Comment revenir d’où on va ?…
Se réveiller à 6 heures du matin, la tête et le corps tout entier alourdis par onze nuits de stupre et d’amnésie.
Sentir le long des murs le grondement des premiers fantômes…, la gorge sèche, les yeux collés, partagé entre l’impossibilité de se rendormir et l’absence totale d’envie de se réveiller…, appeler Quelqu’un d’autre… et se faire raccrocher au nez.
Essayer d’écrire, sur un bout de papier, les premières pensées du matin…, se sentir à peu près aussi utile qu’un chien écrasé…, allumer la télévision, apprendre que l’esclavage existe encore, que c’est la crise, le grand Krach et que la guerre est loin d’être finie…, penser à tout ce qui reste à faire pour que la vie soit enfin satisfaite…, s’engager dans une longue série de pensées pessimistes sur la fatalité de l’époque et l’inexorabilité du temps qui passe…, ouvrir les rideaux pour ne pas voir le soleil…, laisser le gris du ciel envahir ses pensées…, se dire que Baudelaire lui aussi a connu la galère…, que Madoff va mourir en prison…, que la Grèce est toujours en révolution…, vouloir relire Homère et Platon…, ouvrir un livre et ne pas se sentir concerné…, considérer que les travailleurs aliénés sont des sacrés veinards…, songer que les premiers cafés du quartier ouvrent leurs portes…, se représenter les tristes figures des aficionados de ces endroits glauques, claquant leurs prestations sociales au zinc de ces vieux rades….
Fantasmer sur un souvenir et se masturber sans entrain…, appeler son amante…, se dire sans rire que l’amour est un chien de l’enfer…, se remémorer le rêve idyllique surgi en plein sommeil paradoxal et disserter en silence sur le principe de réalité…, tourner comme une chenille en mutation dans des draps bientôt sales…, se dire que Kafka lui aussi a connu des réveils difficiles…, écouter son cœur battre…, se voir comme l’enfant qui vient de naître…, se dire que mourir est trop facile et qu’on ne sait pas ou se cache l’interrupteur…, repenser à ses idéaux de jeunesse, engloutis comme des ruines de l’Antiquité…, imaginer qu’on aurait pu naître à Gaza, ou en Haïti…, se chanter une berceuse…, rire de sa propre connerie…, dessiner la femme idéale…, l’homme de demain…, penser à son avenir…, éteindre la télévision…, se laisser tournoyer dans le tourbillon de la mélancolie…, faire des exercices de relaxation…, se connecter au flux cosmique malgré les grondements des fantômes, de plus en plus fréquents à cette heure de la journée…, penser à de bonnes résolutions…, les trouver mauvaises…, fermer les yeux…, considérer que la vie est sublime…, se retrouver dans un bar…
“Ah l’amour, qu’est ce qu’on en fait de l’amour quand c’est tout ce qu’il nous reste?”…
Ainsi s’exprimait un schizophrène paranoïde assis de l’autre côté du bar…, il me donnait l’impression de parler tout seul, mais si j’avais été dans son corps j’aurais pu vérifier avec certitude qu’il parlait avec quelqu’un d’autre…, j’ai commandé au barman un verre de Mojito… et au moment où le barman m’a servi le verre, avec son sempiternel sourire commercial, j’ai eu une sensation de déjà vécu extrêmement persistante…, j’ai essayé par la pensée de percer ce mystère, mais chacune de mes réflexions était comme absorbée par une sensation prévue…
Une phrase de Kierkegaard sans intérêt s’est alors mise à glisser sur le flot de mes idées : “Les jours passent et je n’en suis pas plus avancé”…
Le Mojito était bien frais.
J’ai réglé l’addition et suis sorti.
La rue était déserte…
Donc voilà.
Il faut bien s’arrêter un jour.
Toutes ces bouteilles de mauvaise vie, d’envies diverses et de déviances, je les scelle à jamais.
Tant pis.
Tant mieux.
Puisqu’elles ont toutes fini au fond des fosses, brassées par les houles, brisées par les tankers et bues, au final, par des bancs innombrables…, merci aux poissons qui m’ont lu, aux espadons, aux requins, aux lottes, aux murènes, aux sardines…, merci au plancton, pixel de mer, aux algues ces clics, à l’écume des pages.
Un poisson dans l’eau.
Quelle connerie !
Moi qui rêvais d’obnubiler sur la toile, d’enchanter, d’ouvrir des grands yeux !
Mais pas assez de marques, pas assez d’événements, d’actu, de contenu.
Je garde ça pour moi, dorénavant.
Moi seul.
Un bilan : la page la plus visitée est : “Comment revenir d’où on va ?”…, preuve qu’on est une paille à se la poser, la question.
Et comment vivre aussi !
Toujours pas de réponse !
Quoi d’autre ?
Trop de politique, un profond désespoir, l’obsession monomaniaque d’une révolution, d’un grand soir qui n’arrivera jamais…, sinon tous les soirs…, puisque c’est tous les soirs que s’élèvent les barricades.
Dont acte !
“L’impossible, c’est la fiction”…, ai-je écrit dans ma jeunesse (à des dates encore floues, mais que certains topographes se plaisent à localiser du côté d’une ville aujourd’hui engloutie), alors que j’étais violemment opposé à toute forme de dramaturgie…, tentant par tous les moyens d’échapper à la structure de l’univers, proposant au contraire de développer une fiction, un recueil de poésies en prose : “Avec la conception, commence l’impossible”…
Mon goût pour les métaphores étranges m’a définitivement rayé de la liste des auteurs en vue, épuisé dans des métiers éprouvants, mais : “Je continuerai toute ma vie d’écrire des texticules déjantés dont le sens échappe au plus grand nombre, mais pas à tous, malheureusement…, parce que l’oisiveté est une dangereuse gangrène si l’idée de révolution a une valeur à mes yeux”…, une sorte de négation de moi-même affirmée et niée qui devrait susciter un vif émoi.
Un ami, médecin légiste m’a dit dernièrement : “Si Quelqu’un est mort, son œuvre est sans intérêt ; si Quelqu’un est vivant, son œuvre en a encore moins ; si Quelqu’un est vivant et mort à la fois, il faut lire son œuvre en diagonale ; le plus intéressant pour nous serait que Quelqu’un n’ait jamais existé”…
Ce colloque en monologue effacé, telle une œuvre et son absence, je le termine par la citation d’un ethnopsychanalyste : “Je suis un humain qu’on prend à tort pour un insecte. Je m’écrase”…
Le psychanalyste hongrois Alessivitch Fiodor Horvátcheck, établit dans son ouvrage de référence : “Esthétique de la castration du mâle heureux”…, que l’activité littéraire proprement dite de certains particulièrement malheureux…, n’est que l’actualisation inconsciente, déportée à l’échelle de l’individu, du rituel de sacrifice tel qu’il était pratiqué dans les sociétés primitives, relevant simultanément de la purgation (il utilise, de manière fallacieuse, le mot “catharsis”, qu’il faut cependant replacer dans le contexte de destruction ironique du carcan aristotélicien) et de l’offrande…
Son analyse très précise, nourrie d’exemples empruntés à sa vie totalement en marge de toute norme, étayée par son expérience des situations burlesques…, a établit que : “l’écrivain est celui qui reste dans la grotte avec les femmes“…, définition audacieuse, à l’intersection du mythe de la préhistoire du web…, qui jette un éclairage nouveau sur toute activité littéraire…, certains exégètes voyant dans certains de mes textes, aux allures de testament, l’influence d’une dégénérescence schyzophrénique paranoïde en phase terminale…
Dont acte…
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