Chaque être renferme en lui-même la totalité du monde intelligible…
En conséquence, Tout est partout, Chacun y est Tout… et Tout est chacun…
Tristesse, pourquoi es-tu si blême, si fade, si indigeste ?
Incolore comme le verre translucide, le carreau est brisé, la vitre est tombée, peut-être un enfant a-t-il jeté une pierre, exprès, peut-être as-tu frappé la vitre, par désespoir, ou cogné le carreau parce que tu croyais avoir reconnu quelqu’un marchant dans la rue ?
Regarde-toi plutôt : tu fais peur à voir, tes larmes semblent un torrent en crue, le fleuve boueux de tes souvenirs ne doit pas avoir meilleure mine, t’appellerais-je puceron, morpion…, t’appellerais-je seulement ?
Toute ma vie j’ai rencontré des inhumains aux natures diverses, mais tu es bien le premier qui me plonge dans l’incertitude la plus complète, es-tu seulement humain ?
Traîtresse est la caresse qui dort nuit après nuit dans ton lit, tu ne fais que t’apitoyer sur toi-même, confessions, génuflexions…, alors respire sans hâte et observe les amoureux deux par deux, ils semblent heureux !
La peine sur la balance te crie : réveille-toi, dans la cave de ton âme, une tombe à tes dimensions… et ce boulet aux pieds, qui fait tant de bruit, ces pyjamas de bagnard, éjaculations de vie apeurées dans l’aperception, je veux te dire par là que ta tristesse ne rime à rien, son ciment a fait des combles un hypogée, la joie tonicardiaque, qui réveille même les morts, où est-elle donc partie ?
Coup de cymbales, corps balancé par-dessus le bastingage… et dans les flots pleins d’écume, c’est ta vie qui fiche le camp et se noie !
Soigne ton regard… et ce souffle, anémié, tire-bouchonné, prêt à exploser, comme miné de l’intérieur, apprends à l’aimer, il te représente dans ta vie de tous les jours… et le soir quand tu t’endors, tu es tout seul avec lui.
Si je jouais au portrait chinois avec toi, je te verrais bien en tortue des îles Galapagos, observée de près par un Darwin débile, la flanelle que tu portes est trop légère et le froid de la vie trop rigoureux, la tristesse est comme un joint à base de chaux, toi aussi, pour empêcher l’édifice de s’écrouler, tu as besoin de consolider ton lendemain qui déchante, mais plonge donc dans la mer qui t’appelle, mais habillé du caleçon de l’espoir, tristesse est là qui passe et qui reste, toi, las, vautour usé par les vols, toi, au monde, peureux tel un guéridon de spirite, “je m’en fiche” n’est pas un patronyme, crève les furoncles, ébroue-toi, secoue-toi sac à puces, le jour demeure et tu t’en vas en nuit… et le sommeil ne t’as même pas dit “bonne nuit, fais de beaux rêves” que tu t’en vas comme tu es venu, retourne plutôt au trou d’où tu viens, si tu t’y sens si bien, en extase, en communion avec ta nature d’homme, car tu crois toujours être un homme !
Balaie-moi ces philosophies pithécanthropes, emprunte un râtelier, colle-toi un sourire, bestial, animal puisqu’il faut plaire, ta tristesse est la paresse du couard, tu sembles si déterminé à t’exclure du monde, tu sembles si loin de tout, si privé de vie, tu appeles au secours mais d’une voix indistincte, tu n’es rien, homme-autolyse, tu ne vis pas et tu te laisses à peine vivre, vraiment tu es un triste sire, un innocent vaurien… et tu ne peux plaire qu’absent, alors éprouve-toi, vide-toi vide-ordures, change les batteries de ton âme, mange, fais quelque chose, prend des forces, le peu que tu feras sera énorme, et tu as tout à faire, blasphémer, vilipender, mordre, grogner, aimer, alors n’hésite plus, tu restes un homme, accepte tout ce qui se présente, trace un cercle et inscris-toi dedans, en plein centre, dessine un pentagramme magique qui te permettra de vivre en paix, cultive les narcisses si tel est ton destin, mais si j’ai un conseil à te donner : évacue tout ce qui te pèse, tout ce qui pèse en toi, invente-toi un sourire, la tristesse est la plaie qui hurle au monde : saigne encore, tu n’es pas cautérisé !
Tous les pansements du monde suffiront-ils pour endiguer ce flot ?
Tu dois d’abord t’observer, t’incarner dans la petite plaque de verre placée sous le microscope, il y a un homme en toi qui te brûle la cervelle, toute ta tristesse est vaine à expliquer quoi que ce soit, à accomplir ce pourquoi tu la payes, elle ne suffit plus, car souviens-toi : nous sommes morts, l’équité de la vie a perdu ses sabots et rue dans les brancards, alors lève-toi à l’heure où ton corps en crise, n’en pouvant plus, plein du désir de l’amour, te réclame une identité, et imite-les, ces cons qui vivent ta vie dans leurs appartements trop petits, le sommeil est le singe de la mort, alors tu dois pouvoir, toi aussi, te fabriquer une vie digne de mérite, fais comme eux-tous et tu verras midi en pleine nuit, Noël en été, tu verras tout ce que tu as jamais rêvé de voir, et tu danseras autour de ton corps, et aux alentours le vent ne dira rien : tu pourras l’embrasser, il répondra à ton amour, tristesse est excuse, un “demain plutôt” mal dissimulé, une chanson sans refrain, un visage sans sourire, tu es tout seul mais à tous tu dois fièrement leur crier : je rêve donc je suis, oublie ce qui déchire le cœur, oublie ce qui lancine le corps, oublie ce qui fait mal là où c’est le plus creux, oublie ton âme désespérée, refoule pour souffler, jamais ne doit plus être un mot pour toi, ses syllabes font mal, elles t’empêchent de vivre, ne dis plus jamais “jamais“, plutôt mourir, tourner la page, laisse-toi inonder par les flots de la vie, hérésiarque au front lacé de rides, ce n’est pas un frelon qui trotte en ta tête, ce qu’il y a dans ton crâne de maudit, c’est un papier tue-mouches qui déborde, tous les cadavres sont à terre… et ce qui tourne, ce n’est pas un soleil, ni une lune gibbeuse, mais ton cauchemar hurlant à la mort, ses ailes membraneuses claquant dans la nuit, ta tristesse est le clou du spectacle, le clou que le marteau enfonce, alors apprends que l’ennemi est ton meilleur ami, entre l’amour et la haine…
Tu connais la suite, ta tristesse se jette à ton cou et te vide de ton sang, repousse-la, jette-lui de l’ail en pleine figure, pense au crucifié poitrinaire, respire, lève-toi et marche…