C’est l’histoire de Quelqu’un d’autre…
C’est l’histoire d’un terrien extra-terrestre habitant quelque part, qui cultive comme son bien le plus précieux un penchant naturel à la nonchalance déjantée.
D’une complexité intellectuelle chronique et d’une indécrottable ataraxie, ce personnage passe ses jours à s’incruster dans son meuble favori, un fauteuil Togo de Roset, en cuir noir… et une grande partie de ses nuits à tapoter le clavier (noir lui-aussi), de son ordinateur.
Seul l’amour se révèle à lui, en définitive pour vaincre sa force d’inertie et l’empêcher de terminer ses jours dans la voie qu’il pensait tracée : faire corps avec son bien-aimé fauteuil !
L’ataraxie (du grec ataraxía signifiant : absence de troubles) apparaît d’abord chez Démocrite et désigne la tranquillité de l’âme résultant de la modération et de l’harmonie de l’existence.
L’ataraxie devient ensuite le principe du bonheur (hêdonê) dans le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme, elle provient d’un état de profonde quiétude, découlant de l’absence de tout trouble ou douleur.
Cette notion apparaît à l’époque d’Épicure.
L’état d’ataraxie n’est pas uniquement une affaire mentale.
L’étude rationnelle d’une éthique et d’une paix intérieure telle que firent ces trois mouvements philosophiques reste limitée par l’expression de ce sentiment de quiétude.
L’ataraxie est en effet, malheureusement, liée, d’une façon non nécessaire, à l’aponie, ou absence de troubles corporels.
Au sein de l’école sceptique, l’ataraxie est le résultat de l’épochè, la suspension de l’assentiment ou du jugement.
Elle consiste dans le fait, grâce à l’absence de jugements dogmatiques, de ne pas connaître ses désirs et ses craintes.
Les sceptiques pensent que la valeur de l’ataraxie réside dans son caractère d’absence ou de déni de connaissance, c’est-à-dire que le scepticisme prône l’idée que la connaissance n’est pas nécessaire à l’action, mais qu’au contraire ce sont nos convictions qui nous paralysent.
En revanche, les sceptiques n’arrêtent pas leur réflexion sur les choses et les évènements; ils n’accordent simplement aucun crédit ni aucune véritable certitude sur l’une ou l’autre vision des choses.
Dès lors, une libération intérieure résulte de ce détachement face aux affections rencontrées au fil des jours, et permet à l’individu d’envisager la vie libérée des troubles, d’où résulte cette absence de trouble, l’ataraxie.
Pour Épicure, la réflexion sur le bonheur est incontournable car l’existence de l’humain est tout entière dominée par la recherche des causes qui le produisent.
Épicure enseigne à distinguer les désirs naturels des désirs non naturels, et les désirs nécessaires des désirs non nécessaires : Quand nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n’entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou qui l’interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l’absence de souffrance corporelle et de troubles de l’âme… Il n’est pas possible de vivre de façon bonne et juste, sans vivre avec plaisir… Il faut viser la suffisance à soi, car ainsi la douleur provenant du manque est supprimée…
Pour Épicure, une amitié restreinte mais véritable est importante à l’ataraxie.
Dans le jardin d’Épicure, seuls ses vrais amis sont présents, ce qui empêche tout trouble de l’âme.
Pour les adeptes du stoïcisme (chez Epictète il apparaît comme le complément de l’apatheia, l’absence de passion), l’ataraxie désigne un état acquis grâce à la méditation et un travail sur soi, notamment l’étude de leur doctrine.
La quiétude stoïcienne résulte de la connaissance du mouvement de l’univers, animé selon eux par un air chaud (le pneuma) animant tout l’univers dans un mouvement infini et cyclique d’inspiration et d’expiration.
L’éthique est ainsi imbriquée avec la physique.
En méditant sur le cosmos, les stoïciens tentaient de trouver un rythme de vie calqué sur la totalité cosmique, libérée des passions négatives, qui deviennent des troubles et engendrent angoisse et colère.
Ce détachement amène donc le stoïcien à considérer chaque évènement comme un moment nécessaire à la bonne marche de l’univers.
Et plus spécifiquement en neuro-psychiatrie, l’ataraxie est qualifiée de calme d’esprit.
C’est l’état d’une personne qui ne se laisse troubler par rien.
C’est un état d’indifférence émotionnelle totale du sujet, qui peut ressentir les émotions des autres individus par son empathie très développée mais n’éprouve pas d’émotion émanant de lui-même et qui lui serait propre.
S’il est une vertu qu’il faut reconnaître aux récits ataraxiques de Quelqu’un, c’est que, tout en provoquant des émeutes publiques à leur publication, ils engendrent à chaque fois des débats passionnés quand à leurs qualités et défauts… et, bien plus, sur des terrains peu balisés !
