Sur les bords des fleuves de Babylone,
Nous étions assis tous en larmes,
Au souvenir de Sion.
Nous avions suspendu nos harpes,
Aux Saules de ce pays.
Car ceux qui nous avaient déportés nous réclamaient un cantique,
Et nos oppresseurs exigeaient un hymne de joie :
“Chantez-nous donc un des cantiques de Sion !”
Comment pourrions-nous chanter un cantique du Seigneur,
Sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
Que ma main droite se paralyse !
Que ma langue reste attachée à mon palais,
Si je ne garde pas ton souvenir,
Si je ne mets pas Jérusalem,
Au premier rang de mes joies.
Contre les fils d’Edom, souvenez-vous, Seigneur,
Du jour où tomba Jérusalem,
Quand ils s’écriaient : “Détruisez,
Détruisez-la jusque dans ses fondations !”
Fille de Babylone la dévastatrice,
Bienheureux celui qui te rendra le mal que tu nous a fait !
Heureux celui qui empoignera tes petits enfants,
Pour les fracasser contre le rocher !
Psaume 136, Les fleuves de Babylone.
Rim-K (Karim en réalité), regarde la dope avec excitation.
Le sachet transparent plein de cachets blancs plisse entre ses doigts crispés.
Il sait qu’il en a pour des heures de défonce.
Sueurs !
Ses doigts jouent avec les excroissances dures qui se dérobent sous les pressions.
Trésor.
Il aime toucher les cachets, éprouver leur réalité.
Il imagine le moment béni où ils se dissoudront dans son sang, le déchirant de toute leur puissance.
Non !
Pas ici, pas maintenant, trop risqué.
Il a tellement attendu qu’il peut attendre encore : il faut qu’il y aille.
Dans un soupir d’impatience mal contenu il fourre le sachet dans une des poches ventrales de son parka de la Police Irakienne.
Il s’escrime un instant sur le bouton pression qui échappe à ses doigts gonflés avant de se lancer en direction de la rue.
A peine sort-il de l’arrière cour où il s’était planqué, laissant derrière lui les containers métalliques gris débordant de déchets, qu’une pluie étrange et quasi hors de saison recommence à tomber, drue.
Putain de ville !
Il a perdu le compte des jours où il a plu cette horreur grasse.
Sûrement qu’il lui serait plus facile de se rappeler ceux où il n’a pas plu mais se rappeler est justement ce dont il ne veut plus.
Il fait soir, il fonce.
L’eau ce n’est pas sur sa tête ni en fine épaisseur sur le trottoir qu’il la voudrait mais en profondeur abyssale en dessous de lui.
Assez pour submerger la ville, assez pour qu’apparaissent des lames de fond immenses sur lesquelles il glisserait sans fin.
Mais l’eau qui gicle sous la pression des roues du Pick-Up, ne laisse derrière lui que deux légers sillons de bulles huileuses, traînées de bave sale rapidement effacées, bien décevantes, sans commune mesure avec le cataclysme de ses rêves.
Le deal qu’il vient d’effectuer tient du miracle.
Il a pu acheter ce sachet bourré à bloc de cachets car il a réussi à vendre à un sergent Américain une dizaine de Polaroïds d’Anja ainsi qu’une petite culotte tachée.
Ce sont les trois clichés où elle se branlait debout qui ont particulièrement intéressé l’Américain et qui ont permis à Rim-K de faire monter les enchères jusqu’à avoir assez pour se payer un sachet complet.
Il a un léger rictus en se rappelant comment ils s’étaient marrés, lui, elle et Mourahd, en les prenant.
Pourtant aucune joie n’habite la grimace car il sait bien que tout cela est passé.
La culotte, les photos et toutes leurs affaires, il est allé les récupérer dans la cave qui leur servait de planque quelques jours après que Mourhad se soit fait buter et Anja embarquer.
A chaque fois qu’il repense à ces moments, Mourhad à terre après avoir été percuté de plein fouet par un Hummer, les américains qui arrivent, Mourhad qui ramasse le flingue tombé à ses côtés et les américains qui le butent sans hésiter…, il a du mal qui revient, la gorge qui se serre et de mauvaises nausées qui lui tapissent le fond du ventre, l’obligeant à lutter pour les contenir.
Biles visqueuses de ses angoisses qui cherchent à monter au grand jour.
Mourhad avait fait le chaud, pas de concessions, le flingue en avant, alors qu’il n’avait même pas de balles dans le chargeur…, a posteriori il avait eu ce qu’il avait cherché… et Anja ?
Rim-K avait bien essayé de la retenir lorsque Mourhad se faisait plomber, mais au lieu de l’écouter elle l’avait insulté, rejeté, repoussé et elle était partie attaquer les américains… avec ses ongles et ses dents, comme s’il y avait encore quelque chose à espérer alors que Mourhad gisait au sol, le cerveau éclaté et les tripes à l’air.
Ce n’est pas qu’il était content, lui, que Mourhad se fasse buter !
Que non !
Mais la seule chose à faire à ce moment précis était de se barrer et il le savait.
Souvent il regrette d’avoir su.
Anja et Mourhad, au moins, étaient allés jusqu’au bout, n’écoutant que leur instinct, que leur amour.
Purs.
Lui… et peut-être avait-elle raison quand elle lui avait jeté à la gueule avant de bondir dans la mêlée qu’il n’était qu’un fils de Babylone comme tous les autres, qu’il fallait y aller, lui, il avait fallu qu’il pense : penser avant de ressentir, comprendre…
Depuis il a fait des progrès : il a échangé tout ce qu’ils avaient accumulé ensemble, la télé, la chaîne hi-fi, le caméscope, le Polaroïd, leurs fringues… tout, contre des cachets.
Maintenant, avec toute la dope qu’il s’enfile, penser n’est plus chez lui une activité naturelle.
La défonce, oui.
Le manque, oui.
La douleur, oui.
Que du cristal, du pur, de l’aiguisé.
Et des fois, dans le meilleur des cas, de l’oubli.
Plaisir d’oubli, quand tout est chaud et ouate autour de lui avec du jouir dans le ventre et des couleurs dans la tête.
Évidemment ça ne dure pas mais en avalant encore ça revient, parfois.
C’est les derniers objets qui lui restaient de l’époque où ils vivaient ensembles tous les trois, maintenant il n’a plus rien.
Il ne pourra plus sortir la culotte de sa poche pour la frotter doucement contre sa joue à la recherche d’une dernière trace olfactive d’Anja.
Ni se branler lentement en matant les photos quand il se sent trop seul.
Mais c’est la vie, hein ?
C’est la vie qui veut ça.
Faut oublier, passer à autre chose.
Maintenant il n’a plus rien hors de lui, de sa tête, pour lui rappeler qu’avant a existé.
Tout ce qui lui reste est un océan de défonce qui se rapproche à chaque tour de roue et qu’il entend bien traverser car après sa tête aussi devrait-être lavée des souvenirs.
Concentré sur sa trajectoire, Rim-K fonce vers le sud-ouest, sa nouvelle vie.
Il a trouvé du boulot là-bas : il fait partie d’une section spéciale de la nouvelle Police Irakienne, chargée d’éradiquer les opposants, les putes, les trop-ouvertement anti-américains, les interroger également si ils et elles vivent encore, les torturer, violer les femmes, offrir les plus belles aux américains en échange de dope…, sa vie n’est qu’une interminable succession de corps sanguinolents et froids qui lui mâchent le dos et les épaules à transporter de leurs cellules exiguës et surpeuplées où règne la loi du plus fort, jusqu’à la salle des tortures ou à celle des plaisirs.
C’est un Commandant, vétéran des Forces Armées Irakiennes, l’élite de Saddam Hussein, surnommé le “Chef” qui lui a proposé le boulot quand Rim-K lui a revendu sa caméra vidéo, après tout, c’était le même boulot que du temps ou il travaillait à la gloire de Saddam Hussein…
Tout ceux de sa connaissance qui en sont sortis disent qu’ils préféreraient pourtant crever que d’y retourner.
Lui est mal payé : une paillasse dans une pièce, quelques meubles, sa vieille télé, de quoi manger et quelques menues monnaies mais au moins il sait que là personne ne viendra lui demander des comptes pour “avant“….
Chef a les protections qu’il faut pour qu’on le laisse tranquille.
En contre-partie les cadences sont infernales et pour les oublier il prennent tous des cachets.
Activité largement encouragée par Chef qui est un des principaux pourvoyeur de la place.
Main d’œuvre presque gratuite et marché captif, un double bénéfice dont il ne se prive pas.
Ainsi, comme la pluspart des autres “gardiens“, Rim-K a dû trouver des solutions pour acheter sa dope.
Au début il pensait à Mourhad quand il suçait ou se faisait enculer par quelques militaires américains en manque alors qu’il n’y avait aucun prisonnier pour le faire et qu’il avait besoin de dope…
Ils l’avaient déjà fait quelques fois ensemble, pour voir, mais cela n’avait rien à voir.
Avec Mourhad c’était plus doux, partagé.
Il y avait de la complicité, de l’excitation et de la tendresse, même dans leur violence.
Et puis Anja était là pour les guider, les filmer, les toucher, les rassurer.
Il a vite compris que ce qu’il faisait maintenant n’avait pas grand rapport avec cela, que c’était toujours le même corps, le sien, mais que ce n’était plus les mêmes autres ; que penser à Mourhad ne lui serait d’aucun secours, bien au contraire.
Des fois il aimerait ne jamais avoir rencontré Mourhad et Anja car avec eux il a connu l’amour et maintenant il n’a plus rien.
Rien n’est parfois pas si grave quand il n’y a pas plus devant.
Rien peut porter espoir, rien peut appeler mieux.
Plus rien c’est désespérant, cela implique un avant.
Un avant qu’il oublie à grands coups de cachets.
Aussi intense et puissante que fut leur relation ils n’ont pas pu vaincre, même pas pu fuir.
Babylone les a rattrapé alors qu’ils se croyaient au plus fort d’eux-mêmes, prêts à se défendre.
Se défendre ?
Quelle dérision !
Rim-K a bien compris maintenant qu’il n’y a rien à défendre, rien à reprendre…, que c’est fini.
Jérusalem les a fait détruire, au nom de leur drapeau, les deux bandes bleues, le Nil et l’Euphrate avec entre deux l’étoile de David, la nation Juive.
Jérusalem centre du monde, pour bientôt.
Maintenant c’est Babylone, trou du cul du monde, maintenant ce n’est plus rien.
Plus rien si ce n’est ces miraculeux petits cachets logés bien au chaud au fond de sa poche, contre son revolver.
Le seul objet qu’il ne vendra pas, sa porte de sortie si jamais il n’en peut plus.
Grâce à ce deal il va enfin avoir un peu de répit.
Rim-K continue sa route, évitant piétons et automobiles, slalomant au milieu du trafic, les muscles à l’affût.
Il a décidé d’aller se fixer chez Zé, un de ses frères Musulman, le seul d’à peu près cool, un ancien flic garde du corps de Saddam hussein, qui paye bien les services rendus et ne presse pas trop la chose.
Chez lui on peut parfois prendre son temps et être au chaud
Les doigts de Zé sont crispés sur la crosse du pistolet électrique.
Il sent les gouttes de sueur qui glissent le long de ses joues.
