Les Merdias, nouvelle religion “lobotomisatrice” !
La presse est économiquement malade depuis vingt ans et engagée dans un processus vital très incertain. Passage au numérique, changement de grilles de lecture, effondrement des ventes… Aujourd’hui, c’est indéniable, qui veut gagner de l’argent n’investit pas dans les médias. Vraiment pas rentable…
Et pourtant, depuis quelques années, comme au Monopoly, quelques hommes d’affaires se sont fait une spécialité de racheter ce formidable jeu de société ultra visionnaire, englobant presse, radio, et chaînes de télévision. Mais au lieu de construire des hôtels qui rapporteraient, ils misent sur des fonds perdus pour ériger des mausolées.
Ce paradoxe pourrait illustrer une certaine forme d’altruisme, reliquat de culpabilité protestante, un goût incorruptible pour la pensée et les idées, la réflexion collégiale, l’amour de la culture et surtout celui des humains.
Des milliardaires injectent à gros débit des richesses dans les caisses trouées des médias comme pour donner l’impression que l’argent n’a pas d’importance sinon celle de répartir les énergies triomphales de l’humanisme. Ce paradoxe pourrait-il constituer l’ornement d’un certain goût français pour la respectabilité intellectuelle ?
Pourquoi les chantres du néo-libéralisme investissent-ils dans le secteur déficitaire de la presse ? Pourquoi acceptent-ils de perdre de l’argent ? En réalité, il ne s’agit pas de pertes d’argent mais d’un investissement dont l’effet n’est pas forcément visible à l’œil nu.
Racheter des médias est d’abord une stratégie d’influence sur des partenaires privés et sur l’Etat. L’influence industrielle est une prise de pouvoir sur les décideurs politiques en permettant une relation de confiance basée sur le contrôle des instituts de sondages.
Pour ces milliardaires, la guerre de la concurrence n’est rien par rapport au monopole que confère le contrôle des médias. C’est beaucoup plus doux, parfois même glamour, et sous les paillettes s’agrandit la carte des territoires.
Le besoin de pouvoir est l’une des qualités les plus répandues de la condition humaine. On écorche un peu la démocratie, mais bon, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. L’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948 nous le rappelle : « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Les médias sont-ils libres de dire ce qu’ils veulent ? On va dire que oui, avec plaisir, à condition que cela puisse servir quand même les intérêts du pouvoir dominant, à savoir le patron du journal ou de la chaine de télévision.
Habituellement, un régime totalitaire se défini par la surveillance qu’exerce un pouvoir politique sur ses organes de presse. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. L’état ne contrôle plus rien du tout car il devenu dépendant de ces milliardaires qui garrottent l’information.
Bien sûr, on peut se demander comment les principes démocratiques qui font notre fierté ont pu se laisser manger de cette façon. Peut-on encore parler de vote démocratique lorsque des candidats sont portés au-delà de leurs espérances par une providentielle couverture médiatique ?
Une dizaine de milliardaires se partagent le camembert :
Patrick Drahi : Libération, L’Express, L’Expansion, BFM-TV, RMC.
Les « B.N.P. » : Bergé, Neel, Pigasse comptabilisent Atlantico, Causer.fr, Huffington-post, Les Inrocks, Radio-Nova, Le Monde, L’Obs, Télérama, Courrier international.
Arnaud Lagardère vogue pour Hachette, Fayard, Grasset, Hatier, Hazan, Le Masque, Marabout, Pluriel, Stock, Le Livre de Poche, Larousse, Armand Colin, Dalloz et Dunod ; les magasins Relay, et Virgin ; les titres de presse Paris-Match, Elle magazine, le Journal du Dimanche, La Provence, Nice-Matin ; les stations radio Europe1, Europe 2, RFM ; les chaînes de télévision Canal J, MCM, Mezzo, Tiji, Match TV, la chaîne météo, CanalSatellite, Planète, Planète Future, Planète Thalassa, Canal Jimmy, Season, CinéCinéma, AlloCinéInfo et EuroChannel.
Serge Dassault s’en tient au Figaro et François Pinaut au Point.
