E-mail-lez-moi….
Je suis frappé par la tournure de la plupart des é-mails que je reçois et des messages qu’on m’adresse, qui sont souvent empreints de la plus grande des précipitations dans leur tournure, leur rédaction, sans même parler de leur contenu souvent minimal. Cette catégorie de messages semble être le fruit d’une réponse immédiate, pas très réfléchie, semblable à l’interpellation d’un orateur lancée du fond de la salle. Et c’est bien d’une interpellation orale qu’il s’agit, puisque pratiquement tous ces messages ne comportent pas de signature, comme si leurs auteurs s’attendaient à ce que je réponde sur le même ton, dans l’immédiat, d’une phrase qui serait le début d’un dialogue.
Ces internautes qui m’écrivent semblent penser que leur message est immédiatement lu et compris : sinon, comment expliquer que tout à leur fureur ou à leur contentement, ils oublient presque systématiquement de préciser le texte sur lequel porte leur message ? Charge à moi de deviner lequel… ce qui n’est pas une mince affaire, mes archives étant plutôt conséquentes. Et cela me vaut des messages aussi ésotériques que “C’est une farce, sans doute ?” ou “Va te branler !” en réaction à un texte inconnu. Les seules et laconiques réponses possibles sont de l’ordre du mot “Peut-être“, “Ah bon ?“. Quelles sont les raisons de ce désir d’immédiateté ? Pourquoi cette tendance à appréhender le média “Messagerie internet” comme relevant du domaine oral plutôt que du domaine écrit ? Est-ce la rapidité de la transmission qui pousse à croire que l’acheminement des messages est différent dans son essence de notre bon vieux courrier/courriel ? Pourtant, toute personne qui s’est essayé à construire une conversation par mail s’est vite rendue compte que l’on passait plus de temps à se demander si l’interlocuteur/l’interlocutrice (pardon ! le/la destinataire des messages) avait bien reçu ou lu le message qu’à écrire réellement. Par quel phénomène étrange devient-on subitement pressé de recevoir une réponse, souffrant parfois de ne pas la voir arriver, appuyant avec frénésie sur le bouton “Vérifier l’arrivée du courrier“, alors que le délai de réponse nous était auparavant une des composantes les plus délicieuses de l’échange épistolaire ? Peut-être le mode d’accès à Internet est-il en cause.
Pour le grand public, les deux moyens d’accès à Internet sont l’abonnement privé et l’accès au travail. Pour ces deux modes d’accès, l’urgence et l’efficacité sont des contraintes imposées dommageables à une réelle appréciation du contenu trouvé. Dès le début, les abonnements privés ont été présentés sous l’angle de forfaits en nombre d’heures, instituant une sorte de coût de communication au temps subjectif passé : le coût réel de la communication se double d’une certain coût subjectif, comme pour les téléphones mobiles. Quand on passe son temps sur Internet, on pense au porte-monnaie qui se vide, et cela indépendamment du coût réel relativement minime. L’équation “le temps c’est de l’argent” se transforme stupidement en contrainte : dans nos sociétés où “l’efficacité” et “la rentabilité” sont devenus des concepts obligatoires -bien que vidés de leur sens dans la plupart du temps- la navigation sur Internet se doit d’être rentable. La plupart des internautes seraient bien incapables de préciser les critères de cette rentabilité qu’ils s’imposent : il n’en reste pas moins qu’ils portent une sorte de jugement sur le contenu qu’ils consultent, écartant délibérément ce qui est trop long à consulter, trop ennuyeux à analyser, voire simplement mal présenté. Internet et les moteurs de recherche peuvent facilement donner à croire que la solution se trouve juste un peu plus loin, mieux faite, mieux présentée, mieux résumée.
L’accès au travail souffre d’un autre genre de contrainte : facilité par la gratuité et par le débit bien plus conséquent, il pourrait être le lieu d’une rencontre vraiment idéale avec Internet. Mais bien sûr, l’accès ne doit être utilisé que pour des raisons professionnelles, ce qui en réduit l’intérêt.
Quand on l’utilise à des fins personnelles, c’est à la sauvette, en tentant d’échapper à la surveillance de plus en plus présente des cyber-flics d’entreprise ou de son supérieur hiérarchique à l’œil fureteur. On retrouve une contrainte de temps et d’efficacité, on n’accomplit plus que des actions rapides et pouvant être interrompues. On garde sa vigilance en alerte, et donc on ne peut plus se concentrer…bref, la navigation n’est jamais satisfaisante.
Je pense que les entreprises ne mesurent pas la satisfaction qu’elles pourraient obtenir de leurs salariés si elles autorisaient ouvertement le “surf” personnel avec des contraintes minimes (horaires, sites de secrets interdits autorisés…). Mais le moyen d’accès à Internet n’est pas seul en cause, la présence obnubilante de l’écran fait confondre culture cathodique et culture tout court. Comme les pseudo-journaux télévisés qui nous présentent un aperçu de l’actualité censé être complet en quelques minutes d’images à peine saupoudrées de commentaires ineptes, on voudrait le plus souvent que notre consultation d’internet soit semblable à ces quelques minutes, rapide, efficace, colorée. Peu importe le fond tant qu’on a la présentation. L’écran est un élément majeur de la culture de la rapidité, de l’efficacité, de prêt à ingurgiter…et en définitive du prêt-à-penser.
Pour s’en convaincre, il suffit de constater la vacuité non pas seulement de ce que l’on essaie de nous vendre, mais de ce que les équipes de marketing pensent qui nous plaira. Abysses infinis de la stupidité où l’on voudrait nous confiner, comme l’on voudrait nous faire croire que les acteurs idiots de Loft Story représentent la normalité de la population. Regarder un portail en ligne et les rubriques qu’il propose permet de prendre la mesure de l’imbécillité dans laquelle on nous tient. L’information se réduit par exemple à une série de dépêches lapidaires, sans mise en relief, sans analyse. Les rubriques principales comportent le sport à outrance, la météo, les cours de la bourse, les horoscopes (somme toute assez comparables). Et l’on voudrait que ce soit la première demande du public ? C’est prendre les gens pour des cons…
En passant, les journaux gratuits autour desquels on s’écharpe actuellement n’ont rien inventé : cela fait longtemps qu’Internet est en grande partie fait de pages qui n’ont pour seul but que de nous exposer encore et encore à des publicités ad nauseam. Et pour en revenir à mes admirateurs et admiratrices, j’ai heureusement “ceusses” qui, parmi tous les médiocres qui m’insultent en deux lignes bourrées de fautes de frappe, prennent le temps de rédiger leur message pour m’apostropher longuement, patiemment, par des messages insensés devant lesquels je reste pantois, et auxquels je ne réponds pas.