Bienvenue à Analog Mars…
Juillet 2006. Le soleil se couche sur Hanksville, en Utah et ses 240 habitants. Tout autour, désert et désolation à perte de vue. Il y a 65 millions d’années, ce que les habitants du coin appellent Oasis Valley, était une mer grouillante de vie ; aujourd’hui, c’est un désert rouge, jonché de blocs rocheux, parcouru de canyons et parsemé de crêtes, de pics et de plateaux étrangement sculptés par le vent. Après plusieurs kilomètres à rouler et à me demander où je vais aboutir, j’aperçois enfin ce que je cherche : une espèce de boîte de conserve de 8 m de haut reposant sur un train d’alunissage. Derrière, planté sur un monticule pélitique, un drapeau rouge, vert et bleu flotte dans la brise. Bienvenue à Analog Mars.
En 1969, un groupe de travail mis sur pied par le président Nixon affirmait que les Américains se poseraient sur Mars avant 1985. Très vite, pourtant, des changements d’orientation politique ont fait avorter le programme, pour 20 ans. Dans un discours devant la Chambre des représentants, le président Bush a annoncé son intention de donner un sérieux coup de fouet au programme d’exploration spatiale ; après un retour aux vols habités sur la Lune, l’étape suivante devait être de fouler le sol martien d’ici une génération, selon lui… Rien n’a été réalisé !
Quelques irréductibles non-conformistes (ou visionnaires, ou fumistes, c’est selon) n’ont jamais cessé d’y croire. Environ 5.000 d’entre eux (scientifiques, ingénieurs, auteurs de SF, gros bonnets de la NASA) se sont regroupés au sein de la “Mars Society”, une association internationale à but non lucratif consacrée à l’exploration de la planète rouge. Fondée en 1998, celle-ci a construit sur Terre des laboratoires vivants, là où les caractéristiques géologiques ressemblaient à celles de Mars : «Que ce soit grâce au gouvernement ou au secteur privé, on ira sur Mars. C’est inévitable. Les humains sont des explorateurs. C’est dans notre code génétique», affirmait alors le chimiste “inorganicien” Tony Muscatello, membre fondateur de la “Mars Society” et maître de recherches à “Pioneer Astronautics”, une firme de recherche et développement.
Deux des bases de la société ont été mises sur pied : la “Flashline Mars Arctic Research Station” (FMARS) inaugurée en juillet 2000 sur l’île Devon, dans l’Arctique canadien, et la “Mars Desert Research Station” (MDRS), ouverte 17 mois plus tard dans le désert de l’Utah. Dirigée par Tony Muscatello, la MDRS était la seule à recevoir des bénévoles, d’où ma présence là-bas… Presque tous les équipages de la MDRS devaient comporter des femmes dans leurs rangs. Selon la commandante, Shannon Rupert, professeure de biologie au Miramar College de San Diego et écologiste, ce n’était pas rien et ce n’est toujours pas rien : «Il y a très peu de femmes dans le domaine de l’exploration spatiale. La NASA nous surveille »… J’avais alors rétorqué que dans le film “Mars Needs Women”, un navet de 1966, on avait besoin de femmes pour faire des bébés… Et ce que j’ai vu y correspondait depuis que ce “machin” avait été créé !
La “Mission Martienne” des femmes était et est toujours de passer l’aspirateur dans le carré de l’équipage, le garde-manger et les chambres à coucher de 3,7 m 2 chacune puis de nettoyer le labo de chantier, la salle de bain, la zone de préparation des activités extravéhiculaires (EVA) et les SAS, Et ce n’était et n’est toujours que le début… La suite de la “Mission Martienne” étant des activités sexuelles de tous types…
Lors de ma visite, les simulateurs de combinaisons spatiales, inspirés des missions Apollo, étaient déchirés, deux des quatre tout-terrains étaient hors d’usage. Les toilettes se bouchaient 4 fois par 24 heures, ce qui faisait déborder le réservoir “de vie” dont les matières sont réutilisées comme engrais, et le “GreenHab”, (la petite serre cylindrique dont les bacs de plantes hydroponiques sont censés recycler les eaux usées), est irrémédiablement “kapout”.
