Chroniques du vide / Phase première…
Cette vision n’est pas servie sur un plateau, elle nécessite une dévotion à la structure et aux évolutions des éléments ambiants, aux contradictions entre sa propre quête et ses entreprises de fouille, à l’inexistence de palliatifs efficaces contre son interne déception.
Rien ne se déploie plus sûrement et ne s’ancre avec plus de conviction au centre de l’homme néo-réaliste que la certitude de l’omniscience du vide à travers ses démarches laborieuses vers le sens absent.
Une absence qui n’en est, réellement et par jeu d’observations simples, pas une à proprement parler car elle entendrait le non-fait actuel d’une présence anciennement acquise ce qui, de manière très désagréable à admettre tout d’abord puis devenant par récurrence bien plus convenu, n’est que le fruit d’un espoir et par extension d’une croyance, complètement vaine.
Non, les gens ne savent pas tout cela.
Chroniques du vide / Phase initiatique…
Votre bermuda jaune à rayures bleu-marine et vos bretelles multicolores sitôt enfilés, vous trottez à la main de maman jusqu’au portail de l’école maternelle : vous n’avez plus peur de quitter la maison, bien au contraire, cet endroit et ses occupants vous sont déjà très pénibles.
A présent, ce sont vos semblables approchant le mètre qui sont l’objet de votre appréhension.
Qui sont ces gens…, ces êtres répugnants et débiles qui hurlent en jetant des morceaux de pâte à sel sur les toboggans…, qui pleurent accroupis dans un coin, la bave au menton…, qui rongent les pieds des tabourets en plastique en tournant sur eux-mêmes… ?
Il y a bien lieu d’être inquiet, en effet.
On trouve ici des toilettes pour deux catégories d’individus : certaines sont réservées aux filles. On reconnaît aisément les adhérents de cette caste moins bruyante de l’humanité à la longueur de leurs cheveux.
L’essentiel est là, le reste viendra plus tard, concernant leurs attributs et plus particulièrement leur silencieuse posture, ainsi qu’un certain lot de comportements auxquels vous n’avez pas encore été confronté.
Pour l’heure, vous avez d’autres ennuis.
Moins existentiels mais tout de même bien fâcheux, proportions gardées en rapport à votre envergure.
Lors de la récréation de l’après-midi, votre goûter au fromage blanc est tombé sur le goudron caillouteux.
Vous avez d’abord constaté l’incident d’un air foncièrement attristé et pris note de la désolation qu’il pouvait opérer en vous, esprit fragile et battu aux vents des immensités organiques s’agitant sans raison apparente.
Toucher cette chose flasque altérée par l’immondice noire que foulent sans vergogne les gens de ce monde fait brûler intensément tous vos feux de détresse.
Vous pleurez maintenant.
Vous n’avez aucun autre moyen d’exprimer votre frayeur en regard de ce ressenti étranger.
Vous ne mangerez probablement plus rien de ce genre puisque cette nourriture est souillée par ce que vous ne supportez déjà plus.
Vous condamnerez ceux qui s’en rendront coupables.
Autour des jeux en plein air, vous divaguez lentement.
Vous commencez à pénétrer les notions de vide et d’inexistence… et à vous y investir.
Suite à une altercation sans fondements et dont vous semblez être tout à fait étranger, un de ces êtres se propulse brutalement de ses membres beiges en votre direction.
Il n’a pas la même pigmentation que vous.
Ca ne vous effraie pas énormément et vous n’avez pas encore remarqué que ce symptôme dermatologique n’était pas sans rapport avec certains agissements, vous n’avez pas plus d’explications à ce sujet pour l’instant.
Vous n’en obtiendrez pas de sa part d’ailleurs car il a choisi de vous mordre profondément la main, juste entre le pouce et l’index.
Satisfait, il continue sa course-poursuite, son faciès simiesque déformé par ce qui semblerait s’assimiler à de la folie mais que vous apprendrez dans quelques temps à nommer décérébration.
A nouveau, vous pleurez.
Vous comprenez que ces situations sont insupportables et un sentiment viscéral vous souffle qu’elles sont coutumières en ce monde et non accidentelles, comme vous le pensiez.
Il y a bien trop d’humains, trop de cris et trop de ce vide général inqualifiable que vous sentez prendre une place envahissante dans votre cerveau.
Vous ne savez pas que vous n’êtes encore qu’aux tout premiers et timides élancements de votre souffrance à venir.
Rien ne pourra plus vous séparer de cette vague gigantesque de malheur et de peine sans limites.
