GATSBY, le Magnifique…
Francis Scott Key Fitzgerald
Biographie…
Sa vie domine son œuvre : l’écrivain alcoolique, le romancier ruiné, le génie gaspillé, l’incarnation de l’ère du jazz, une victime sacrificielle sur l’autel de la dépression, Francis Scott Key Fitzgerald n’est pas seulement le romancier des “années folles“, il en est l’incarnation, sa carrière d’écrivain reflète le charme inquiet et le tragique gaspillage de la “génération perdue” de l’entre-deux-guerres.
L’éclat, le triomphe, l’euphorie, la détresse et la tragédie de sa vie sont authentiques, le plus important est ce qu’il a écrit, le reste n’importe que dans la mesure où il permet de comprendre l’œuvre.
L’année de sa naissance, 1896, marque le départ d’une profonde mutation de l’Amérique, toutes les terres vierges sont désormais occupées, la conquête de l’Ouest est terminée, la grande aventure a maintenant pour lieu les métropoles industrielles et commerçantes de l’Est et du Middle-West.
Francis Scott Key Fitzgerald appartient à une famille patricienne, résolument catholique, qui est installée dans le Maryland depuis 1720 et a donné des parlementaires aux gouverneurs pendant la période coloniale et après la guerre d’Indépendance.
Pour Francis Scott Key Fitzgerald son père Edward, incarne tout autant un style de vie qu’un passé romantique : dans un Middle-West en pleine expansion, tendu vers l’avenir et le progrès, Edward Fitzgerald promène une nonchalance élégante et compassée, une exquise courtoisie et la singulière capacité d’échouer dans tout ce qu’il entreprend.
Sa femme lui donne deux filles qui seront emportées par une épidémie en 1896, quelques mois avant la naissance de Francis Scott Key…, et en 1901 naîtra une troisième fille, Annabel.
En mars 1908, à l’âge de 55 ans son père se retrouve congédié, c’est la catastrophe chez les Fitzgerald, ce père restera un raté jusqu’à la fin de ses jours.
Malgré ses échecs Edward Fitzgerald est longtemps resté pour son fils le symbole d’une conception de vie, d’un code moral qui avaient disparu de la civilisation urbaine de l’après-guerre.
Commis-voyageur déchu, il se veut représentant d’un ordre supérieur, à l’héritage matériel dont il est tributaire il oppose l’héritage culturel dont il est issu.
Sa déchéance sociale eût été irrémédiable si sa femme, Mary, n’avait eu la possibilité de trouver de l’aide auprès de sa famille, dans la grande maison de Louisa McQuillan : la mère de Mary.
Francis Scott Key Fitzgerald évoque comme suit, le conflit d’influences qui marqua son enfance : “Je suis moitié irlandais mal dégrossi et moitié américain de vieille souche avec ce que cela comporte de prétentions ancestrales habituelles. Le côté irlandais avait de la fortune et regardait de haut le côté Maryland qui possédait les bonnes manières“.
La mère, déçue dans ses ambitions, voue un culte à son fils, elle le choie d’autant plus qu’il a une santé fragile.
Fitzgerald ne fut jamais très proche de ses parents par le cœur, il écrira, dans un moment de dépression : “Pourquoi ne perdrai-je pas la raison ? Mon père était un faible d’esprit et ma mère une névrosée, rendue à moitié folle par ses angoisses pathologiques“.
En 1913 il se prépare à entrer à l’université, sa grand-mère vient de mourir et laisse un héritage important qui met les Fitzgerald à l’abri du besoin d’une façon durable.
Quand il est admis à Princeton, l’université considérée, après Harvard et Yale, comme l’une des “Trois Grandes“, ne compte que 1500 étudiants…, la véritable tradition de Princeton qui se conjugue avec le passé légendaire de la famille Fitzgerald confirme l’adolescent dans son sentiment d’être différent de ses amis laissés dans l’Ouest, d’une fibre plus noble.
La réputation de Princeton dans les première années du siècle peut se résumer dans la formule d’Amory Blaine : “J’imagine Princeton, nonchalant, élégant et aristocratique, vous savez, comme une journée de printemps“.