Lorsque les valeurs morales, normes sexuelles et autres déviances ou plutôt variations sur les us et coutumes, pratiques et choix des individus, lui sont posés comme des problématiques totales comportant des producteurs de sens, des kaléidoscopes d’histoires à mi chemin entre épopées dantesques et odyssées pathétiques lui apparaissent, transformant son sens de la narration sexuelle et subjuguant à jamais les lectrices dans leur corps mais aussi et surtout les lecteurs dans leur propre échelle de valeurs…
Quelqu’un est un Ataraxique furieux, un polémiste, par le simple fait qu’il a bouleversé les normes “archétypales” du journalisme, si bien qu’on ne sait plus très bien si ses récits sont à rattacher à un territoire obscur et mal balisé…, une sorte de dark fantasy hallucinée remplie de symboles et de mutations, d’amours corrosifs et de mélanges sexuels contre nature…, ou si ce sont des contes pour adultes et des bluettes pour pornographes itinérants.
Ainsi, aux archétypes classiques qui ont souvent un référentiel extérieur à “l’être en soi” , Quelqu’un y substitue un archétype nouveau et définitif : l’ataraxique déjanté en révolte, productif de double-sens, d’engendrements hallucinatoires, de renaissances indéfinies…, bref, l’ataraxie épicurienne érigée en totem des croyances modernes.
Et c’est dans ce terreau intime et fertile que Quelqu’un a depuis longtemps trouvé les clefs secrètes à partir desquelles il explore le monde et produit de nouveaux textes.
La révolution engendrée par ce boucher des mots et phrases, de ce Merlin enchanteur au style unique, est une espèce de syncrétisme au sens anthropologique du terme, mais bien pesé, redéfini, réévalué, pour en donner les effets par un autre processus, un autre mode opératoire pour les hommes, les femmes, les mixtes, les doubles, les autres et les mêmes…, bref pour une pluralité porteuse du même universel.
De là à dire que Quelqu’un se fait le prophète d’un autre monde, il n’y a qu’un pas.
Un pas franchit là où les religions ont fait faillite, mais limitée par une prose puisée au cœur d’un certain existentialisme qui fait que rien n’est vraiment défini, constitué, dogmatisé ou imposé.
Non, la religion de Quelqu’un est la réalisation à rebours de l’aphorisme de Nietzsche : Tirer du plus profond désespoir le plus invincible des espoirs .
Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ouvre des portes inexistantes, car en s’ouvrant à la liberté totale de ses écrits dûs aux hasards bienheureux de sa plume qui se fait celle du scribe d’un nouveau temps où les mythes et légendes se font chair, sang, larmes, joie, sexe et mort, palimpsestes de nos errances individuelles et de nos croyances collectives, sans véritable testament, sans paroles inscrites une fois pour toute…, ce qui, par conséquent, condamne définitivement les clivages imposés depuis des siècles par les religions, avec leurs “en haut” et leurs “en bas” .
Ainsi, Quelqu’un explore des territoires qu’on balise peu ou pas : la sexualité sous couvert d’automobiles extraordinaires…, un schéma peu porteur car risqué, même si attractif, car propice à de longues embardées rhétoriques aux effets inattendus.
Mais même dans un tel registre, Quelqu’un ne peut pas éviter de faire sensation, avec sa prose chargée, arrogante comme il faut et audacieuse dans ses développements.
Il faut dire qu’il est déstabilisant en s’empare de thèmes classiques pour en faire de véritables rituels de magies incantatoires dont le bréviaire est le corps et son inévitable rite : le sexe dans tous ses excès.
Il faut lire les textes de Quelqu’un comme pourrait le faire un analyste de l’exégèse biblique, pour ensuite s’attarder au détail pour rendre compte de l’ensemble, de ce qu’il signifie, homogène ou pas dans ses lignes… et sa conclusion, qui est souvent paradoxale mais toujours rétributive après l’épreuve de la lecture qui succède aux inquiétudes et mises en appositions.
Dans son dernier texticule, déjà célèbre avant sa publication…, Quelqu’un nous parle de deux amies : katya Lapo et Lana Frazlo, stars roumaines du cinéma d’art et d’essai, dépravées, belles et folles de sexe qui vont se perdre dans un réseau d’intrigues complexes tournant autour d’un mystérieux artefact.
C’est leur amant, propriétaire d’un car-wash à Bucarest, Léon Zeffersky, qui, en cherchant un moyen de les distraire de leur ennui et de leurs inquiétudes, va commettre l’irréparable dans l’achat bien particulier d’une Jeep Wrangler.
Zeffersky part à la recherche d’un ornement custom à orientation sexuelle, comme en raffolent les riches aux goûts guindés.
Dans une Roumanie encore sauvage, Zeffersky fait la visite d’un monastère subissant la crise des vocations.
Il obtiendra des moines, en échange d’une somme généreuse, un accessoire sexuel étrange… qu’il est obligé d’emporter avec la décoration de la salle ou il se trouve en son centre…
En effet, les murs de cette pièce sont recouverts de fresques peintes avec art dépeignant des scènes de chasses sauvages et cruelles où bestialité et pornographie sont à l’honneur d’un autre monde.