Il faut qu’il tienne la cadence.
Un nouveau front apparaît devant lui.
L’aiguillon de métal transperce le crâne entre les yeux.
Yeux affolés qui se voilent, l’homme a juste le temps d’un souffle rauque avant que la chaîne qui le soutien ne l’emporte vers l’étape suivante où on l’éventrera.
Déjà Zé s’occupe du prochain.
Zé aime la tension qui se dégage des hommes avant qu’il ne les tue, leur peur.
Cela lui rappelle les Brigades de Saddam, quand il était encore dans la Police.
Quand lui et ses collègues se chargeaient de nettoyer un quartier.
Durant les rondes en service, ils repéraient les jeunes hommes et femmes errantes, puis revenaient plus tard, la nuit de préférence, après avoir prévenu leurs collègues de se tenir éloignés du secteur.
Il fallait être efficace et aller au plus simple.
C’était à leurs yeux la façon la plus efficace et rentable de traiter la vermine car la placer dans les centres AMAR spécialisés dans l’accueil et la réhabilitation des délinquants, centres crées sous la pression d’organismes internationaux qui de leur point de vue se mêlaient bien de ce qui ne les regardaient pas, coûtait cher et ne rapportait rien à un policier sauf du travail.
Leurs salaires étant bas ils comprenaient mal pourquoi l’argent municipal devait servir à aider des délinquants alors qu’ils avaient eux-même du mal à boucler leurs fins de mois.
Pour eux, en effectuant le travail de cette façon, les Brigades faisaient faire des économies à tout le monde et tout le monde s’y retrouvait, les commerçants, les politiciens, les policiers et même les délinquants puisque leur misérable existence de survivants n’avait plus à se prolonger dans la douleur et la souffrance.
Aujourd’hui comme à cette époque les méthodes de nettoyage ont peu changé.
La plus commune est la Chandelle, il s’agit d’asperger d’essence les corps endormis puis de jeter une allumette.
Une opération d’autant plus facile que les cibles sont souvent droguées et incapables de réactions.
Souvent elles n’ont même pas le temps de comprendre ce qui leur arrive, se contentant de flamber en poussant de terribles hurlements de gorges accompagnés de mouvements saccadés des membres et d’une terrible odeur de chair et de kératine brûlées.
Très impressionnante, elle donne d’excellent résultats psychologiques sur les chanceux et chanceuses qui ont pu s’enfuir qui évitent généralement les lieux pendant longtemps.
Vient ensuite le tabassage à mort, également efficace mais qui demande plus de temps et beaucoup d’énergie.
La poursuite puis l’écrasement en voiture, très ludique mais qui malheureusement ne permet de traiter qu’une cible à la fois… et les flingues, plus fiables mais peu discrets.
Ils servent surtout à éliminer les individus les plus dangereux et, à la différence des autres options, ils sont essentiellement utilisés en service pour bénéficier de la couverture officielle en cas d’enquête de la presse étrangère.
Souvent Zé se prend, nostalgique, à repenser à cette période de sa vie.
A la toute puissance qui allait avec et que celle qu’il a actuellement sur les gens compense mal.
Il avait exécuté pendant dix ans avec un professionnalisme très apprécié et puis les choses avait changé : un soir où il s’apprêtait à mettre le feu à quelques silhouettes endormies sous des cartons, il avait aperçu le regard de l’une d’entre elle posé sur lui.
Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et cela ne l’avait jamais empêché de poursuivre une mission mais cette fois-ci, c’était spécial.
Ces yeux là n’étaient pas plein de crainte, de soumission ou d’indifférence comme les autres qui l’avaient surpris, ils avaient de la joie en eux.
En dessous de prunelles pétillantes, dans le prolongement d’un nez droit, souriait une bouche fine qui laissait apercevoir des dents blanches ourlées de lèvres brunes entourées de fossettes mutines.
Puis la tête avait eu un corps et ce corps s’était avancé tranquillement jusqu’à lui.
Avant que Zé n’ait pu faire un geste, les bras avaient entouré ses jambes et la tête s’était collée à son ventre, cheveux tièdes… et puis les doigts avaient ouvert sa braguette et une chaleur humide et diffuse avait entouré son sexe.
Cette nuit là il travaillait seul pour ne pas partager la prime et, pris de stupeur, ne sachant que faire, il s’était laissé faire.
Tandis que la bouche le travaillait doucement il avait pensé à sa femme.
Dix-huit ans qu’il la connaissait, dix-sept ans qu’ils étaient mariés et au moins six ans depuis sa dernière fellation.
Ils n’avaient jamais eu d’enfant mais elle était tout de même devenue grosse et laide.
Comme lui, gros et laid.
Les sveltes silhouettes de leur adolescence, c’était bel et bien du passé.
Il se revoyait, tout en muscles, bronzé, dans la glace des douches de l’Académie de Police, alors qu’il espérait encore changer le monde à la gloire de Saddam.
C’était pour cela, avant que les premier billets ne lui donnent d’autres motivations, qu’il avait rejoint les Brigades huit ans après être entré dans le service : changer le monde.
Un bon nettoyage par le feu et tout repousserait plus vert avait dit le commandant.
Pourtant, cette nuit là, ce qui avait repoussé plus vert était sa verge et cette bouche lui avait redonné confiance.
Le plaisir existait toujours, mieux qu’avec les prisonnières plus âgées avec qui il avait du mal à bander.
Pour la première fois il avait fait demi-tour sans accomplir son contrat et en rentrant chez lui il n’était pas saoul comme d’habitude.
Il avait même essayé de parler à sa femme qui gisait sur le canapé face à la télé.
Les extra des Brigades lui avaient permis de bien les installer, un confort largement au dessus de ce que son salaire aurait pu leur permettre d’espérer.
Elle l’avait mollement balayé de son champ de vision d’un geste ennuyé, luisant des reflets du solitaire zircon qu’il lui avait offert huit mois plus tôt et des loukoums qu’elle s’enfilait à longueur de journée.
Il avait compris à ce moment là : des loukoums, c’est tout ce que cette grosse s’enfilerait jusqu’au restant de ses jours ; pas lui.
Repensant à la bouche autour de sa verge, se rappelant de sa chaleur, de sa douceur, il avait réalisé combien il était seul, combien tout cela n’avait pas de sens.
Et c’était justement un de ces sous-humains dont il devait nettoyer les trottoirs de la ville qui le lui avait montré.
Après l’avoir sucé la silhouette s’était recouchée sans cesser de sourire.
Il aurait pu la brûler, en finir avec elle, mais rien ne lui avait été demandé, cela avait été gratuit.
Lui ne se rappelait même pas la dernière fois où il avait souri pour autre chose qu’une claque bien ajustée ou une vacherie balancée pendant le service.
La nuit suivante, il était retourné sur les lieux et l’ombre avait relevé la tête en souriant de nouveau à son approche.
Les bras en avant, elle s’était levée pour l’enlacer tendrement, souffle court de Zé…et les mains avaient de nouveau fouillé sa braguette, et la bouche s’était entrouverte, et…
…et dans un souffle chaud une voix timide avait chuchoté “Papa“.
Il avait sorti son revolver et l’avait flingué à bout portant, bien dans la tête.
Le crâne avait explosé.
Les autres avaient bougé de sous leurs cartons et les autres aussi avaient morflé.
Méthodique, un par un, sans réfléchir il les avait tous butés.
Il était debout, statufié, la bite à l’air molle entre les plis de sa braguette, les mains tendues vers l’avant crispées autour du flingue, au milieu des corps et du sang.
Zé habite un petit immeuble construit il y a bientôt vingt ans dans le sud ouest de l’agglomération, près des casernes, pour les policiers et leurs familles.
Le bâtiment qui surplombe le lac artificiel servant de réservoir d’eau à la ville avait dû être agréable mais avec la guerre, le renversement de Saddam Hussein, la fuite, le départ des habitants, les mittraillages et explosions ne permettaient plus à l’électricité de fonctionner ni aux couloirs et aux cages d’escaliers d’être nettoyés.
Ainsi, de fait, les murs sont couverts de tags et de graffitis et tous les étages sentent la pisse, la poussière et le moisi.
Rim-K frappe à la porte de l’appartement de Zé, de l’angoisse logée au fond des tripes.
Il espère que les cachets auront le temps de faire effet si jamais le gros veut l’envoyer en mission tout de suite.
Cela arrive parfois.
Après avoir frappé une deuxième fois l’angoisse se fait plus pressante mais pour d’autres raisons : cela ne répond pas et Rim-K veut être à l’abri.
Il ne veut surtout pas finir sa nuit sur le trottoir, ou pire dans son trou à rat où on ne manquera pas de venir le chercher pour le faire bosser.
Et aujourd’hui, et pendant quelques jours, il a décidé qu’il était hors de question qu’il fasse quoi que ce soit.
Il a besoin de repos, de calme.
Ses dents claquent, de mauvaises sueurs lui piquent torse et aisselles.
Sa troisième tentative n’ayant pas plus de succès que les précédentes, la porte reste close et l’appartement silencieux, il décide de tenter sa chance et de tourner la poignée chromée dans l’espoir que la serrure ne soit pas fermée.
Peine perdue, elle lui résiste.
Sentant la panique le gagner il se souvient avoir remarqué lors de l’une de ses précédentes visites un local incendie vide de tout matériel où il pourra s’installer en attendant que Zé revienne.
Une forte odeur d’urine le prend à la gorge lorsqu’il ouvre la porte du réduit mais il n’en peut plus.
La plupart du temps il est obligé de se rationner, de ne prendre les cachets que par demi ou par quart pour faire durer le stock alors, pour une fois qu’il le peut, il ne va pas lésiner.
Il en avale trois d’un coup, manquant de s’étouffer n’ayant pas de liquide pour les faire passer.
Après deux ou trois hoquets un peu appuyés il parvient à contrôler sa nausée et s’assoit, les genoux repliés contre le torse, les tibias entourés de ses bras.
Une fois qu’il est confortable et bien calé il se recroqueville le plus possible dans le fond du réduit pour ne pas gêner la fermeture de la porte.
Opération qu’il effectue du bout des doigts pour ne pas se déstabiliser et risquer de glisser sur le ciment recouvert d’une crasse noire et luisante à la surface de laquelle il croit voir bouger quelques carapaces.
Surtout ne pas toucher le sol….
Une brèche dans l’agglo lui permet de garder un œil sur l’escalier et le palier, comme ça il saura quand Zé reviendra.
Tandis qu’il joue machinalement avec la peinture qui s’écaille sous ses ongles la tension de tout à l’heure disparaît progressivement.
Il parvient à contrôler sa respiration qui se fait plus courte pour barrer au maximum l’odeur d’ammoniaque qui lui prenait la gorge.
Des fourmillements de plaisir partent de son estomac vers la périphérie de son corps.
La chimie se déploie enfin dans ses veines.
Il est bien.
C’est comme si son corps prenait progressivement sa vraie dimension, grandissant de l’intérieur, poussant les limites de son enveloppe vers l’infini.
La minuterie s’éteint et rapidement les ténèbres pulsent d’ondes de chaleurs rouges et jaunes, les battements de son cœur rythment les tourbillons de couleurs fluides qui l’entourent.
