Boui-boui & co…
Ça fait des heures que je suis planté là, dans ce boui-boui sans âme, à glander, boire, picorer…
Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que j’attends ? Pourquoi rien ne se passe ? Pourquoi j’hésite entre finir ce verre, sortir un Magnum et me flinguer fissa… ou partir en douce et monter dans la première chambre venue avec cette fille en rouge, pendant que ce zigue de Guy ira vider sa panse, après être resté des heures, impassible, devant le bar, sans rien dire… qui ne dit jamais rien.
Un soir, Guy est entré ici, il a dit une phrase, une seule, il est resté et on n’a plus vu que lui : Comme la vie est lente, comme l’espérance est violente…
C’était un putain de coup de frime…, n’empêche, au moment même, ça m’a fait froid dans le dos… et j’ai repris un mazout.
La vie est parfois lente…, les minutes coulent alors comme des heures.
Et Billie Holiday priait dans le gramophone.
Chaque fois, je me disais qu’elle allait nous apporter le malheur, chaque fois, je laissais aller, c’était comme du miel salé, Billie.
C’était du sang chaud, qui coulait dans la gorge : Hush now, don’t explain…
Les nanas mettent parfois la honte.
Intérieur nuit, extérieur nuit.
Bien, j’en reviens d’où ? Du début de ce texte…
Où suis-je ? Que sais-je ? Que fais-je ? Ou vais-je ? Dans quel état j’ère ?
Il n’y a plus rien…, plus rien qui ne bouge… et pourtant, au-dedans, on jurerait que ça tangue…, même s’il n’y a plus de tempête ailleurs que dans mon verre d’eau douce…, même si ça fait longtemps qu’il n’y a plus d’homme à la mer…, même Achab, ce capitaine fracassé, s’est foutu au lit…, il a fini par trouver sa pension : Moby Dick !
La fête est finie, le temps s’est arrêté, il n’y a plus que moi qui suis là à attendre…, à attendre qui ? à attendre quoi ?
Moi qui scrute le glauque, déguisé en tapis vert de casino.
Tu joues ta vie à la roulette, disait ma mère, tu finiras au caniveau.
Il est trop tard, ou alors il est trop tôt…, quelle heure est-il ?
J’entends plus, je n’entends plus que les mots d’amour et de mauvais whisky de ces deux maudits oiseaux de nuits noires : Guy et la nanana en rouge.
Un coup ça se bécote, un coup ça se fout sur la gueule…, un coup ça reste là, sans rien dire.
Non mais pour qui ça se prend !?!? Bogart et Bacall de mes deux !
Le cinéma, c’est fini, Hollywood est un cimetière, Brando, Monroe, Garbo…, c’est mort, imprimez ça dans les merdias aux ordres !!!
Liquidation totale, tout doit partir…, allez ouste !
Et moi aussi, faudrait que je me tire. Guy, quelle heure est-il ?
Alice Sapritch disait : Coucher avec un vieux, quelle horreur. Mais coucher avec un jeune, quel travail…
Je m’interroge sur la pertinence de cette affirmation concernant Guy, maintenant affalé sur le bar, avec une souplesse d’autant plus hypocrite qu’au fil des années, il est de plus en plus perçu comme le vieux d’un nombre croissant de partenaires potentielles qui lui sussurent en le branlant : On est toujours le vieux de Quelqu’un…
Je ne sais pas si cette phrase me visait indirectement…
J’ai moi-même été sidéré de constater la vitesse à laquelle il est passé du statut de jeune homme éventuellement reluqué par des pom-pom-girls, à celui de prétendu beau mec argenté (pas en rapport avec son compte en banque, mais avec l’argenté de ses cheveux)…, doutant fort de se faire reluquer par des nananas de moins de 33 ans.
Pour le consoler (Fugit irreparabile tempus), j’ai essayé de le persuader de la positivité de l’existence…, sans succès !
Ceci dit, il a une sacrée démoule chance : son pouvoir de séduction est à l’épreuve du feu.