Charmé par ces saynètes rendant un culte à sa passion, Zeffersky fera démonter soigneusement, pièce par pièce, la fresque peinte pour transporter le tout dans son garage à Bucarest afin de le décorer, ce qui dans son esprit, ne ferait qu’embellir l’environnement de la Jeep Wrangler.
Rassemblées pour constituer en quelque sorte un garage spécial, Zeffersky ne se doute à aucun moment qu’il a mis là les doigts dans un artefact, qui, grâce au gode magique, ouvrira les portes cauchemardesques et sexuelles sur un monde aberrant et sensuel, où des fantômes affamés de sexe vont déferler dans la petite vie pleine de suffisances et de futilité de Zeffersky et de ses deux amantes.
En effet, suivant l’assertion disant que les objets ont une mémoire, Quelqu’un l’a subtilement appliqué dans son texticule, à ce mystérieux gode ET à la fresque qui n’est pas qu’un simple ornement artistique !
Ainsi, une légende a préludé à cette création, une légende qui remonte aux origines du monde.
Zeffersky a mis en fait la main sur un ensemble magique remontant aux premiers temps bibliques, lorsque la belle Lilith, épouse du diable et d’Adam, perdit sa naïveté sous les Hop-Hop-Hop du duc Goga et de ses soldats Huns.
Et au Duc Goga et aux siens d’être condamnés au pays du Diable, condamnés à une éternité sans repos, à une éternité de souffrances répétitives.
Une fois le garage décoré, katya Lapo et Lana Frazlo finiront par en desceller le terrible mais beau secret.
Et en esthètes de l’art, du beau et de cette jeunesse qu’elles auraient voulu à jamais garder, elles vont découvrir le moyen d’accéder à un monde sauvage et sexuel où le Duc Goda et les siens battent les territoires.
Elles découvrent la solution à leurs angoisses les plus profondes : l’éternelle jeunesse via l’eau de jouvence symbolisée par les jets puissants du car-wash…
Elles demeurent ainsi éternellement jeunes et Zeffersky est maintenu dans un demi-esclavage, visitant de temps en temps le pays du Diable, soumis au bon vouloir de ses amantes.
Pas vraiment jeune, il gagne un peu d’éternité, soumis qu’il est aux bottes en latex de ses compagnes, des folles sexuelles avides de nouvelles sensations et de jeux au bout de la folie, où, de joutes perverses en étreintes démoniaques avec le panthéon fantomatique de la Jeep Wrangler, elles finiront par être touchées par diverses extases prodiguées par le gode magique.
Présidente du fan club de Quelqu’un, Lorenza part enquêter sur ce qui génère toute l’inventivité de Quelqu’un dans ses écrits, mais finira par sombrer comme les autres dans les rets de cette folie.
Le mythe de Lilith est ainsi revisité par Quelqu’un, comme il l’avait fait des mythes de l’immaculée conception et autre divinités Incas (son chef d’œuvre).
Les apparentes erreurs de narration relevées quand au déroulement de l’histoire (des discontinuités chronologiques dont certains critiques ignorent la signification réelle et dont on peu se demander s’ils ont vraiment lu ce texticule avant sa parution), ne sont peut-être que des faux semblants, symptômes d’une écriture enfin devenue entièrement autonome et multiple dans la lecture qu’on en fera.
Quoi qu’il puisse en être quand aux polémiques stylistiques lancées par les séculaires de la langue qui ne supportent pas que cette dernière puisse leur échapper, cette histoire reste tout de même un récit sublime sous forme de métaphore vive.
Un pari remporté haut la main par cette histoire qui s’inscrit dans l’universel.
Le seul reproche que l’on pourra faire à Quelqu’un (mais en est-ce un ?) est d’avoir un peu trop mis l’accent sur l’effusion des corps dans leurs expressions les plus vulgaires.
Une pornographie qui est une constante ataraxique de l’œuvre de l’auteur, mais également le mode opératoire de sa narration qui se veut une maïeutique du genre !
Les critiques acerbes vont se succéder après la lecture de ce texte, voulant souvent dire le contraire de ce que les autres disent, histoire d’avoir le monopole du bon sens, ou tirer le bon ticket, au cas où le public ne suivrait pas.
Pourtant, aussi présente qu’a pu être la critique concernant d’autres textes, souvent fort injuste quand à sa structure narrative, le lecteur intelligent, voulant se faire sa propre opinion par delà les doctes ou les assassins des écrivains, qui assènent plus par snobisme bourgeois et menteur qu’il ne lisent vraiment ce qu’ils critiquent, se feront, un peu à la manière de Socrate, leur propre opinion en tentant de relire cette histoire…
Merci à Martini Rosso de m’avoir aidé à écrire cette histoire extraordinaire…, hipsss !