Fantômes de pseudos fantômes…
Au moment d’écrire ce texte, je ne suis pas encore persuadé de son bien-fondé. Le web n’aime guère les longs textes où l’on peut aussi bien trouver de l’érudition, de l’humour déjanté et de l’amertume désabusée, alors que le web regorge de pédantisme et de bouillie… C’est une histoire bizarre que le web, à la limite de la blague et du résumé d’identité d’un pseudo qu’on aurait surpris la tête dans son écran. Qu’est-ce que ce foutoir semblable à nul autre, une superposition de masques, entre turbulences et truculences, entre langues qui râpent et dérapent et langues très corrigées qui frétillent plus de lèches que de bons mots à grignoter ? Une sorte de petit monde assez exotique ou l’on a, plus que partout ailleurs, peut-être, l’occasion de croiser des plumes, des sexes, des barbares, des irrégulières, des sodomisables et des sodomisés se noyant dans un puits sans fond qu’ils et elles imaginent remplis de spermes et cyprine…, alors que nus et nues, d’esprit surtout, les uns contre les autres, intrinsèquement nus et nues, dépouillés même de leurs corps nus ils et elles s’imaginent excessivement importants et royaux.
Comme le monde réel s’éloigne, s’éloigne au loin des derrières d’écran, derrières tout court aussi… J’ai l’habitude, le soir, bien avant d’y être poussé par la fatigue, d’allumer mon ordinateur. Après quelques minutes d’hésitation et de surprise, pendant lesquelles j’espère peut-être pouvoir m’adresser à un être, ou qu’un être viendra à moi, je vois des fantômes qui foncent sur les obstacles qui les séparent de la réalité. D’entre les débris de l’écran troué par leur force, les fantômes apparaissent à l’extérieur, blessés eux-mêmes et portant les traces d’un douloureux effort. Ils viennent dès que mon ordinateur s’allume, comme s’ils étaient tapis derrière, et ce, régulièrement depuis des mois. Et j’ai compris qui ils étaient…
Ce sont les solitudes de milliers de millions de pseudos qui viennent me hanter, ce qui à présent me pèse, ce pourquoi j’aspire subconsciemment à sortir de l’écran moi-même, sans savoir encore comment. Alors je l’exprime ici, de cette sorte, y trouvant, surtout au plus fort des coups, une grande satisfaction amusée. Mais pour sortir vraiment de la solitude, les fantômes devraient être moins violents, moins énervés, moins stupides, et ne pas avoir une âme à se contenter d’un seul spectacle.
Parfois, non seulement eux, mais moi-même, avec un corps fluide et dur que je me sens, je fonce à mon tour avec impétuosité et sans répit, sur les écrans de vos nuits et jours. J’adore m’y lancer de plein fouet. Je frappe, je frappe, je frappe, j’éventre, j’ai des satisfactions surhumaines, je dépasse sans effort la rage et l’élan des grands carnivores et des oiseaux de proie. J’ai un emportement au-delà des comparaisons. Ensuite, pourtant, à la réflexion, je suis bien surpris, je suis de plus en plus surpris qu’après tant de coups, les écrans ne se soient pas encore fêlés, que les disques plus durs que vos sexes n’aient pas eu même un balbutiement. Mais…. Mais quoi ?
C’est que, en ce temps d’avant du début…….
Ils m’ont écrits les internautes, comme un rêveur m’avait parlé de la forêt. “Voilà, qu’ils m’ont dit. Vous pouvez pas vous tromper c’est juste en face de vous“. Et j’ai vu les grands panneaux, des sortes de listes a lire sans fin, dans lesquelles on discernait des âmes à remuer, mais remuer à peine, comme si, elles, ne se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d’impossible. C’était ça Internet !
Et puis tout autour et au-dessus de l’écran jusqu’au ciel, un bruit lourd et multiple et sourd de torrents de cœurs, durs et parfois tendres, l’entêtement des âmes à tourner, rouler, gémir, toujours prêtes à casser d’autres cœurs ou les englober.
“C’est donc ici“, que je me suis dit. Je me suis approché de plus près, jusqu’à la porte du site ou j’ai cru lire sur un message que j’étais bienvenu.
La première s’appelait “Vide”, elle m’écrivit que c’était très compressible les âmes qui cherchent leur peine, ce qu’elle trouvait bien ici c’est qu’on y embauchait n’importe qui et n’importe quoi.
C’était vrai, elle n’avait pas menti.
Je me méfiais quand même parce que les miteux ça délire facilement, il y a un moment de la misère ou l’esprit n’est plus déjà tout le temps avec le corps, il s’y trouve vraiment trop mal.
C’est déjà presque une âme qui vous parle et c’est pas responsable une âme….
A peine entré on me hurla “ASV”… à poil en fait pour commencer.
Une fois rhabillé, je fus tiraillé dans divers apartés que pour y être à nouveau déshabillé.
Un délicieux supplice, avec toujours en fond, le fracas des âmes en dérive.
Tout tremblait dans le site, et soi-même des pieds aux oreilles possédé par les vibrations, il en venait de l’écran en doses hallucinatoires….
J’en devenait virtuel aussi moi-même à force, dans ce bruit de rage énorme qui me prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas, m’agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables.
A mesure que je les lisais, je les perdais les internautes.
Je leur faisais un petit sourire, un petit mot, quelques phrases, un texte, un poème, même un (je t’aime) avec des parenthèses, comme si tout ce qui se passait était bien gentil.
A un moment ce fut comme une fièvre de délires, on ne pouvait plus écrire que le fiel coulait à flots, un océan de méchancetés pour une Mer de bonté…..
Les internautes pseudo nommés soucieux de vous arracher l’âme finissent par écœurer, à se passer des messages fielleux et des messages débiles encore et encore jusqu’à la nausée.
C’est pas honte qui leur fait baisser la tête…
J’ai cédé à ce charivari comme on cède à la guerre, je me suis laissé aller à lire ces délires avec des idées qui restaient à vaciller tout en haut derrière le front de la tête….
J’ai aimé aussi…
Elle s’appelle Elle, elle rêve aussi, trop, d’amour difficile, pour défier des amours faciles qui brûlent le corps pour effacer l’esprit, lui pas, c’est moi….
C’est paradis.
Trois ou quatre cent pages d’amours et de lèches, parlé aussi, pour l’infini du rien…..
Que du souvenir qui chauffe le cœur et fait pleurer aussi, l’esprit, les yeux et le cœur.
Maintenant ce que je lis et regarde, tout ce que je touche est froid et n’a plus de goût dans la pensée.
Quand l’ordinateur s’arrête, j’en emporte le bruit des âmes dans ma tête, j’en ai encore, moi, pour la nuit entière de fracas et fureurs, comme si on m’avait mis un nez nouveau, un cerveau nouveau pour toujours.
Maintenant que je commence à renoncer, peu à peu, je suis devenu un autre, un nouveau quelqu’un, qui retrouve l’envie.
En envies de corps et d’esprit….
En écho des bruits, les âmes hallucinent de viandes vibrées à l’infini…, mais moi c’est maintenant un vrai corps que je veux toucher, un corps en vraie vie…