Aspératus…
Je dois maintenant vous entretenir de la Terre !
Quatre les Éléments…
Et les Angles de l’Homme…
Et les Bois de la Croix…
Et les Chevaux ultimes…
Je ne vous apprendrai rien.
Vous savez tout, ou presque… et comment les choses ont commencé.
Au ciel, comme il se doit.
Je ne ferai ici que rappeler, relier, rabouter, afin de convaincre les amateurs de coïncidences qu’ils se rassurent à trop bon compte.
Que le hasard n’est pour rien dans ce qui nous arrive.
Qu’il ne sera pour rien dans ce qui nous pend au nez.
Une pensée est à l’œuvre.
Elle n’est ni amicale, ni même ironique.
Elle est noire, hostile, implacable.
Un Ovide moderne se délecterait des métamorphoses en cours.
Elles s’opèrent parfois sous nos yeux.
Mais le plus souvent dans notre dos.
Ou sous des latitudes lointaines.
Dans des coins perdus de la Terre, au plus profond des océans, au cœur des jungles, dans des carrières ou des puits de mine abandonnés depuis des siècles… et encore sous les eaux paisibles qui reposent au creux d’anciens cratères, comme du lait dans un bol.
En apparence.
Mais le pire, vous le devinez et déjà vous l’éprouvez, c’est ce qui bouge en nous.
En l’homme.
Ce qui change sans rime ni raison.
Subrepticement.
Avec une ardeur secrète et vicieuse.
Jeter le gant à la chose qui n’a point de nom, ni de visage, à cette force serpentine, qui le fera ?
Donc, je montrerai comment les quatre éléments sont affectés, les règnes animal et végétal tourneboulés, les astres qui nous sont proches tremblants et dissonants dans le concert des sphères ; comment l’homme, enfin, découvre les maux étranges qui rongent ses sens, ses sens sans lesquels il ne serait plus que pantin et loque, juste bon pour la servitude, moins qu’une mule.
Des quatre éléments Horrenda nubes Insulaires, les Britanniques ont toujours pris le temps qu’il fait au sérieux.
Et plus encore le temps qu’il fera.
Le 1er juin 2009, BBC Weather a cru devoir se faire l’écho d’une proposition de Gavin Pretor-Pinney, père fondateur de la Cloud Appreciation Society : celle de donner le nom de asperatus (du latin : farouche, terrible) à une nouvelle famille de nuages, à côté des cirrus, stratus et autres cumulus bien connus des marins.
Au texte de Pretor-Pinney, la BBC avait joint la photographie de la ville américaine de Cedar Rapids (Iowa) sous un ciel qui ressemblait à une mer démontée, grande houle d’un gris sombre, striée de vagues écumantes et de creux d’un noir profond.
Un peintre, désireux de représenter le ciel à la veille du Déluge ou bien au jour du Jugement, ne trouverait pas de nuages plus expressifs que ces asperatus.
On les a vus se former pour la première fois dans l’hémisphère Sud, au-dessus de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie.
Puis ils sont apparus dans les cieux des Etats américains du Middle West et enfin sur des régions réputées plus calmes et tempérées, telles la Californie ou l’Europe occidentale.
Le lecteur curieux pourra se rendre sur le site de cette société savante, la Cloud Appreciation Society, dont le nom eût enchanté Baudelaire : il y découvrira des dizaines de photographies d’asperatus.
Nuées grasses et tourmentées et d’apparence si pesante, qu’on s’attend à les voir s’abattre sur les champs et les villes avec la violence du métal fracassé.
On en était encore, dans divers forums, à débattre du nom le plus approprié pour ces nuages nouveaux : furiosus, furibondus, aestuosus (qui donnait bien l’idée de l’agitation et du bouillonnement) ou encore le cicéronien iracundius (porté à la colère)…, quand, pour la première fois, en août 2009, asperatus a frappé au cœur de l’outback australien, à une centaine de miles du fameux monolithe de grès rouge dit Ayers Rock, l’Uluru des Aborigènes.
Le principal témoin, éleveur respecté dans la région, a décrit le phénomène avec précision en Une du quotidien Alice Spring News : Soudain, quatre tubes se sont formés simultanément sous l’une des vagues les plus massives du nuage. On aurait dit une main géante : elle sortit brusquement d’un ciel d’encre, s’abattit sur la plaine, se saisit de son butin et remonta tout aussi vite en altitude.
Il y a plus effroyable : Les corps des quelque trente moutons, des deux bergers à cheval et des trois chiens qui ont été emportés dans les airs par cette main du Diable, c’est ainsi que la quadruple tornade de l’asperatus a été aussitôt baptisée par les Australiens…
Ces êtres qui ont été aspirés par des vents tournoyant à près de 500 km/h (4 à 5 sur l’échelle de Fujita-Pearson), n’ont jamais été retrouvés.
Comme si le nuage, pratiquant l’enlèvement, les avait séquestrés dans les replis les plus sombres de sa masse, avant de les recracher on ne sait où.
Il est difficile de mettre en doute la parole de ce témoin.
La disparition des animaux et des deux hommes est avérée.
En outre, cet effarant phénomène s’est reproduit, depuis, à trois reprises, à nouveau en Australie, puis en Argentine et aux Etats-Unis.
Enfin, et la chose a fait les gros titres de la presse américaine, l’un de ces puissants bimoteurs spécialisés dans l’étude “sur le vif” des cyclones tropicaux a disparu corps et biens en pénétrant dans les vagues d’asperatus.
Là encore, de manière incompréhensible, aucun débris n’a été retrouvé au sol.
Pas une jambe, pas une tête, pas un moteur, pas une boîte noire, rien.
Asperatus mérite bien un nom à part, un nom d’infamie.
Les Londoniens ont pu le voir traverser lentement le ciel de la capitale, au printemps 2009.
Ils avaient le nez en l’air et les yeux remplis d’effroi.
The Sun, quotidien populaire, a fait une manchette qui dit bien les choses : Sick sky over London.
Un ciel malade, en effet, des nuages déments et qu’il faut craindre.
C’est ainsi que l’air, la vapeur et les nuées prennent un fort mauvais tour.
Je dois maintenant vous entretenir de la Terre…
Boum !