Cher Popu,
Un entre-saison (l’été est loin, l’hiver approche) sur les réseaux sociaux Franchouillards, c’est un peu comme la sextape que ta sœur a tourné avec ton meilleur pote : c’est très irritant et pénible à regarder, mais il y a un petit goût de “vas-y quand même”, un magnétisme insoupçonné.
Du coup, par un beau matin d’automne, armé de ma culture générale, d’un paquet de Chips “Barbecue” et d’un rouleau de Sopalin, poussé par la bétise inhumaine qui est le réservoir sans fond du consumérisme sous toutes ses formes…, je me suis re-décidé à arpenter mon fil d’actu pour déceler la tension sociale franchouillarde que nous offrent si souvent les spadassins de la morale, les sommités du bon goût tricolore.
Ma confrontation avec le fond de la croûte de l’humanité virtuelle (tous les individus dotés d’un Q.I. inférieur à celui d’un transat’), me fait, en effet, sans cesse, découvrir un univers plus bête que mes chaussettes…
J’ai longuement étudié le comment du pourquoi de cette Franchouille… et j’en suis arrivé à la conclusion hative que ce qui se passe sur le “Oueb” depuis quelques années, une dérive, c’est, à l’origine, de la faute à Guy Lux, Drucker, Lagaf et surtout Bézu.
Dans l’émission La Classe présentée par Fabrice, celui qui constitue certainement le dernier troubadour français… distillait avec sa Queuleuleu, de la joie dans le cœur des pauvres.
Devant la télé cathodique pesant un âne mort, la Franchouille profonde regardait ce type à béret et à nœud papillon tricolore chanter les mérites du blanc, du rouge et du saucisson…
En dehors du champ télévisuel, ses chansons étaient même à l’époque une composante essentielle de toutes les communions auxquelles les parents traînaient de force leur marmaille qui allaient devenir les Internautes franchouillards…, VOUS… et toi mon Popu…
Bézu, c’était la menace d’un tonton lourdingue qui, la cravate nouée autour de la tête, forçait les familles à entamer une Danse des Canards au milieu des nappes en papier rougies par le bordeaux.
Cette ambiance franchouillarde glauque de fête de famille du Nord de la France, c’est elle ET à lui, Bézu, que nous devons la grande déglingue générale, du moins en grande partie.
Il m’est apparu que son aura dépassait de loin les limites des fêtes de famille foireuses…, sous sa casquette de chanteur et humoriste, Bézu cristallisait cette France moribonde, adorée par les plus chauvins de nos compatriotes, cet âge d’or perdu où écouter Moi Vouloir du Coucous était symbole de vivre-ensemble.
Maintenant, fredonner Moi Vouloir du Coucous serait prétexte à enfermement pour “glorification du terrorisme”…, on pourrait donc en déduire que c’est de là que le commencement de la fin (pas de la faim dans le monde qui existait déjà) est apparu…
Bézu incarnait la vulgarité banale des beaufs semi-cambroussards pour qui les blagues de cul poussives sont une religion…, en étudiant ses textes, il m’est vite apparu que la bouffe, le vin rouge et le cul constituaient le cœur de sa réflexion…, tout son talent se situait précisément dans sa capacité à faire danser des familles entières, grands-parents et petits-enfants compris, sur des chansons racontant comment la bonne ménagère Marie se cale des aubergines pas chères dans “la schneck” quand elle va faire son marché…
– La Marie est bonne ménagère… Quand elle va faire son marché… L’aubergine n’est jamais chère…Pour en faire un godemiché…
Comment vos parents, mes p’tits Popus…, oncles et tantes ont-ils pu inonder année après année vos fêtes de famille de relents musicaux aussi foireux qu’une tournante en Auvergne, mal filmée en 4:3 au milieu des sauciflards ?
Ceci va à l’encontre de tous les principes d’éducation élémentaire…, mais Bézu fait à l’évidence exception à la décence.
En me penchant sur son cas, je réalise qu’il n’était pas un simple fanfaron qui clamait innocemment son amour du terroir sur France 3…, il était aussi et surtout un chanteur à gros beaufs qui abordait avec des gros sabots dégueulasses des sujets sensibles comme celui de la libido dévorante des ménagères de moins de cinquante ans.
Ainsi, son tube La Bite du Plombier était là pour vous rappeler que l’on peut parler adultère et sodomie sans pression excessive (sic !), au sein même du cercle familial…, car les plombiers ont des grosses teubs et n’ont qu’un objectif : baiser les femmes des braves Franchouillards qui travaillent dur pour nourrir leur famille.
– Elle en a pris plein le cul… Elle en a pris plein le cul… Quand elle a vu la bite du plombier… Elle a hurlé de joie, elle a craqué…
Je suis donc resté aveugle durant toutes ces années…, moi qui pensais que Bézu était un mec marrant, certainement gentil et plein de bonnes intentions, je réalise maintenant, avec le recul des années qui passent, qu’il incarnait une forme aboutie de beaufitude mongole.
Il évoque désormais dans mon esprit fiévreux l’image des familles obèses et braillardes qui prennent leur vulgarité pour du panache.
Je réalise aussi, à mon grand désarroi, que si j’avais grandi dans un cercle familial en osmose avec Bézu, mon enfance aurait été, du moins en partie, empreinte de cette beaufitude que j’exècre aujourd’hui…
C’est sans doute la raison pour laquelle les beaufs me haïssent de ne pas être comme eux !
Il semble de nos jours que mis à part Patrick Sébastien qui, il y a quelques mois, prônait fièrement la pipe du soir en tant que principe d’hygiène de vie à deux…, les troubadours français tendent à disparaître.
