C’est très gentil de venir me lire, mais quelle drôle d’idée !
Je ne sais pas si, comme ça, sans vous connaître, je pourrai vous donner une image de moi-même…
Du reste… et s’il me faut être honnête avec vous comme avec moi-même , je ne sais pas d’avantage ce que suis venu faire ici.
Je n’ai pas plus la prétention de faire œuvre littéraire que de me livrer à une quelconque thérapie.
Je laisse filer les mots, sans savoir où ils vont mener.
Parler de soi, se raconter, se mettre en scène, en billets, en images : quelle prétention !
Mais de qui pourrais-je parler d’autre que de moi-même ?
Je me connais si bien…
Ou du moins , je pense bien me connaitre, ce qui au fond revient au même.
Les personnes qui, en revanche, me connaissent peu ou mal, disent que je suis froid et distant mais je ne me sens ni froid ni distant, je me sens simplement naturel et jusqu’à présent j’avais horreur de parler de ma vie privée.
Est-ce que cela vous paraît extravagant à vous ?
Non, bien sûr.
C’est quand même étonnant, cette époque où tout le monde doit laver sa chemise, ouvrir son lit ou exhiber ses sentiments en public.
Je trouve ça affreux.
Remarquez, je ne suis pas pudique par discipline, j’ai été élevé comme ça.
Ça facilite la pudeur, le secret, donc le bonheur dit-on.
Suis-je quelqu’un d’heureux ?
Comment le savoir ?
Il y a des moments où je suis très heureux, des moments où je suis très malheureux… et si peu entre les deux.
En fait, voyez-vous, quand je suis très heureux, ça me fait peur.
J’ai l’impression que le malheur, enfin la mélancolie est plus normale que la gaîté, que la joie.
Quand je suis heureux, j’ai l’impression que je vais devoir le payer plus tard et même souvent il m’arrive de le payer d’avance.
Vous trouvez ça fou…
Eh bien moi, je ne trouve pas le bonheur naturel… et je vous assure qu’il y a beaucoup de gens comme moi.
J’en connais beaucoup qui ont peur du bonheur, enfin qui adorent ça, bien sûr, mais qui en ont peur.
En fait, je ne pensais pas qu’on pouvait adorer la vie en étant pessimiste sur elle.
Quand je dis pessimiste sur la vie, je pense aux gens.
Au fait, je ne vous ai même pas offert à boire, c’est dramatique !
Vous ne voulez rien ?…
Vous ne pouvez vraiment plus boire d’alcool du tout, c’est épouvantable !
Moi, de temps en temps, j’adore ça.
Je bois deux, trois Mojitos comme ça, pendant une semaine, dix jours, quinze jours.
Quand je dis que je bois, c’est un petit peu exagéré, je m’arrête quand je veux et il y a des mois entiers où je ne bois pas une goutte d’alcool.
Mais il y a des soirs, on ne sait pas pourquoi, grâce à lui, on parle, on s’amuse comme des fous.
Il y a belle lurette que l’on dénonce dans des films, des pièces, des livres, la lancinante mutilation que notre propre image peut infliger à notre nature… et surtout la féroce absence que laisse en vous cette image lorsqu’elle s’absente aussi des mémoires.
Et cette vieillesse, même lointaine, qui se révèle déjà cruelle, humiliante et pénible pour tout le monde, comment supporter qu’elle soit en plus pour vous dégradante, déshonorante, implacable ?
Comment supporter que le temps, cet ennemi vague de tout un chacun, devienne pour vous un ennemi si précis, si complet, destructeur aussi bien de votre carrière, votre entourage, votre mode de vie, que de votre travail même, c’est-à-dire, un peu, de votre honneur…
Un ennemi qui fera de vous, un jour forcément, l’objet à abattre pour ceux ou celles qui, nés plus tard, se retrouveront automatiquement les vainqueurs, les voleurs de tout ce que vous avez possédé, gagné par vos mérites, ou acquis aux dépens de rivaux démodés.
La séduction, ses soleils et ses casseroles, certaines personnes ont passé la moitié de leur vie à la fuir. D’autres ont failli lui abandonner la leur.
D’autres, tant d’autres, tellement d’autres, l’ont recherchée jusqu’à leur mort… et certaines sont mortes de n’avoir pu la trouver.
Mais, qu’elle se soit transformée en passion ou en horreur, en nécessité ou en névrose, il y a au départ un désir de résonance, d’écho, de reflet.
Signe du destin ?
Début de la fin ?
Parenthèse désenchantée en fait !
