Dictatucratie… L’organisation impériale du monde !
Les attentats terroristes de New-York, Madrid, Londres, ne seraient-ils qu’une vaste manipulation, une stratégie de la peur ? “A qui profite le crime ?” Pas aux terroristes qu’on nous montre. Ils y perdent leur vie, leur image, leurs valeurs et toute sympathie de l’opinion publique internationale. Le crime profite aux Etats, à nos Etats qui sont de moins en moins démocratiques et de plus en plus des Etats policiers. C’est ma version d’une histoire, qui comme toutes les histoires comporte trois versions, la mienne, la vôtre et la vérité…
La lutte antiterroriste a permis l’installation de techniques d’exception à tous les stades de la procédure pénale, de celui de l’enquête à celui du jugement. Elle procède ainsi à une remise en cause des mécanismes constitutionnels de protection de la vie privée. L’incrimination propre au terrorisme met en place un délit spécifiquement politique : l’intention d’exercer une pression indue sur un gouvernement ou une organisation internationale. Elle permet de s’attaquer préventivement à tout processus de recomposition de classe.. Il s’opère ainsi une suspension du droit, mais celle-ci est inscrite dans le droit et fait partie d’un nouvel ordre juridique. Nous assistons à la fin du double système juridique, Etat de droit à l’intérieur et violence pure à l’extérieur, qui avait caractérisé jusqu’à présent le système juridique occidental. L’organisation impériale ne connaît pas d’extérieur, la violence pure est réinsérée en son intérieur et fait partie de l’ordre de droit. Ainsi, l’Etat d’exception comme forme de gouvernement de l’Empire mondial en formation sous la houlette Américaine et la vassalité des Etats du monde, apparaît surtout comme une phase de transition, un outil dans la mise en place d’une forme plus stable : la dictature, que je nomme DICTATUCRATIE. La fin de la séparation formelle des pouvoirs, ainsi que les prérogatives judiciaires que s’octroient l’exécutif, sont là pour témoigner que ce processus est bien en marche.
Les attentats du 11 septembre ont été l’occasion d’une formidable accélération des transformations des codes pénaux et des codes de procédure pénale des pays occidentaux. Dans les mois et parfois les jours qui ont suivi, les gouvernements ont pris des mesures restreignant les libertés publiques et privées. On peut parler d’une véritable mutation, puisque c’est l’existence même de chaque Etat de droit qui a été ainsi remise en cause.
Ces lois s’inscrivent dans la tendance qui consacre la primauté de la procédure sur la loi, ici il s’agit de la domination de la procédure d’exception. La mutation est si significative qu’elle conduit à un bouleversement de la norme, les dérogations deviennent la règle. La procédure d’exception se substitue à la Constitution comme forme d’organisation du politique.
UNE MUTATION DU DROIT PENAL
Les législations antiterroristes, qu’elles soient anciennes ou récentes, ont pour objet de légitimer des procédures pénales dérogatoires à tous les niveaux du processus pénal, du niveau de l’enquête à celui du jugement. Il s’agit de techniques spéciales de recherche telles que la mise sous écoute, l’interception du courrier ou de l’installation de boîtes noires permettant de lire et d’enregistrer l’ensemble des é-mails. L’ensemble de ces mesures peut se mettre en place en l’absence d’infraction. L’incrimination terroriste justifie également des mesures exceptionnelles de détention préventive ou d’emprisonnement administratif, parfois de simples témoins, comme aux Etats-Unis. Elle impose des règles particulières en matière de communication de l’accusé avec son avocat, ainsi que la mise en place de juridictions d’exception.
En Espagne, une personne poursuivie sur base de la loi antiterroriste n’a pas le choix de son avocat. En Allemagne, différentes dérogations ont été établies en matière de perquisition et de visite domiciliaire, en matière de contrôle d’identité, d’arrestation et de détention préventive. Au stade du jugement, des règles modifient les juridictions compétentes et restreignent les droits de la défense. Ainsi, l’avocat de cette partie est exclu de la participation à une procédure, lorsque “des circonstances portent à croire” que le défenseur commettra un acte destiné à faire échouer l’instruction. Cette procédure a également légalisé la violation du secret de la correspondance entre l’avocat et son client. Du point de vue de ses effets sur les procédures pénales, les nouvelles lois antiterroristes s’inscrivent dans la continuité de ces législations plus anciennes. Cependant, elles en élargissent le cadre. Elles ne visent pas uniquement à suspendre les libertés fondamentales de certaines catégories de la population, mais elles concernent l’ensemble de celle-ci. Elles procèdent à la fois à un contrôle généralisé des individus et s’attaquent préventivement à tout processus de recomposition de classe en criminalisant les mouvements sociaux.