Ni argent, ni gloire, ni femmes, ni réalisation de ce qui n’est pas encore consciemment votre destin ne sauront annihiler ce mal dont vous venez de faire la connaissance.
D’ores et déjà, vous aimeriez naïvement le réduire par la violence physique.
Vous n’en avez pas vraiment les moyens techniques et votre peur revient alors vous rappeler à ce qui sera pour toujours votre condition.
La frustration due à cette impuissance que vous considérez en ce moment comme une malédiction abaissante et cruelle sera votre planche de salut.
Elle vous apprendra en premier lieu la haine sourde et profonde, un élément indissociable de toute considération première de l’être humain.
De manière plus élaborée et indiscutablement plus efficace, elle se chargera ensuite de vous inculquer les différents cheminements et applications du mépris.
Celui-ci prendra une place particulière dans votre arsenal de lutte contre ceux qui refusent votre conception du monde, lui préférant la leur, plus apte à les combler par son non-sens justement.
Dans le même temps, vous aurez globalement admis qu’il existe des formes magistralement plus viles et concluantes de mener votre croisade que par les poings, arme dérisoire et tellement éphémère.
Face à l’incompréhension du genre humain pour ce que vous représentez, vous venez de poser la pierre initiale de l’édifice de votre vie.
Les bases sont là, reste à développer.
Chroniques du vide / Phase d’approche…
Vous avez grandi, mais vous n’êtes pas grand.
Pas encore.
Les déboires de première enfance ont servi de prémices, l’absurdité des motivations vous a atteint, étayant peu à peu vos hypothèses, développant vos réflexions, affirmant votre positionnement.
Vous êtes enclin au questionnement et il n’y a rien de surprenant en cela : vos fondements sont divergents de la majorité.
Certains ont beau tenter de vous dissuader de cette certitude, leurs arguments manquent d’impact pour être satisfaisants, comme vous le pressentiez.
Vous rencontrerez par la suite des individus plus convaincants, ils feront office de test d’aptitude car leur perspicacité supérieure à la moyenne pourra brièvement remettre en question ce que vous pensiez être irrémédiable.
Des sursauts d’hésitation liés à la part de votre volonté à vous défaire du poids de cette infirmité sociale…, à savoir l’observation et l’étude du néant humain par la peur.
Vous ne mangez plus l’après-midi cependant l’humanité vous côtoie toujours, pas à pas, sur le bitume sale.
Cela vous rend nerveux parfois, la torture que vous vous infligez prend un tournant décisif.
Les rêveries tourmentées ont laissé place à une évolution notable : vous déployez l’introspection.
Votre relation à l’autre devient largement altérée par la méfiance malgré un besoin d’appartenance auquel vous n’avez pas tout à fait renoncé et pourtant, le regret commence à vous être suspect.
La liberté, elle, s’en voit désincarnée.
Un idéal que vous continuez quand même à chérir, pour un temps.
Ces affres versant dans la contradiction seront temporaires, comme vous vous en doutez déjà. D’autres les remplaceront, plus omniprésentes, plus terrifiantes.
La misanthropie inhérente à ce que vous devenez produit également ses effets : alors que la biologie sonne le temps des amours d’apparat, vous cultivez patiemment le jardin à la française où vos semis d’orties et de ronces croissent depuis le bulbe de votre touchante et désordonnée insurrection, invisibles et impatients de jaillir à la face du monde, se voulant plus hostiles que leurs concurrents car issus d’une matrice plus élaborée.
Le résultat sera bien à la hauteur de vos espérances et plus encore.
Vous explorez les diverses modalités des faces obscures, l’expérience de la trahison, l’analyse de l’hypocrisie et la prise de contact avec des entités nobles telles que la cruauté ou l’égoïsme vous surprend mais ne vous laisse absolument pas indifférent.
Elle sera excessivement profitable car formatrice de l’homme hagard, incroyant de ses frères, individualiste et affranchi de certaines sangsues d’éthique grandement manipulatrices.
Actuellement, vous emmagasinez ces états de fait enrichis d’exemples, tels des flasques d’alcool dans les poches d’un imper surdimensionné : vous n’êtes pas sûr de grand-chose, mis à part de votre mode de pensée hostile aux convenances.
Tout ceci est en train de prendre forme et surgira le moment venu.
Les psychotropes alimentent chez vous une passion rapide mais dense qui vous semble sur le coup représenter un engagement total et inconditionnel, les ennuis d’ordre purement moraux et législatifs qui s’y greffent ne vous atteignent que très partiellement, à l’image du reste.