Dolent, le cœur un peu tourné, geignant plus par gourmandise que par nécessite, l’édredon ventru comme un rempart…, livres imbéciles, programmes télés bien niais, petite maison dans la prairie…, petite grotte de plumes et de coton ou je me pelotonne tel un ourson en gésine .
37,2 le matin…
J’ajoute à la douceur rose-crève-cœur de ce tableau, la main fraiche et inquiète d’Anna, effleurant mon front tiédit par ses baisers !
Cette même main est aussi celle qui, en d’autres lieux, égare les diamants qui la parent dans les braguettes d’hommes susceptibles de lui en offrir quelques carats de plus.
Vous trouvez que j’exagère ?
Allons donc , nous n’en sommes qu’au début !
Halée et parfumée, tenue de chez Dior…, depuis qu’Anamary a quasi ruiné un chocolatier Suisse, elle a attrapé mauvais genre, juste ce qu’il faut.
Comme j’aime.
Bref, une pintade Azuréenne.
Elle séjourne sur la French Riviera, donc elle s’habille légère !
Un bisou, deux bisous : “non- pas- la- bouche- y- a- du- monde”… et nous voici parti pour la principauté à bord d’un pot de yaourt si exigu que mes genoux flirtent dangereusement avec le tableau de bord.
Me voilà bien tranquille, je vais pouvoir roter mon Mojito, péter mon caviar et prononcer des mots inconnus du dictionnaire sans provoquer d’incidents diplomatiques.
La demeure ou elle me mène ressemble à une version miniature du Palais Sans-souci de Potsdam, quoi qu’en plus chargée.
Bref, une meringue.
– S’il te restait un doute, tu peux en faire le deuil : tu es bien chez les riches, me sussure-t’elle avec un sourire pervers…, aussi incongru, déplacé, malséant qu’un poivrier sauvage dans une roseraie, même si l’incongruité est devenue à ce point quotidienne chez elle que je n’y prête plus attention !
Une armoire à glace avec de faux airs de Body-Guard, des épaules à déménager les pianos, une bouche à embraser les banquises, des dents de magazines, bref, une bombe sexuelle, un pur concentré de testostérone…, apparait soudain, ouvre le coffre de la vieille Fiat et décharge mon mini sac de voyage.
A mon avis, lorsque ce mastodonte traverse un passage clouté… (double sens), les pamplemousses doivent suinter, les noix de cajou éclater, les bananes jouer les métronomes sur son passage !
Il faut distribuer du Temesta en intraveineuses pour calmer la tachycardie des donzelles, du bromure à la louche pour empêcher un viol collectif.
Du reste, moi-même je ne me sens pas très bien à la vue des seins d’Anna dont les tétons pointent à travers son T-shirt.
Une écume blanchâtre à la commissure des lèvres, je déraille sur toute la ligne, je rougis, je palis, je brûle de partout, je perds mes mots, j’en invente d’autres ; ceci au grand agacement d’Anamary.
– Calme tes ardeurs, me conseille-t-elle…, en me fixant de ses yeux du même vert translucide des jades anciens !
Piqué dans ma vanité, j’enfourche illico mon plus fougueux destrier.
Mais comment ose-t-elle me prêter de si vils desseins alors que je ne suis qu’angélisme et probité… ?
Fâchée que la discussion ricoche dans une direction contrariante…, plus pincée qu’une chanoinesse en carême, elle me fait valoir que je dois m’estimer encore bienheureux d’être admis dans son antre, et de m’abstenir de me montrer brutal et discourtois en culbutant la maitresse de céans (elle) avant même d’avoir vidé sa cave à vins et mis à sac son palais d’été.
Et là, tandis que je m’apprête à enfiler des arguments oiseux, d’aucuns diraient des clichés…, voici qu’un feu rouge me stoppe net.
Warning !
Terrain glissant !
Éviter le sujet du : J’encule les Altesses, je con-chie les Milords, je pisse à la raie des Aristos ! Grâce à mon intelligence, nous ne sommes pas du même monde et vive la révolution !…, histoire de ne pas s’entendre répondre : Mais alors, que viens-tu faire dans le mien de monde, anarchiste de mes deux ! Je ne te lècherais plus ! Dégage s’il ne te convient pas, mon monde, bouseux, manant, cloporte !...
A force de baiser hors de sa classe, ont finit par le connaître le grand livre des phares, par ne plus confondre la braise racoleuse et le signal de détresse !
Pour le coup, je passe fissa du mode cigüe au mode miel aux lèvres.