Une manifestation du pouvoir impérial
Une caractéristique importante des dernières lois antiterroristes réside dans le fait qu’elles ne résultent plus, comme les législations précédentes, d’initiatives nationales relativement indépendantes les unes des autres, mais qu’elles sont promues par des institutions internationales telles le G8, le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne. Cela a pour effet de généraliser ce type de lois à l’ensemble des Etats, même à ceux d’entre eux qui n’ont jamais été confrontés à une menace terroriste.
Les dernières législations anticipent les actes terroristes. Elles sont une réponse des Etats nationaux à leurs obligations internationales, c’est à dire essentiellement aux demandes américaines. La place occupée par les Etats-Unis dans ce processus est d’ailleurs une spécificité de la situation actuelle. La lutte antiterroriste est constitutive de leur direction impériale.
En ce qui concerne l’interception légale des communications, les textes les plus récents répondent étroitement aux spécifications réclamées, depuis de nombreuses années, par le FBI. En matière de criminalité informatique, cette police fédérale américaine a également la possibilité d’organiser directement les polices de la plupart des autres Etats. La capacité dont disposent les Etats-Unis d’influencer étroitement le contenu des textes légaux des autres Etats, concernant la lutte antiterroriste, confirme leur rôle d’avant-garde dans la modernisation du pouvoir au niveau mondial.
Cependant, les mesures antiterroristes dévoilent autre aspect du rôle joué par les Etats-Unis, celui de la domination directe d’une superpuissance sur les autres Etats.
Le premier élément de ce rapport consiste dans la capacité légale de privilégier la nationalité américaine, en accordant à celle-ci des droits dont ne disposent plus les autres nationalités Cela se manifeste notamment par le traitement différencié exercé par les législations américaines entre les nationaux et les résidents de nationalité étrangère. En matière de terrorisme et de criminalité organisée, les tribunaux américains se donnent également une compétence universelle, ainsi que des droits extraterritoriaux.
L’USA Patriot Act : Une suspension du droit pour les étrangers
Aux Etats-Unis, la loi antiterroriste, l’« USA Patriot Act » du 26 Octobre 2001, autorise le ministre de la Justice à faire procéder à l’arrestation et à maintenir en détention tout étranger suspecté de mettre en danger la sécurité nationale. Ces mesures furent étendues par le « Military Order » du 13 novembre qui permet de soumettre les non citoyens américains, suspects d’activités terroristes, à des juridictions spéciales et de les maintenir en détention illimitée.
Ces deux mesures créent des zones de non droit. Elles suspendent ou suppriment le statut juridique de ces personnes. Celles-ci sont totalement dans les mains du pouvoir exécutif et échappent à tout contrôle judiciaire. De même, les prisonniers, capturés en Afghanistan et parqués à Guantanamo, ne peuvent disposer du statut de prisonnier de guerre, tel qu’il est défini par la Convention de Genève. Cette suspension du droit est exercée à l’intérieur du territoire des Etats Unis mais aussi à l’extérieur, puisque la détention est d’abord précédée d’une capture, effectuée comme une opération de police, en l’absence de toute déclaration de guerre.
Destinées à supprimer tout mécanisme de protection aux étrangers arrêtés, ces mesures procèdent à une suspension du droit des Etats-Unis pour les non américains. Parallèlement, ce mécanisme discriminatoire se double d’une suspension du droit international, qui privilégie les citoyens des USA. Elle a pour objet de protéger de toute poursuite, devant le Tribunal pénal international de La Haye, les ressortissants américains, engagés dans des missions de “maintien de la paix” exercées dans le cadre de l’ONU.
La suspension du droit est l’expression d’un pur rapport de forces. Elle est la représentation juridique de l’exercice de la violence pure. Cependant, elle se double, par son insertion dans la loi américaine, dans la reconnaissance opérée par les Nations Unies ou à travers la signature d’accords d’extradition, d’une fonction d’hégémonie, d’une reconnaissance par les autres gouvernements du statut particulier que s’accordent les Etats-Unis vis à vis du droit international.
