au cou dans lâĂ©chancrure dâune chemise de fluide jersey une Ă©paisse chaine dâargent aux maillons plats, il mâoffrit dâun air de connivence un sourire enfantin qui semblait me vouloir du bien. Il nâen fallut pas plus pour que je tombe amoureux et de Rome et de Silvio.
– Sâacclimater en pays Ă©tranger, mĂȘme lorsque vous en connaissez parfaitement la langue, lâhistoire et la plupart des coutumes nâest pas forcĂ©ment une situation de tout repos. Il vous faut, outre composer avec cette nostalgie insidieuse que lâon nomme ‘mal-du-pays’ ; mais que je qualifierais plus justement , pour lâavoir pratiquĂ©e au-delĂ du raisonnable, de ‘mal-des-vĂŽtres’ ; trouver rapidement vos repĂšres gĂ©ographiques, sociaux, professionnels ; vous faire votre petite place au sein dâun environnement qui jusque lĂ c’est raisonnablement passĂ© de votre encombrante petite personne ; tout en sachant que quoi que vous fassiez vous y resterez, fut ce au terme de longues annĂ©es ; irrĂ©mĂ©diablement mĂ©connu, irrĂ©mĂ©diablement diffĂ©rent, exotique aux yeux des locaux… et parfois mĂȘme regardĂ© comme potentiellement nĂ©faste. L’intĂ©gration dans une sociĂ©tĂ© latine, machiste, catholique, apostolique et forcĂ©ment Romaine n’en est que moins aisĂ©e !
– Ma premiĂšre surprise fut de constater que mes nouveaux bureaux, mes nouveaux collĂšgues ne diffĂ©raient guĂšre de ceux que je venais de quitter. On traitait Via della Ferratella in Laterano, Ă peu de chose prĂšs, les mĂȘmes dossiers qu’en Suisse, on y commentait les mĂȘmes coucheries, on y assassinait ses rivaux avec la mĂȘme fĂ©rocitĂ©… et si le cafĂ©, Italie oblige, y Ă©tait meilleur, quoique j’ai pris goĂ»t au Cappucino de NestlĂ©, la dĂ©co Ă©lĂ©gante et froide ne variait pas dâun iota. Seule diffĂ©rence notable, alors que mon bureau en Suisse regorgeait dâaimables tapioles au verbe leste et aux cravates colorĂ©es, celui de Rome semblait nâemployer que des hĂ©tĂ©ros, exception faite dâune gouine revĂȘche et osseuse pour laquelle tout ce qui portait pĂ©nis mĂ©ritait la mort par le pal…, petit jeu qui commence si bien et fini si mal…, demoiselle qui en dĂ©pit des trĂ©sors de charme que je dĂ©ployais pour lâamadouer me demeura hostile jusquâĂ mon dĂ©part. Je passais donc les premiers temps de mon sĂ©jour en compagnie dâarrogants petits coqs parlant ballon et nichons, de jeunes mamans prĂ©occupĂ©es par lâĂ©ducation de leur marmaille et pire que tout, dâentremetteurs des deux sexes bien dĂ©cidĂ©s Ă fourguer la nouvelle venue, un beau parti murmurait-on, Ă quelque bellĂątre Italien…
– Tu Ă©tais comme une fleur dâaubĂ©pine entre les pages dâun roman.
– Ma libido Ă©tant enthousiaste, j’ai jouĂ© mon rĂŽle habituel de grande Maitresse… Nâayant jamais Ă©tĂ© fĂ©rue des lieux de drague dont je rĂ©futais le cotĂ© clandestin, honteux, voire malsain, pas plus que dâĂ©treintes mesquines torchĂ©es Ă la vite fait-mal-fait ; je dĂ©cidais de faire mon entrĂ©e dans la sphĂšre Romaine, par la grande porte. Ironie du sort ou malice assumĂ©e, les paĂŻens, les dĂ©bauchĂ©s, les libertins, les sodomites en somme, avaient choisis de sâinstaller non loin de lâĂ©glise San Crisogno que lâon considĂ©rait comme le plus ancien site de culte de la ville. Jâavouerais franchement, que lâidĂ©e de me livrer Ă cent turpitudes Ă lâombre dâun lieu saint entre tous, me mettait dans une joie fĂ©roce. Se posa ensuite, devant un dressing plein Ă craquer de fringues griffĂ©es, lâinĂ©vitable et grave question du ‘keske-jâvais-mettre ?’…
– Comment sâhabille-t-on pour prendre dâassaut la ville Ă©ternelle lorsque lâon sait que les Romains et Ă plus forte raison les Romaines, sont des toxicos de la mode ?