« Les choses se brisent souvent ici », m’a admis Mme Rupert. “Pas qu’ici” ai-je rétorqué “dois-je vous rappeler que la station orbitale Mir est un véritable monument au ruban adhésif” ? … S’il y a une réalité qui se moque des frontières, nationales ou planétaires, c’est bien celle-ci : là où l’homme passe, quelque chose casse. D’ailleurs, ce soir-là, au cours d’un repas aux chandelles (macaroni et boulettes de viande), tout le monde est tombé d’accord : «Le facteur humain est un élément crucial dans ce type d’aventure» .
« La patience et l’aptitude à vivre en groupe sont déterminantes », a précisée Miss Amber Church, membre du conseil de la Société et récente diplômée en sciences de la terre et de la mer et en science de l’environnement : «Les gens ne parlent jamais de l’aspect scientifique des expéditions polaires de Shackleton, mais de ce qu’il a fait pour garder son équipage en vie»…
L’harmonie est une chose, la survie en est une autre. Et convaincre les gens que l’homme peut survivre sur Mars, et même s’y établir un jour, est l’un des plus gros défis de la “Mars Society”. «C’est là que la MDRS entre en jeu», selon Tony Muscatello. «La base rend cette possibilité tangible, et permet aux gens de se faire à cette idée. C’est particulièrement vrai lors des simulations sérieuses ; la nôtre doit commencer le lendemain midi»…
À partir de ce moment, plus question de sortir sans combinaison spatiale. Avant de sortir de la base ou d’y entrer, il faut passer cinq minutes dans le SAS pour simuler la pressurisation ou la dépressurisation. Durant une vraie mission sur Mars, la conservation de l’eau serait cruciale ; ici aussi, la consommation est restreinte : «Au début, on trouvait ça idiot», avoue Mme Rupert, qui a passé 107 jours à “Analog Mars”, un record : «Après une semaine ou deux, ça change : Mars devient notre univers»… J’ai alors et ensuite pu participer à ma première EVA… Avec l’aide d’une de mes coéquipières, j’ajuste ma combinaison spatiale à ma taille à l’aide de ruban adhésif (gag !), je fixe mon casque à son collier et j’attache mon appareil respiratoire également avec du ruban adhésif (re)gag !). Puis, j’arrive à monter à bord de la Pathfinder verte de Mme Rupert (un tout-terrain pressurisé/air-conditionné, pour les intimes) et me voilà en route pour le “Martian Squeeze”, une butte rougeâtre où l’on doit recueillir des échantillons pour étudier le degré d’humidité du sol ! «Imaginez qu’il y ait ou qu’il y ait eu de la vie sur Mars», me raconte Mme Rupert pendant le trajet, «et que ce soit une forme de vie complètement différente. Ça remettrait le créationnisme en question. Il faudrait repenser toutes nos croyances spirituelles ou religieuses» ! La routine a vite fait de s’installer : rapports matinaux ; ménage pour les femmes et entretien pour les hommes ; EVA ; travail de labo et comptes rendus quotidiens au soutien de mission.
Bien sûr, certains lèveront le nez sur ce qui se fait vraiment ici, mais, comme le souligne Tony Muscatello : «Les pionniers ont toujours fait rire d’eux ; au début, par exemple, la machine à vapeur avait été baptisée la “Folie de Fulton” »…
Toute bonne chose a une fin. Vint le moment de mon dernier repas avec l’équipage, aussi la commandante a-t-elle fait cuire du corned-beef : «Impossible de savoir si l’un ou l’une de nous ira un jour sur Mars», admet-elle. Mais elle est sûre d’une chose : «Ce que nous faisons ici contribuera un jour à amener l’être humain sur une autre planète et à le transformer en citoyen de l’espace»…
Je regarde les autres et je ne peux qu’approuver. Après tout, pourquoi pas ? Ou, comme le veut la formule que les membres de la “Mars Society” utilisent en guise d’au revoir, : «Ad astra – Aux astres»…