Demain, on vous égorgera…
Ceux qui parmi vous se laissent impressionner par les morts, par les magiciens ou par les poètes ne sont que des sots. Certes, j’admire et apprécie à leur exacte valeur les oeuvres de Hugo, de Chopin, de Bach… Cependant je ne m’aliène pas à ces auteurs. Les imposteurs sont partout, qui cherchent à se faire passer pour des petits dieux. Les étoiles n’ont aucun droit sur ma destinée individuelle, pas plus que les vermisseaux. Ni les Einstein ni les Mozart n’ont à faire la loi chez moi : ils n’ont aucun privilège de plus que le premier venu. Le génie des autres ne leur confère nullement d’autorité sur ma personne. Les talents inédits de mes semblables ne m’ôtent pas le moindre droit d’être ce que je suis. Par exemple, ici je destitue la beauté pour faire triompher la laideur. Ailleurs je restaure cette beauté déchue pour vouer la laideur, hier tant admirée, à la géhenne : là est mon inaliénable et glorieuse liberté. Faites de même et comme moi raillez sans vergogne vos plus chers maîtres, et vous deviendrez des oiseaux d’envergure.
Je crache irrespectueusement sur la barbe de Homère, je tourne en dérision le couronnement des têtes pleines de majesté et je place sur le trône le dernier des mohicans et puis je ridiculise encore les chanteurs d’opéra… Les imposteurs sans cesse tentent leurs viles séductions sur les foules. Les poètes sont des imposteurs, les artistes sont des imposteurs, les grands hommes sont des imposteurs, les camionneurs sont des imposteurs. Les imposteurs sont partout. Osez penser par vous-mêmes. Bâtissez vous-mêmes vos propres cathédrales et cessez de vous agenouiller devant ces statues de sel qui vous rendent infiniment ridicules. Inventez vos étoiles, devenez votre unique référence ou fabriquez vos dieux. Mais cessez d’être obligés de vous sentir écrasés par le poids des statues nées avant vous… Soyez libres, apprenez à penser seuls, affranchissez-vous de l’autorité qui à vos yeux est la plus sacrée, volez de vos propres ailes.
Trop de blouses blanches, de peaux rouges, de légions d’honneur, de simples troufions, de grands mathématiciens, de couronnes posées, de têtes coupées, de verts académiciens et de prix inestimables abusent de leur pouvoir pour impressionner le naïf, l’idiot, le borgne. Les vierges salaces et les débauchées effarouchées, les soldats kaki et les soleils de plomb, les empires et les républiques, les ecclésiastiques et la carotène, les avocats marrons et les rouges pompons, tous sont des imposteurs qui veulent votre soumission à leur cause. Il faut simplement le savoir et surtout leur montrer que l’on sait. Mais je sais bien que nul ne me croit parmi vous… Alors dormez bien tous, jolis petits pourceaux, tendres petits agneaux, dociles petits veaux que vous êtes. Demain on vous égorgera.
Entre la croix, le croissant et l’étoile, sacrés, ajoutés au sceptre païen et à l’équerre laïque, depuis des millénaires les hommes ont tendance à s’égarer, à tergiverser sans fin, à s’étriper sauvagement pour certains. Ou à se leurrer fort civilement dans le meilleur des cas. Je suis sûr d’une chose, moi, c’est que nous sommes plongés de toute façon en plein mystère. Je mets au défi quiconque, simples adhérents à une cause spirituelle, politique ou bien scientifique, représentants de quelque autorité que ce soit tels papes, grands savants, Dalaï Lama, athées de tous pays, Raël, Rabbins, Bernadette Soubirous, chefs musulmans, enfin je veux parler de tous les grands patrons des clubs religieux, politiques ou matérialistes de ce monde, je mets au défi quiconque disais-je, de tutoyer le Mystère. Je le mets au défi de me prendre par la main, celui qui sera si convaincu de détenir le Vrai, et de m’amener au bord du Gouffre face à son cher Mahomet, à son authentique Christ, à son espéré Bouddha, à ses si attendus extraterrestres, ou simplement face au Néant pour les athées, et de me présenter à l’Inconnu.
Depuis le berceau jusqu’au linceul, aucun homme si intelligent, si éclairé, si instruit, si joliment paré qu’il soit, porteur de tiare ou de turban, lecteur assidu du Livre Rouge ou prix Nobel de science, n’a été plus avancé face à ce mystère. Les officiels et officieux détenteurs de vérités sacrées sont incapables de soulever le voile d’airain qui dissimule le grand Mystère. J’oppose à leur prétendue sagacité une question d’une simplicité, d’une candeur, d’une évidence et d’une fraîcheur si enfantines qu’on a tendance à l’oublier : quel est ce Mystère ? C’est souvent avec les questions les plus simples que l’on cloue le bec au plus jacassier des oiseaux. Et devant cette question nul n’ose prendre la parole. A moins d’être sot, vain, ignare et vaniteux comme le sont nécessairement les papes, rabbins, Dalaï Lama et autres pontifes des grandes religions. L’homme ayant trouvé une parade pour éviter de répondre à cette interrogation embarrassante, il se disperse avec confiance dans des grands et millénaires clubs de croyance ou d’incroyance. L’illusion est plus crédible lorsqu’elle est collective. Cependant la question reste posée et ni les pyramides, ni les cathédrales, ni les ponts, ni les chaussées n’ont pu l’ébranler de son trône… Vanité!