LE PROJET “PATRIOT II” : Une suspension du droit généralisée
Non contente des procédures d’exception déjà en cours, l’administration Bush a élaboré un nouveau projet de loi antiterroriste, le « Domestic Security Enhacement Act of 2003, qui accentue les dérives de « l’USA Patriot Act ». Ce nouveau texte est déjà connu sous le nom de « Patriot II ». Construit dans la continuité de la première loi, il complète les mesures dérogatoires au droit commun prises à l’égard des non citoyens et renforce les pouvoirs de l’exécutif au détriment du pouvoir judiciaire. Ce projet constitue une avancée importante dans la mise en place d’un Etat d’exception. Il généralise le système de suspension du droit à l’ensemble des américains qui se verraient accusés de collaborer à des organisations désignées comme terroristes. La procédure dérogatoire à la loi devient la norme.
Il sera plus facile pour le gouvernement de mettre en place une surveillance exploratoire sur les américains et de procéder légalement, sans contrôle judiciaire, à des captures de leurs messages téléphoniques et informatiques. Il suffit d’appliquer aux nationaux les dispositions prévues pour lutter contre un pouvoir étranger. Il s’agira ainsi d’inclure ces actions dans un vague projet de surveillance et d’acquisition de renseignements sur des “agents d’une puissance étrangère“.
Nous touchons ici à l’originalité du nouveau projet par rapport à la loi antiterroriste existante : pouvoir traiter des citoyens américains selon les procédures dérogatoires, jusqu’ici réservées aux étrangers, l’élément ultime de ce processus étant le retrait de la citoyenneté. Le projet prévoit d’enlever la nationalité à un ressortissant américain qui fournirait une aide à une organisation, désignée comme terroriste par le ministre de la Justice. Cette disposition marque une rupture avec les mesures antérieures qui distinguaient nettement les procédures réservées aux étrangers de celles applicables aux nationaux. Cela a pour effet que les citoyens américains ne seront plus traités selon la loi, aussi restrictive qu’elle soit du point de vue des libertés individuelles, mais selon le bon vouloir de l’administration.
Formellement, le projet distingue encore les nationaux des étrangers. Cependant, dans les faits, la protection légale, réservée aux citoyens américains, peut leur être enlevée sur simple décision administrative. Pour les promoteurs du projet, ce serait la personne soupçonnée qui manifesterait son intention d’abandonner sa nationalité par son soutient à un groupe désigné comme terroriste. On estime ainsi “que son intention peut être présumée à partir de sa conduite“, même si cette personne n’a jamais exercé cette demande, ni fait part de cette intention.
L’Union Européenne, une Dictatucratie !
Le 6 décembre 2001, les ministres européens de la Justice et de l’Intérieur ont adopté une Décision-cadre destinée à harmoniser les législations des Etats membres en ce qui concerne la définition de l’acte terroriste. L’incrimination présente un caractère directement politique. Il résulte de l’intention de l’auteur.
L’infraction est considérée comme terroriste quand elle « a pour but de détruire les structures politiques, économiques ou sociales d’un pays” ou quand elle a “pour objectif de le déstabiliser gravement”. Les notions de déstabilisation et de destruction des structures économiques ou politiques d’un pays permettent d’attaquer de front les mouvements sociaux. C’est avec ces arguments que, début des années 80, Margaret Thatcher tenta d’appliquer la loi antiterroriste en vigueur à la grève des mineurs.
L’infraction est également définie comme terroriste lorsqu’elle « a pour but de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. ». Comme tout mouvement social a pour effet d’intimider une partie plus ou moins importante de la population et a pour but de contraindre le pouvoir à poser certains actes ou à ne pas les poser, la marge d’application et d’interprétation de ce texte est très large. Les termes « grave » ou « indûment » n’apportent aucune précision objective pour qualifier l’acte. C’est le pouvoir lui-même qui déterminera, si les pressions subies sont normales ou non. Dans son ensemble, la catégorie de terrorisme est construite de la sorte que ce sont les gouvernements qui désignent ce qui est terroriste et qui ne l’est pas.
L’anticipation d’une nouvelle « Guerre Sociale ».