Oui, il est une constante sur laquelle il peut toujours compter, malgré le temps qui passe : quel que soit son état de décrépitude quotidienne, combinant les yeux cernés, les choix vestimentaires ignobles et des cheveux évoquant une explosion nucléaire, il plait aux femmes.
Depuis toujours…, c’est une sorte de magie…
Mais attention, ne nous égarons pas dans du champ lexical de pacotille…, il y a des seniors, sexys, élégants, à l’opposé des vieux beaux, dont les yeux sentent le cul et à qui celles qui s’y connaissent en vieilles casseroles lanceraient sans hésiter leurs culottes (allant jusqu’à en mettre une exprès, c’est dire si elles sont motivées et débauchables).
Ce senior-là, il va se comporter de façon logique : soit il sera fidèle depuis 30 ans à son épouse, soit il ira chasser de la chair fraîche…, faut être lucide.
Je n’ai pas consulté récemment la date de péremption de mon ami Guy (elle doit être quelque part sur l’emballage), mais sans le considérer comme de la viande avariée, il y a comme une légère présomption de matériel recyclé…
Alors je profite de taper sur son dos tant qu’il n’est pas encore totalement périmé…
Mais voilà, entre le Viagra et le déambulateur Guy marivaude.
Et là, je ne parle pas de l’attrait bien naturel du papi nostalgique pour la jeunesse perdue, qui le pousse à reluquer la moindre possibilité de nichon ou de fesse passant à portée de son regard voilé par la cataracte.
Non, je parle de sa franche concupiscence, celle qui ne laisse aucune place au doute.
Hélas.
Dans mon entourage, en revanche, d’autres attirent les jeunettes et certaines jeunettes attirent les vieux.
Et bien que ça semble légèrement plus tentant à première vue, il ne faut pas se faire d’illusions : on a beau tourner le truc dans tous les sens, le plan cul avec différence d’âge significative, ça peut réserver quelques surprises.
Et la différence d’âge, il y a deux façons de l’envisager : soit elle constitue un des critères déterminants, auquel cas elle sera prise en compte dans la sélection du partenaire, soit elle est fortuite et c’est alors qu’elle peut se révéler riche en… enfin riche, quoi.
Alice Sapritch n’avait peut-être pas tort au final, même si on peut nuancer l’affirmation.
Mais plutôt que de comparer le jeune et le vieux pour déterminer lequel des deux s’en tire le mieux, pourquoi ne pas examiner simplement les spécificités propres à chacun ?
Parce que force est de constater que malgré le sincère désir de ne pas généraliser, on retrouve dans chaque tranche d’âge des constantes assez bluffantes : poids de la culture générationnelle, marque d’un conditionnement social ?
Toujours est-il que des comportements socio-sexuels peuvent être dégagés selon l’âge.
Le jeune et la jeunette ont une peau ferme, au grain serré. Pas forcément douce, mais jeune.
Le vieux con et la vieille peau ont une peau fine, au grain diaphane. Pas forcément vieille, mais douce.
Le jeune et la jeunette embrassent avec subtilité. Ou pas. Mais au minimum, savent s’adapter.
Le vieux con et la vieille peau embrassent bouche fermée. Ou pas. Mais ne changeront plus.
Le jeune et la jeunette s’attendrissent sur le “côté moelleux” de leur partenaire.
Le vieux con et la vieille peau s’excitent sur le côté “bien ferme”, soit des seins, soit du pénis en érection… Flatteur.
Le jeune et la jeunette suggèrent volontiers une sodomie.
Le vieux con et la vieille peau éviteront à tout prix qu’on approche leur anus.
Le jeune et la jeunette trouvent marrant de varier les positions. Quitte à zapper la pénétration.
Le vieux con et la vieille peau trouvent vital de ne pas interrompre la pénétration. Quitte à tailler des copeaux.