Comme il se laisse porter vers l’infini des évanescences bleues et vertes se profilent dans le lointain.
Elles viennent à lui par vagues, le léchant de leur fraîcheur tentaculaire.
Ses doigts lumineux jouent au milieu des brumes.
Il plonge dans le bleuté, l’écarte, qui se reforme liquide.
Un horizon océanique s’ouvre à ses sens.
Torse plié il pèse de tout son poids contre les fluides, éprouvant leur force avec ses jambes, résistance souple.
Il manque de glisser.
Équilibre !
Une présence blanchâtre pirouette soudain derrière lui, il la sent plus qu’il ne la voit.
Il la connaît, c’est Mourhad !
Ensembles ils flottent au vent.
Écume et dents blanches, blanches !
Ils baisent Anja, sa peau de lait.
Dedans c’est rouge et chaud, il est dedans.
Il ne la voit pas mais il sait, il est dedans, dans toutes les couleurs, les épaisseurs et les replis de son amie…, ça vibre autour de lui, ça monte encore.
Il s’abandonne à son sexe gonflé d’envie.
Plus tard des voix le ramènent à lui.
Deux poignards de lumière crue jaillissent de l’obscurité à travers la fente et sous la porte, transperçant la moite bulle colorée qui l’enveloppait jusqu’à présent.
Son cœur monte à deux mille.
Où est-il ?
La réponse surgit du béton rêche qui l’oppresse de toute part.
Il veut bouger, appeler, mais quelque chose le retient.
Le gros n’est pas seul.
Mouna, une jeune femme des quartiers nord qui travaille avec eux, le précède.
Les doigts boudinés de Zé guident la femme par l’épaule en direction de son appartement.
A la démarche de l’ancien policier Rim-K comprends que celui-ci est également dans un état de défonce bien avancé.
Après tout que Mouna soit là n’est pas si grave, Zé ne fera probablement pas de difficultés à avoir un hôte de plus.
Mais Rim-K ne peut plus bouger, son corps ne répond pas.
Il n’y a qu’à l’intérieur qu’il vit : battements de son cœur, jets du sang dans les veines de son coup, connexions électriques des nerfs, picotements du sexe.
Il est bourré d’énergie mais ne trouve plus les voies qui la relient à ses muscles.
Impossibilité de faire un geste : il tremble sur place, saturé à en exploser.
Ses paupières ne se referment pas.
La lumière agresse, pointes aiguilles, ses pupilles dilatés.
Des soubresauts incontrôlés le projettent latéralement d’une parois à l’autre, ciment râpeux qui le blesse à chaque contact sans qu’aucune douleur ne passe l’épaisse barrière de la came, seul le vermillon aigu du sang qui perle lui indique ce qui se passe.
Une de ses jambes se tend soudainement, pas assez d’espace, trop de force.
Ça craque quelque part en dedans lui.
Une vague de chaleur malsaine le submerge d’un coup.
Il veut respirer, éventrer sa parka, arracher ses fringues, ouvrir son bide, ses poumons, mais ses muscles ne répondent toujours pas.
Étouffement, brûlures, il se révulse, se contorsionne, se griffe, violence épileptique.
La lutte contre la chimie est inégale, sa volonté n’est plus rien.
La minuterie électrique arrive à son terme.
La lumière s’éteint.
Halos orangés qui s’éloignent brusquement en diminuant sans fin.
Les brumes reprennent de la consistance.
Paix, enfin.
Sa tête retombe en arrière, tout son corps se relâche d’un coup.
Frissons de plaisir comme après l’amour, ses lèvres entrouvertes laissent échapper de petits halètements de satisfaction.
Les ténèbres se remplissent à nouveau de formes et de couleurs chaleureuses.
Ne pas chercher à lutter, repartir.
Plus tard des résonances douloureuses le tirent de sa torpeur, elles proviennent de sa jambe.
Il essaye de la bouger.
Il a retrouvé des sensations mais ses gestes restent maladroits et gourds.
Il ramène ses genoux vers son buste et serre les dents lorsqu’il se relève en prenant appuis sur les murs de chaque côté de lui.
Sa cheville gauche est douloureuse, le pied de sa jambe blessée évite les contacts au sol.
Il se baisse et manque de s’effondrer, ne se rétablissant qu’à grand peine en posant les deux semelles à terre.
Terrible douleur, onde noire qui remonte en rebondissant échos le long de sa jambe puis de sa colonne, vrillant son ventre avant d’exploser dans sa poitrine, le laissant sans souffle.
Rim-K attend que les ondulations barbelées finissent de s’éloigner, respiration hachée, pour se concentrer sur sa prochaine manœuvre.
Après une longue goulée d’air il tire la porte du réduit et s’en extrait précautionneusement, ne gardant son équilibre qu’au prix d’un combat intense.
Une fois sur le palier il fait une pause pour souffler, les deux mains ancrées à la rampe.
Ensuite, du mieux qu’il peut, il s’attaque aux marches à cloche-pied.
Il faut absolument qu’il arrive jusqu’à l’appartement de Zé sans que la chimie ne revienne l’emporter.
Le gros doit être en train de baiser et Rim-K n’a aucune envie se faire remarquer !
Plutôt que de frapper il tourne la poignée dans l’espoir que cette fois-ci la porte ne soit pas fermée.
C’est le cas.
Il l’entre ouvre doucement et passe la tête dans l’entrebâillement.
Le couloir de l’appartement est sombre mais de la lumière provient en raie de sous la porte de la chambre à coucher.
Le sommier grince, il ne s’est pas trompé : le gros baise.
Rim-K entre le plus silencieusement possible et se dirige en clopinant vers le salon.
La lune par la baie vitrée lui fourni assez de lumière pour se repérer.
Sans tarder il se plante dans le canapé, écarte les verres sales et les canettes vides qui encombrent la table basse, pose sa jambe douloureuse en extension dessus et cale sa nuque avec un coussin.
Au chaud et seul, enfin.
Il pousse un soupir de satisfaction et reprend un cachet qu’il s’offre le luxe de faire passer avec une gorgée de bière éventée provenant d’une canette entamée qui traînait sur la table.
L’effet est immédiat, il repart dans les brumes et les lumières.
Son regard traverse la baie vitrée pour errer à la surface sombre de l’étendue d’eau qui lui fait face.
Immanquablement les lointains reflets colorés de l’Île Bleue attirent son attention.
Il imagine le lieu bruyant, peuplé de rires et de corps dansants.
Il n’a jamais pu y mettre les pieds car trop surveillé.
Cela fait un vrai contraste avec tout le noir et le vide du lac, de la pièce.
Venant de la chambre les ahanements du gros et de drôles de couinements étouffés troublent le silence mais Rim-K n’y prête pas attention, pour l’instant il vogue à la surface des vagues argentées et nerveuses qui viennent de s’animer sous l’effet d’un rayon de lune et c’est tout ce qui compte.
Zé s’escrime dans le conduit étroit et chaud du cul de Mouna.
Son gros ventre épousant les petites formes fermes et rondes des fesses de la jeune femme.
Pour l’ex-flic c’est le paradis : il a eu l’autorisation de Chef.
Depuis le temps qu’il attendait ce moment !
Il en a enfin une pour lui.
Tout est prêt dans sa tête.
Instant encore et encore fantasmé, imaginé, préparé dans les moindre détails.
Il ne faut surtout pas qu’il oublie de vérifier la caméra.
C’est dur de se concentrer en étant aussi excité.
Il répugne à se retirer.
Pourtant il le faut.
Après sera tellement meilleur.
Non !
Encore un peu, juste un peu.
Cela fait deux jours qu’il sait que cette fois-ci c’est pour lui.
Il a du être patient, rendre beaucoup de services, mais maintenant c’est son tour et il va se lâcher, y aller à fond.
Il avait tout de suite compris la chance que cela avait été pour lui quand Chef était venu le voir pour lui demander un service.
Il n’avait rien dit et obéit.
Aucun problème moral, cela fait longtemps qu’il n’en a plus rien à f… de la morale.
La ville est pourrie et il faut prendre le maximum : si ce n’est pas lui ce sera un autre.
Dans cette ville les autres, tous les autres, se goinfrent et souvent à très grande échelle, sans scrupules.
Lui, il a beaucoup donné pour eux et il est temps qu’il prenne.
Mais pas du fric, il s’en fout du fric.
Les gens veulent du fric parce que cela leur donne l’illusion d’être propre.
Avec le fric on peut tout aseptiser.
Lui, il ne croit plus aux miracles.
Puisque tout est sale, il faut se nourrir de saleté.
Aimer le dégueulasse, se vautrer dedans.
Et puis un prisonnier c’est tellement bon quand ça hurle avant le pistolet électrique, c’est presque animal. Que du bon !
Zé s’extrait enfin d’entre les fesses de Mouna qui se tient le ventre très fort entre ses bras en râlant.
Souffle coupé.
Du sang mêlé de sombre coule entre ses cuisses écartées.
Elle pleure en hoquetant.
Zé ne s’en soucie guère, il se relève rouge d’excitation et vérifie que la caméra vidéo sur trépied cadre bien le lit à la hauteur voulue.
La diode de contrôle indiquant que ça enregistre est éclairée, tout sera donc bien dans la boite.
Il fait ensuite le tour du lit jusqu’au placard d’où il extrait des cordes et une bâche plastifiée blanche.
Mouna le regarde sans comprendre, tout à ses spasmes.
Zé pousse la jeune femme à terre sans ménagement et entreprend de recouvrir le matelas de la bâche. Tous ses gestes à la limite du maladroit trahissent son impatience, son excitation.
Il passe ensuite le bout d’une des cordes au crochet qu’il a installé dans le plafond la veille.
Une fois que les deux bouts de la cordes, auxquels il a attaché des anneaux, sont de même longueur et à la hauteur souhaitée, il entreprend de ligoter ensembles les chevilles et les poignets de Mouna qui tente de se débattre mais sa force et celle de Zé sont sans comparaison.
Elle tente alors de pousser quelques gémissements plus sonores que les précédents mais ceux-ci sont rapidement étouffés par la masse de tissus rêches dont Zé lui bourre la bouche.
– “Tu vas te tenir un peu tranquille, hein ? Tranquille… gentille, voilà… sage…”
Il caresse les chevaux de Mouna en lui souriant.
Les yeux de la jeune femme brillent d’inquiétude, ce qui décuple l’envie de Zé, mais le policier sait qu’il faut qu’il se calme, qu’il prenne son temps et garde la tête froide.
Il ne doit surtout pas tout gâcher par trop de précipitation, il faut qu’il en profite.
Pour faire une pause il s’envoie une rasade de la flasque de whisky qui l’accompagne toujours.
L’alcool brûlant lui remet les idées en place.
Délice.
Utilisant la puissance de ses biceps le policier ramène le corps nu et tremblant de la jeune femme sur le lit et le hisse à hauteur des anneaux auxquels il le fixe.
Mouna pend, les quatre membres attachés en un point unique, la tête renversée vers le bas.
Du sang afflue dans son cerveau, elle a l’impression que son crâne pèse des tonnes.
Elle sent les veines de son cou gonflées de sang.
Confusément la situation lui rappelle quelque chose, mais elle n’est pas vraiment en état de faire la relation, d’avoir peur.
