Dolly Parton…
Hummmmm…, je me souviens du frémissement d’horreur qui m’avait couru l’échine, il y a une dizaine d’années de cela, lorsque j’avais appris qu’on avait cloné Dolly…
Et physiquement, il y avait une ressemblance, finalement.
Quoique cette Dolly fut une brebis, il n’en reste pas moins vrai que si les vaches pouvaient parler (on reste dans le coté fermier de la Country Music), nul doute qu’elles aimeraient la fermière Dolly Parton, dame patronnesse de la Country et madone des sleepings sur le retour, qui fut toujours une grande blonde fade, habillée en sapin de noël.
Pour tout vrai amateur de musique country (“ceusses” qui s’habillent avec des franges partout, slip compris, avec toute la panoplie far-west : santiags et jambes arquées pour les cow-boys, bottes et jupette pour les cow-girls), Dolly Parton ne mérite pas un regard (sauf en direction de ses seins, qu’elle a bien gros)…, son succès l’a tellement surexposé, qu’il ne reste rien au biographe que je suis à découvrir (sauf sous son chemisier)… et l’intense lumière des spotlights qui l’entoure lui font comme une aura kitch rebutante.
Il y a quelques années, une publicité pour une marque de soutiens-gorge révolutionnaires intimait en vain : “regardez-moi au fond des yeux“… et on avait, avec le décolleté de Eva Herzigova, le même problème qu’avec le décolleté de la chanteuse Dolly Parton !
Beaucoup de gens – des mâles libidineux, surtout – n’ont jamais cherché à la regarder dans les yeux, ni à écouter ses disques, c’est que Dolly Parton est pourvue d’une poitrine monstrueusement fascinante.
Habillée de vêtements moulants mais extravagants et surmontée de perruques invraisemblablement baroques, cette opulente vallée de chair a transformé Dolly Parton en silhouette mythique et obscène, en chimère sculpturale, en fantasme de drag-queen, idole des camionneurs sur la route depuis trop longtemps… et des amateurs de culture trash.
Mais sans doute a-t-elle aussi caché le vrai visage de Dolly Parton : celui d’une immense chanteuse américaine.
Dolly Parton n’est pas la tante de Samantha Fox !
Chez elle tout se passe effectivement entre le ventre et la gorge, mais est-ce plus près du coeur que du bonnet F ?
Aucun homme de goût ne peut approcher l’idole populaire, sans ressentir une colère sourde devant ce monument de vanité égrillarde.
Et si d’un œil sociologique, on veut approcher la laitière, qu’habité des meilleures intentions de mansuétude, on s’avise d’écouter son œuvre, on se doit d’admettre qu’un fossé nous sépare de Dolly Parton dont le seul intérêt est qu’elle peut prétendre entrer dans les livres d’histoire, du fait de l’ahurissant succès qu’elle a rencontré au cours de sa carrière, grâce à un look des plus improbables qui fait d’elle le parfait sosie de ma tante, une auvergnate bon teint qui tenait un bordel un café.
Pourtant cette chanteuse, dont le talent doit être remis en cause, brille au firmament des stars locales comme la plus brillante… et tous les américains qui connaissent ces fredaines, savent quelle est la taille de son tour de poitrine… et ont une fois dansé la gigue dans une grange tandis qu’un orchestre amateur reprenait l’un de ses airs.
La moquerie ne suffit pas pour cerner Dolly Parton, elle n’est pas de ces problèmes que l’on peut écarter d’une main comme s’ils n’existaient pas, car Dolly Parton vit en ce moment exactement dans ce même monde où nous nous débattons.
Il faut alors pour cerner l’apparition de ce phénomène, avec abnégation, remonter aux origines, découvrir quel rôle joue Dolly Parton dans la sous-culture américaine : Celui de la serveuse de bar, un peu leste, qui assume blondeur et formes… et n’hésite pas à verser dans la niaiserie pour réconforter les clients venus dans les bars par désamour, autant que par soif.