– Mon lapin, ma puce, mon canard en sucre, je m’en fiche moi de tout ça, je connasse parfaitement, j’y étais déjà dans ce monde alors que tu n’étais qu’au stade des secrets de secrétaires au sein d’une multinationale du chocolat. Que tu aies réussi à emberlificoter ton ex grand patron, là c’est un coup de génie autant qu’un coup d’arnaque… Ce n’était qu’un con spontané, ça se voyait ! Toi tu es tellement plus intéressante, tellement plus…
– Tellement plus-plus quoi ?
Elle n’est pas dupe un centième de seconde, mais pas plus que moi elle n’a envie de passer la semaine sous les retombées acides d’un parasol thermonucléaire.
Aussi me sourit-elle.
Aussi m’ouvre-t-elle les bras.
Et les draps d’un lit si haut que si on en tombe on se tue.
C’est une bonne pomme, Anamary… et dans le fond, il se peut qu’elle m’aime.
Sans apprêts et ruisselante sous l’orage à Times Square, au milieu de la foule à la recherche d’un taxi…, croulant sous la chaleur et les tapis au grand bazar d’Istanbul en buvant un thé à la menthe…, seule, la nuit, place Djemaa el-Fna à Marrakech au milieu des vendeurs de quatre vents et des charmeurs de serpents…, aux puces de Broadway essayant de vieux manteaux de peau, de vieux blousons de cuir, des chapeaux rigolos…, si elle vit la nuit, elle a besoin de longues plages de silence, mais même dans les grands espaces elle peut suffoquer, une mauvaise graine ça vit sa vie à l’envers.
Trentenaire joyeuse et irresponsable.
Ex-adolescente studieuse, un peu grise, un peu fade, beaucoup moquée.
Étonnez-vous que se coltinant le prénom d’Anne Marie… de ce poids elle ait tourné vinaigre.
Et puis en vieillissant la mauvaise graine est devenue belle plante.
Les regards ont changé et les mots.
– Lorsque voici quelques années, gonflé de condescendance imbécile ; bedaine Suisse, teint fleuri et œil arrondi de satisfaction bovine, mon chef de service m’annonça, que j’étais mutée à Rome, j’avoue que je fis un peu la gueule.
– Il se dit qu’à Rome les bouches d’égout mordent les doigts des menteurs.
– C’est faux…
– Il se dit qu’à Rome les fontaines rient du long rire gouleyant des putes érudites qu’aimèrent les papes du Quattrocento.
– C’est vrai…
– Il se dit qu’à Rome des chats, gras à lard, car nourris jusqu’à l’écœurement par les bonnes âmes du voisinage, vivent par centaines dans une maison située en plein centre-ville entre les quatre temples de Largo Agentina.
– Il parait…
– Il se dit qu’à Rome les statues parlent, les portes délivrent les secrets de sortilèges oubliés, les réverbères enchainent pour l’éternité le cœur des amants.
– C’est beau…
– Il se dit qu’à Rome il est possible de déguster des parfums au coin d’un bar comme chez nous des grands crus d’Alsace, de Bordeaux ou de Bourgogne.
– Pas qu’à Rome…
– Il se dit qu’à Rome les femmes sont plus belles, plus chaudes, plus accessibles que n’importe où en Italie.
– J’y était la reine…
– Raconte-moi tout !
– A cette époque, depuis des semaines, les Cassandres des couloirs, plus visionnaires que la Pithye de Delphe , me faisaient espérer New Yok en sifflotant allégrement Yankee Doodle daddy sur mon passage. Je m’étais imaginée au petit matin, près du grand fleuve, un beau mec à mon cou, assise sur un banc qui, peut-être, n’existe plus ; évoquant Dos Pasos et Woody Allen, tandis qu’au-dessus de nous émergeait de la nuit comme un paquebot sort de la brume, l’armature fantastique du pont de Brooklyn. J’avais rêvé du Chrysler building, du Rockefeller center, d’une java sur Broadway, d’un pique-nique à Central Park et d’un brunch à Soho, ainsi que d’une virée au marché bio d’Union Square. Je me délectais d’avance, accompagnée de quelques grammes de caviar de la Caspienne, d’une tasse de ‘Prince Vladimir’ au subtil gout de vanille et d’épices dégustée au ‘Russian Team Room’. J’avais rêvé, Gershwin, d’une rapsodie en bleu, des empreintes laissées par Billie Holliday et Truman Capote dans ces clubs underground du lower east side ou se fumaient d’étranges cigarettes, d’un bar un peu bizarre sur Christopher street peuplé de faux marins, de faux flics, de faux durs, de tendres voyous…, d’un après-midi shopping chez Bloomingdale’s en compagnie de Carrie Bradshaw ou Rachel Green. Bref alors que j’avais fantasmé la grosse pomme en paillettes, Technicolor et cinémascope, on m’envoyait me faire exorciser dans un champ d’Antiques ruines veillées par des curés et des cornettes !
