Bienvenue à Paris : fin du monde…
Un train arrive en gare de l’Est.
À peine est-il arrêté que ses portes libèrent un flot continu de voyageurs qui s’empressent de marcher jusqu’à l’accès du métropolitain le plus proche, au son des annonces de gare qui couvrent les éclats de voix et les sonneries de téléphone qui s’entrecroisent.
Pour celui qui ne prendra pas le métro, ayant quelques affaires à régler à proximité de la vénérable station ferroviaire, il faudra croiser la silhouette recroquevillée d’un mendiant qui, dans un fauteuil roulant calé près des portes, demande l’aumône tout en fouillant dans les sacs plastiques maladroitement accrochés aux poignées de son siège. Ce sera, probablement, la première personne qui lui adressera la parole à Paris.
Quelques mètres plus loin, avant même d’avoir quitté le parvis, le voyageur imprudent se fera aborder par deux jeunes roms qui serrent entre leurs doigts une pétition dont les doigts cachent une partie de la feuille réservée aux dons. La pétition est fausse, mais la manœuvre bien vraie au point que les deux jeunes filles ne cherchent dans la foule que les touristes étrangers, sachant bien que la plupart des locaux connaissent bien le truc. Les plus habitués les reconnaîtront comme membres de la petite bande qui attend patiemment la sortie de l’Eurostar à la Gare du Nord, dans le but de prendre quelques Anglais naïfs dans leurs filets ; mais les temps sont durs, et la Gare de l’Est propose aussi son lot d’Allemands qui ignorent peut-être encore la filouterie.
Le voyageur peut poursuivre son chemin, et croiser moins de dix mètres plus loin un sans domicile fixe, assis à côté de distributeurs, qui suit des yeux le manège des deux femmes, et ne les lève que, lui aussi, pour demander un peu d’argent aux passants entre deux reniflements inquiétants. Moins de trente mètres plus loin, on peut entendre un enfant s’exclamer “Papa, tu as vu le petit chien ?”
Car il y a bien un petit chien au coin de la rue, enfoncé dans un vieux pull qui lui sert de panier. Mais il y a surtout son maître, les yeux perdus dans le vague, et dont le manteau taché n’est pas sans rappeler la litière de son compagnon. Assis sur un vieux bout de rembourrage de banquette de voiture, il pointe du doigt un petit gobelet de café vide au fond duquel une poignée de pièces jaunes appellent à plus de compagnie.
Pour qui traversera le passage piéton farouchement gardé par le triste Cerbère, il y a de l’autre côté de la rue un jeune homme aux cheveux sales et au bomber troué qui guette les passants qui rentrent dans la chaîne de restauration devant laquelle il tient le pavé. Sitôt qu’une main pousse la porte, il s’écrie « Monsieur ! Madame ! S’il-vous-plaît ! » et poursuit de ses interjections sa cible jusqu’à l’intérieur du restaurant, pour mieux lui demander si elle compte payer en espèces. Auquel cas, serait-il possible de lui en donner quelques-unes ? Les caissières ne réagissent même plus à la présence de ce gardien de fortune qui ne laisse personne entrer sans d’abord lui demander sa taxe de générosité.
Pour le voyageur qui voudra revenir sur ses pas après un bref en-cas pour reprendre le métro, et qui voudrait changer de trottoir pour tenter d’éviter les bancs de misère qu’il vient de traverser, c’est un échec : il peut croiser un sans-abri qui ronfle sous une pile de blousons dans une odeur douteuse, ainsi, qu’un peu avant la bouche de métro du coin de l’avenue, un homme assis par terre qui lève des yeux plein d’espoir vers les passants, que ceux-ci éteignent aussitôt en l’ignorant.
Au bas des marches du métropolitain, c’est un vieux Monsieur au teint hâlé coiffé d’un bonnet prônant la révolution qui accueille les gens d’un « Bonjour ! » éraillé qui accompagne une main tendue. Le voyageur le dépassera pour gagner son métro, où, à la première station, montera un violoniste. Celui-ci se lance dans sa prestation, et n’obtient comme réactions, au mieux qu’une courtoise ignorance, mais le plus souvent, des regards qui fuient le sien. Il s’arrête, déclame une longue tirade sur l’accident de la vie qui l’a mené là, puis sans succès, reprend son œuvre dans l’espoir que quelqu’un change d’avis et s’adonne enfin à la charité tant attendue. Lorsqu’il s’arrête à nouveau, il tire un cornet de frites vide de sa poche, et s’en sert comme réceptacle lorsqu’il vient démarcher tour à tour chaque voyageur, s’essayant à un trait d’humour pour chacun. Mais, pataud, il en effraie plus qu’il n’en séduit.
C’est le moment de changer de ligne.
Au moment de descendre, le voyageur peut croiser un second violoniste souterrain accompagné cette fois-ci d’un accordéoniste qui grimpe, malheureux hasard, dans la voiture où le premier musicien continue de quémander. Trop de journaliers à travailler le même champ de misère, et l’embrouille démarre avec le métro lorsque les portes se ferment.
Sur les marches qui mènent au nouveau quai, un vieil homme grignote un sandwich récupéré dans une poubelle, et lèche ses doigts sales avant de les essuyer sur son panneau “J’ai un enfant handicapé” . Un peu plus loin, un homme sous un plaid le regarde depuis sa chaise conçue pour l’empêcher de s’allonger, dans une odeur d’urine à peine tenable.
Voilà, bienvenue à Paris…
Ça, c’était soixante mètres à pied et quelques minutes de métro, entre la Gare de l’Est et la Gare de Lyon, le vendredi 14 octobre 2016, aux alentours de 11h30, à Paris. Rien n’est inventé, chacun des personnages de cette fascinante fable est authentique.
Comme ces derniers temps, Anne Hidalgo demandait “merdiatiquement” pourquoi l’attractivité de la capitale diminuait, je me suis dit que cette petite plongée dans la réalité pouvait lui donner un indice, alors qu’elle voudrait de rendre piétonnières les berges de Seine, et créer un camp nudiste, sans nul doute pour “ceux qui n’ont plus rien à se mettre”…
Ecrit par “un odieux connard”…