….”Et il faudra trembler, tant qu’on aura pu guérir cette facilité sinistre de mourir“…
Ces vers d’Hugo, écrits à propos des morts de la Commune, il y a bientôt un siècle, je me les relis en pensant à ces jeunes gens et à cette jeune fille qui se jetent dans les flammes plutôt que d’accepter le monde tel qu’on leur fait…
Peut-être est-ce la première fois, dans notre socièté occidendale, qu’une telle immolation volontaire soufflette la morale de l’intérêt bien entendu, du bon sens… et la notion de l’adaptation au monde tel qu’il est.
Mais cette immolation est-elle volontaire ?
Comme les chrétiens refusant jadis de sacrifier aux idoles, ces jeunes êtres ont senti, à tort ou à raison qu’ils n’avaient pas le choix de sacrifier à ces faux dieux d’avidité et de violence au milieu desquels nous consentons à vivre, ou de protester par leur mort…
“Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles“…
(William Shakespeare )
En un sens, ils ne se trompaient pas : On ne vit pas sans être impliqué.
“Le monde est en feu”, disent depuis près de trois mille ans les suttras bouddhiques, “le feu de l’ignorance, le feu de la convoitise, le feu de l’agressivité le dévorent”…
“L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor”…
Quelques enfants à Lille, à Paris, il y a quelques mois en Provence, ont reconnu cette vérité que la plupart d’entre-nous passent leur vie à ne pas voir…
Ils sont sorti des guerres plus radicalement destructives que jamais s’installent au milieu d’une paix qui n’est pas la paix et qui tend trop souvent à devenir pour l’homme et son environement aussi destructive que la guerre…
… d’un monde ou des annonces de restaurants gastronomiques voisinent dans les journaux avec des reportages sur des peuples morts de faim, où chaque femme en manteau de fourure contribue à l’extinction d’une espèce vivante, où notre rage de vitesse aggrave chaque jour la pollution d’un monde dont nous dépendont pour vivre, où tout lecteur avide d’un roman de série noire ou d’un fait divers sinistre, tout spectateur d’un film de violence contribue sans le savoir à cette passion de tuer qui nous a valu en un plus d’un demi-siècle des millions de mises à mort…
Ces enfants ont-il eu raison ou tort de quitter tout cela…?
La réponse dépendra en définitive du changement de coeur qu’aura ou n’aura pas produit autour d’eux leur sacrifice…
Pouvions-nous les empêcher de l’accomplir ou, ce qui importe encore plus, pouvons-nous empêcher dans l’avenir que d’autres coeurs purs ne prennent la même voie…?
Devant cette interrogation si pressante, il faut bien admettre qu’aucune des raisons habituelles que nous aurions pu leur donner pour continuer à vivre n’est pas assez forte pour retenir quelqu’un qui ne supporte plus le monde tel qu’il est…
Il est vain de leur dire que les plus habiles ou peut-être les plus sages, peuvent encore se débrouiller dans le chaos où nous sommes, ou même en extraire quelques parcelles de bonheur ou de réussite personnelle, quand ce dont ils meurent n’est pas leur propre détresse…
Il semble bien qu’à ce sacrifice de moine bouddhique, si digne d’amiration du fond de son horreur, on ne peut opposer utilement que la tradition qui veut que le Bouddha lui-même, sur le point d’entrer dans la paix, décida de rester dans ce monde tant qu’une créature vivante aurait besoin de son aide…
Ceux qui sont partis étaient sans doute les meilleurs : nous avions besoin d’eux, nous les aurions peut-être sauvés si nous les avions persuadés que leur refus, leurs indignations, leur désespoir même, étaient nécessaire, si nous avions su opposer à cette facilité sinistre de mourir la difficulté héroïque de vivre (ou d’essayer de vivre) de manière à faire du monde un lieu un peu moins scandaleux qu’il n’est…
– Extrait de “Le temps, ce grand sculpteur” de Margueritte Yourcenar, écrit en 1970…
“Ce qui est une nourriture pour l’un est un poison pour l’autre”…
(Paracelse)
“C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas”…
(Victor Hugo)
“C’est l’homme tout entier qui est conditionné au comportement productif par l’organisation du travail, et hors de l’usine il garde la même peau et la même tête”…
“Travail : du latin Tri Palium : trois pieux, instruments de torture”…