A Princeton, après le football, les champs d’activité qui offrent les plus hautes satisfactions d’amour-propre aux ambitieux sont le théâtre et le journalisme.
Tout paraît sourire à Fitzgerald, toutes ses ambitions sont satisfaites et pourtant la roche Tarpéienne est toute proche.
Pendant ses deux premières année à Princeton, il a en effet à peu près totalement négligé ses études universitaires pour se consacrer au succès de ses comédies musicales et réussit ses examens de justesse.
En octobre 1917 il quitte définitivement Princeton, sans diplôme, mais il reçoit son brevet de sous-lieutenant.
En novembre il va rejoindre son unité dans les plaines du Kansas, au fort Laevenworth.
Il est attiré par l’univers des riches, fasciné par les jeunes femmes d’une classe sociale supérieure à la sienne.
Dans une après-guerre où le dancing et l’automobile sont les lieux privilégiés de la conquête amoureuse, Francis Scott Key Fitzgerald est un mauvais danseur et un mauvais conducteur, cependant son charme compense cette insuffisance.
Il est un séducteur, certain de son pouvoir et conscient de ses effets, la Femme et sa poursuite seront au centre de son œuvre.
Mince, blond, beau Francis Scott Key Fitzgerald affecte des allures de dandy, il a du succès, mais Ginevra King, l’héritière refuse de l’épouser.
C’est à Montgomery, au cours d’un bal au Country Club, qu’il rencontre Zelda Sayre qui a tout juste 18 ans, son père, sénateur du Kentuchy et candidat au poste de gouverneur de l’Etat, était également juge à la Cour suprême d’Alabama : toute sa vie Zelda aura la nostalgie d’un ordre perdu, de la stabilité rassurante de la loi paternelle.
Quand Fitzgerald la rencontre, elle s’est déjà rendue célèbre dans Montgomery par ses folles équipées et son mépris des conventions, les filles de son âge l’admirent et l’envient, elle entend vivre dangereusement, partout où elle passe elle déconcerte, stimule, exalte ou scandalise, elle a la grâce souple et dangereuse des félins.
Francis Scott Key Fitzgerald a parfaitement rendu dans : la dernière des Belles, l’atmosphère légère des fêtes estivales où la recherche de l’amour est exacerbée la le pressentiment de la mort…, on y voit évoluer les belles aimantes, cruelles et spirituelles et les beaux marqués par la grâce ténébreuse des combats proches, incognito sous leurs uniformes de parade.
Dans cette atmosphère de fête galante toutes les préventions, toutes les barrières sociales, toutes les retenues habituelles disparaissent, il s’agit de vivre en un été les promesses d’une vie.
Le souvenir de ces deux mois de la fin de l’été finissant de 1918 deviendra le cœur de l’œuvre fitzgéraldienne où toutes les héroïnes auront l’audace, la vivacité, la verve et le sourire de Zelda.
Le 26 octobre, il quitte Montgomery pour Long Island où son unité doit s’embarquer pour la France, mais l’Armistice est signé au moment où il va embarquer pour l’Europe, c’est pour lui une profonde déception, il a manqué une guerre, il va lui falloir réapprendre à vivre.
Sans relations, sans autre recommandation que sa prestance, son grade d’officier et son passage sans gloire à Princeton, avec pour tous diplômes ses livrets d’opérettes, il fait en vain le tour des salles de rédaction à la recherche d’un emploi : il doit toutefois se contenter d’un emploi dans une agence publicitaire.
Plus tard il s’engage comme manœuvre dans un chantier de construction ferroviaire, il n’a cependant pas cessé d’écrire.
Fin 1919, ce en est fini des incertitudes : il peut désormais vivre de sa plume.
Mais cet homme de 24 ans, se trouve devant le premier argent qui lui semble tombé du ciel aussi désorienté et privé de bon sens qu’un garçon de boutique qui hériterait d’une fortune.
Il s’abandonne à la boisson et célèbre son entrée dans la carrière d’homme de lettres, d’une façon naïve, arrogante et ostentatoire, comme pour effacer, à la manière d’un enfant vindicatif, les humiliation qu’il a dû subir.
Le 3 avril 1920 il épouse Zelda, le rêve commence : il est jeune, beau, célèbre et il a épousé “sa” princesse.