Dans un tel contexte, des manifestations, occupations ou « captures » de lieux publics, d’infrastructures et de transports collectifs, effectuées dans l’intention de faire pression sur un gouvernement, pour qu’il prenne des mesures de protection sociale ou qu’il ne procède pas au démantèlement de celles-ci, pourraient être assimilées à des actions terroristes.
De telles actions qui contesteraient directement les politiques d’organisations internationales pourraient aussi connaître le même sort. Le projet d’Accord Général sur le Commerce des Services( AGCS), ayant pour objet d’éliminer les mesures gouvernementales qui empêchent la libéralisation totale des services, est un exemple de démantèlement systématique de toute régulation étatique. Un mouvement de revendication musclé luttant pour un maintien de services publics ou pour imposer une réglementation de certains secteurs pourrait ainsi être considéré comme terroriste Ces réformes pénales correspondent à une seconde phase dans la mise en place d’une structure de pouvoir intégrée au niveau mondial, l’Empire. La première étape consistait en l’organisation politique du marché mondial, en la mise en place de la libéralisation des échanges de marchandises et de capitaux. La gestion de la force de travail restait, à ce niveau, du ressort des Etats nationaux. Les négociations sur la libéralisation des investissements ou sur l’Accord Général sur le Commerce des Services entament un second processus, celui de la globalisation du commandement sur les conditions de reproduction de la force de travail. La mutation de sa composition organique passe d’abord par le démantèlement de sa composition politique.
La fin d’un double système juridique
« L’USA Patriot Act » est encore basé sur l’existence d’un double système juridique, d’une part, une protection de la loi, même si elle est de plus en plus restreinte, pour les nationaux et d’autre part, une suspension du droit pour les étrangers. C’est ce double ordre juridique qui tend à disparaître avec le nouveau projet de loi “Patriot II”. Celui-ci permet au pouvoir exécutif en retirant leur nationalité aux citoyens américains de les transférer du système de protection légale à un ordre vide de droit.
La lutte antiterroriste marque ainsi une rupture dans le mode occidental d’organisation du politique, fondé traditionnellement sur un double système qui prend la forme de l’Etat de droit à l’intérieur de la société et qui utilise la « violence pure » à l’extérieur.
Patriot II, s’il est adopté, représente la mise en place juridique de l’Etat d’exception, l’inscription du non droit dans le droit. Dans un article publié dans le journal Le Monde, Giorgio Agamben faisait reposer l’exercice du pouvoir en occident sur l’articulation de deux systèmes relativement séparés, l’ordre juridique et la violence pure. « Le système politique de l’Occident semble être une machine double, fondée sur la dialectique entre deux éléments hétérogènes et, en quelque manière antithétiques : le droit et la violence pure. Tant que ces éléments restent séparés, leur dialectique peut fonctionner, mais quand l’Etat d’exception devient la règle, alors le système politique se transforme en système de mort. » C’est exactement le processus qui se construit sous nos yeux, l’exception devient la règle impériale. La règle, qui inscrit l’exception dans le droit, se construit en fonction d’elle.
Il y a bien un double mouvement, une suspension du droit, et une mutation du droit pénal. Si le processus de suspension du droit est d’avantage mis en avant aux USA, il est également visible dans les pays européens à travers la mise en place des procédures d’exception.
Actuellement, la consolidation de la structure impériale nécessite que les restrictions apportées aux droits fondamentaux soient placées dans le droit pénal. Le bouleversement de ce dernier indique donc que nous assistons à la fin du double système, du droit et de la violence pure.
En fait, cette double structure recouvrait l’organisation d’une société nationale qui applique le droit à ce qu’elle considère comme son intérieur et qui abroge celui-ci vis à vis de son extérieur. L’Empire, comme forme d’organisation mondiale du pouvoir, ne connaît pas d’extérieur, tout mouvement, toute action politique et guerrière lui est interne. La dichotomie, intérieur et extérieur, Etat de droit et non droit, enregistrée au niveau de l’Etat national, n’a plus de sens.
La place spécifique des USA
Les Etats-Unis occupent une place particulière dans la structure impériale puisque le rapport de domination qu’ils exercent s’exprime également comme pouvoir d’une nation particulière sur le reste du monde, qui, bien que considéré comme leur jardin, reste pour eux un extérieur. La différence de traitement entre nationaux et étrangers, la suspension du droit pour ces derniers, est là pour témoigner de la singularité américaine dans l’univers impérial.
