Ecrire pour ne rien dire à l’attention de ceux qui lisent pour ne rien comprendre…
J’étais parti avec l’idée de réfléchir à l’âge post-technétronique en méditant sur l’achèvement de la civilisation et puis, dans le fil de ma pensée, j’ai navigué et divagué, sabotant carrément mon travail de réflexion en ayant le sentiment d’écrire pour ne rien dire.
Pourtant, c’était bien parti mais je me suis vite essoufflé, avec l’envie soudaine d’envoyer un coup de pied dans une pile de bouquins pour me défouler de tant d’inconsistance venant de mon côté, puis j’ai projeté ma rage sur quelques auteurs faisant office de têtes de turcs.
Après cet exercice inachevé d’essai visionnaire écrit dans le brouillard, je me suis réveillé….
Bon, je vais quand même vous faire profiter de cette prose, même si vous ne voulez rien comprendre.
Le monde se présente sous la forme de trois strates de civilisation superposées de manière très inégale au sein des quelques deux cents nations occupant la planète.
– La strate la plus ancienne est celle de la ruralité, avec ses paysans, son économie souvent basée sur le troc. Les agences officielles évoquent une pauvreté en incitant les pays concernés à se développer pour tirer les populations hors du seuil de pauvreté.
– La state intermédiaire est plus récente. C’est celle des zones urbaines industrielles avec des travailleurs et des usines, occupées par les cols bleus et les cols blancs. Il y a aussi les cols verts mais ils se sont envolés. Certains travailleurs ont des revenus élevés s’ils sont dans des zones dynamiques, d’autres sont pauvres. Rien de commun entre l’ouvrière du Bangladesh qui fabrique des vêtements en gagnant quelques euros par jours et le camionneur du Dakota qui transporte du pétrole de schiste et se fait 80.000 dollars par an.
– L’autre strate est formée par des individus fluides et mobiles utilisant les nouvelles technologies.
En fait, les strates se présentent comme un champ sociotechnique, avec des emplois occupés et des dispositifs utilisés.
Ce qui au bout du compte aboutit à trois types d’existence : la vie rurale et paysanne, la vie urbaine mécanisée, la vie numérique globalisée.
– La vie rurale se fait au rythme naturel des jours et des saisons, sur un mode quasiment sédentaire. Le temps est propice à la rêverie et à la contemplation bucolique.
– La vie industrielle utilise les moyens mécaniques modernes, transports en commun, véhicules motorisé, biens d’équipement standard, frigo, machine à laver, bref, l’existence au temps du général de Gaulle ou de l’Amérique un peu avant JFK.
– La vie globalisée a commencé à s’immiscer lorsque les téléphones, récepteurs radio et télé, se sont implantés dans les foyers. L’ordinateur puis le smartphone ont considérablement renforcé le mode d’existence numérique, qui se combine aux deux autres modes. Car même un sédentaire qui cultive quelques terres a accès aux connexions numériques. Enfin, tout dépend où il se trouve. Si c’est un cultivateur de Lozère, ça peut le faire. Pour un paysan dans les zones reculées du Kenya ou de la Sibérie, c’est autre chose.
Le schéma vu du ciel semble étrange, on dirait une sorte d’organisme global fait de technologies et d’humains différenciés en plusieurs types et formant un système productif universel, un peu comme les quelques deux cents types cellulaires formant le corps des mammifères.
Etrange vision que celle qui plonge l’humanité globale dans le secret de l’embryogenèse et se plaît à imaginer les trois strates comme issus de trois feuillets.
Non pas endoderme, mésoderme et ectoderme, mais les states sociotechniques, le rural, l’industriel et le numérique.
– Le rural, c’est un peu le monde vital, rustique, alimentaire, avec ses zones de cultures, d’acheminement alimentaire et les déchets qui sont excrétés, bref, un peu le tube digestif de l’humanité, équivalent du tube digestif des animaux.
– L’industriel, ce sont les organes. Foie, pancréas, reins, os etc… ou bien dans l’humanité globale les industries mécaniques de transformation : agroalimentaire, chimie, recyclage, outillage, les grands et petits ensembles bétonnés formant la structure osseuse des sociétés.
– Enfin, là où l’animal a des systèmes perceptifs et cognitifs, avec le cerveau (issus de l’ectoderme), on trouvera l’équivalent sous la forme des satellites, des drones, des caméras vidéo et des tuyauteries jouant le rôle de synapses avec les câbles électriques et les signaux hertziens.