L’Amérique sent la prospérité, le succès, la joie de vivre, la grande fête commence : “L’âge du jazz courait sur sa lancée“, écrit Fitzgerald, “ravitaillé par d’énormes distributeurs automatiques d’argent. Même si vous étiez fauchés, vous n’aviez pas à craindre de manquer d’argent : il y en avait plein autour de vous“.
De 1920 à 1929, Scott et Zelda seront les héros d’une fabuleuse kermesse qui s’achèvera dans la catastrophe économique de 1929.
Déjà se pose pour lui le problème d’un choix entre deux types d’activité littéraire, ou bien écrire pour la grande presse hebdomadaire, ce qui lui procurera un revenu plus substantiel, ou bien se consacrer à son art, et vivre dans un dénuement relatif.
Les exigences de Zelda, sa propre tendance à vouloir mener grand train, la certitude intime qu’il peut miser et gagner sur les deux tableaux, feront que de plus en plus, il dépensera plus qu’il ne gagne et sera endetté de façon presque constante, il sera donc contraint d’écrire les nouvelles alimentaires qu’il était le premier à mépriser.
Francis Scott Key Fitzgerald a intensément vécu son époque, il a été profondément marqué, brisé par elle.
Ce nouvel âge, Fitzgerald l’estampille : ce sera l’âge du Jazz.
Il sera son Musset, il lui souffle ses mots d’ordre, sa morale, lui propose toute une panoplie d’attitudes, de comportements et de jugements…, un nouveau romantisme est né, désinvolte, friand d’invectives, amoureux de panache et d’actes gratuits.
Il fait prendre le pouvoir à l’amour fou, et à la femme nouvelle, qui a le visage de Zelda.
Le jazz, la danse font vibrer ses pages, pour la première fois un romancier de talent a l’audace de décrire les mœurs réelles des nouveaux enfants de la bourgeoisie de 1920.
Au modèle aux courbes vaporeuses de la jeune fille élégante, idéale, se superpose celui de la femme nouvelle : garçonnière, sans poitrine ni hanches, cheveux courts et chapeaux cloches, bras et genoux nus, une cigarette dans une main et un verre dans l’autre.
A l’image de la femme-violon, recluse et inactive, se substitue l’image de la femme-clarinette, juvénile, stridente, un peu grêle, un peu acide, sans mystère et sans illusions, égale et rivale de l’homme dans le sport, le travail et l’amour et n’attendant de lui que la confirmation de sa liberté.
Dans le concert amoureux, c’est elle qui choisit la clé et qui donne le la…, elle refuse l’ennui et la monotonie, elle veut être amusée… et son partenaire devra se transformer en magicien, métamorphoser le quotidien, changer la vie.
On a sans doute reconnu Zelda dans ce portrait-robot, elle-même inspiratrice de cette nouvelle image féminine.
Les premiers jours de vie commune n’ont pas amoindri le goût de Zelda pour le flirt, Francis Scott Key Fitzgerald se rend compte qu’il ne peut pas avoir entièrement confiance en Zelda et il prend dès-lors plus facilement ombrage de sa coquetterie envers les hommes.
Le 21 octobre 1922 ils attendent la naissance de leur fille qui est appelée Frances Scott.
Zelda essaie de tromper son oisiveté en faisant ses débuts dans le journalisme, l’intérêt provoqué par sa façon piquante et toute personnelle de parler du roman de son mari lui attire d’autres offres.
On lui demande de donner son sentiment sur le nouveau type féminin qu’elle a incarné avec tant d’autorité, on la flatte…, elle se tire honorablement de la tâche et produit 3 articles qui sont publiés par Mc Call et le Metropolitan Magazine.
Lorsqu’ils s’embarquent le 3 mai 1922 à New York à destination de la France, le départ des Fitzgerald ressemble à une fuite : “Nous partions pour le Vieux Monde trouver un nouveau rythme de vie, sincèrement convaincus de laisser pour toujours derrière nous nos anciennes habitudes“.
Ils s’arrêtent un jour à Saint-Raphaël à la villa Marie.