– J’avais visité brièvement Rome quelques années auparavant et je n’en garde pas un souvenir impérissable. Il y avait bien eu une cuite à l’Asti qui m’avait valu quelques fous rires ; or cela je m’étais tapé toutes les églises de la création, tous les vestiges du Palatin, du Capitole, les vastes tombeaux de la voie Apienne, les monastères de l’Aventin…, mangé des pizzas aigres et des pâtes collantes dans des trattorias qui sentaient la misère… et passé de bien mauvaises nuits allongé au premier étage d’une ancienne abbaye reconvertie en hôtel… qu’on n’avait plus dut chauffer depuis les jours empourprés ou les Borgia répandaient la luxure, l’inceste et le meurtre aux pieds du Saint siège.
– Je protestais auprès de mon chef de service. Je parle couramment Anglais ; le bureau de New York m’eut mieux convenu ! L’autre putain de sa race maudite, qu’il lui vienne la gratte, les bras courts et une paire de cornes au cul, balaya l’argument d’un geste vague de la main comme on chasse une poussière. Trois semaines plus tard je débarquais à Fiumicino sous un orage comme on en avait plus vu depuis Tibère l’ancien et prenait logis dans un appartement vaste et poussiéreux, Via Gregoriana, à deux pas de la Piazza di Spagna. Quelques jours plus tard le soleil était revenu et je croisais sur le chemin du bureau un long manteau de daim crème porté par un garçon dont les souples cheveux bruns balayaient un front vaste, voilant parfois dans le vent de la marche l’éclat d’un regard, un peu oblique aux reflets de glacier. Une large besace en bandoulière, des rouleaux d’affiches plein les bras, au cou dans l’échancrure d’une chemise de fluide jersey une épaisse chaine d’argent aux maillons plats, il m’offrit d’un air de connivence un sourire enfantin qui semblait me vouloir du bien. Il n’en fallut pas plus pour que je tombe amoureux et de Rome et de Silvio.
– S’acclimater en pays étranger, même lorsque vous en connaissez parfaitement la langue, l’histoire et la plupart des coutumes n’est pas forcément une situation de tout repos. Il vous faut, outre composer avec cette nostalgie insidieuse que l’on nomme ‘mal-du-pays’ ; mais que je qualifierais plus justement , pour l’avoir pratiquée au-delà du raisonnable, de ‘mal-des-vôtres’ ; trouver rapidement vos repères géographiques, sociaux, professionnels ; vous faire votre petite place au sein d’un environnement qui jusque là c’est raisonnablement passé de votre encombrante petite personne ; tout en sachant que quoi que vous fassiez vous y resterez, fut ce au terme de longues années ; irrémédiablement méconnu, irrémédiablement différent, exotique aux yeux des locaux… et parfois même regardé comme potentiellement néfaste. L’intégration dans une société latine, machiste, catholique, apostolique et forcément Romaine n’en est que moins aisée !
– Ma première surprise fut de constater que mes nouveaux bureaux, mes nouveaux collègues ne différaient guère de ceux que je venais de quitter. On traitait Via della Ferratella in Laterano, à peu de chose près, les mêmes dossiers qu’en Suisse, on y commentait les mêmes coucheries, on y assassinait ses rivaux avec la même férocité… et si le café, Italie oblige, y était meilleur, quoique j’ai pris goût au Cappucino de Nestlé, la déco élégante et froide ne variait pas d’un iota. Seule différence notable, alors que mon bureau en Suisse regorgeait d’aimables tapioles au verbe leste et aux cravates colorées, celui de Rome semblait n’employer que des hétéros, exception faite d’une gouine revêche et osseuse pour laquelle tout ce qui portait pénis méritait la mort par le pal…, petit jeu qui commence si bien et fini si mal…, demoiselle qui en dépit des trésors de charme que je déployais pour l’amadouer me demeura hostile jusqu’à mon départ. Je passais donc les premiers temps de mon séjour en compagnie d’arrogants petits coqs parlant ballon et nichons, de jeunes mamans préoccupées par l’éducation de leur marmaille et pire que tout, d’entremetteurs des deux sexes bien décidés à fourguer la nouvelle venue, un beau parti murmurait-on, à quelque bellâtre Italien…
– Tu étais comme une fleur d’aubépine entre les pages d’un roman.