C’est plus une sensation diffuse : elle sait de quoi il s’agit mais ne peut vraiment se voir elle-même dans la situation.
Une jolie jeune femme qui pend, c’est tout ce qu’elle a dans sa tête.
La réalité de ses images, ces yeux restent ouverts, exorbités sous la force de la pression sanguine, n’est qu’une succession d’angles et d’étendues blanches qui tournent lentement.
Les murs et le plafond.
Elle a froid.
Elle sent que la chaleur s’éloigne de ses extrémités.
Elle a mal aussi.
Chevilles et poignets sont en fusion.
Sa colonne vertébrale est à la limite de craquer.
Soudain une lame de douleur brûlante la déchire par l’arrière.
C’est Zé qui vient de la pénétrer à nouveau.
Le flic est à genoux sur le lit, le sexe planté dans le cul de Mouna.
Sa main gauche agrippée dans la tignasse brune tire la tête vers le bas, découvrant la gorge lisse et douce de la jeune femme sur laquelle il passe en frissonnant le fil de son couteau-poignard de service qu’il tient fermement de la main droite.
Il triomphe, son lourd bassin presse la jeune femme de toute sa force, son envie.
– “Qu’est ce que tu f… là, toi?”
Une main ferme secoue Rim-K par les cheveux.
Il ouvre difficilement un œil, gémissant de douleur et de surprise.
Il fait jour.
Le sexe qu’il aperçoit recroquevillé sous cette avancée de graisse poilue lui rappelle qu’il est chez Zé, personne d’autre de sa connaissance ne possède un tel bide.
Instinctivement il tente d’échapper à l’étreinte d’un mouvement sec de la tête sur le côté.
Sa tentative ne fait qu’accroître la douleur qui lui perce le crâne car il ne parvient pas à surprendre le flic dont la poigne est ferme.
– “Alors, j’attends, qu’est-ce que tu f… là ?”
Le gros à l’air en colère et cela ne lui ressemble pas.
Ce n’est pas la première fois que Rim-K s’incruste par surprise et jusqu’à présent il avait été plutôt bien reçu.
Le gros est pâle et a l’air choqué.
Rim-K comprends que quelque chose ne va pas.
Sentant la pression des doigts dans ses cheveux se relâcher légèrement, hésitation d’un instant, il tente une nouvelle fois d’y échapper mais Zé, en un éclair, réaffirme sa prise, arrachant à Rim-K de nouvelles grimaces de douleur…
Le gros le secoue méchamment de droite à gauche en lui appliquant de sévères claques sur le côté du crâne de sa main libre.
– “T’as vu Mouna ? Pourquoi t’as vu Mouna ? Pourquoi ?”
Rim-K ne comprends pas le sens des questions mais il se rend compte à la force croissante des coups qu’il reçoit que la situation ne va pas dans le sens d’une amélioration.
Le gros est beaucoup plus fort que lui et il ne risque pas de lui échapper.
Il n’a aucune chance de résister.
Les coups continuent de tomber.
Zé est maintenant presque assis sur Rim-K et il martèle des deux poings son visage.
D’un bras Rim-K protège ses yeux et ses tempes, de l’autre il tente d’attraper son flingue dans la poche intérieure de sa parka.
Le gros hurle, la voix partant dans les aiguës :
– “Pourquoi t’as vu Mouna ???”
Les doigts de Rim-K trouvent la crosse à tâtons, son index se déplie sur la gâchette.
La douleur l’empêche de réfléchir, des vagues noires et rouges se fracassent contre son front.
Il commence à perdre conscience, la nausée monte.
Il faut qu’il fasse vite.
Il faut que cela cesse.
Il presse la gâchette.
Le bruit est assourdissant.
Son bras jaillit vers le haut avec le recul.
Plusieurs objets tombent de l’étagère que la balle a percuté.
Le gros se fige de surprise, détachant un instant son attention de Rim-K pour essayer de comprendre ce qu’il vient de se passer.
Rim-K profite de l’occasion pour ramener le canon contre le ventre de Zé et avant que celui-ci ne réalise ce qui arrive il presse la détente une seconde fois.
Le bruit de la deuxième détonation s’ajoute à celui de la première dans la tête de Rim-K.
Onde de choc douloureuse.
L’odeur acre de poudre brûlée l’empêche de reprendre son souffle.
Zé, toujours au dessus de lui, se tient l’estomac à deux mains.
Il regarde son ventre un instant sans comprendre puis son visage passe de l’étonnement à la douleur puis à l’effroi.
Du sang gicle à gros goulots du côté droit de son ventre, à la gauche de Rim-K, là où la balle est ressortie après avoir traversé les intestins de part en part.
Livide, il tourne de l’œil.
Il a bien été habitué au sang mais pas au sien.
Il n’a jamais soupçonné qu’un jour c’est de son intérieur douillet que giclerait le liquide poisseux.
Le policier s’écroule sur le côté, libérant Rim-K de son poids.
Seule sa jambe droite pèse encore sur celles du jeune homme.
Rim-K serre nerveusement la crosse du flingue entre ses doigts.
Il hésite à appuyer une troisième fois sur la gâchette.
Son bras va et vient en hésitations chaotiques en direction de la tête de Zé.
Finalement, il se dégage de sous la jambe mastodonte et s’assoit sur le canapé.
Le flingue que sa main refuse absolument de lâcher pend à la hauteur de ses chevilles.
Le regard vide de Rim-K erre lentement à la surface de l’immensité plate et éblouissante à cause du soleil qui vient de percer du lac qui lui fait face.
Il cligne des yeux ne parvenant pas vraiment à comprendre ce qui vient de se passer.
Il frissonne en massant lentement son visage meurtri.
La bouche entrouverte, aspirant l’air à petites doses, il tente de faire le point mais rien de bien cohérent ne lui vient à l’esprit.
La colère le gagne progressivement, il ne voulait buter personne, qu’est-ce qui a bien pu lui prendre au gros, lui qui est si cool d’habitude?
La seule chose qui lui vienne à l’esprit est un cachet.
Un joli cachet blanc qui le réchauffera et lui redonnera de l’énergie.
Tandis que Rim-K fouille nerveusement ses poches un gémissement lui glace le sang.
Zé vient de bouger.
Instinctivement Rim-K colle le canon contre sa tempe : s’il fait mine de tenter quelque chose, il tire.
Mais Zé se tient toujours le ventre à deux mains bien incapable de quoi que ce soit.
Une large flaque que la moquette beige râpée ne peut absorber s’est formée autour de lui.
Le gros ne peut que râler faiblement.
Rim-K avale un cachet sans cesser de menacer Zé de son revolver.
Il est impressionné par la flaque, combien de liquide peut contenir un corps pareil ?
Avec difficultés, à cause de sa cheville douloureuse, il appuie progressivement du bout de son pied sur le côté gauche de l’abdomen surdéveloppé.
Zé râle de plus belle.
Le sang accélère son flot.
Ça gargouille bizarrement.
Rim-K est fasciné par le liquide rouge qui s’écoule de la plaie, cela semble ne jamais vouloir s’arrêter, des jets et des jets.
Finalement, que ce gros porc crève ou ne crève pas cela n’est pas son problème, il faut juste qu’il se barre.
La ville est suffisamment grande pour que personne ne le retrouve jamais.
Tant pis, du boulot il en trouvera bien ailleurs.
Maintenant qu’il n’a plus le choix il se rend mieux compte du plan pourri que c’était et que ce soit justement un bourreau qui agonise à ses pieds le fait sourire, il est en train de venger des générations de gens…. Chef se masse les joues de ses doigts épais, il n’est pas encore rasé et s’interroge sur ce que va être sa journée… la sueur de sa nuit remonte aigre de dessous ses aisselles, il n’aime pas ça : il aime être net.
Il s’accorde néanmoins le temps d’une clope avant de passer sous la douche.
Après, il faudra qu’il aille chez Zé récupérer la glacière.
Ça le fait d’autant plus c… qu’il ne s’est pas encore fait une thune sur l’opération et que pour lui c’est tout ce qui compte, la thune.
D’un autre côté il fallait bien que l’autre taré s’en fasse une à cause de tous celles dont il s’occupe sans piper mot ni palper.
D’une certaine manière il a de la chance d’être tombé sur un cas pareil : le roi du couteau, l’as de la découpe et complètement désintéressé et silencieux avec ça… sans lui le trafic serait vraiment plus compliqué.
Une perle rare qui lui évite bien des soucis mais dont il se garde bien d’aller chercher les motivations profondes, juste un allié de circonstance.
Allez, après tout ce n’est pas la mort que d’aller chercher un cube de plastique bleu et puis tout sera déjà préparé, Zé le lui a promis.
En tirant sa dernière taffe Chef, Youssef de son vrai prénom, un truc qu’il a jamais pu encaisser, secoue la tête : il y a quand même des allumés dans cette ville.
Lui, il a fallu qu’il s’adapte : des levers 3 heures du mat, des journées et des nuits sans dormir, des kilomètres et des kilomètres à marcher avec son paquetage sur le dos… : il a bien donné.
19 ans dans les Forces Armées de Saddam Hussein cela aurait dû suffire pour qu’il n’ait plus à lever le petit doigt jusqu’à sa mort mais un jour, il y a quelques années de cela, le capitaine était tout de même venu lui annoncer que les américains envahissaient l’Iraq.
Pour faire passer la pilule on lui avait filé une médaille et il était officiellement parti pour combattre les diables d’américains, avec les honneurs.
La prison des subversifs a été sa chance.
Il y avait été engagé comme assistant de tortures grâce à une de ses connaissances, mais avait pu rapidement gravir les échelons grâce à ses aptitudes à organiser.
A son arrivée le service du personnel était en très mauvais état, sans hiérarchie définie, et son autorité naturelle ainsi que certain moyens de persuasion physique lui ont permis d’en prendre le contrôle avec la bénédiction de la direction, trop heureuse d’avoir enfin quelqu’un acceptant les responsabilités.
Une fois son autorité affermie il a mis en place des combines en tous sens sans que personne n’y trouve à redire.
Ainsi, il a commencé à faire travailler divers policiers pour presque rien.
Ce qui a permis aux porteurs officiellement engagés de travailler ailleurs, au noir, et d’accroître leur revenus ainsi que leur reconnaissance à son égard.
Chef, en échange, prend un petit pourcentage de leur salaire qu’il partage avec un ancien officier de sa brigade responsable de la comptabilité.
Quant aux détenus et détenues, en plus d’une douche hebdomadaire, du gîte et du couvert, il les bourre avec des cocktails d’amphétamines ultra puissants fabriqués pour les Forces Spéciales qu’il se procure à bas prix grâce aux connexions qu’il a encore avec l’intendance des Forces Armées.
Avec ça dans le sang ils travaillent sans s’arrêter pendant des jours.
Ils adorent ça et se croient invincibles.
Efficacité maximum même si à trop fortes doses les hallucinations les rattrapent bientôt.
Au bout d’un moment, une fois qu’ils sont accros, il les fait raquer et pour payer leurs doses ils sont prêt à tout.
Du coup Chef c’est mis en contact avec un sergent américain particulièrement vérolé et pervers, a monté une sorte d’agence de prostitution informelle spécialisée dans les jeunes femmes et aussi les jeunes hommes, une activité qui lui permet de bénéficier pleinement de ses compétences.