– Je ne sais plus pour quelle tenue jâoptais mais j’ai poussĂ© la porte du ‘Garbo’, Vicolo Santa Margherita, dans le quartier du Trastevere ce lacis de ruelles traçant son rĂ©seau serrĂ© derriĂšre la piazza Sidney Sonnino ; ignorant encore au moment oĂč j’ai pĂ©nĂ©trĂ© dans le bar que j’avais rendez-vous avec mon destin. Pour faire bonne mesure, jâai sucĂ© deux ou trois queues locales, tu me connais, c’est plus fort que moi, mais on peut dire Ă ma dĂ©charge, plus quâĂ celles de mes partenaires, quâĂ lâĂ©poque je suçais volontiers, mal et un peu nâimporte qui. Il va sans dire que je suis rentrĂ©e de ce pĂ©riple un goĂ»t bien amer Ă la bouche. Depuis, jâai souvent sĂ©journĂ© en Italie, principalement Ă Florence, ville musĂ©e dont je ne me lasse jamais et Ă Milan dont lâĂ©nergie, lâinvention, la modernitĂ© conviennent plutĂŽt bien Ă mon tempĂ©rament intrĂ©pide. De la ville Ă©ternelle, de ses sept collines, de son colisĂ©e dont on ne finissait pas dâachever la restauration, de ses cascades de marbres et dâors, de ses dĂŽmes et de ses cloches, de ses pourpres cardinalices, de son pape grelotant, je ne veux plus entendre parler. Je compris quâil Ă©tait temps d’ĂŽter mon masque grotesque, de ressortir ma panoplie pourpre et or de matador-mi-Amor-mis Ă mort et dâaller brĂ»ler ses ailes guillochĂ©es dâargent aux lampions bigarrĂ©s illuminant les nuits “pĂ©doques” de la capitale de lâEmpire…
– Sourire de pirate et pectoraux saillants, poussant le vice jusqu’Ă t’Ă©couter me narrer tes folies romaines, j’ai soudain certains picotements, une certaine raideur au niveau de mon entre jambe, venant me rappeler que jâavais toujours une bonne santĂ© et un sexe qui sâĂ©rigeait en colonne Trajane.
– Rentrer chez moi, mĂȘme si je nâen suis partie ni pour bien longtemps ni bien loin, me procure toujours un plaisir intense. Lorsquâon voyage aussi souvent que mon mĂ©tier mâoblige Ă le faire, on a besoin dâun point dâattache, dâun point dâancrage. On a besoin de racines autres quâorganiques, autres que familiales, autres que celles enchevĂȘtrĂ©es dans le terroir ou croissent ces longues amitiĂ©s qui, en dĂ©pit des bourrasques, perdurent.
– Jâaime lâidĂ©e de ‘La Maison’, quâelle soit studio ou chĂąteau.