– Ma libido étant enthousiaste, j’ai joué mon rôle habituel de grande Maitresse… N’ayant jamais été férue des lieux de drague dont je réfutais le coté clandestin, honteux, voire malsain, pas plus que d’étreintes mesquines torchées à la vite fait-mal-fait ; je décidais de faire mon entrée dans la sphère Romaine, par la grande porte. Ironie du sort ou malice assumée, les païens, les débauchés, les libertins, les sodomites en somme, avaient choisis de s’installer non loin de l’église San Crisogno que l’on considérait comme le plus ancien site de culte de la ville. J’avouerais franchement, que l’idée de me livrer à cent turpitudes à l’ombre d’un lieu saint entre tous, me mettait dans une joie féroce. Se posa ensuite, devant un dressing plein à craquer de fringues griffées, l’inévitable et grave question du ‘keske-j’vais-mettre ?’…
– Comment s’habille-t-on pour prendre d’assaut la ville éternelle lorsque l’on sait que les Romains et à plus forte raison les Romaines, sont des toxicos de la mode ?
– Je ne sais plus pour quelle tenue j’optais mais j’ai poussé la porte du ‘Garbo’, Vicolo Santa Margherita, dans le quartier du Trastevere ce lacis de ruelles traçant son réseau serré derrière la piazza Sidney Sonnino ; ignorant encore au moment où j’ai pénétré dans le bar que j’avais rendez-vous avec mon destin. Pour faire bonne mesure, j’ai sucé deux ou trois queues locales, tu me connais, c’est plus fort que moi, mais on peut dire à ma décharge, plus qu’à celles de mes partenaires, qu’à l’époque je suçais volontiers, mal et un peu n’importe qui. Il va sans dire que je suis rentrée de ce périple un goût bien amer à la bouche. Depuis, j’ai souvent séjourné en Italie, principalement à Florence, ville musée dont je ne me lasse jamais et à Milan dont l’énergie, l’invention, la modernité conviennent plutôt bien à mon tempérament intrépide. De la ville éternelle, de ses sept collines, de son colisée dont on ne finissait pas d’achever la restauration, de ses cascades de marbres et d’ors, de ses dômes et de ses cloches, de ses pourpres cardinalices, de son pape grelotant, je ne veux plus entendre parler. Je compris qu’il était temps d’ôter mon masque grotesque, de ressortir ma panoplie pourpre et or de matador-mi-Amor-mis à mort et d’aller brûler ses ailes guillochées d’argent aux lampions bigarrés illuminant les nuits “pédoques” de la capitale de l’Empire…
– Sourire de pirate et pectoraux saillants, poussant le vice jusqu’à t’écouter me narrer tes folies romaines, j’ai soudain certains picotements, une certaine raideur au niveau de mon entre jambe, venant me rappeler que j’avais toujours une bonne santé et un sexe qui s’érigeait en colonne Trajane.
– Rentrer chez moi, même si je n’en suis partie ni pour bien longtemps ni bien loin, me procure toujours un plaisir intense. Lorsqu’on voyage aussi souvent que mon métier m’oblige à le faire, on a besoin d’un point d’attache, d’un point d’ancrage. On a besoin de racines autres qu’organiques, autres que familiales, autres que celles enchevêtrées dans le terroir ou croissent ces longues amitiés qui, en dépit des bourrasques, perdurent.
– J’aime l’idée de ‘La Maison’, qu’elle soit studio ou château.