C’est comme ça que six mois auparavant, par hasard, est venu jusqu’à lui le top du top, le truc le plus lucratif de sa carrière.
Un truc dont il ne soupçonnait même pas jusqu’à l’existence : le commerce de la mort.
Une fortune !
Quand les jeunes femmes et hommes ne sont pas trop amochés, il les vend pour une nuit d’amour ultime à des officiers américains.
Lui s’occupe de l’intendance : livraison et débarras ; eux du reste, dont il ne veut rien savoir.
Depuis qu’il fait cela il n’a jamais eu un problème, tout cela se passant entre gens bien éduqués et influents : c’est souvent les mêmes clients… et les nouveaux entrent par cooptations.
Du coup, il a maintenant accès à certains endroits dont les portes lui auraient été irrémédiablement fermées lorsqu’il était au fin fond de ses casernements.
Des endroits où tout est prévu pour que l’on s’amuse et où on lui a fait comprendre qu’on était acheteur de viande fraîche.
C’est là que Zé s’est révélé particulièrement précieux car Chef, tout cela, au fond, ça le dégoûte plutôt.
Lui son truc c’est plutôt les gonzesses mûres.
Mais bon, il y a du pognon qui traîne dans le business et il serait bien bête de ne pas le prendre.
Les corps après usage sont soigneusement découpés, certaines parties, généralement les “jambes-culs-gigots“, les “côtelettes” et, parfois, le cœur, le foie et le sexe, sont livrés sur commande, le reste étant enfourné dans le broyeur puis le four.
Cette fois-ci Zé aura déjà fait le travail puisque c’est lui le client.
Sans compter que le gros adore ça, découper.
Chef n’aura donc qu’à passer prendre les morceaux, les livrer sur l’Île Bleue, encaisser, et rejoindre Loubna, une jeunette des beaux quartiers qu’il a rencontré deux jours plus tôt et qui a frétillé du bas en apprenant qu’il était un des responsables de la prison et qu’il était un vétéran des Forces Armées de Saddam Hussein.
En sortant de sous la douche lorsqu’il se regarde dans la glace, Chef la comprend, Loubna : il n’a vraiment rien à envier à plus jeunes et plus riches, surtout niveau muscles.
C’est vrai que sa moustache masque mal la cicatrice qui lui déforme le haut de la bouche depuis qu’un connard devant un arrèt de bus, s’est fait exploser…, mais il se dit que cela fait viril et apparemment, au nombre de ses conquêtes, il ne doit pas avoir tout à fait tort.
Chef se rase soigneusement, méthodique, à l’électrique.
Il aime les vibrations de la machine sur ses joues, ça le calme.
Il taille ensuite les poils de sa moustache et s’asperge copieusement d’après-rasage.
En sortant de la salle de bain il va chercher la chemise de soie vert bouteille qui l’attendait soigneusement suspendue sur un cintre.
Il a une petite bonne qui vient tous les jours s’occuper de son linge, de la cuisine et du ménage et qu’il saute de temps en temps : sa vie commence enfin à ressembler à quelque chose qui lui plait.
En enfilant sa chemise il en apprécie la légèreté ainsi que la douceur.
Le vert, c’est la seule couleur dans laquelle il se reconnaît vraiment.
Il passe ensuite un pantalon vert, des chaussettes vertes et ses botillons qu’il lustre d’un coup de chiffon précis.
Il est prêt, il va falloir qu’il y aille.
Après une dernière gorgée de thé il attrape sa veste, d’un vert à peine plus foncé que celui de son pantalon, et claque la porte de l’appartement derrière lui.
Il n’a jamais voulu se rabaisser à rester dans les taudis destinés au personnel, sauf le premier mois, avant qu’il ne se fasse ses première grosses thunes : une cargaison d’armes qu’il avait réussit à détourner et à revendre.
Au volant de son Pick-Up Toyota, il s’allume une clope : “Loubna, me voilà”…
En sortant du parking souterrain de son immeuble Chef est agréablement surpris par la lumière, le soleil est au rendez-vous.
Vengeur, quelle connerie !
Rim-K rit nerveusement.
Il y a vraiment des idées qui lui sortent de n’importe où aux moments les plus étranges.
Un peu plus et il se voyait s’envoler avec une cape et un masque par la fenêtre en direction de l’Île Bleue. Mais non, le gros est bien là, devant lui… et maintenant il va falloir qu’il assure et se dépêche.
Il y a peu de chances pour que quelqu’un ai appelé les flics car ce n’est pas le genre du quartier.
Ce qui est sûr, par contre, c’est que les coups de feu ont été entendus et localisés : l’immeuble sait que quelque chose se passe chez Zé.
Sa chance est qu’à sa connaissance Zé n’a pas d’amis, il ne l’a jamais vu parler avec quelqu’un d’autre que Chef et que personne ne devrait prendre le risque de montrer le bout de son nez dans les couloirs après une fusillade.
Il lui suffira de baisser la tête et personne, même l’œil collé au judas, ne devrait l’identifier.
Le gros respire toujours mais de plus en plus difficilement, du sang coule par sa bouche.
Rim-K ne perd plus son temps en contemplations inutiles, les coups de feu et cette montée de stress lui ont ouvert l’esprit : il ne s’est jamais senti aussi affûté depuis longtemps.
Il a l’impression d’émerger d’un mauvais rêve.
Il ne s’est que trop laissé aller, effondré qu’il était par la disparition de Mourhad et d’Anja, ses uniques repères jusque-là.
Il va falloir qu’il apprenne à vivre seul et il devrait bien y avoir d’autres solutions que cette boucherie.
Il remet le gun dans sa poche et entreprend de fouiller l’appartement à la recherche d’un peu de fric ou de toute chose monnayable.
La montre du gros, par exemple.
Lorsque sa peau touche celle de Zé, Rim-K est surpris par la chaleur de celle-ci.
La terrible énergie déclenchée par le cataclysme de la balle dans le corps du gros, toute cette viande luttant pour sa survie, l’effleure un instant, le faisant frissonner de mal être.
Néanmoins, il ne laisse pas tomber et ce malgré la peine qu’il a à retirer l’objet du poignet brûlant.
Le bracelet de cuir noir est incrusté dans la chair molle, comme si celle-ci avait tenté de le digérer au cours des années.
Quand il vient enfin à bout du fermoir doré une empreinte blanche et fripée reste gravée dans l’épaisseur de l’avant bras poilu.
Zé râle.
Rim-K fourre la montre dans une de ses poches et repose délicatement le bras du gros sur son ventre, il s’attaque ensuite aux tiroirs du bureau qui se révèlent vides de toutes choses intéressantes si ce n’est une paire de lunettes de soleil et une machine à calculer, les deux déjà très abîmées ; rien de vraiment rentable.
Rim-K se concentre : son regard fait une fois de plus le tour de la pièce.
La télé est trop encombrante, le magnétoscope ne marche pas et la Hi-Fi date.
Il empoche tout de même les trois malheureux CD que possède Zé, des chanteurs ringards que personnellement il déteste mais dont il arrivera sans doute à tirer deux thunes.
La chambre est probablement une meilleure idée, là il a des chances de trouver le portefeuille de Zé dans son blouson.
S’étant arrêté un instant derrière la porte d’entrée pour jeter un coup d’œil par le judas Rim-K ouvre la porte de la chambre rassuré : le couloir est désert.
Ça le frappe direct à l’estomac puis à la gorge, comme la première fois qu’il est entré dans la salle de torture mais en plus douceâtre.
Depuis tout à l’heure une drôle d’odeur le troublait mais il n’y avait pas fait attention plus que cela, pensant qu’il s’agissait encore d’une résurgence de celle de la prison.
Cela lui était déjà arrivé plusieurs fois de sentir la viande morte alors qu’il ne travaillait plus, même après l’une de ses trop rares douches.
Cependant maintenant c’est différent, il y a une bonne raison pour que cela sente : un tas de barbaque sanguinolente pend du plafond, au dessus du lit, en plein milieu de la chambre.
Dans un premier temps Rim-K ne comprend pas pourquoi Zé a amené cette pièce de viande chez lui et puis il comprend d’un coup, trop bien, manquant de tourner de l’œil : Mouna !
Il chancelle et recule de deux ou trois pas, ne tombant pas à la renverse uniquement parce qu’un mur est contre son dos.
Rassuré de cette présence solide il laisse ses jambes s’affaisser sous lui, glissant à terre en état de choc.
Il a l’impression que de la matière épaisse et visqueuse a remplis ses poumons, empêchant la respiration, et qu’elle cherche à remonter vers sa gorge, vers sa bouche.
Ses yeux ne peuvent quitter l’amas rouge qui balance doucement, hypnotique, devant lui.
Il n’a plus de pensées, que de la viande qui l’oppresse, humide et tiède, de partout.
Cela lui prend un certain temps avant qu’il ne puisse recommencer à penser, à ce que des mots recommencent à réapparaître au milieu du magma sanguinolent qu’est devenu son cerveau.
Il faut qu’il se barre, vite.
Pourtant quelque chose le retient.
Cela a dû prendre des heures pour faire ça, pour transformer un corps vivant en cette chose là.
Le crâne est entièrement scalpé, les yeux pendent hors de leur orbites, des dents ont été arrachées.
Une large ouverture noire barre la gorge qui bée vers l’arrière, la tête est seulement retenue par la colonne vertébrale dont les os sont apparents.
A l’emplacement du sexe et de l’anus il n’y a plus qu’un énorme vide remplit d’entrailles que Rim-K ne cherche ni ne veut identifier.
Des morceaux du torse, de l’abdomen et des cuisses ont été découpés.
Plus haut, au dessus des liens qui enserrent poignets et chevilles, les mains et les pieds, blancs de l’absence de sang, sont figés dans des crispations chaotiques invraisemblables, témoignages des souffrances abominables qu’a dû endurer Mouna.
L’envie de vomir qui l’avait tout d’abord submergé s’éloigne peu à peu, remplacée par quelque chose d’autre : une chaleur insupportable lui pique le ventre, une énergie de violence et de revanche.
Rim-K ne pense plus à partir, à se barrer.
Il pense au gros, au gros qui a été capable de tout cela et qui est en train de mourir tranquillement, qui est en train de lui échapper.
Il se relève d’un bond et court vers le salon, sa cheville le fait souffrir mais cela ne l’arrête pas.
Dans la pénombre que les nuages viennent de créer le gros ne semble pas avoir bougé.
Il respire encore quoique difficilement, sifflements humides et glaireux.
Rim-K ne réfléchit pas.
Il plonge et frappe de toute la puissance de son poing droit dans le ventre de Zé.
Un hurlement de pachyderme fait écho à l’impact.
Le gros souffre et ça met Rim-K en joie, une joie comme il en a rarement éprouvée.
Un truc qui lui remonte du fond du bide et qui irradie dans toutes ses terminaisons nerveuses, un truc apocalyptique fait de milliers de douleurs et de frustrations qui en se concentrant dans ses poings se transforment en plaisir de délivrance.
Il n’arrête pas de frapper : un pour Mourhad, un pour Anja, un pour tous les détenus d’Al-Grahid qu’il a vu brûler, un spécial, bien dans la tête, pour Mouna et puis plein d’autres pour rien, sans penser, juste pour bien défoncer, briser, casser, faire mal, laisser exploser son dégoût, intensifier son plaisir.