Vous garderez de cet épisode le seul compagnon fiable, le moins décevant : l’élément éthylique, son histoire, son potentiel, sa pérennité dans le mouvement.
Là encore, vous ne reviendrez plus sur cette acceptation, votre confiance en ce concept très précis ne trouvera que de très rares failles dont la responsabilité échoira de nouveau à des incursions de spasmes, s’en dégager de manière absolue étant pure utopie.
La xénophobie élargie à l’ensemble de la planète à quelques exceptions près dont vous êtes, à votre niveau, un porteur non négligeable trouve dans l’histoire du siècle un écho majeur, la répulsion de la majorité, encore elle, à l’égard de ces évènements ne fait qu’exacerber votre intérêt dévorant pour cet autrichien spolié, marginal et finalement devenu un des hommes marquants au sein des archives mondiales du refus intolérant des valeurs vénérées par l’ensemble.
Plus tard, vous serez davantage critique à propos de cette passion, plus réaliste aussi.
Non moins convaincu par la légitimité de l’idéologie sectaire et de l’indifférence, au mieux, de ce qui ne vous ressemblera pas, vous acquerrez le statut de contempteur lucide, celui auquel vous aspiriez tant.
Vous marcherez auprès de l’humiliation.
La dissociation aura tôt fait de s’immiscer en son antre avant de l’en expulser.
Vous avez déjà entamé le point de non-retour car votre choix a été celui de renier.
Cette décision salutaire vient d’entériner en bonne partie la nature de la suite des évènements. Ce qui vous attend échappe toujours à votre perception.
Plus pour longtemps.
Vous connaissez le prix de votre dévotion au vide, à présent : il est celui de la solitude.
Vous commencez à comprendre qu’il y a peut-être quelque chose de plus absolu que vous ne l’imaginiez sincèrement derrière vos doutes, votre séparatisme et l’idée puissante bien qu’encore discrète du potentiel qui est le vôtre.
Vous n’avez pas tort : vos défenses se sont organisées, l’édifice est prometteur, l’essentiel de vos forces semble rassemblé bien que vous les trouviez hésitantes et peu aptes au combat.
La sérénité relative offerte par vos précédentes épreuves aura, à terme, le dessus sur ces manques d’assurance.
Vous avez peur et la peur vous aidera très paradoxalement autant que véritablement à surmonter le restant de votre parcours jusque là en droite ligne de vos objectifs même si cela n’y paraît pas.
Car il vous faut dorénavant vivre.
Le plus pénible se profile et vous le savez.
Chroniques du vide / Phase finale…
Le temps ne change pas les choses…, il les fait évoluer parfois ainsi que les gens qui gravitent frénétiquement ou difficilement autour d’elles.
Et beaucoup moins souvent que les humains ne peuvent le penser.
Rien n’a été créé vraiment mais certaines choses se perdent.
Quand elles se transforment, on peut parler de miracles ou d’évènements de classe rarissime.
Vous n’êtes pas rare mais précieux.
La rareté inclurait la qualité de votre statut et bien des personnes de ce monde ont fait le même serment d’allégeance au dénigrement des principes dits fondamentaux.
A tel point qu’ils en deviendraient presque majoritaires, s’il fallait les entendre.
Vous êtes précieux car votre cheminement, malgré ses faiblesses et ses heurts, n’a pas renoncé à sa continuité.
La conception qui est aujourd’hui vôtre est demeurée monolithique.
Bien loin des préceptes humanistes prônant la diversité de culture et d’opinion, vous avez, avec une abnégation cautionnée par une confiance immatérielle et éthérée en votre intime définition, perforé les strates sociétales pour y chercher l’absence et le succès de cette entreprise n’a d’égal que la profondeur de vos interrogations concernant l’utilité des recommencements puisque vous avez cessé, au prix d’une multitude de démarches inévitablement infructueuses, de vous exprimer en terme de sens.
Lui qui est maniement de minables alchimistes, agitant leurs fioles dans l’espoir fou de la découverte d’une formule qui finira par tromper définitivement le monde, le rendra aveugle à l’aberration, lui fera occulter à jamais sa non-condition, sa non-existence.
L’errance est un dommage pour ceux qui vous guettent, impuissants.
Elle est un symptôme qui ne dit pas son nom, celui d’une pathologie qui n’en est pas une non plus.
Elle est l’éternité du script au-delà de la vie bien sûr mais surtout au-delà des jugements et de la pensée en elle-même.
Non, les gens ne savent pas tout cela…