D’excellent lignage, bien élevé, bien peigné, propre sur lui, le futur Président fut promis à un brillant avenir avant même de savoir ânonner la table de deux, il était suffisamment friqué pour susciter la convoitise nimbée d’Heure Bleue de ces douairières maléfiques aux perles discrètes, aux chignons soignés, aussi habiles à ferrer le sexe turgescent d’un possible beau parti que le brochet dans les lacs d’Irlande… Lui… “Frenchie”, vous l’aurez compris, était la parfaite incarnation d’en haut, celle qui, de collèges Suisses en High Schools anglaises, se prépare dès l’éveil des sens… à étonner la populace, le peuple, les beaufs…
En somme une parfaite tête à claques.
Perturbé comme tout un chacun, mais pas totalement idiot, dès l’enfance, son statut, lui a enseigné à se garder d’un microcosme médisant et fourbe au sein duquel l’intérêt porte le masque de l’intimité : l’intolérance, celui de la vertu. Cependant, parce qu’il n’en maîtrisait pas toutes les subtilités… et même s’il se refusait à en cautionner les bassesses, il s’ingéniait avec une maladresse parfois touchante (sic !) à jouer un jeu de dupes dont il espérait qu’il le rendrait populaire. Ainsi se montrait-il fort prodigue d’un argent dont l’abondance l’embarrassait… et organisait-il, plus souvent que nécessaire, des noubas rugissantes que plébiscitaient des imbéciles candidement décadent(e)s, avides de musique “hot” et de champagne glacé. Ainsi dissimulait-il son manque d’assurance sous l’apparat d’un glamour branchouille qui, du châtain nuancé de ses cheveux au chic implacable de ses vêtements en passant par la verdeur naïvement canaille d’un vocabulaire férocement convenu, signaient une estampe faussement délurée.
Son corps développé par la pratique du tennis et de l’aviron, l’éclat gourmand de son teint caramel, le regard ivre et papillonnant de ses yeux pervenches achevaient d’entretenir l’imposture… puisqu’à cent lieues de son personnage de dandy indolent, il était parfaitement pragmatique et totalement indifférent à la parodie fatiguée des mondanités.
Prisonnier de son éducation et de sa caste il se contentait de rêver à une existence ordinaire et studieuse, peuplée de livres et de chevalets, de roses trémières et de grands chiens efflanqués sans songer une seule seconde à secouer le carcan qui l’enferrait. Il se laissait aller aux mains de sa Maîtresse d’école qui s’amusait de son sexe fin comme une règle à calculs. Sauf que, la soif du pouvoir l’avait rendu fou à enfermer, obsédé à en suivre sa verge en érection constante partout où elle le menait, fut-ce dans des extravagances sexuelles strictement interdites décalées, brûlant de concupiscence à l’idée de s’offrir un précieux Graal…
Injustement évité d’une escapade car elle était mariée… il a organisé par mesquine vengeance, une bamboche travestie en forme de mascarade Vénitienne à laquelle il convia le ban et l’arrière ban de tout ce que “son monde” comptait de putes, demi putes, quart de putes, barbillons et autres séraphins et séraphines aux ailes cramées… plus la proie aussi innocente que l’agneau à naitre qu’il entendait par la grâce de ses incantations converses et la vigueur de son bras séculier changer en brebis galeuse… Tenté de goûter aux joies de l’uranisme… il n’avait, en revanche, pas prévu que cette éventualité se concrétiserait trop rapidement dans le long cours flottant de ses jours, ni qu’elle serait le fruit de circonstances tellement grotesques qu’elles en deviendraient singulières…
Il avait suffi de quelques minutes ivres de rires et de bulles pour qu’il bascule, peu avant l’aube, sous l’étreinte d’un succube aux pupilles curieusement dilatées qui s’était fabriqué le port grave (bien que de haute couleur) d’une Impératrice déchue à l’attitude lente, menaçante, similaire à un flot de lave en marche, une tournure sur laquelle n’importe quel vêtement tombait à ravir, une bouche immense, nerveuse, prompte au rire et au baiser, un nez légèrement busqué, des yeux bleus, une chevelure à la richesse diaprée de pelage animal. Ni viol ni don de soi, de la pénétration recto/verso désastreuse qu’il jouit de “sa” succube à double sexe, il se releva chancelant, tandis que “sa” subornatrice sombrait dans un sommeil béat.
Des salons qu’éclairaient des guirlandes clignotantes lui parvenaient le chahut d’un quadrille mais il s’était enfui sous une pluie de serpentins obscènes comme des langues tandis que les masques railleurs tentaient de l’entraîner dans leur sarabande. Une fois chez lui, il avait transformé sa honte en un feu d’artifice de rires imbéciles avant de chuter dans la nuit obtuse des ivrognes. Au réveil, il n’était plus tout à fait certain de la réalité de la scène et sans quelques douleurs lancinantes, il eut pu croire à un mauvais rêve. Du reste, comment aurait-il imaginé que sa nuit orgiaque puisse se passer sans qu’il ait conscience d’autre chose que de l’éboulement de cheveux répandus sur son dos et d’une odeur fade de champagne éventé ? En réalité, jamais, il n’avait osé se représenter cette mythique aventure… il considérait qu’on lui avait surement imposé, parce qu’il était plus changeant qu’un mois de Mars, solaire et exubérant un instant, sombre et coléreux le suivant sans la moindre motivation… parce que ses manières le rendaient pathétique… parce que son impulsion morbide à l’autodestruction lui inspirait une peur sournoise.