Du sang gicle des blessures de Zé.
Rim-K en est couvert.
C’est chaud et poisseux.
Il se passe la langue sur les lèvres et en ramasse le goût, ça l’électrifie.
Il en veut plus.
Il déchire la chemise du gros et enfonce ses doigts dans la plaie, il veut arriver aux tripes, les arracher, vider le monstre de sa substance.
Zé dans un sursaut de survie tente de se débarrasser du poids qui pèse sur lui mais sa force l’a abandonné. La douleur est trop vive.
Il ne parvient pas à comprendre, transpercé de toute part.
Ça résiste puis se déchire sous les ongles de Rim-K.
Il parvient petit à petit à entrer dans le ventre du gros, à écarter la graisse, à forcer les muscles.
Ça se contracte et se détend, pulse, bouillonne, coule, résiste mais ses doigts se frayent un chemin et maintenant c’est presque toute sa main qui a disparue à l’intérieur du chaud.
Ça le fascine ce chaud, d’être dedans. Il voudrait rentrer en entier dans ce ventre, pouvoir l’habiter jusqu’à ce qu’il ne bouge plus.
Et puis cela se fait plus précis, son excitation se concentre : il a envie.
Son sexe s’est durci et il le perçoit.
D’un geste brusque il ressort sa main pour aller défaire les boutons de son treillis, ses doigts glissent à cause du sang et de ses mouvements rendus imprécis par l’énervement.
Après plusieurs tentatives infructueuses il parvient enfin à sortir sa verge gonflée qu’il guide jusqu’aux lèvres de la blessure.
Lorsqu’il s’introduit d’un coup de rein brutal Zé tente une fois encore de le repousser mais sans plus de succès que précédemment.
Ayant ses prises bien affirmées, une main dans les cheveux de Zé, l’autre au niveau de ses hanches, Rim-K accélère la cadence.
Il est ivre de sang et de chaud, il veut jouir, défoncer l’intérieur de ce porc, lui gicler de la semence comme il a giclé dedans Mouna, le faire payer.
Des larmes de rage brûlantes lui ferment les yeux qui piquent de tant de sel, de grandes vagues tempêtes s’éclatent sur des rochers découpés et noirs, l’écume monte au vent.
L’intérieur du gros n’a rien du doux et lisse d’Anja ou du rugueux et musculeux de Mourhad, l’intérieur du gros est fuyant et visqueux, désorganisé, chaotique.
Il n’y a pas une voie toute tracée, un guide.
A chaque va et vient sa verge doit se frayer un passage entre des pressions mouvantes et contradictoires.
Rim-K aime ça, il sait que chacun de ses coups déchire, écrase, blesse, fragmente et qu’à terme l’un d’entre eux sera fatal.
Il y met toute sa force.
Il veut jouir.
Une aspiration froide tire Rim-K vers l’arrière.
Sans possibilité de résister, sans rien comprendre si ce n’est qu’il n’est plus dans le chaud…
Rim-K réouvre les yeux un instant.
Flash de lumière !
Où est passé le moite, la pénombre rouge ?
Son cou part sur le côté, il entend que ça craque quelque part dessous son crâne.
La sensation qui suit le craquement n’a rien de comparable avec aucune d’avant, il sait que quelque chose vient de casser en lui, quelque chose de définitif…
Black-out !
Respectant la vitesse autorisée sur la voie rapide qui traverse la ville du nord au sud Chef, fenêtres ouvertes, coude à l’air, lunettes de soleil à verres miroirs sur le nez, se dit que dans 10 minutes il sera chez Zé, il prendra le paquet et sa journée sera bouclée.
Un samedi comme il les aime.
Avant de passer chez son flic le plus pervers, il décide tout de même de s’arrêter à la prison d’Al-Grahid, histoire de voir si tout se passe bien.
Pour être sûr que Moussif son nouvel assistant, un ancien des Troupes de Choc DE Saddam Hussein, blessé lors de la prise du palais par les troupe américaines, qui lui a coûté le bras droit…, contrôle tout. – “Bonjour, Chef. Ça va comme vous voulez ?“…
– “Au poil. Et ici, tout se passe bien ?”…
– “Sans problème“…
– “Bonne journée”…
– “Bonne journée“…
Chef repart satisfait, Moussif ne semble pas débordé.
Les détenus n’ont pas l’air de faire de problèmes, depuis qu’une Sergente et quelques militaires américains s’amusent avec quelques-uns d’entre-eux à des jeux sado-masochistes tout en prennant des photos-souvenirs de leurs “exploits“…
Depuis qu’il l’a embauché il y a trois mois, Moussif n’a jamais posé la moindre question, ne s’est jamais montré curieux.
Un mec habitué à obéir, à fermer les yeux sur les jeux BDSM des gardiens américains, excellent dans l’exécution des ordres et pas prompt à improviser sous prétexte d’idées lumineuses foireuses.
Chef (tout comme les gradés américains), aime ça.
Zé non plus ne pose jamais de questions mais Zé n’est pas pareil, Zé est un flic et les flics juste leur manière de regarder c’est déjà questionner.
En plus celui-là est un vrai maniaque.
Décidément Chef ne l’aime pas.
Passer chez celui là, lui donne froid dans le dos.
Depuis ce matin il a un creux dans le ventre et il réalise petit à petit d’où cela vient.
C’est Zé.
Ça le dérange de savoir que ce flic ne demandait rien, non pas pour avoir sa part du gâteau en espèce, ce que chef aurait trouvé normal, mais pour l’avoir en viande… à baiser !
Le business dans lequel il s’est embarqué rapporte et c’est l’unique raison pour lequel il le fait.
Que des militaires américains se payent des détenus et détenues et veuillent bouffer du steak humain…, c’est leur problème, il fournit et ne pense pas plus loin.
Mais là c’est plus près de lui, il connaît ce mec et ça le débecte que celui-ci puisse y trouver du plaisir.
Tant que les prisonniers gardaient leur aspect marchandise, qu’il s’agissait d’aller en prendre quelques-uns et unes, de demander à Zé de livrer en encaissant au passage c’était facile, c’était neutre, c’était du commerce.
Là, même si les gestes restent les mêmes, il a l’impression d’avoir franchi une limite qu’il n’est pas sûr d’avoir voulu dépasser.
Ce n’est plus vraiment de la prestation de service.
Il a l’impression d’être complice de la perversion de Zé, lui qui n’a jamais pu imaginer prendre du plaisir à cela.
Comment Zé peut-il bien faire, que peut-il bien avoir dans la tronche ?
Chef se gare sur le parking qui s’étend devant l’immeuble où habite Zé.
Le bâtiment décrépit le repousse.
Comment Zé peut-il vivre là dedans ?
Il ne tiendrait qu’au flic de se faire un peu plus de blé pour déménager.
Et puis Chef se ravise, après tout les préoccupations de ce mec ne sont pas les siennes et il ferait bien de se les ôter de la tête.
S’il commence à trop gamberger il risque de se ramollir.
Depuis qu’il est arrivé à la prison d’Al-Grahid, il n’a jamais reculé pour se faire du blé et ça a toujours marché.
Ce n’est pas le moment de faire du sentiment sous prétexte qu’il ne comprend pas comment on peut bander en égorgeant un être humain.
Après tout bander pour une pétasse blonde occidentale en minijupe ne fait pas beaucoup plus de sens en soi…, enfin il préférerait tout de même être entre les cuisses de Loubna que sur ce parking déprimant ; encore un peu de patience et tout ira mieux.
Il soupire en enlevant ses lunettes de soleil, les nuages sont déjà revenus en force.
L’éclaircie n’aura été que de courte durée.
Une ondée violente arrive par l’est et il a intérêt à se dépêcher s’il ne veut pas être saucé.
En un éclair, le premier sur le lac, il met ses lunettes dans la poche de sa veste, ouvre la portière et la referme derrière-lui.
D’une petite foulée souple et assurée il gagne la porte d’entrée de l’immeuble sans oublier de presser le boîtier électronique de l’alarme qui verrouille en deux Blip-Blip le Pick-Up derrière lui et il devance le tonnerre et les premières gouttes à l’intérieur du bâtiment.
La minuterie est en panne et le hall d’entrée est très sombre car dehors le gris mange la lumière.
Il se dirige précautionneusement vers les escaliers quand un roulement de tonnerre ultra puissant fait trembler tout l’immeuble, la foudre n’a pas du tomber loin.
L’odeur de pisse le prend à la gorge et lui rappelle la semaine d’entraînement commandos qu’il s’était tapé à la fin de ses classes.
Quand on les avait fait camper pendant quatre jours dans les égouts et souterrains de la ville pour les conditionner au combat urbain en situation extrême.
Toute une théorie ultramoderne d’infiltration par les sous-sols des quartiers chauds en cas d’émeute avait été développée par les instructeurs à cette occasion.
Théorie qui n’avait pas servi à grand chose lorsque les quartiers ouest s’étaient révoltés une quinzaine d’années auparavant.
Ce qui lui avait était utile au moment des émeutes n’avait pas été le blabla des officiers mais la mitrailleuse lourde dont les aboiements sourds et les impacts dévastateurs avaient calmé bien des ardeurs.
Un instrument qu’il aurait pu apprendre à manier sans avoir besoin de s’humilier en rampant dans la merde mais ça ses instructeurs s’en foutaient.
Pourtant, quand les mêmes instructeurs lui en avaient donné l’ordre, il n’avait pas hésité à tirer et ça lui avait valu ses premiers galons.
De son point de vue c’était toujours les mêmes qui payaient et il avait décidé depuis tout jeune qu’il préférerait être du bon côté de la gâchette.
C’est pour cela qu’il c’était engagé et il trouvait qu’il n’avait pas eu tort car se connaissant, il aurait sûrement fini une balle dans la peau à trop vouloir faire le chaud en défiant le tankiste qu’il avait été.
Il en avait personnellement dézingué plus d’un dans ce cas là.
Peut-être même des qu’il connaissait.
Cependant, il n’avait jamais regretté d’être dans la tourelle blindée qui le protégeait mieux des merdes de la vie que les trop minces parois de carton, bois ou tôle de ce quartier qu’il haïssait.
Les doigts crispés aux poignées d’acier de l’arme, les mâchoires serrées, le regard concentrés sur la direction que ses balles prenaient, il avait nettoyé.
A ce moment là il s’était dit qu’il n’était plus du côté des animaux mais de celui des hommes, des vrais.
De ceux qui peuvent rentrer chez eux et dormir sous un toit sans craindre que cela s’écroule, sans la faim et l’angoisse du lendemain qui rongent le ventre.
Depuis il a franchi d’autres étapes et en repensant à cette époque il se trouve parfois bien naïf de s’être un temps satisfait de si peu.
Cependant, c’est grâce à ses choix là qu’il en est où il est maintenant, les américains appréciant ses compétences…, au delà du fait qu’il avait servi Saddam Hussein…, mais y avait-il une différence entre Saddam et bush, deux dictateurs ?
Il était persuadé que cela en avait vraiment valu vraiment la peine, même s’il lui avait fallu de temps en temps faire quelques compromissions, comme avec Zé.