Dans son roman autobiographique Zelda raconte : “Oh, que nous allons être heureux, loin de toutes les choses qui ont failli nous détruire, mais n’y ont pas tout à fait réussi, car nous étions plus forts qu’elles“.
Mais ces choses de la vie ne sont pas en dehors d’eux, elles se confondent avec leur impatience de vivre.
Ce besoin d’intensité, Francis Scott Key Fitzgerald peut le satisfaire en se plongeant corps et âme dans son roman, protégé par le silence enchanté de son domaine.
Mais Zelda ?
En 1924 leur vie commune est profondément marquée par le drame de l’été : Zelda tombe amoureuse d’un officier de l’aéronavale : l’amiral Jozan.
Sa mutation à Hyères met prosaïquement fin à ses rapports avec les Fitzgerald.
Jozan ne sut rien du drame qui devait avoir un retentissement si profond dans l’imagination de Zelda qui tente de se suicider en absorbant des somnifères.
L’irréparable c’est la fêlure qui s’agrandit chez Zelda, le sentiment de sacrilège et de culpabilité qui va la marquer définitivement.
Fêlure à l’intérieur du couple, certes, mais fêlure avant tout de l’image que Zelda se fait d’elle-même, prise de conscience qu’en dehors de Scott elle n’a pas d’existence propre, que lui-même ne peut vivre sans elle, qu’ils sont faits l’un pour l’autre.
Francis Scott Key Fitzgerald écrit à ce moment là : Gatsby le magnifique…
L’amour idéalisé de Gatsby pour Daisy c’est celui qu’il porte à Zelda, qu’aucune souillure charnelle ne peut salir.
Francis Scott Key Fitzgerald écrit à Perkins : “J’ai été malheureux, mais mon travail n’en a pas souffert, je suis enfin adulte“.
Après avoir séjourné en Italie, ils arrivent à Paris, s’installent non pas à Montparnasse, comme ses amis Hemingway ou Gertrude Stein, mais au Ritz, place Vendôme.
La vie littéraire est concentrée rive gauche sous l’égide de trois femmes en trois lieux distincts…
Le studio de Gertrude Stein est devenu depuis la guerre le point de ralliement, la gare de triage des nouveaux arrivés, sur les murs, des toiles de Cézanne, Matisse, Picasso, Gris ou Braque font prendre conscience à ces jeunes aspirants de la littérature que le XX ème siècle se trouve là où est Paris.
Les Fitzgerald jettent l’argent par les fenêtres, boivent, se battent, se font arrêter.
Fitzgerald gaspille son génie à écrire des textes qu’il vend cher.
L’alcoolisme, le surmenage, l’insomnie le minent : “J’ai gâché 1922 et 1923“, écrit-il, “J’ai fait un travail infernal, mais rien que de la camelote alimentaire“.
Hemingway de son côté commence à faire parler de lui… et Francis Scott Key Fitzgerald se fait l’agent littéraire bénévole de son ami.
Après un été froid et pluvieux Francis Scott Key Fitzgerald et Zelda regrettent les charmes de la Côte d’Azur, alors désertée au profit des plages normandes.
Ils y retournent et s’installent au Cap d’Antibes, à l’hôtel du Cap, à proximité de la plage de la Garoupe, l’endroit paisible et retiré, ils décident de s’y fixer.
Ils achetent la villa d’un officier de l’armée coloniale sur la hauteur du phare de la Garoupe, entourée d’un grand jardin planté d’essences exotiques qui dévale la pente…, ils y reçoivent des amis, Picasso, Rudolph Valentino.
Toutefois, certains épisodes mettent en évidence les pulsions suicidaires du couple.
Un an plus tard, lors d’un dîner à Saint Paul, sur la terrasse de la Colombe d’Or, l’attention de Francis Scott Key Fitzgerald est attirée par la présence d’Isadora Duncan dînant à la chandelle avec trois hommes à la table voisine.
La danseuse avait alors 47 ans et devait mourir deux ans plus tard, étranglée en voiture par son écharpe prise dans une roue.
Zelda observe en silence Scott qui parle avec Isadora, quand elle entend celle-ci donner à Scott le nom de son hôtel au moment où elle part, elle se lève à son tour, franchit le muret qui borde la terrasse et se lance dans le vide.