Le jeune et la jeunette considèrent chaque caresse comme une fin en soi. N’interrompent pas le cunnilingus avant l’orgasme ou la fellation avant l’éjaculation.
Le vieux con et la vieille peau considèrent l’orgasme, la jouissance comme leur récompense. Ne le conçoivent que dans la pénétration (et interrompent le cunni ou la pipe au premier gémissement).
Le jeune et la jeunette maîtrisent le concept de fucking friend. Ne se sentent jamais obligé de rappeler. Ni de sortir les violons. Ni de s’engager. C’est cool. Enfin ça dépend…
Le vieux con et la vieille peau maîtrisent le concept d’honneur. Le rappellent à leur partenaire, qu’il ou elle le veuille ou non. Plusieurs fois…
Le jeune et la jeunette partagent volontiers l’addition.
Le vieux con partage volontiers son pognon, la vieille peau : non…
Le jeune a des chances d’être éjaculateur rapide, la jeunette ne néglige pas une pissoulette…
Le vieux con a des risques d’être impuissant au second tour, la vieille peau est impuissante à relancer une seconde érection à son partenaire…
Le jeune et la jeunette bi savent débusquer le clitoris (ben quoi !).
Le vieux con sait ouvrir l’agrafe du soutif, la vieille peau garde son dentier…
Le jeune et la jeunette aiment le sexe.
Le vieux con et la vieille peau croient qu’on les aime d’amour.
Le jeune et la jeunette ont pas mal d’idées lubriques. Sans scrupules.
Le vieux con et la vieille peau ont beaucoup de scrupules pudiques. Sans lubricité…
Le jeune et la jeunette ne parlent pas de leurs copains/copines.
Le vieux con parle un peu trop de sa femme, la vieille peau de ses enfants.
A l’heure où les bouis-bouis fleurissent à qui mieux mieux, pas un jour ou presque sans l’ouverture de son concept particulier et original, sans sa proposition de trucs originaux ou natures, voire les deux, il y a quelques données de base qui méritent d’être mises en lumière.
D’une part, le service classique, dans toute sa rigueur est un truc que l’on désapprend.
C’est chouette, de plus en plus de liberté, de créativité, de self-dirigisme.
Certes, mais j’ai comme un doute.
D’abord, je crois que de la contrainte naît la créativité…, disons que cette considération n’engage encore que moi : la créativité, c’est pour les chefs, qui eux doivent sublimer.
Les cons et beaufs, ma foi, ils ouvrent leurs clapets et basta.
C’est grâce à ce genre de cheminement mental que l’on se retrouve avec une génération de gars tous plus drôles les uns que les autres qui ont commencé par avaler un parapluie et ont eu l’idée de l’ouvrir ensuite lorsqu’il était bien installé au fond de leur œsophage.
Lorsque vous demandez un avis au responsable dans un boui-boui, vous attendez un avis, tout comme celui de la maquerelle dans un bordel.
Si le gars a la consistance d’une nouille molle et le charisme d’une chaise vide, ne perdez pas de temps, faites comme d’habitude, consommez ce que vous connaissez…, ou demandez à monter avec la fille dont vous avez l’habitude et qui fait la toupie normande comme personne.
Mais alors, où est le frisson, la raison d’aller dans un boui-boui ?
Non, détrompez-vous, on ne se rend pas là que pour baffrer, consommer c’est un tout, une forme tangible de cette union qui fait la force.
L’accueil est aussi important que le breuvage à ingurgiter et les filles à peloter… et les mignardises et autres gagateries conditionnent le retour et l’avis que la mémoire gardera.
Mais avant de m’énerver plus avant, j’en reviens à mon texte dont j’ai oublié le sens…
Lorsque je pose des questions simples à des professionnelles qui briguent quand même le titre de meilleure de leur job, elles sont un peu désemparées.
En dégustation, même si l’erreur est humaine, on se plante plutôt deux fois qu’une et il y a là-dedans un facteur stress gigantesque, c’est quand même assez étonnant.