Au quatrième étage Chef trouve enfin une minuterie qui marche et la lumière blafarde qui jaillit du plafond lui permet d’accélérer le pas.
Il arrive enfin devant la porte de Zé, mais au moment où il va frapper une odeur familière arrête instinctivement son poing : celle de la poudre.
Un instant incertain il se dit que c’est l’orage, l’ozone brûlée dans l’air au moment de la foudre.
Mais non, cette odeur là il l’a reconnaîtrait entre mille : des coups de feu ont été tirés près d’ici et il n’y a pas longtemps.
D’un mouvement rapide de la tête Chef balaie le couloir désert du regard avant de coller lentement son oreille à la porte en ayant pris soin de ne pas rester dans l’axe de celle-ci.
Des années d’entraînement ne se perdent pas d’un coup.
En surimpression des roulements lointain du tonnerre chef perçoit des gémissements, des plaintes brèves et comme des bruits de coup.
Il y a quelqu’un d’autre dans l’appartement de Zé et cela n’a pas l’air de tout repos.
Mauvais signe.
Chef n’hésite pas plus de deux secondes, il tourne la poignée, qui ne lui résiste pas, millimètre par millimètre.
Lorsque la porte s’ouvre l’odeur de poudre est devenue une certitude, les bruits aussi sont plus distincts : des grognements de rage inarticulés, accompagnés de ahanements sourds semblables à ceux d’une baise violente.
La voix est jeune, ne rappelant pas celle de Zé.
Par contre des gémissements étouffés semblent mieux correspondre au timbre de celui-ci.
Mais que peut-il bien faire ?
Chef referme délicatement la porte d’entrée derrière lui et commence à avancer silencieusement dans le couloir.
En passant devant la chambre de Zé dont la porte est ouverte il ne peut contenir un bref mouvement de recul.
La carcasse ensanglantée d’une jeune femme pend du plafond, probablement Mouna.
De toutes celles qu’il a vu jusqu’ici c’est vraiment la plus amochée.
Ce mec est vraiment un malade…
Chef n’aime vraiment pas ça, il n’est pas venu pour être confronté à toute cette merde.
Contenant sa fureur il poursuit sa progression à pas furtifs.
Arrivé au bout du couloir la scène se découvre à lui en contre jour.
Un jeune homme est en train de s’escrimer les fesses à l’air sur le ventre énorme du flic.
Apparemment en train de le baiser à un endroit où Chef n’aurait jamais pensé que cela était possible.
Il y a du sang partout et le jeune homme, Chef croit reconnaître l’un des jeunes policiers qui travaillent pour lui, semble déchaîné.
Visiblement Zé est très amoché ou au comble de la jouissance, en tout cas presque inconscient.
La perplexité de Chef ne dure pas : Zé est mal en point.
En deux enjambée rapide Chef est sur le jeune homme qu’il attrape par derrière à la mâchoire et à l’épaule et dont il brise les cervicales d’un puissant mouvement rotatif et opposé de chacun de ses avant-bras. Quand ça craque le corps n’a que le souffle d’un hoquet avant de mollir entre ses mains.
Chef est furieux car il s’est foutu du sang partout : veste, pantalons et chaussures sont maculés.
Il écarte rageusement le corps au plus loin sur le côté.
En retombant la tête du cadavre heurte l’angle de la table basse projetant tout ce qui se trouvait dessus dans un fracas de verre brisé.
Chef jure en s’essuyant les mains sur le tissu du canapé.
Dans le même mouvement il observe Zé dont le ventre est affreusement troué.
L’ex-flic n’en a plus pour longtemps, sa respiration est très faible.
Tant mieux car il n’est pas question d’aller chercher un médecin alors que les cadavres se baladent dans la pièce presque aussi nombreux qu’après les émeutes.
Mais qu’est-ce qui a bien pu lui prendre pour se f… dans une situation pareille ?
Quels besoins avait-il de faire ça ?
Et comment celui-ci a-t-il pu se faire éclater par… par…
Impossible de se rappeler de son nom à celui-là.
Chef sent bien que les vraies questions ne sont pas là, qu’il faut qu’il pense clair et agisse vite.
Il va à la cuisine, enlève sa veste et sa chemise qu’il pose sur une chaise après s’être assuré qu’elle n’est pas trop graisseuse et se rince les mains.
Le bruit du chauffe-eau qui se met en marche le fait sursauter, le système à vraiment l’air ancien.
Il ferme l’eau chaude et ouvre la froide pour se rafraîchir le visage.
Il retourne ensuite à l’entrée du salon où il se poste pour observer les dégâts tout en se malaxant les joues et les lèvres de la main gauche tandis que la droite suit le même genre de mouvement sur sa cuisse, inconsciemment.
Un signe de grande perplexité chez lui.
Il savait le coup foireux et n’aurait jamais du accepter de filer une jeune femme à Zé…
Il avait un mauvais feeling depuis le début mais n’avait jamais suspecté que cela arriverait à ce point…
Un gargouillement très faible sort de la gorge de l’ancien flic.
Chef décide d’en finir avec lui.
Ce n’est pas la peine de prolonger le supplice à l’excès.
Il s’agenouille à côté de Zé les mains prêtes à sévir mais avant d’avoir pu mettre son plan à exécution il se relève d’un bond dans l’espoir de sauver son genoux droit de la tâche. Il n’avait pas vu dans la pénombre que la moquette était gavée de sang.
Peine perdue !
Debout, le pantalon de plus en plus ensanglanté, un frisson de nerfs le traverse comme une évidence : il est en train de merder.
Il laisse des traces de partout, hésite, ne sait pas quoi faire.
Son sang froid est en train de disparaître.
Il sent qu’il frôle le court-circuit.
Pour essayer de faire le point il s’allume une cigarette mais cela n’arrive pas à le calmer.
Son cerveau tourne trop vite et en boucle, la seule chose qui lui vienne à l’esprit est qu’il faudrait que tout disparaisse d’un coup, comme par magie.
Il donne un coup de pied d’énervement dans les côtes de Zé.
Le gros corps réagit à peine.
Par contre, Chef, ça lui fait du bien, ça le décharge.
Il poursuit donc, de plus en plus fort, méthodique dans son mouvement.
Cela lui permet d’arrêter la machine qui tournait à vide, de se concentrer.
Il cherche et trouve les os qui cèdent un par un, puis il attaque le visage dont il enfonce les dents et le nez avant de réduire la mâchoire en une bouillie molle que les pommettes ne tardent pas à rejoindre.
Le crâne se brisera un peu plus tard dans un bruit qui figera son mouvement.
Après les quelques secondes d’apathie béate, presque écœurante sans être complètement désagréable, qui ont suivit le dernier craquement Chef revient à lui.
Zé n’est plus qu’un souvenir, son visage une grosse boule tuméfiée dont les traits ne sont plus que des caricatures de cauchemar.
Apparemment il ne respire plus.
Une bonne chose de faite.
Chef se rend dans la cuisine pour se rafraîchir le visage une seconde fois.
Lorsqu’il revient dans le salon son plan est au point.
Il traîne d’abord le corps du jeune homme dans la cuisine et le laisse contre le frigo, opération facile et rapide car il est léger.
Il s’attaque ensuite à Zé.
Le déplacer lui prend beaucoup plus de temps, de contorsions et de douleur dans les reins car il est obligé de le prendre à bras le corps pour le décoincer de sous le canapé.
Maintenant qu’il a une solution en vue il se fout bien de quelques tâches de plus : le teinturier il verra plus tard.
Arrivé dans la cuisine il allonge Zé au milieu de la pièce et part chercher la jeune femme, Mouna !.
La détacher lui prend un certain temps et pas mal de courage car c’est glissant et répugnant.
En plus il évite de regarder de trop près les différentes blessures qui lui ont été infligée ce qui ne simplifie pas la tache.
Il est obligé de sortir deux fois de la chambre pour contenir ses nausées.
Une fois que Mouna, ou ce qu’il en reste, a rejoint les deux autres dans la cuisine Chef place les morceaux de corps à livrer dans la glacière.
Une chose le trouble à cet instant : la caméra vidéo.
Non seulement ce con de flic a merdé sur tout la ligne mais en plus il s’est filmé.
Chef ne le croit pas !
Il fourre rageusement la cassette dans la poche de son pantalon pourtant à ce moment là de nouvelles possibilités lui traversent déjà l’esprit.
Après tout, en fonction ce qu’il y aura dessus il pourra peut-être se faire un peu de blé avec, surtout que Zé est mort.
Finalement, c’est peut-être une chance il n’y aura pas de copyrights…
En attendant il faut qu’il sorte d’ici.
Son plan est simple et il le met à exécution.
Premièrement il nettoie grossièrement ce qu’il peut du sang qu’il a sur ses fringues, histoire de ne pas saloper sa bagnole.
Deuxièmement, il se passe la glacière en bandoulière sur l’épaule et troisièmement il pose le téléphone dans la cuisine, bouche les conduits d’extraction d’air sous la fenêtre et l’évier, ouvre le gaz de la cuisinière et du chauffe-eau à fond, et ferme la porte de la cuisine.
Ensuite il regarde par le judas et comme le couloir est désert, il se dépêche vers les escaliers.
Dévalant les marches quatre à quatre il arrive dans le hall d’entrée sans avoir, pour sa plus grande satisfaction, rencontré personne.
Chef déverrouille les portes, les phares clignotent un instant lui annonçant le succès de l’opération, et il sprinte jusqu’à elles.
Une fois qu’il se retrouve assis à la place du chauffeur, la glacière sur le siège passager, le moteur en marche, même s’il dégouline de sueur, cela n’a pas grande importance.
Ce qui compte c’est qu’il soit sorti de cet appartement et que tout finisse par s’arranger.
Il faut qu’il rentre chez lui, qu’il se douche rapidement, change de fringues, fasse disparaître celles-ci et qu’il livre.
Il aura probablement un peu de retard mais c’est sans gravité.
Après il lui faudra patienter deux heures puis il passera le coup de fil salvateur.
BOUM !
En attendant il n’a qu’à croiser les doigts et comme rester une seconde de plus dans ce parking ne changera rien à la chance, au contraire, il démarre d’un bond.
Chef bande dur sous la toile légère de son pantalon de lin blanc.
Décidément, cette Loubna est une bombe.
Elle le rend fou à se coller comme ça contre lui.
C’est la troisième danse qu’ils enchaînent et il sent que la soirée va être chaude et longue, très longue.
Il s’en f… car il a le temps.
Les problèmes de sa matinée ne sont plus que des souvenirs lointains qu’il peut oublier dans la pénombre chaude.
Il a livré dans les délais et a touché une superbe rétribution.
De plus, il a hérité d’une K7 ultra gore, quoique peu dans ses goûts, il ne l’a regardé que pour être sûr qu’elle ne contenait rien de compromettant pour lui…, dont il va tirer le maximum en la diffusant en série limitée.
Pour ce qui est des preuves du meurtre de Mouna elles seront impossibles à dénicher car l’appartement et tout ce qu’il y avait dedans a été désintégré ainsi qu’un bon tiers de l’immeuble.
Un magnifique feu d’artifice qu’il a observé de loin, garé au bord du lac, en contrebas de la colline où est construit l’édifice.