– Je sais, et cela me rassure, que je ne quitterais pas de sitôt l’appartement que j’occupe actuellement. Peut-être même ne le quitterais-je jamais, et si d’autres y ont vécu durant mon absence, ils n’y ont pas laissé de traces assez profondes pour que je m’y retrouve dépaysée à mon retour. C’est très éclectique chez moi. C’est un peu, disons, le bordel, non au sens du désordre, du chaos, mais par un mélange de styles qui fait que, finalement, mon chez-moi ne peut prétendre à aucun style au sens pur et dur du terme. Du reste, je ne recherche pas plus l’équilibre en matière de décoration, que je ne le recherche dans mon quotidien émotionnel. J’ai pour habitude de dire que mon chez moi n’est pas décoré mais encombré. Surtout il est habité ; habité par moi. Et aujourd’hui, comme hier la griffe que j’y impose, a moins qu’elle ne s’impose d’elle-même, ne cesse de me surprendre. Il est vrai que souvent, la combinaison d’objets d’époque et de style différents débouche sur des mariages beaucoup plus heureux que les mariages évidents du bon gout, du bon ton. Pour résumer, je vis dans un décor ‘art déco-japonisant’ auquel je suis attachée plus que je ne le devrais. J’essaie cependant de ne pas laisser les choses, les objets exercer trop d’influence sur moi. Elles m’apportent évidement un certain bien être, mais en nomade, en bohémienne, je redoute qu’elles ne finissent par m’entrainer vers une forme d’esclavage, de sédentarisation qui, peu à peu, insidieusement prendrait le pas sur l’appel du grand large. De plus ma relation à un objet n’est jamais une relation à sens unique. Souvent l’objet me procure du plaisir, mais il arrive aussi qu’il me contrarie ou pire qu’il me contredise. Le plus curieux, lorsqu’on me connaît un peu, est de constater qu’en matière de décoration, je suis toujours allé dans la même direction. Par exemple, je possède une armoise chinoise qui vient de chez un grand antiquaire. Une très belle armoire, XVIIe siècle. L’acquérir fut une réelle folie ; de celles qu’on s’autorise à vingt ans lorsque l’acte précède de longtemps la réflexion. Par testament, mon grand-père m’avait laissé quatre sous afin de m’aider à terminer mes études ; je les ai sans hésitation investis dans cet achat disproportionné. Qui plus est la bricole n’allait pas du tout dans l’appartement moderne que j’occupais à l’époque. Mais comment résister à un coup de foudre lorsqu’une simple étincelle suffit à vous faire partir en torche ? Elle m’a toujours suivi depuis cette armoire.
– L’objet d’art a toujours fait partie de ma vie à moi aussi.
– Depuis longtemps ?
– J’aime le plaisir de découvrir. Je soupèse, je palpe, je renifle, je trouve, je repose ou j’emporte. J’ai une relation physique avec les choses. Si j’aime toucher une voiture ancienne, c’est parce que, grâce à elle, je m’invente des souvenirs qui appartiennent à d’autres et des regrets sur le temps qui file.
– Ma prédilection va surtout au XVIIIe, méditerranéen, provençal même. Les meubles peints, ou de la Haute Époque, les teintes chaudes un peu passées. La maîtrise de la matière des œuvres anciennes m’émeuvent, mais certains objets industriels, des années cinquante par exemple, arrivent aujourd’hui à me toucher tout de même un peu. Avant, je ne les aurais même pas regardés. L’œil s’habitue si vite à la nouveauté, à la mode. J’apprécie beaucoup l’art déco et l’art nouveau. Je suis également très sensible à l’art oriental. Certaines pièces japonaises me plaisent énormément. En revanche, chez moi, on ne trouve pas de ces bouquets ‘ikebana’ que l’on voit dans quasiment tous les décors Japonisants. Je préfère composer moi-même d’énormes bouquets de roses anciennes, d’iris, de zantedeschia, de bâtons de haute Cannelle que je place dans des vases marocains… Ceci sans aucune prétention artistique. Je le fais vraiment pour moi et mes amis et amies. Mais avant tout pour moi, égoïstement je dois bien l’avouer. On n’y voit pas non plus de photos en raison du rapport particulier que j’entretiens à l’image. Moins à la mienne du reste qu’à celle de mes proches. Les photos des gens que j’aime, je les conserve dans des endroits cachés, à l’intérieur des portes. Je refuse l’idée que nous soyons regardés comme des images faisant partie du décor, faisant décor. C’est peut-être pour cela que je ne publiais sur mon site ‘Secrets de Secrétaires’, que des photos, qu’elles me représentent ou non, retouchées, revues et corrigées, déviées. Présenter mon image ou celle des personnes ayant joué un rôle dans ma vie, de manière frontale, crue, me serait d’ailleurs tout à fait impossible. La décoration de mon chez moi tient une place importante dans ma vie et ceci aussi loin que je me souvienne.
– Une façon de vivre qui englobe beaucoup de choses
– Oui tant je suis très attirée par de nombreux domaines. Le shiatsu m’intéresse, par exemple. Il touche au corps, en profondeur autant qu’en surface. J’en ressens un résultat profond, assez durable. Mon maître shiatsu m’a expliqué que j’avais la chance de posséder une nature énergique. C’est ce que j’appelle la ‘chance des gènes’, cette énergie vitale insensée, une énergie qu’il m’arrive hélas de trop souvent gaspiller.