Qui apprend encore l’accordéon, si ce n’est quelques faux clochards à veston ?
Qui va encore aux communions ?
Et si d’aventure ce “Qui ?” kiki qui ne se dévoilera pas… se retrouve à un mariage (le sien y compris, il faut être marié pour divorcer), il constatera qu’il existe encore des gros sacs de fans des Musclés qui se trémoussent en clan sur la Merguez Party… des bastions d’irréductibles gaulois chers à Manolo le-Valseur, notre prochain ex-premier ministre…, pour qui la fête, c’est avant tout des godes aubergine et des plombiers libidineux…
Il est décédé un jeudi de février 2007… et il y eut foule à l’église Saint Médard, paroisse d’André Bézu, figure de la rue Mouffetard, pour rendre un dernier hommage à l’interprète de La queue leu-leu et des Nibards de la mère Françoise. Bézu était bien sur là, dans sa boîte en pin vernis avec poignées dorées et ça faisait tout bizarre car cet homme était la plaisanterie même.
Bézu vivant avait été découvert par je ne sais qui, mais Bezu mort a été découvert par son ami Jean-Claude qui, s’inquiétant de ne pas le voir, l’a trouvé mort dans son sommeil. Bézu était froid depuis 72 heures. «Mon frère était seul mais pas solitaire. Il a vécu intensément a souligné, l’aîné des Bézu. Il est mort fauché. Repose en paix petit frère», a-t-il conclu et l’assistance a reniflé car son chagrin était grand.
Bézu était de Tourcoing et aussi de la rue Mouffetard. Du Nord il avait gardé le sens de l’amitié et des harmonies municipales et du Ve arrondissement, un certain goût pour le folklore. Une de ses connaissances se souvient qu’il rentrait au «Piano Vache», un bistrot du quartier, et demandait que l’on fasse silence car il allait interpréter Volga de Francis Lopez. La clientèle disait «Non pitié, pas Volga ! » et André Bézu invariablement finissait le couplet dehors, sorti par le fond du pantalon par le patron écarlate. Ses potes ont rappelé quel ami merveilleux il était.
Parmi ses proches on trouvait Phil des Charlots qui a fait une lecture de l’épître. Le père Boudet, curé de la paroisse a dit des mots simples et justes : «Puisse notre frère découvrir l’amour infini de Dieu et à quel point il est aimé de Lui.»… Le curé a souligné qu’André Bézu possédait «le sens de la fête» mais qu’il était un homme qui, malgré une vie, disons agitée, avait gardé au fond de son cœur les principes de la foi dans laquelle il avait été élevé. André ne possédait rien, sauf « le missel de son enfance ». Missel remis à Hervé Villard qui en fut bouleversé.
Le chanteur, effondré, avait pris place parmi la famille du défunt. Une grande amitié liait les deux hommes. Les dernières années de la vie de Bézu n’étaient pas drôles mais Hervé Villlard, selon un témoin, s’est toujours montré un ami fidèle et généreux.
Il fut bien entendu question des débuts d’André dans le métier du spectacle. «Tu avais commencé ta carrière comme attaché de presse de La Cage aux Folles aux côtés de Jean Poiret et Michel Serrault », a tenu a souligner l’un de ses proches.
Bézu, n’a jamais été l’homme des artifices mais l’homme d’une coiffe : le béret. André était l’homme du clair-obscur. Pas vraiment un gars du matin. Son bureau de travail c’était plutôt les cantines du quartier. Si bien qu’André a toujours fait l’économie des pantoufles vu qu’il était toujours fourré dehors : C’est sûr qu’il n’était pas parti pour finir centenaire !. Son personnage fragile et gai lui allait comme un gant. «C’était un homme d’esprit, un noctambule, ce qui ne facilitait pas le contact avec sa famille», a raconté l’aîné des Bézu .
Forcément car quand Tourcoing s’éveillait la Mouff’ partait se coucher. «Mais André avait sa famille de la rue Mouffetard. Sa famille du spectacle, sa famille d’adoption ! », a souligné le frère. On ne peut pas dire qu’elle se soit déplacée en masse, la famille du spectacle. C’est comme si elle avait rétréci au lavage. Jean Tibéri, un grand comique lui-aussi… accompagné de Xavière, était au premier rang de l’église. Le maire du Ve a été très bien. Il est naturellement revenu sur la carrière d’André Bézu en rappelant qu’il était passé de la rive droite à la rive gauche et que l’homme avait su faire son trou dans le monde du spectacle : «Nous avons perdu un ami fidèle et dévoué. L’argent ne l’a jamais préoccupé. C’était son quartier et il ne sera plus jamais le même. Il était un grand acteur et un grand chanteur. Adieu l’artiste ! », a dit Jean Tiberi assez secoué.
Bézu n’est plus depuis longtemps…. Il aimait les farces énormes. Un soir de gala dans son Nord natal, trois campings-car identiques sont garés sur le parking de la salle des fêtes. La soirée s’éternise. Tout à fait rond André s’endort dans celui d’un couple de Hollandais. Ces derniers décampent à l’aube et roulent vers leur maison dans le nord des Pays-Bas. Pendant ce temps-là son ami Jean-Claude, croyant l’artiste naturellement couché à l’arrière, roule dans la direction opposée pour le gala que Bézu devait donner le soir même. Les Hollandais ne se sont jamais expliqués ce que faisait ce petit homme à béret, sentant fort de la bouche, hurlant qu’on l’avait kidnappé… C’était André Bézu, l’homme qui tirait des effets étonnants d’une chanson bête comme choux. Il avait 63 ans, lorsqu’il est parti à tout jamais et la rue Mouffetard le pleure.
@ pluche…