Comme tout Etat national, les Etats-Unis instaurent un double système juridique, un Etat de droit pour les nationaux et un Etat vide de droit pour les étrangers. Classiquement, comme pour les autres nations, la distinction entre les deux ordres juridiques s’articule sur la frontière.
Cependant, pour l’Etat américain, la frontière n’est pas une donnée géographique. La primauté de la nationalité américaine et la dualisation de l’ordre juridique ne s’opèrent pas sur un territoire déterminé, mais dans le monde entier. Il s’agit, non seulement, de permettre aux ressortissants américains d’échapper aux tribunaux internationaux c’est à dire aux juridictions communes, mais aussi de faire reconnaître, par les autres Etats, le droit des autorités américaines de juger les ressortissants de ces pays par des juridictions d’exception, spécialement créées à cet effet.
Les derniers accords d’extradition signés avec l’Union européenne sont une reconnaissance par cette dernière du privilège américain de décider de la dérogation au droit commun et de construire le nouvel ordre juridique mondial à partir de celle-ci. Ces accords conduisent à une intégration matérielle des appareils judiciaires européens dans le système de suspension du droit, mis en place par les Etas-Unis. Les pays européens acceptent ainsi de remettre, dans les conditions imposées par les USA, leurs propres ressortissants, désignés comme terroristes par les autorités américaines. Dans l’élaboration de cet ordre juridique, les Etats-Unis ont le rôle moteur, ce sont eux qui décident de l’exception et qui, en fonction de celle-ci, transforment la norme, notamment le droit pénal et ses procédures d’exécution. Il s’agit bien d’une réinsertion de la violence pure dans l’ordre juridique international, d’un acte constitutif de leur direction impériale.
Etat d’exception
La lutte antiterroriste opère une restructuration du pouvoir en renforçant la suprématie du pouvoir exécutif. Par le développement de lois cadres, appliquées par des arrêtés et des circulaires ministérielles ou de simple listes, établies par le ministre de la Justice (liste des organisations désignées comme terroristes), l’exécutif exerce pleinement la fonction législative et instrumentalise étroitement l’appareil judiciaire
Ces dispositions sont caractéristiques d’un Etat d’exception. Considérée comme un fait purement politique, la notion d’Etat d’exception n’est pas facile à cerner juridiquement. Elle se trouve, tel que l’exprime Carl Schmitt, dans « une franche ambiguë et incertaine, à l’intersection du juridique et du politique ».
Traditionnellement, la mise en place d’un Etat d’exception répond à la nécessité, évoquée par le pouvoir, de maintenir l’ordre public, suite à une situation exceptionnelle, due à un contexte de guerre civile. La lutte antiterroriste est également présentée comme une guerre civile mondiale, une lutte de longue haleine contre un ennemi constamment redéfini. Cette situation diffère cependant du contexte habituel. Il ne s’agit pas pour le pouvoir de faire face à des troubles existants, mais de démanteler une menace virtuelle. L’action est préventive.
Le discours développé par le pouvoir s’avère paradoxal. Il s’agit de mesures justifiées par l’urgence, mais qui s’inscrivent dans une guerre de longue durée. L’état d’urgence devient permanent. Il est considéré comme une nouvelle forme de régime politique, ayant pour vocation la défense de la démocratie et des droits de l’Homme. Autrement dit, le citoyen doit être prêt, pendant une longue période, à renoncer à ses libertés concrètes afin de maintenir un ordre démocratique autoproclamé et abstrait.