– D’ordinaire, les personnes attirées par les ‘choses asiatiques’ ont le goût du pur, du dépouillé.
– Ouiiiii, mais moi, j’aime aussi le baroque de Saint Laurent, j’aime le shiatsu, j’aime l’opulence. Opulence et simplicité seront donc au menu ce soir, puisque j’ai pour habitude de convier mes amis et amies les plus proches à une Party sexuelle très intime. Le traiteur Thaïlandais que j’ai consulté m’a suggéré une cuisine légère, délicate et parfumée. Il servira des cailles rôties aux épices, une salade de mesclun au tourteau frais, des brochettes de poulet et crevettes sauce Satay, des rougets grillés au Gingembre et du Sticky rice au lait de coco accompagné de mangues. Seul bémol, nous ne serons que huit alors que j’ai commandé pour neuf, bêtement, j’avais espéré la présence de Vanessa. Promis, je ne mords pas ; je suce !
Ainsi va ma vie, incertaine, déroutante, chaotique…
Alors qu’il y a peu Anne marie pleurait comme une vieille madeleine trempée dans un thé trop chaud, tandis qu’aux enceintes de mon salon, deux divas s’affrontaient à coup de hurlements inhumains laissant probablement croire aux alentours que je me livrais à des expériences vétérinaires aussi cruelles que barbares sur une armée de félines en chaleur ; me voici à présent primesautier.
C’est sans doute cela la vie : rire aux éclats tandis qu’on s’étouffe dans ses propres larmes.
Vous vous doutez bien que ce changement radical d’humeur n’est pas le fruit du simple hasard.
Atomisée Anamary…, réduite en cendres, en poussières d’étoile.
Si ma morale Jésuite ne me l’avait interdit, je me serais sur le moment volontiers livré à une danse tribale d’action de grâce à toutes les idoles connues ou inconnues de l’univers.
Vous allez me dire qu’il n’y a pas là de quoi pavoiser et qu’il est sans doute normal de passer une semaine en compagnie d’Anamary ; ce à quoi je répondrais que le propre de notre liaison épisodique est justement de refuser toute tentative de définition.
Bref, on baise lorsqu’il nous en prend la fantaisie, point à la ligne.
Ceci explique pourquoi cachant soigneusement ma joie, j’ai fait ma mauvaise tête et la fine bouche.
– Bof, tu sais moi, Monte Carlo, je n’en suis pas très fan…, ai-je dit avant de me lancer dans une mercuriale confuse enfilant tous les clichés inhérents à un ‘Monaco-Monacul-Monafric’ pour tabloïds américains : princes fantoches, princesses agitées du berlingot, vieilles peaux ruisselantes de pierreries, gigolos Italiens, mafieux russes, étalage indécent d’un mauvais goût digne des “soaps” boursoufflées des années ’80, flicage systématique des péquins ordinaires, paradis fiscal pour retraités trentenaires, top-modèles et/ou champions/championnes de tous sports !
Très justement Anamary m’a fait remarquer qu’elle ne me proposait pas de prendre la nationalité Monégasque mais simplement de passer une semaine en principauté ; que si je n’avais pas envie de la ‘prendre’ rien ne m’y obligeais et que je pouvais tout aussi bien aller me faire enculer dans les sous-sols, jusqu’à l’année prochaine, ça lui était bien égal !
Sur ces paroles raffinées, Anamary est partie en claquant la porte me laissant gros-jean comme devant.
Depuis, je me tâte… et c’est bonnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn !
Enfin, je me tâte, façon de parler, puisque Monte Carlo j’y suis déjà depuis longtemps !
La marée m’a emporté, je me suis assoupi, apaisé, assouvi, gisant de chair fermé sur l’écho de mon plaisir.
A la dérobée, j’observe Anamary, assise totalement nue à un petit bureau un peu démodé, probablement signé Grange ; ses mains habiles et légères volant sur le clavier de son ordinateur.
Son profil sans défauts se perd dans un glacis de lumière cérulescente ou s’estompe son nez tout retroussé d’impertinence, la grâce sensuelle de ses lèvres meurtries par les miennes, le modelé lisse et rond du menton.
Cependant, la joliesse exquise de ses traits porte en elle même sa propre limite ; l’égale monotonie d’un paysage dépourvu d’imagination ou l’on aimerait trouver, dans une brisure infime des lignes, dans un hiatus léger des couleurs, quelque subtile irrégularité propre à en pervertir la pureté.
Allongé sur le ventre, tout à fait nu ; je tends vers elle un bras interminable et tentaculaire.