Elle tombe le long des marches d’un escalier de pierre et remonte déjà avant que ses compagnons puissent lui porter secours.
Elle s’arrête un instant au bord du parapet, puis sans un mot se rend aux toilettes pour nettoyer ses genoux écorchés.
Pour Fitzgerald et les amis qui gravitent autour de lui la tentation devient grande de vivre dans la fiction plutôt que l’écrire, pour eux la côte est une sorte d’enclave dadaïste où, dans l’atmosphère onirique produite par l’alcool, tout semble possible, l’argent facile assurant à tous les coups l’impunité.
Il existe parmi eux la même attitude subversive et destructrice qui les pousse à une constante surenchère dans l’acte incongru et gratuit, ils se laissent aller à toute sorte d’extravagances, par exemple, ils débattent gravement du problème de savoir s’il est possible de scier un homme en deux.
La seule façon de le vérifier est de tenter l’expérience.
Charles MacArthur se procure une scie de long et se met en quête d’un volontaire.
Séduit par un fort pourboire, un barman, habitué aux extravagances des Américains, s’allonge sur deux chaises disposées côte à côte, se laisse ligoter…, mais quand il voit Charles MacArthur saisir la scie avec détermination et s’apprêter à passer à l’acte, il ameute le voisinage par ses hurlements.
Zelda ne suscite jamais l’ironie ou la réprobation et même ses actes les plus inattendus gardent un caractère de dignité et de gravité qui force le respect.
Personne ne songe à sourire le jour où, au casino, elle quitte la table des Murphy et se met à danser seule au milieu de la piste, sa jupe soulevée jusqu’à la taille.
Gérald Murphy évoque ce moment : “C’était le type de musique qui convenait à sa danse et bientôt les Français se massèrent sous les arches qui entouraient la piste ; ils s’attendaient à ce que quelque chose de spectaculaire se produisît. Oui, c’était spectaculaire, mais pas dans l’esprit où ils l’entendaient. Elle dansait pour elle, sans regarder autour d’elle, sans échanger un regard avec quiconque. Elle ne regarda personne, pas même Scott. Je n’oublierai jamais cette masse de dentelles qui virevoltait autour d’elle quand elle tournait ; nous étions pétrifiés. Elle possédait cette extraordinaire dignité naturelle, tellement maîtresse d’elle-même, complètement absorbée par la danse. En aucune circonstance elle ne pouvait se conduire d’une façon équivoque“.
L’année 1926, l’afflux des capitaux provenant des adaptations théâtrales et cinématographiques de Gatsby, permettent à Scott et Zelda de mener pour un temps la vie oisive des riches.
Ils partent pour la Californie : Fitzgerald doit travailler sur un scénario pour la United Artist.
Ils reçoivent un accueil chaleureux de la part de gens de cinéma et la presse leur consacre des colonnes entières.
Dans l’atmosphère irréelle d’Hollywood, ils s’appliquent à rivaliser de singularité et de sans-gêne avec les stars Hollywoodiennes, c’est une période de folies, de beuveries : le chaos.
Le 12 mars 1929 ils repartent sur la French Riviera, se rendent à Nice, à l’hôtel Beau Rivage, où ils vont séjourner.
En 1930 ils occupent à Cannes la Villa Fleur des Bois.
Francis Scott Key Fitzgerald boit immodérément, non seulement quand il se trouve en compagnie mais il a pris l’habitude de chercher un stimulant dans l’alcool quand il écrit.
C’est à ce moment, le 24 octobre 1929, que survient le krach de Wall Street, qui va générer en une crise économique sans précédent.
L’écroulement des cours à la Bourse de New York sonne le glas des “années folles“.
Les années noires commencent pour le monde… et pour les Fitzgerald.
Les pires appréhensions de Francis Scott Key Fitzgerald, ce sens du désastre qui le hantait déjà depuis ses premières nouvelles, se concrétisent.
La dépression qui va ruiner le pays se confond avec sa propre ruine physique, morale, sentimentale.
Quant à Zelda, elle a, pense-t-elle, trouvé dans la danse une activité qui va lui permettre de s’affirmer dans un domaine propre, de devenir, croit-elle, une de ces professionnelles pour qui Scott affiche tant d’estime.