Un froid de gueux, peu de monde dans les rues, le poids du gel, de l’hivernage sur les boulevards, les avenues, les monuments, sur le fleuve immobile, tissaient comme une résille translucide dont les mailles encageaient le ragot grommelant du ventre de la ville, le condamnant au silence cireux des grands recueillements. Un clair de lune boréal s’éboulait dans les caniveaux en un plumetis de pétales de givre… Lui, même aux mains de sa Maîtresse d’école, rêvait bleu, le mot est un peu court, un peu étroit pour évoquer le bleu des yeux de “sa” succube… toutes les nuances de bleu possibles et imaginables, l’azur et l’indigo, le cæruleum et le Prusse, le Lapiz et la Turquoise, le myosotis et le Lilas. Tout un printemps est ainsi passé rieur aux berges de la Méditerranée, lorsque le ciel et la mer se fondent en une ample, une souple toile aussi délicatement ajourée qu’une mantille en dentelles de Seville…
Qu’est ce que je peux faire ?
Je sais pas quoi faire !
Qu’est ce que je peux faire ?
Je sais pas quoi faire !
Qu’est ce que je peux faire ?
Je sais pas quoi faire !
Qu’est ce que je peux faire ?
Je sais pas quoi faire !
Le succube lui a téléphoné… un soupir agacé dans le combiné… une voix sarcastique toute fardée de tabac blond et d’alcools blancs… un ton qui ne souffrait pas la réplique…
– Passe me prendre Samedi vers 22 heures à mon hôtel…
Il/elle était fou/folle à lier, à enfermer, à tuer, à ouvrir son corsage en plein salon de thé, à coincer la tête d’une rivale dans la cuvette des toilettes d’un restaurant de prestige et à tirer plusieurs fois la chasse d’eau.
Fou/folle à conduire une décapotable à tombeau ouvert en délire éthylico-narcotique pour les yeux jaunes-orangés de chacals enragés…
Fou/folle à porter des manteaux de loutre par trente cinq degrès, des lunettes de soleil à minuit, des capelines de gaze sous la pluie.
Fou/folle à organiser des bals règence sur des plages de schistes volcaniques, des pique niques de caviar et de langoustes dans les ruines de la forteresse El Alcazaba, au Sud de l’Espagne .
Follement multi-sexuelle aussi, à en claquer des millions pour ses beaux yeux d’intrigante se prétendant princesse, alors que nul n’ignorait que la soi-disant Altesse était un “Master” homo qui sortait d’un bordel…
Fou/folle à coucher avec un adolescent qui se pervertissait avec sa Maîtresse d’école et que ça l’excitait de se prétendre amoureux d’elle et à l’épouser.
Il était un homidé plus abominable d’un ramassis de putains vipérines et maniérées mariées à des cocus magnifiques et richissimes. Nul ne savait quel âge ce danger public pouvait bien avoir car il faisait partie de ces privilégiés éternels adolescents. Ce faux niais professionnel se déguisait afin de se dissimuler aux appétits des chiennes et des loups, une beauté nerveuse et racée qu’il portait comme un cilice. C’était ne pas compter sur les yeux affutés du succube, lesquels yeux, bien qu’aimantés par des charmes d’une toute autre nature, savaient reconnaitre un Modigliani fut-il chanci et rayé.
Intrigué par cette étrange ado, dont il humait les déviances avec un flair de braque, il entreprit de le pêcher, tel une brocher frétillant dans un trou de rocher. Au bout de quelques semaines d’intimité bavarde, il n’ignorait plus rien de son obsession dangereuse d’un idéal désincarné qui le consumait jusqu’à l’hébétude… l’âme tellement souillée que toute rédemption devenait impossible. Ses récits qui maculaient leur intimité, le fascinait, surtout les détails les plus sordides. Le Frenchie était toutefois poussé dans ses derniers retranchements afin qu’il avoua l’inavouable… ces festins d’immondices laissant le succube dolent, apaisé, la peau cireuse et l’œil creusé de mauve.
Des mains du Pygmalion naquit un androgyne, théâtralement fatal qui ne consentait à porter que du blanc, du noir et l’or servile des barbares.
Il s’aimait dans cet apparat…, lui, l’aurait voulue chaque soir différent, polymorph, polychrome, semblable à une chose réinventée, détournée, déviée… le somptueux rêve d’une perdition sexuelle. Passionnément, il lui composait des visages, des silhouettes, des personnages.Parfois, nuque rasée, l’œil noyé de khôl, la bouche vermillon en smoking Saint Laurent, il incarnait les flamboyantes garçonnes des rugissantes années’20. Parfois les cheveux flous, les paupières argentées sous des sourcils en forme d’oiseau lyre, les joues mâchurées d’un rose que même Schiaparelli eût trouvé “schocking”, en étole d’hermine et fuseau nacré, jusqu’aux jambes bottées de Cordoue blanc, évoquant une Marlène équivoque des fantasmes russes de Von Sternberg.
Sa Maîtresse d’école le laissait s’amuser, indifférente comme une poupée que l’on berce… et très vite, ils parurent dans le monde ou leur trio connut le succès d’une attraction de Music hall ; lui long Lys éclatant au charme continental coupé d’arsenic ; elle aussi froide, étincelante et tranchante qu’une dague Japonaise et le succube qui n’en pouvait plus d’être le jouet de leurs fantasmes. Le monde aime les monstres, lorsqu’elle ne les crée pas… aussi furent-ils fêtés dans des fastes princiers la fortune personnelle du succube assurant les inévitables retours d’ascenseur. Intérêts financiers. Folies amoureuses. Il se voyait “Président”… elle “Première Dame”… le succube, on ne sait pas, il a disparu…
Le monde est en marche, les gens sont attendris de leur Amour, ils font les couvertures…