Martin Bouygues possède les chaînes de télévision TF1, LCI, Odyssée, Eurosport, Histoire, UshuaïaTV, S Star, Cinétoile, Cinéstar, Télétoon, Infosport, Série Club, TF6, TV Breizh ; les sociétés de production de films : Téléma, Film Par Film, TF1 Film Production, les sociétés de distribution de films : TFM, la société d’édition vidéo : TF1 Vidéo, les magazines Tfou Mag, Star Academy, et pour la presse écrite quotidienne gratuite : Métro.
Bernard Arnault, Les Echos, Le Parisien-Aujourd’hui-en-France.
Bolloré, Canal+, i.Télé, Direct 8, 17, Direct-matin, Daily Motion…
Ces milliardaires, qui ne connaissent pour la plupart rien à la presse ni aux médias, contrôlent maintenant l’opinion, l’air du temps, la pensée. C’est beaucoup plus classe que de conserver la bombe atomique dans son congélateur. Mais c’est peut-être aussi pour cette raison que nos politiques ressemblent parfois à des marionnettes broyées par les renvois d’ascenseur.
Tout se ressemble et tout s’assemble. L’uniformité de la pensée fabrique à coûts réduits une masse populaire de plus en plus corruptible. Résister devient difficile à mesure que les outils de l’autonomie disparaissent.
Collectionner les médias c’est composer une musique douce plus venimeuse encore que la corruption. Les médias étaient les vieux habits de la démocratie. Ils ne sont plus aujourd’hui que le baromètre tronqué d’une société abrutie par la consanguinité. Car ces milliardaires qui parviennent à corrompre les fondements de notre république éteignent peu à peu la lumière des justes. Pour exemple, lors de la sortie du film « Merci Patron » les journalistes du Parisien furent invités à ne pas chroniquer ce documentaire mettant en cause Bernard Arnault (LVMH) principal actionnaire du journal.
Car s’ajoute à cette saisie des milliardaires, l’impossible réplique des journalistes corsetés dans ce qu’il est désormais permis d’appeler l’ère de la censure douce. Les journaux perdent leur âme et se fondent les uns dans les autres à travers une ligne éditoriale qui semble se répéter à l’infini. Sans parler d’une presse gratuite, presque honteuse, mais dont personne n’ose se plaindre. A quoi bon ? Les dépêches aseptisées durent le temps d’un trajet en métro. Ensuite, poubelle…
A défaut d’un amour immodéré pour lui-même, l’homme journaliste est invité à rajouter à l’insondable superficialité de ses Unes l’épouvantail de la peur. Le chômage, l’insécurité et l’immigration sont devenues les trois mamelles de la France, même si rien n’est plus lumineux au-delà de nos frontières. Car en effet, c’est bien le libéralisme mondialisé qui a saisi les rênes du traineau pour nous conduire sous les jupes de la propagande.
Nous avons subi pendant 2000 ans le dictat de la religion. C’est aujourd’hui au tour de la haute finance de nous entraîner dans les ténèbres du vide. Les soutanes ont été remplacées par des dessous de table. Et ce qu’il est amusant de constater, c’est qu’un milliardaire seul sera toujours plus fort qu’une armée de pauvres.
Nous sommes tous des salauds de la pire espèce. Mais certains réussissent mieux que d’autres. Aujourd’hui, décrypter l’info est devenu un sport à part entière, même si l’arbitrage vidéo n’est plus digne de confiance. A défaut de pluralisme politique, la société absorbe l’air qu’elle recrache et là, franchement, ce n’est pas très écologique.
Nous allons devoir nous atteler à un chantier d’envergure si nous voulons rétablir les notions d’équité et de liberté que l’humanité est en droit d’attendre. Le ver est aujourd’hui dans le fruit. Mais le refus de toucher la pomme empoisonnée ne doit pas nous interdire de planter d’autres arbres pour nourrir nos idéaux de justice universelle. C’est sans doute en soutenant ce qui reste de la presse indépendante que l’équilibre des forces nous fera retrouver l’espoir en la raison, l’esprit, et l’amour de l’humanité…