C’est bien de connaître un boui-boui du bout du monde, ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre…, mais avant de faire de l’impro musicale, il faut apprendre un peu le solfège…, et les bases de la consommation des clients sont plus prosaïquement locales qu’exotiques.
L’avenir est-il noir pour autant ?
Non, il y a toujours des jeunes qui rêvent de baiser les filles les plus exceptionnelles, il y a toujours des clients qui ont besoin de conseils, des filles qui comprennent qu’un tocard c’est autre chose que le gars qui bande et jouit cinq fois de suite dans l’heure !
Gérer un bordel tout comme gérer le bordel général, c’est un métier, un vrai métier, comme la totalité des métiers.
Depuis le temps qu’on se connaît (j’ai vérifié, ça va faire longtemps), j’ai pris l’habitude de partager avec vous certains détails de ma vie privée…, comme ma saoulerie décrite de manière épicurienne, ci-dessus…
Je ne suis pas tout à fait certain qu’ils vous intéressent beaucoup, mais soit, n’ayant pas encore reçu de plainte officielle, je me propose de continuer encore un peu.
Or, voici ce qui m’est arrivé ce matin, en ouvrant le frigo de la cave (ah oui, notez que dans ma maison, il y a deux frigos : un dans la cuisine, un dans la cave. C’est un autre détail insignifiant de mon existence que je porte à votre connaissance. Vous en ferez ce que bon vous semble)…
Dans la porte du frigo, donc, j’ai trouvé une bouteille de Cola (je vous avais prévenus, c’est totalement sans intérêt…).
Mais là où ça devient intrigant, c’est que je n’arrive pas à me rappeler ce qu’elle faisait là, cette bouteille.
Grande, en plus : 1,5 litre.
Etant entendu que je crois assez peu aux apparitions (divines ou ectoplasmiques), j’en ai déduit que j’avais dû l’acheter un jour, mais plus moyen de me souvenir à quelle occasion.
C’était d’autant plus étrange que je suis plutôt Cidre doux.
Vous connaissez l’adage : Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent...
Dans le Cola, c’est la même chose, le monde est divisé en trois catégories : ceux qui boivent du Coca, ceux qui boivent du Pepsi et ceux qui préfèrent le Cidre doux.
Et moi, normalement, je ne bois pas de Pepsi.
Enfin, pour être plus précis, en matière de Cola regular (celui qui donne le diabète), je préfère le Coca au Pepsi.
Mais pour ce qui est du light (celui qui donne le cancer), je préfère le Pepsi Max au Coca Zero qui sert aux pubs de 007 ces derniers temps (qui a dit : Quelqu’un est fou ?)…
Soit : en l’espèce, c’était bien du Coca classique et dès lors que je n’avais aucune intention de le boire, s’est posé la question de ce que j’allais bien pouvoir en faire.
Eh bien, j’ai résolu d’innover, genre poulet au Cola ou risotto au Cola…
Je vous propose ici, une salade de pommes de terre au Coca : Epluchez 600 g de pommes de terre à chair ferme et coupez-les en quartiers ; faites fondre 15 g de beurre à feu vif dans une poêle et faites-y dorer les pommes de terre ; baissez le feu, ajoutez 15 cl de Coca, enrobez délicatement les pommes de terre, puis rajoutez 15 cl de Coca et 1 pincée de sel ; laissez cuire 15 min en remuant jusqu’à ce que le Coca soit complètement absorbé ; montez une vinaigrette en mélangeant 1 gousse d’ail écrasée, 20 cl de Coca, 10 cl d’huile de sésame, 3 càs de vinaigre balsamique, 1 càc de moutarde, sel et poivre ; émincez deux oignons nouveaux ; dressez dans chaque assiette une poignée de roquette, des tomates cerises coupées en quartiers, de l’oignon ; déposez-y les pommes de terre tiédies, puis arrosez de vinaigrette et saupoudrez d’un peu de persil fraîchement haché.
Enjoy !