Le fait que la plupart de ces actes prennent la forme de la loi indique bien que le pouvoir s’engage sur le long terme. Pour cela, il recherche une nouvelle légitimité et veut ainsi que les populations consentent au démantèlement de leurs garanties constitutionnelles. L’ordre impérial du monde, cet ordre qui nous est imposé peu à peu, fonde la souveraineté, non pas sur la capacité d’imposer une norme, mais sur la décision libérée de toute obligation normative. Plutôt que la norme, c’est l’exception, “là où la décision se sépare de la norme juridique”, qui révèle le mieux l’autorité de l’Etat. “Est souverain celui qui décide d’une situation exceptionnelle”. La souveraineté de l’Etat ne consiste plus dans le monopole de la coercition ou de la domination, mais dans le monopole de la décision. Alors que cette définition apparaissait réductrice pour caractériser l’Etat nation, elle est particulièrement adaptée à la structure impériale qui circonscrit la politique à partir du “critère ami-ennemi”. Une telle approche conduit à privilégier la politique extérieure, au détriment du gouvernement interne. Cette conception s’avère ainsi incapable de rendre compte du caractère organique de la souveraineté de l’Etat nation, de l’interdépendance existant entre la souveraineté interne et externe, ainsi que de l’articulation des différentes institutions et niveaux de pouvoirs. Suite à la désarticulation de l’Etat nation et à l’intégration de cette structure dans une forme de pouvoir impériale, son analyse présente un nouvel intérêt. La décision concernant l’exception s’inscrit dans un ordre juridique. La situation exceptionnelle n’est pas le chaos. Si l’Etat suspend le droit, c’est au nom de sa conservation. Dans cette perspective, la décision sur l’exception est avant tout décision sur les conditions d’application de la norme. “Il faut qu’une situation normale soit créée, et celui-là est souverain qui décide définitivement si cette situation normale existe réellement”. Dans l’Empire, le pouvoir exécutif des Etats-Unis joue le rôle de l’Etat dominant, de l’Etat souverain, de l’Etat qui dirige l’ordre mondial, l’ordre nouveau, la nouvelle dictature, la dictatucratie, l’inscription de l’exception dans un ordre juridique, mais un ordre vide de droits concrets. Le contexte de la lutte antiterroriste remet à l’ordre du jour la problématique de l’Etat de droit mutant en Etat dictatucratique. Cette forme de gouvernement s’inscrit aussi dans la durée. Ces dispositions produisent également un nouvel ordre juridique, dans lequel les procédures dérogatoires occupent une place centrale, où l’exception devient la norme.
Si la lutte antiterroriste entraîne une suspension du droit et produit un nouvel ordre juridique, elle produit, en même temps, matériellement et formellement, l’ennemi à combattre. L’adaptation de l’ordre de droit ne vise pas, comme dans l’Etat de siège, à s’attaquer à une cause extérieure au système, mais à un élément produit par celui-ci. Nous assistons à une inversion du rapport entre les moyens et les objectifs. L’ennemi désigné, l’organisation terroriste, devient l’outil de la transformation du système juridique et par la-même légitimise la transformation de l’Etat de droit en Etat policier.
DICTATURE et DICTATUCRATIE
Le justitium romain, permet de distinguer l’Etat d’exception de la dictature. Le dictateur était un magistrat particulier, dont les pouvoirs étendus lui étaient donnés par une loi spécifique, conforme à l’ordre constitutionnel. Dans l’Etat d’exception, l’extension des pouvoirs, dont disposent les magistrats, résulte simplement de la suspension des lois, qui limitaient leurs prérogatives. “L’Etat d’exception n’est donc pas une dictature…mais un espace vide de droit, une zone d’anomie où toutes les déterminations juridiques, et avant tout la distinction même entre public et privé, sont désactivées”.
Les formes modernes de dérogation au droit font bien partie de l’Etat d’exception. Pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que les choses ne sont pas définitivement arrêtées. Nous assistons, partout dans le monde, à une instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le pouvoir exécutif. Quant à la lutte antiterroriste, elle permet de poursuivre toute personne soupçonnée de faire partie d’une liste d’organisations, établie par le ministre de la Justice ou simplement par un policier. L’exemple le plus explicite de ce processus de confusion des pouvoirs se situe aux Etats-Unis, où le président s’est attribué le pouvoir de désigner les magistrats, siégeant dans les tribunaux militaires d’exception. La concentration des pouvoirs au sein de l’exécutif, dont ceux normalement dévolus à l’appareil judiciaire, fait du président un magistrat faisant fonction, dont des pouvoirs étendus lui sont donnés par des lois, arrêtés et décrets spécifiques. En France, la loi Perben élargit les pouvoirs de la police et modifie les procédures d’enquête en augmentant les possibilités de garde à vue, de perquisition et d’écoutes en cas de “criminalité organisée“. Il est mis en place une recherche préliminaire, grâce à laquelle les policiers pourront mettre en œuvre des techniques spéciales de recherches, sans que la personne concernée en ait connaissance.