– Viiiiiiens !
Elle dit ” j’arrive”, je dis “j’attends”, elle dit “tu n’en as donc jamais assez”.
Me reviennent alors, comme des chocs, comme des chutes, les images des instants ou nous avons uni nos grâces dépareillées au sortir d’une nuit aussi liquide et translucide que l’alcool qui lentement coulait son flux dans nos veines.
De grands bateaux à quai et l’absence presque totale de vent.
Un café et une orange pressée dans un bar sur le port tandis que les serveurs lavent les terrasses au jet. Une ancienne rengaine de Pupo à la radio : Su di noi, encor’una volta, dai, su di noi…
Il n’y a pas beaucoup de lumière, pourtant Anamary rayonne, cuirassée d’or.
Se pourrait-il qu’elle se souvienne de notre promenade dans le dédale des rues désertées par les fêtards, de nos corps s’accordant au rythme d’un pas égal…, de nos visages argentés se reflétant l’un l’autre…, de nos yeux phosphorescents et maladifs trouant l’obscurité projetée par l’escalier sous l’arche duquel nous nous étions réfugiés.
Moi, je garde la mémoire encore assez émue des lèvres d’Anna dans mon cou, sur ma bouche, soudain, vivantes et avides ; des mots qu’elle prononça juste après le baiser : “Je crois que nous allons avoir une bien belle fin d’été”.
L’été de tous nos possibles est terminé, nigaud, voici venir l’hiver de nos désillusions.
Quelqu’un, figure de fifre, arrête donc de te pencher sur ton passé, tu vas tomber à la renverse…, arrête donc de gâcher ton quotidien à coup de petites cruautés inutiles comme on plante des aiguilles dans une poupée vaudou et puisque l’envie te prend de faire un crime…, cours, vole, sauve-toi, sauve-là.
Que diras-tu aux juges lorsqu’il faudra raconter, expliquer, mentir encore, mentir toujours ?
Hélas, on ne coupe plus la tète aux pauvres fous encore capables d’enchanter les rêves Brocéliande d’une plus jeune qui enlumine mon orgueil de volutes dorées et charme mon corps rompu pourtant à toutes les indécences, s’échouant aux douves de mon cœur forteresse…
Pourquoi Anamary a-t-elle soudain, alors qu’elle se détourne de son écran, ce sourire vague, incomplet, trébuchant sur l’arc souple de ses lèvres avec la grâce hasardeuse d’un début de sanglot ?
– C’est quoi déjà le nom complet de L.A ? Me demande-t-elle.
Je grommelle : – Pueblo de Nuestra Señora la Reina de Los Ángeles del Río de Porciúncula…
Elle frappe son front du plat de sa paume : – C’est trop naze un blaze pareil ! Jamais je ne le retiendrais. Et même si je le retiens je n’arriverais pas à le prononcer.
Je ramène sur mon sexe en déconfiture les plis d’un drap malmené par nos ébats : On s’en branle, je m’en branle. Tout le monde s’en branle…
Aimable suis-je, lorsque quasiment à sec de sperme mais point d’idées salaces j’espère tirer ma dernière crampe avant le passage du marchand de sable….
Et pendant ce temps, au lieu de me mignoter la friandise, à quoi s’occupe l’unique objet de mon ressentiment ?
Croyez-le ou non elle surfe sur la toile !
Pas même sur des sites de cul, pauvre malheureuse.
– Que diantre ma chère, nous sommes à Monte Carlo, quartier de Fontvieille, non loin du port Hercule-deux-qui-le-tiennent-et-personne-qui-l’-encule ! Restons chics, restons dignes. Du reste je gagerais qu’en principauté même les ordis sont fliqués.
– Envie d’extases virtuelles ?
– Que nenni, accès interdit, ordre de Son Altesse Sérénissime Maroline de Conaco !
– Liberté, liberté chérie !
Mais trêve de digressions !
Que croyez vous qu’elle fasse tandis que ma verge mollit ?
Elle peaufine le programme de son prochain contrat !
Los Angeles, California !
Le ‘Anamary-Hollywood-Babylon-Tour’, attrape les blaireaux inscrit au catalogue d’un Tour Opérateur.
Je vous jure, on colle cette scène dans un film, le scénariste a intérêt d’aller se planquer à Bikini, sinon c’est un homme mort !
Pleurez Margot !
Ma vie sexuelle, si je continue ainsi, risque de devenir un désert, un désastre !
Voilà sans doute pourquoi, j’écris autant de conneries, pour exorciser !