– Je sais, et cela me rassure, que je ne quitterais pas de sitĂŽt lâappartement que jâoccupe actuellement. Peut-ĂȘtre mĂȘme ne le quitterais-je jamais, et si dâautres y ont vĂ©cu durant mon absence, ils nây ont pas laissĂ© de traces assez profondes pour que je mây retrouve dĂ©paysĂ©e Ă mon retour. Câest trĂšs Ă©clectique chez moi. Câest un peu, disons, le bordel, non au sens du dĂ©sordre, du chaos, mais par un mĂ©lange de styles qui fait que, finalement, mon chez-moi ne peut prĂ©tendre Ă aucun style au sens pur et dur du terme. Du reste, je ne recherche pas plus lâĂ©quilibre en matiĂšre de dĂ©coration, que je ne le recherche dans mon quotidien Ă©motionnel. Jâai pour habitude de dire que mon chez moi nâest pas dĂ©corĂ© mais encombrĂ©. Surtout il est habitĂ© ; habitĂ© par moi. Et aujourdâhui, comme hier la griffe que jây impose, a moins quâelle ne sâimpose dâelle-mĂȘme, ne cesse de me surprendre. Il est vrai que souvent, la combinaison dâobjets d’Ă©poque et de style diffĂ©rents dĂ©bouche sur des mariages beaucoup plus heureux que les mariages Ă©vidents du bon gout, du bon ton. Pour rĂ©sumer, je vis dans un dĂ©cor ‘art dĂ©co-japonisant’ auquel je suis attachĂ©e plus que je ne le devrais. Jâessaie cependant de ne pas laisser les choses, les objets exercer trop dâinfluence sur moi. Elles mâapportent Ă©videment un certain bien ĂȘtre, mais en nomade, en bohĂ©mienne, je redoute quâelles ne finissent par mâentrainer vers une forme dâesclavage, de sĂ©dentarisation qui, peu Ă peu, insidieusement prendrait le pas sur lâappel du grand large. De plus ma relation Ă un objet nâest jamais une relation Ă sens unique. Souvent lâobjet me procure du plaisir, mais il arrive aussi quâil me contrarie ou pire quâil me contredise. Le plus curieux, lorsquâon me connaĂźt un peu, est de constater quâen matiĂšre de dĂ©coration, je suis toujours allĂ© dans la mĂȘme direction. Par exemple, je possĂšde une armoise chinoise qui vient de chez un grand antiquaire. Une trĂšs belle armoire, XVIIe siĂšcle. LâacquĂ©rir fut une rĂ©elle folie ; de celles quâon sâautorise Ă vingt ans lorsque lâacte prĂ©cĂšde de longtemps la rĂ©flexion. Par testament, mon grand-pĂšre mâavait laissĂ© quatre sous afin de mâaider Ă terminer mes Ă©tudes ; je les ai sans hĂ©sitation investis dans cet achat disproportionnĂ©. Qui plus est la bricole n’allait pas du tout dans lâappartement moderne que jâoccupais Ă lâĂ©poque. Mais comment rĂ©sister Ă un coup de foudre lorsquâune simple Ă©tincelle suffit Ă vous faire partir en torche ? Elle m’a toujours suivi depuis cette armoire.
– L’objet d’art a toujours fait partie de ma vie Ă moi aussi.
– Depuis longtemps ?
– J’aime le plaisir de dĂ©couvrir. Je soupĂšse, je palpe, je renifle, je trouve, je repose ou j’emporte. J’ai une relation physique avec les choses. Si j’aime toucher une voiture ancienne, c’est parce que, grĂące Ă elle, je m’invente des souvenirs qui appartiennent Ă d’autres et des regrets sur le temps qui file.
– Ma prĂ©dilection va surtout au XVIIIe, mĂ©diterranĂ©en, provençal mĂȘme. Les meubles peints, ou de la Haute Ăpoque, les teintes chaudes un peu passĂ©es. La maĂźtrise de la matiĂšre des Ćuvres anciennes m’Ă©meuvent, mais certains objets industriels, des annĂ©es cinquante par exemple, arrivent aujourd’hui Ă me toucher tout de mĂȘme un peu. Avant, je ne les aurais mĂȘme pas regardĂ©s. L’Ćil s’habitue si vite Ă la nouveautĂ©, Ă la mode. J’apprĂ©cie beaucoup l’art dĂ©co et l’art nouveau. Je suis Ă©galement trĂšs sensible Ă l’art oriental. Certaines piĂšces japonaises me plaisent Ă©normĂ©ment. En revanche, chez moi, on ne trouve pas de ces bouquets ‘ikebana’ que lâon voit dans quasiment tous les dĂ©cors Japonisants. Je prĂ©fĂšre composer moi-mĂȘme d’Ă©normes bouquets de roses anciennes, dâiris, de zantedeschia, de bĂątons de haute Cannelle que je place dans des vases marocains… Ceci sans aucune prĂ©tention artistique. Je le fais vraiment pour moi et mes amis et amies. Mais avant tout pour moi, Ă©goĂŻstement je dois bien lâavouer. On n’y voit pas non plus de photos en raison du rapport particulier que jâentretiens Ă lâimage. Moins Ă la mienne du reste quâĂ celle de mes proches. Les photos des gens que jâaime, je les conserve dans des endroits cachĂ©s, Ă l’intĂ©rieur des portes. Je refuse lâidĂ©e que nous soyons regardĂ©s comme des images faisant partie du dĂ©cor, faisant dĂ©cor. Câest peut-ĂȘtre pour cela que je ne publiais sur mon site ‘Secrets de SecrĂ©taires’, que des photos, quâelles me reprĂ©sentent ou non, retouchĂ©es, revues et corrigĂ©es, dĂ©viĂ©es. PrĂ©senter mon image ou celle des personnes ayant jouĂ© un rĂŽle dans ma vie, de maniĂšre frontale, crue, me serait dâailleurs tout Ă fait impossible. La dĂ©coration de mon chez moi tient une place importante dans ma vie et ceci aussi loin que je me souvienne.