Du travail de professionnel, même le sergent instructeur américain Joe Welsch de l’équipe de démolition n’aurait pas fait mieux.
Bien sûr, le coup du téléphone n’avait pas déclenché l’explosion et il avait failli céder à la panique lorsque après dix sonneries rien n’avait sauté.
La montée de suée et les palpitations cardiaques passées il avait réussi à retrouver son sang froid et était retourné à l’appartement pour tenter autre chose.
Le diable devait être avec lui car il avait croisé sur son chemin un jeune gamin à qui il avait ordonné d’aller chercher un paquet chez Zé.
Une tache que le môme s’était empressé d’effectuer en échange d’une cigarette.
Cigarette que Chef avait tenu à allumer lui même lorsque le petit était sorti de la voiture.
Il avait pris des risques en envoyant le gamin là bas mais cela avait payé : BOUM !
Lorsque les pompiers étaient arrivés ils n’avaient pu que constater les dégâts, trois étages par terre, ça faisait pas mal de poussière et de gravats.
Du coup personne n’irait regarder de trop près l’état des corps, surtout qu’il y en avait une pas mal et qu’il n’y avait aucune raison pour qu’on s’acharne particulièrement sur ceux qui concernaient son affaire.
Bref, la soirée s’annonce bien et Chef l’apprécie d’autant mieux que Loubna vient de se laisser embrasser dans le cou.
Il la serre encore un peu plus au corps, leurs joues se frôlent et leur respirations se cherchent.
Ils trouvent leur sourires.
Autour d’eux d’autres corps dansent, pleins de couleurs et de vie, de plaisir.
Psaume 54,
Sous le coup de la persécution et de la trahison.
Au maître chantre. Avec instruments à cordes. Hymne de David. (Hébr. 55)
Prêtez, ô mon Dieu, l’oreille à ma prière,
Ne vous dérobez pas à ma supplication ;
Ecoutez-moi et répondez-moi.
Dans ma douleur, j’erre ça et là ;
Je me trouble à la voix de l’ennemi,
Sous les cris du pécheur.
Ils veulent me mettre à mal,
Ils me persécutent avec fureur.
Mon cœur tremble au dedans de moi,
Une épouvante mortelle m’envahit,
L’effroi et la terreur s’emparent de moi,
Le frisson d’horreur me gagne.
Que n’ai-je, me suis-je écrié, des ailes de colombe ?
Je m’envolerais vers un lieu de repos ;
Je m’en irais bien loin gîter au désert.
Je me hâterais de chercher un abri
Contre l’ouragan et contre la tempête.
Anéantissez-les, Seigneur, confondez leur langage,
Car je ne vois dans la ville que violence et discorde.
Jour et nuit ils font la ronde sur les remparts ;
A l’intérieur il n’y a qu’injustice et vexation.
Partout il y a des embûches, l’iniquité
Et la fourberie ne quitte pas ses places.
Si l’outrage émanait d’un ennemi,
Je le supporterais ;
Si l’agression venait d’un adversaire,
Je pourrais m’en garer.
Mais c’est toi, mon compagnon,
Mon intime, mon confident,
Avec qui je goûtais de doux entretiens,
Avec qui je me rendais, dans la foule, à la maison de Dieu.
Que la mort fonde sur eux ;
Qu’ils descendent vivants au séjour des morts,
Parce que chez eux, dans leurs maisons, il n’y a que méchanceté.
Mais moi, je crierai vers Dieu,
Et le Seigneur me délivrera.
Soir et matin je me plains, à midi je gémis ;
Et il entendra ma voix.
Dans la paix il délivrera mon âme de ceux qui me harcèlent,
Car ils sont nombreux, mes ennemis.
Le Seigneur m’entendra ; celui qui règne éternellement les humiliera,
Car ils ne s’amendent pas et n’ont pas la crainte de Dieu.
Ils lèvent chacun la main contre leurs amis,
Ils violent toutes leurs alliances.
Plus flatteur que la crème est leur visage,
Mais leur cœur est plein d’hostilité ;
Plus onctueux que l’huile sont leurs propos,
Mais ce sont des glaives acérés.
Décharge-toi de ton soucis sur le Seigneur,
Car il sera ton soutien,
Il ne laissera pas le juste chanceler pour toujours.
Et vous, ô mon Dieu, vous les précipiterez
Au fond de la fosse de perdition.
Les hommes de sang et de fraude n’atteindront pas la moitié de leurs jours !
Pour moi, c’est en vous, Seigneur, que je mets mon espoir.
La dignité humaine bafouée : Torture et obligation de rendre des comptes dans la “guerre contre le terrorisme“…
De plus en plus de preuves montrent que les personnes détenues par des agents américains en Irak, en Afghanistan, à Guantánamo Bay et dans d’autres lieux tenus secrets, dans le cadre de la “guerre contre le terrorisme“, ont été soumises à des tortures et des mauvais traitements.
Agée de 22 ans, accusée de mauvais traitements de prisonniers, manquement au devoir et gestes obscènes, selon les termes d’un communiqué militaire, Lynndie England qui ne risquait que jusqu’à 16 ans et demi de prison a finalement décidé de plaider coupable et, en conséquence, la peine demandée contre elle pourrait n’a pas dépassé trente mois.
Un an après la révélation du scandale, elle a été la seconde personne à passer en cour martiale aux Etats-Unis pour le scandale d’Abou Ghraib.
Le père de son enfant, né en octobre, le caporal Charles Graner, considéré comme le principal responsable des sévices, a été condamné à Fort Hood à 10 ans de prison.
Cinq autres soldats ont comparu devant des tribunaux militaires où ils ont été condamnés à des peines allant de la radiation de l’armée à huit ans et demi de prison, après avoir plaidé coupables.
Lynndie England, une réserviste de l’armée de terre qui servait dans une unité de police militaire (MP) à Abou Ghraib, près de Bagdad, avait fin avril 2004 fait la une des médias du monde entier en posant dans une série de photos illustrant les mauvais traitements, souvent de nature sexuelle et sado-masochistes, infligés à des détenus et détenues irakiens de la prison.
Tout comme pour Graner, les avocats de Lynndie England ont indiqué qu’elle ne faisait qu’obéir aux ordres de ses supérieurs et du renseignement militaire.
Dans une interview à une chaîne de télévision locale l’année dernière, England a affirmé qu’à Abou Ghraib, on exigeait “de faire ce qu’il fallait“.
“J’imagine que c’est toujours ce qui arrive en temps de guerre“, a-t-elle ajouté.
Lors d’une audience préliminaire en août 2004 à Fort Bragg (Caroline du Nord, sud-est), de nombreux témoins avaient déclaré que la jeune femme s’adonnait aux sévices sexuels sado-masochistes sans manifester beaucoup de remords.
Selon Jeremy Sevits, un autre MP, England et les autres gardiens “enchaînaient les détenus hommes et femmes, les masturbaient, les pénétraient avec des accessoires“, faisant des commentaires obscènes et photographiaient leurs humiliations sexuelles.
Après la publication de ces photos, les accusations se sont multipliées aux Etats-Unis et à l’étranger pour dénoncer un système carcéral employant abondamment la torture dans le cadre de la lutte menée par les forces américaines contre “le terrorisme global“, et couvert au plus haut niveau par le Pentagone.
Jusqu’ici, le plus haut gradé condamné pour mauvais traitements est le sergent Ivan Frederick.
Il devait passer huit ans en prison après avoir plaidé coupable, mais n’a fait que quelques mois !!!
Le commandant des forces américaines en Irak au moment du scandale, le général Ricardo Sanchez, a été innocenté à l’issue d’une enquête militaire.
Le sénateur démocrate Edward Kennedy s’est plaint devant le Sénat que les enquêtes se soient soldées par la condamnation de simples soldats et non d’officiers.
L’American civil liberties Union (ACLU), principale organisation américaine de défense des droits civiques et Human Rights Watch (HRW) ont toutes deux indiqué que la responsabilité des abus, en Irak, en Afghanistan et ailleurs, reposait sur les plus hauts échelons de l’armée américaine.
L’ACLU a diffusé des milliers de pages de documents militaires internes obtenus via la Loi sur la liberté de l’information.
“Le gouvernement ne peut ignorer la nature systématique de la torture impliquant la chaîne de commandement jusqu’au plus haut niveau“, a déclaré le directeur de l’ACLU, Anthony Romero.
Selon les informations recueillies par Amnesty International, la police irakienne, sous la supervision des forces armées américaines, a eu recours de façon régulière, voire systématique, à la torture dans les postes de police et au sein du ministère de l’Intérieur, à Bagdad.
Les autorités irakiennes n’ont pas, elles non plus, empêché les actes de torture.
Selon une source officielle, les détenus et détenues, en majorité des sunnites, avaient été découverts par des soldats américains lors d’une descente dimanche soir dans un bâtiment du ministère de l’Intérieur à Bagdad : “Ils étaient détenus sans décision de justice et servaient à des trafics d’organes, non pour des greffes médicales, mais pour des repas lors de séances orgiaques sado-masochistes… et l’armée américaine a transféré les survivants et survivantes dans un autre lieu de détention à Jadriyah, dans le sud de Bagdad“, a déclaré cette source sous le couvert de l’anonymat.
“Tous les responsables de ce centre ont été arrêtés par les soldats américains“, a-t-elle ajouté.
La Force multinationale (FMN) et l’ambassade des Etats-Unis en Irak ont affirmé que les mauvais traitements de prisonniers n’étaient pas tolérés et qu’ils allaient apporter leur assistance à l’enquête.
“Ensemble, avec les autorités irakiennes, nous nous sommes engagés pour faire en sorte que les mauvais traitements des détenus ne soient pas tolérés“, a indiqué un communiqué de l’ambassade et de la FMN.
La mission de l’Onu en Irak s’est faite l’écho récemment de nombreuses plaintes sur la détention, sans ordre de justice, de suspects par les services de sécurité irakiens, dominés par les chiites.
En février 2005, trois membres de l’Organisation Badr, groupe politique armé chiite, sont morts alors qu’ils étaient détenus par les forces irakiennes.
Leur corps portait des marques de passages à tabac, de décharges électriques et de sévices sexuels.
Cet événement, qui a suscité l’indignation et la colère de la population et des dirigeants politiques chiites, a contraint le gouvernement irakien à reconnaître l’usage de la torture et à ordonner l’ouverture d’une enquête sur les circonstances de la mort de ces trois hommes.
Dans une autre affaire, la chaîne de télévision nationale Al Iraqiya a diffusé les aveux de terroristes présumés.
Amnesty International est particulièrement préoccupée par ce type d’aveux, car les détenus sont systématiquement maintenus au secret et torturés.
Les personnes qui ont vu les images télévisées ont indiqué que les détenus présentaient des traces de torture, y compris des ecchymoses et des tuméfactions au visage.
Plus tard, des experts ont constaté qu’hommes et femmes avaient été abusés sexuellement dans des séances de tortures mélées d’orgies sexuelles, ou au moins deux hommes et trois femmes ont subi des mutilations graves, ablation du pénis, émasculation, arrachement du clitoris et sodomies diverses.
Pratiquement aucun représentant de l’État irakien n’a fait l’objet de poursuites pour violences graves envers des détenus.