Bon, et après, ça apporte quoi cette approximative analogie ?
Je n’en sais rien.
J’ai l’impression d’écrire pour ne rien dire, comme des tas d’autres analystes et écrivains en herbe.
Mais au moins, j’en ai conscience.
A l’ère du flux numérique, la rencontre entre l’écrivain et ses lecteurs est encore d’actualité, elle prend souvent la forme de celui qui écrit pour ne rien dire à l’attention des lecteurs qui lisent pour ne rien comprendre.
Quant à ceux qui écrivent pour dire quelque chose, eh bien ils disent souvent n’importe quoi, comme par exemple Michel Serres, Jérémy Rifkin ou Jacques Attali.
Chacun sa lubie.
– Serres voit dans la petite poucette un nouveau genre humain les yeux sur le smartphone et les doigts sur le digiphone.
– Rifkin a dit a peu près n’importe quoi sur le travail.
– Quant à Attali, son rêve de gouvernement mondial est d’une bêtise incommensurable, tout autant que ses commentaires de bistrot sur les économies européennes, ses interprétations de l’Histoire et ses propos sur la musique.
– Je n’ose pas parler de la religiosité servie sous forme de guimauve par Frédéric Lenoir.
Bref, la vie de l’écrivain contemporain se situe entre la zone et le profit.
La zone pour ceux qui ne sont pas édités et le profit pour les faiseurs de culture mainstream…, avec en face, les lecteurs qui ne veulent rien comprendre.
Phénomène social assez récent dû à l’éducation nationale qui a formé des crétins et des tas de gens pour qui les choses savantes sont dégoûtantes mais qui pour sauver leur bonne conscience, ingurgitent la culture sous forme de suppositoire.
J’avoue que ce n’est pas franchement motivant d’écrire à l’époque des crétins.
Et si je redevenais paysan ?
Il est plus utile de cultiver des salades que d’écrire des choses savantes pour un public qui ne veut rien comprendre et croit que le savant lui raconte des salades, puis s’en va acheter le dernier truc-à-la-mode.
A l’ère où les individus ont le tympan en forme de cuvette de chiottes, il convient de composer n’importe quoi à l’attention de ceux qui n’entendent rien.
Ainsi va le cours du monde numérique.
Franchement, des millions d’années d’évolution et quelques milliers d’années de civilisation pour arriver à ça : un développement minable, un monde de sourds et d’illettrés interconnectés.
Le système nerveux social atteint d’Alzheimer…, observez en effet combien étaient prêts à revoter pour Sarkozy, à voter Fillion… et maintenant en a eu Macron !!!
Sans compter les débats politiques et les discussions médiatiques.
Le système nerveux global est défaillant, les programmes télévisés semblent s’adresser à des débiles mentaux.
Cette fois, le coup de pied, c’est dans l’écran télé que j’ai envie de le mettre.
Mais bon, j’y tiens quand même, c’est un vieux poste à tube cathodique qui rend quelques services grâce à son décodeur TNT fabriqué en Chine.
Mais je m’aperçois vite que la télé montre n’importe quoi à l’attention de ceux qui ne veulent rien voir !
Rien voir de la bestialité des troupeaux de touristes, des meutes qui envahissent quelques lieux comme le mont Saint-Michel ou la tour Eiffel, Saint-Tropez et Palavas-les-flots…
Des reportages sans intérêts.
Une télé squattée par les commerciaux merdiatiques.
Rien que le fric.
Quand on pense au fric et à sa petite personne, on ne peut plus être à l’écoute de la civilisation qui souffre de ne pouvoir naître.
Du coup, je m’en vais écouter le coucher de soleil (sic !), qui en dit plus sur l’univers que ces bavardages médiatiques et cette populace technologique accro à l’écran et qui ne veut plus entendre, comprendre, écouter, connaître.
L’espérance est dans l’effondrement de ce monde factice.
En finir avec les crapules et la populace…, ou bien lire dans le vol d’une hirondelle l’histoire de l’univers.
Je m’envole, pour survoler librement la matière et revenir passer quelques instants avec les amis d’un soir lors d’un café philo.
Comprendre, oui, c’est ce qui fait l’essence de l’existence humaine.