– Une façon de vivre qui englobe beaucoup de choses
– Oui tant je suis trĂšs attirĂ©e par de nombreux domaines. Le shiatsu m’intĂ©resse, par exemple. Il touche au corps, en profondeur autant quâen surface. J’en ressens un rĂ©sultat profond, assez durable. Mon maĂźtre shiatsu m’a expliquĂ© que j’avais la chance de possĂ©der une nature Ă©nergique. C’est ce que jâappelle la ‘chance des gĂšnes’, cette Ă©nergie vitale insensĂ©e, une Ă©nergie quâil mâarrive hĂ©las de trop souvent gaspiller.
– Dâordinaire, les personnes attirĂ©es par les ‘choses asiatiques’ ont le goĂ»t du pur, du dĂ©pouillĂ©.
– Ouiiiii, mais moi, j’aime aussi le baroque de Saint Laurent, j’aime le shiatsu, j’aime lâopulence. Opulence et simplicitĂ© seront donc au menu ce soir, puisque jâai pour habitude de convier mes amis et amies les plus proches Ă une Party sexuelle trĂšs intime. Le traiteur ThaĂŻlandais que jâai consultĂ© mâa suggĂ©rĂ© une cuisine lĂ©gĂšre, dĂ©licate et parfumĂ©e. Il servira des cailles rĂŽties aux Ă©pices, une salade de mesclun au tourteau frais, des brochettes de poulet et crevettes sauce Satay, des rougets grillĂ©s au Gingembre et du Sticky rice au lait de coco accompagnĂ© de mangues. Seul bĂ©mol, nous ne serons que huit alors que jâai commandĂ© pour neuf, bĂȘtement, jâavais espĂ©rĂ© la prĂ©sence de Vanessa. Promis, je ne mords pas ; je suce !
Ainsi va ma vie, incertaine, dĂ©routante, chaotique…
Alors quâil y a peu Anne marie pleurait comme une vieille madeleine trempĂ©e dans un thĂ© trop chaud, tandis quâaux enceintes de mon salon, deux divas sâaffrontaient Ă coup de hurlements inhumains laissant probablement croire aux alentours que je me livrais Ă des expĂ©riences vĂ©tĂ©rinaires aussi cruelles que barbares sur une armĂ©e de fĂ©lines en chaleur ; me voici Ă prĂ©sent primesautier.
Câest sans doute cela la vie : rire aux Ă©clats tandis quâon sâĂ©touffe dans ses propres larmes.
Vous vous doutez bien que ce changement radical dâhumeur nâest pas le fruit du simple hasard.
AtomisĂ©e Anamary…, rĂ©duite en cendres, en poussiĂšres dâĂ©toile.
Si ma morale JĂ©suite ne me lâavait interdit, je me serais sur le moment volontiers livrĂ© Ă une danse tribale dâaction de grĂące Ă toutes les idoles connues ou inconnues de lâunivers.
Vous allez me dire quâil nây a pas lĂ de quoi pavoiser et quâil est sans doute normal de passer une semaine en compagnie d’Anamary ; ce Ă quoi je rĂ©pondrais que le propre de notre liaison Ă©pisodique est justement de refuser toute tentative de dĂ©finition.