De même et avec l’impudeur complète qui la caractérise, avec une absence de retenue de vraie fille de ferme, elle chante des rengaines haut-perchées qui sentent bon le houblon et les parties de billard, moments délicieux s’il en est, dont chacun de nous a une nostalgie béate, comme en un âge d’or idiot où passé enfin de l’autre côté du miroir, prendre un plaisir frustre est permis.
Et si malheureusement, écouter Dolly Parton est un acte entièrement régressif, il n’est pourtant pas niable qu’il apporte une joie stupide similaire à celui de manger une bonne grosse saucisse bien grasse…
Où est donc le goût là-dedans ?
Existe-t-il encore dans cette musique quelque chose qui puisse se nommer du style ?
Non, évidemment…, car Dolly Parton est par delà le bien et le mal, un pur animal chantant qui s’adresse à notre vulgarité, à nos rêves de piscines en forme de flamant rose, et à cette éternité absurde qui gît blessée au fond de nous.
Seuls quelques initiés savent que ses hystéries kitschs et les gesticulations ridicules de la Matrone ne sont que pour rire, que sa truculence n’est qu’un masque qui dissimule un visage d’une paleur terreuse, un chagrin d’avant-tombe promis aux consolations du fouet.
J’entends bien qu’il y a chez Dolly Parton une part déterminée qui ne cesse pas de gémir ou de s’écorcher… et une part sollicitée qui implore le rêve d’une Amérique puante et embaumée.
Dans la Country et la Variété de Las Vegas, un univers extérieur et anecdotique renvoie souvent à un univers secret qu’il camoufle…
Autant un type comme Jack White qui connait par coeur les répliques de la vie, qui se lamente, qui défaille, qui hurle à la mort, qui succombe sous les sournoiseries de l’acupuncture… a ce talent d’etre à l’affut, au service de ce qui fait mal perfidement en exhumant Loretta Lynn et la proclamant chanteuse selon son coeur…, autant Dolly Parton en habit de lumière, chantant pour des truckers dégénérés ou des richissismes marâtres sur une scène de las Vegas, ne me fait pas plus flipper que les très surestimés Américan Recordings de Johnny Cash qui, pour le coup, a raté sa sortie.
Voilà…
Sur un Forum dédié aux voitures américaines et au Rock-Country, j’avais donné un avis tout aussi critique sur un pianiste Rock qui était la pire des crapules hors scènes, ce qui m’avait valu un bannissement à vie…
Ici, je ne crains rien…
C’est tout plaisir !
Il n’empèche que, quand je “cause” de quelque chose ou de quelqu’un d’autre (forcément) je suis documenté…
Il y a quelques années, le hasard a mis Dolly sur ma route.
Le lendemain de mon arrivée à San Francisco, le Golden Gate Park accueillait le “Hardly Strictly Bluegrass Festival“, un gigantesque raoult de musiques traditionnelles américaines (et blanches, donc racistes), entièrement gratuit car financé par un important milliardaire de la région : plus de soixante groupes… et Dolly Parton en tête d’affiche.
Je ne pouvais rater ça.
Le festival était immense.
Face à chacune des cinq scènes, plusieurs milliers de personnes, debout sur un gazon tendre, écoutaient des quintettes de banjo et de plus ou moins vieilles stars de la country, dans une bonne odeur de BBQ Ribs et brochettes de poulet teriyaki.
C’était un gigantesque pique-nique qui sentait la vieille Amérique.
Guidé par le responsable musique de Sfist qui m’avait été présenté par l’organisateur du concours annuel de Peeble Beach (voitures de collection), j’arrivais peu avant le concert de Dolly.
Elle jouait sur la plus grande scène, le Star Stage, bien caché au fond des bois.
Mais il n’était pas difficile à trouver : une heure avant le début du show, une foule énorme et bariolée opérait sa transhumance vers la star.