Cette loi met aussi en avant une procédure, de “plaider coupable“, baptisée “comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité“. Aux Etats-Unis, ce système est devenu très commun. Il s’agit d’obtenir une réduction des chefs d’accusation par une requalification des faits (par exemple une qualification d’assassinat transformée en homicide involontaire) en échange d’un aveu de culpabilité. Ce procédé renforce considérablement la domination de la procédure sur la loi. Elle instaure formellement une espèce de contrat entre deux parties inégales et met en place une négociation qui s’oppose au principe de légalité.
La promotion du « plaider coupable » se double d’une autre procédure installée en 1999 : la “composition pénale”, à travers laquelle l’auteur du délit peut échapper aux poursuites. Réservée au départ à des délits dont la peine maximale d’emprisonnement est inférieure à trois ans, cette loi porte le seuil à cinq ans. Ce qui a pour effet d’inclure des délits tels que le trafic d’influence, l’abus de biens sociaux et l’abus de confiance. Ces infractions, liées à la criminalité financière, pourraient être l’objet d’une négociation qui permettrait à l’auteur des faits d’échapper au jugement
Ainsi, est mise en place une justice à géométrie variable, d’une part une présomption de culpabilité pour ceux qui seront présentés comme tels par l’appareil policier et d’autre part, la possibilité d’échapper au jugement pour les auteurs de délits économiques et financiers. Ce privilège est inscrit juridiquement. Il fait partie de l’ordrede droit.
A travers cette loi, le ministre de la Justice s’introduit dans le code pénal. Il revendique un pouvoir d’intervention dans les dossiers individuels et inscrit ainsi la fin de la séparation formelle des pouvoirs. Le garde des Sceaux se présente comme un magistrat disposant de prérogatives extraordinaires qui lui sont données par la loi.
A travers l’élargissement des prérogatives du procureur et de la police, ce sont deux institutions, liées au pouvoir exécutif, qui remplissent les fonctions attribuées normalement au pouvoir strictement judiciaire, juges de fond et juges d’instruction. Ces procédures d’exception procèdent à une suspension effective des libertés fondamentales et modifient l’ordre de droit. Ces dispositions, contenues dans des lois et arrêtés promus par l’exécutif, s’inscrivent dans un nouvel ordre juridique, celui de la “dictature constituante”. Cette voie représente aussi l’horizon de la politique impériale, celui d’une forme de gouvernement garantissant les conditions politiques et militaires d’une gestion globale de la force de travail, celle mise en place à travers les négociations sur l’investissement au niveau de l’OMC ou sur la privatisation des services publics. Dans une telle perspective, l’Etat d’exception apparaît comme une phase de transition destinée à “libérer” la force de travail de ses acquis sociaux. Pour cela, il s’agit de suspendre ses droits politiques concrets. Ce processus réalisé, la dictature correspondrait à un nouvel ordre juridique, celui de droits abstraits, celui d’une force de travail universelle, défaite de ses particularités historiques et politiques, obtenues dans le cadre des Etats nationaux
L’essentiel dans les lois antiterroristes actuelles n’est pas, comme dans les législations plus anciennes, d’exclure les mouvements de luttes du politique et de les traiter selon le droit pénal. C’est au contraire le caractère politique qui est attribué à l’auteur de l’acte, son intention de déstabiliser le pouvoir, qui permet de le criminaliser.
Ces lois ne mettent pas en place un ordre vide de droit. Le droit pénal devient un acte constituant, divisant le politique en deux camps, “celui du bien et celui du mal”. La confusion du champ du politique avec celui du pénal, permet au pouvoir exécutif d’exercer une fonction de magistrat, chargé de punir toute opposition, non reconnue par le pouvoir.
L’installation de telle ou telle forme de gouvernement ne dépend pas d’une cohérence formelle au niveau de l’écriture du droit, mais des rapports de forces immédiats, des capacités de résistance des populations. Dans l’Etat d’exception, il est toujours formellement fait référence à un possible retour à la forme de l’Etat de droit. Cette perspective ne fait pas partie des plans concoctés par le pouvoir. Quoique moutons, peureux de perdre ce que vous avez ou ce que vous rêvez d’avoir, il est temps que vous commenciez à réagir politiquement en osant dire “NON” à toutes les lois qui suppriment peu à peu toutes les libertés fondamentales qui forment la démocratie. Il est sans doute déjà trop tard…