Bref, on baise lorsquâil nous en prend la fantaisie, point Ă la ligne.
Ceci explique pourquoi cachant soigneusement ma joie, jâai fait ma mauvaise tĂȘte et la fine bouche.
– Bof, tu sais moi, Monte Carlo, je nâen suis pas trĂšs fan…, ai-je dit avant de me lancer dans une mercuriale confuse enfilant tous les clichĂ©s inhĂ©rents Ă un ‘Monaco-Monacul-Monafric’ pour tabloĂŻds amĂ©ricains : princes fantoches, princesses agitĂ©es du berlingot, vieilles peaux ruisselantes de pierreries, gigolos Italiens, mafieux russes, Ă©talage indĂ©cent dâun mauvais goĂ»t digne des “soaps” boursoufflĂ©es des annĂ©es ’80, flicage systĂ©matique des pĂ©quins ordinaires, paradis fiscal pour retraitĂ©s trentenaires, top-modĂšles et/ou champions/championnes de tous sports !
TrĂšs justement Anamary mâa fait remarquer quâelle ne me proposait pas de prendre la nationalitĂ© MonĂ©gasque mais simplement de passer une semaine en principautĂ© ; que si je nâavais pas envie de la ‘prendre’ rien ne mây obligeais et que je pouvais tout aussi bien aller me faire enculer dans les sous-sols, jusquâĂ lâannĂ©e prochaine, ça lui Ă©tait bien Ă©gal !
Sur ces paroles raffinées, Anamary est partie en claquant la porte me laissant gros-jean comme devant.
Depuis, je me tĂąte… et c’est bonnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn !
Enfin, je me tĂąte, façon de parler, puisque Monte Carlo j’y suis dĂ©jĂ depuis longtemps !
La marĂ©e mâa emportĂ©, je me suis assoupi, apaisĂ©, assouvi, gisant de chair fermĂ© sur l’Ă©cho de mon plaisir.
A la dĂ©robĂ©e, jâobserve Anamary, assise totalement nue Ă un petit bureau un peu dĂ©modĂ©, probablement signĂ© Grange ; ses mains habiles et lĂ©gĂšres volant sur le clavier de son ordinateur.
Son profil sans dĂ©fauts se perd dans un glacis de lumiĂšre cĂ©rulescente ou sâestompe son nez tout retroussĂ© dâimpertinence, la grĂące sensuelle de ses lĂšvres meurtries par les miennes, le modelĂ© lisse et rond du menton.
Cependant, la joliesse exquise de ses traits porte en elle mĂȘme sa propre limite ; lâĂ©gale monotonie dâun paysage dĂ©pourvu dâimagination ou lâon aimerait trouver, dans une brisure infime des lignes, dans un hiatus lĂ©ger des couleurs, quelque subtile irrĂ©gularitĂ© propre Ă en pervertir la puretĂ©.
Allongé sur le ventre, tout à fait nu ; je tends vers elle un bras interminable et tentaculaire.
– Viiiiiiens !
Elle dit ” jâarrive”, je dis “j’attends”, elle dit “tu nâen as donc jamais assez”.
Me reviennent alors, comme des chocs, comme des chutes, les images des instants ou nous avons uni nos grĂąces dĂ©pareillĂ©es au sortir dâune nuit aussi liquide et translucide que l’alcool qui lentement coulait son flux dans nos veines.
De grands bateaux Ă quai et lâabsence presque totale de vent.
Un cafĂ© et une orange pressĂ©e dans un bar sur le port tandis que les serveurs lavent les terrasses au jet. Une ancienne rengaine de Pupo Ă la radio : Su di noi, encorâuna volta, dai, su di noi…
Il n’y a pas beaucoup de lumiĂšre, pourtant Anamary rayonne, cuirassĂ©e d’or.
Se pourrait-il quâelle se souvienne de notre promenade dans le dĂ©dale des rues dĂ©sertĂ©es par les fĂȘtards, de nos corps s’accordant au rythme dâun pas Ă©gal…, de nos visages argentĂ©s se reflĂ©tant l’un l’autre…, de nos yeux phosphorescents et maladifs trouant lâobscuritĂ© projetĂ©e par lâescalier sous lâarche duquel nous nous Ă©tions rĂ©fugiĂ©s.