Grâce à un passe, j’ai pu avancer relativement près de la scène.
Pas assez pour faire de beaux portraits de Dolly, assez en revanche pour partager une inédite promiscuité avec ses fans.
C’est à eux que je décidais surtout de m’intéresser.
La foule était immense, et Dolly Parton elle-même, à son arrivée sur scène, en fut estomaquée : “There’s even people up in the trees ! Hello monkeys !“.
Dolly avait de beaux et longs cheveux blonds d’adolescente, portés en frange vulgaire… et une grosse réserve de blagues de cul.
Elle portait un micro-casque, une robe pailletée bleue turquoise au décolleté grossier… et parlait d’une voix nasillarde et suraïgue.
A la regarder évoluer sur la scène, à l’écouter raconter ses blagues au public, je me suis vite rendu compte que Dolly Parton n’était rien d’autre que la source à laquelle nous, Franchouillards…, sommes allés puiser nos clichés sur l’Amérique profonde : la serveuse plantureuse et allumeuse des diners, la tenancière du saloon, la femme de l’entrepreneur texan qui pose bottes et minijupe dans la flaque de pétrole.
C’est la femme trop vieille pour les envies que son corps pourrait susciter, qui nous parle comme si elle était notre grande cousine lubrique mais si emplie de religiosité…
Je n’aurais la prétention de juger sa musique d’après le bout de concert que j’ai vu.
Je me souviens juste que les deux premiers morceaux ressemblaient au pire de la country FM… et que le troisième, Crimson and Clover, était magnifique.
Une vraie chanson, qui a résisté à une interprétation un peu trop “grand concert professionnel avec le bassiste qui pivote sur ses hanches“.
Mais le plus impressionnant n’était pas sur scène, il était autour.
Dans tous ces gens que j’ai photographié.
Des échappés d’un bagne, des cul-terreux libidineux (regardez l’hypocrisie qui transpire des deux ci dessus), des couples yuppies, un ou deux punks, des ersatz fatigués de Grandaddy, des clones de Cornershop, des cow-boys branchés, des papis redneck, des customizeurs, des jolies midinettes, des mères de familles sur le retour alors qu’elle ne sont allées nulle-part…, des papies, des mamies, des poivrots (beaucoup !)…
Et tous, tous et toutes, qui écoutent Dolly comme le messie.
Ils (et elles) sont toutefois plus attentifs à ce qu’elle dit entre les morceaux (et elle est très bavarde) qu’à ses chansons.
Et tous sourient, rigolent à ses blagues : “Quand je dis que j’ai beaucoup de frères et soeurs, on me demande si c’est parce que mes parents étaient très religieux. Et je réponds que non, ils aimaient surtout baiser“…, blagues salaces auxquelles tout le monde ri dans un concert d’applaudissements réjouis…
L’Amérique profonde fait peur !
J’aurais aimé avoir le courage et surtout le temps de leur parler, de tous les interroger, de savoir s’ils préféraient l’icône ou sa musique, Dolly ou ses chansons, ou Dolly grâce à ses chansons.
J’ai papoté avec un barbu un peu paumé qui m’a dit que Dolly était “importante” et surtout que le festival était gratuit : “It’s so expensive to see her, that’s why there are so many people here“.
Etait-ce l’Amérique bourgeoise de l’Ouest venue se baigner de l’autre Amérique, la profonde ?
Etait-ce un amour passionné pour une artiste ?
Pouvais-je faire autrement que rester éberlué, que de me sentir plus anthropologue qu’autre chose ?
Il me faut ici le confirmer : Dolly Parton est importante, question volume de ses seins…
Toutefois, j’admet que Dolly Parton a écrit des chansons fortes, historiques…, mais ces diamants sont cachés sous une immense croûte de vulgarité…
Mais, elle est si gentille que je m’en voudrais d’en dire du mal !