Moi, je garde la mĂ©moire encore assez Ă©mue des lĂšvres d’Anna dans mon cou, sur ma bouche, soudain, vivantes et avides ; des mots quâelle prononça juste aprĂšs le baiser : “Je crois que nous allons avoir une bien belle fin dâĂ©tĂ©”.
LâĂ©tĂ© de tous nos possibles est terminĂ©, nigaud, voici venir l’hiver de nos dĂ©sillusions.
Quelqu’un, figure de fifre, arrĂȘte donc de te pencher sur ton passĂ©, tu vas tomber Ă la renverse…, arrĂȘte donc de gĂącher ton quotidien Ă coup de petites cruautĂ©s inutiles comme on plante des aiguilles dans une poupĂ©e vaudou et puisque l’envie te prend de faire un crime…, cours, vole, sauve-toi, sauve-lĂ .
Que diras-tu aux juges lorsquâil faudra raconter, expliquer, mentir encore, mentir toujours ?
HĂ©las, on ne coupe plus la tĂšte aux pauvres fous encore capables dâenchanter les rĂȘves BrocĂ©liande dâune plus jeune qui enlumine mon orgueil de volutes dorĂ©es et charme mon corps rompu pourtant Ă toutes les indĂ©cences, sâĂ©chouant aux douves de mon cĆur forteresse…
Pourquoi Anamary a-t-elle soudain, alors quâelle se dĂ©tourne de son Ă©cran, ce sourire vague, incomplet, trĂ©buchant sur lâarc souple de ses lĂšvres avec la grĂące hasardeuse d’un dĂ©but de sanglot ?
– Câest quoi dĂ©jĂ le nom complet de L.A ? Me demande-t-elle.
Je grommelle  : – Pueblo de Nuestra Señora la Reina de Los Ăngeles del RĂo de PorciĂșncula…
Elle frappe son front du plat de sa paume : – Câest trop naze un blaze pareil ! Jamais je ne le retiendrais. Et mĂȘme si je le retiens je nâarriverais pas Ă le prononcer.
Je ramĂšne sur mon sexe en dĂ©confiture les plis dâun drap malmenĂ© par nos Ă©bats : On sâen branle, je mâen branle. Tout le monde sâen branle…
Aimable suis-je, lorsque quasiment Ă sec de sperme mais point dâidĂ©es salaces j’espĂšre tirer ma derniĂšre crampe avant le passage du marchand de sable….
Et pendant ce temps, au lieu de me mignoter la friandise, Ă quoi sâoccupe lâunique objet de mon ressentiment ?
Croyez-le ou non elle surfe sur la toile !
Pas mĂȘme sur des sites de cul, pauvre malheureuse.
– Que diantre ma chĂšre, nous sommes Ă Monte Carlo, quartier de Fontvieille, non loin du port Hercule-deux-qui-le-tiennent-et-personne-qui-lâ-encule ! Restons chics, restons dignes. Du reste je gagerais quâen principautĂ© mĂȘme les ordis sont fliquĂ©s.
– Envie dâextases virtuelles ?
– Que nenni, accĂšs interdit, ordre de Son Altesse SĂ©rĂ©nissime Maroline de Conaco !
– LibertĂ©, libertĂ© chĂ©rie !
Mais trĂȘve de digressions !
Que croyez vous quâelle fasse tandis que ma verge mollit ?
Elle peaufine le programme de son prochain contrat !
Los Angeles, California !
Le ‘Anamary-Hollywood-Babylon-Tour’, attrape les blaireaux inscrit au catalogue dâun Tour OpĂ©rateur.
Je vous jure, on colle cette scĂšne dans un film, le scĂ©nariste a intĂ©rĂȘt dâaller se planquer Ă Bikini, sinon câest un homme mort !
Pleurez Margot !
Ma vie sexuelle, si je continue ainsi, risque de devenir un désert, un désastre !
VoilĂ sans doute pourquoi, jâĂ©cris autant de conneries, pour exorciser !