Elle vient d’avoir 27 ans, mais elle est persuadée qu’elle peut faire carrière comme ballerine, elle décide d’être : “Pavlova ou rien“.
Le 23 avril 1930 son état pathologique s’aggrave et un médecin conseille un séjour à la maison de santé de la Malmaison où elle est admise dans un état d’excitation et d’anxiété.
Le 22 mai elle rejoint une clinique suisse à Valmont, près de Montreux.
Le docteur Forel diagnostique un état schizophrénique nécessitant de longs soins et un isolement temporaire.
Une éruption d’eczéma lui couvre le visage, le cou et les épaules… et persiste pendant trois mois.
Quand l’eczéma devient plus virulent et douloureux, le docteur Forel a recours à l’hypnotisme, avec des résultats spectaculaires : quand elle s’éveille d’un sommeil prolongé, l’éruption a presque totalement disparu.
C’est pour se rapprocher d’elle, bien qu’il ne soit pas autorisé à lui rendre visite, que Fitzgerald s’installe en septembre à Lausanne, il observe la faune frelatée qui hante le palace, les aventurières, les diplomates, les nobles désargentés qui trichent au jeu et courent la dot, les Américains européanisés qui n’ont plus de nation.
Francis Scott Key Fitzgerald erre en Suisse, lisant des manuels de psychiatrie, le sujet de Tendre est la nuit s’esquisse : l’histoire de Dick Diver, le petit psychiatre qui épouse sa riche malade, la guérit et ruine sa carrière, son amour et sa vie.
Œuvre ample, ambitieuse, elle a cette “touche de désastre” que Fitzgerald juge caractéristique de son inspiration : “Toute vie est un processus de démolition“.
La démolition psychologique, sentimentale, sociale et professionnelle du Docteur Diver est totale… et le roman est prophétique de la fin des Fitzgerald.
Malgré les cures de désintoxication, celui-ci boit de plus en plus, écrit de moins en moins, deux fois il tente de se suicider.
En 1930 Zelda quitte les rives de Prangins, le Dr Forel délivre un pronostic favorable, à la condition qu’ils renoncent tous deux définitivement à l’alcool et que les conflits antérieurs soient évités.
La parenthèse européenne est définitivement fermée, ils retournent à New York.
Zelda a renoncé à la danse et s’est remise à écrire.
Fitzgerald envoie une lettre au Dr Milred Squire qui a la charge de Zelda : “Toute une partie de son roman est littéralement une imitation du lien, le même rythme, le même sujet. Ce mélange de réalité et de fiction est calculé pour nous détruire tous les deux, ou ce qu’il reste de nous, et je ne puis le tolérer. Mon Dieu, mes livres ont fait d’elle une légende, et dans ce portrait plutôt mince, elle n’a qu’une intention faire de moi une nullité.”
Une faille s’est rouverte dans le couple, élargie par le sentiment de rivalité qui anime maintenant Zelda, pourtant ils n’envisagent pas la séparation.
Francis Scott Key Fitzgerald sait pourtant que la moitié de ses amis pensent que son alcoolisme a rendu Zelda folle ; que pour l’autre moitié c’est sa folie à elle qui l’a rendu, lui alcoolique ; et que tous sont persuadés que chacun gagnerait à être débarrassé de l’autre : “Avec cette ironie du sort qui veut que nous n’ayons jamais été aussi désespérément amoureux de notre vie. Elle aime l’alcool sur mes lèvres et je chéris ses hallucinations les plus extravagantes“.
Dans son roman Tendre est la nuit, l’accent est mis sur la dégradation d’un couple.
Cet élément autobiographique est confirmé dans les notes qui définissent le héros : “Un homme élevé comme moi dans une famille tombée de la haute bourgeoisie à la petite et qui a pourtant reçu une éducation coûteuse“.
Leur amour prend de plus en plus le visage de la haine, leurs visites hebdomadaires à leur psychiatre sont l’occasion d’affrontements interminables qui se déroulent sous ses yeux.
Celui-ci est d’accord pour constater que Scott est aussi malade que Zelda.
Au fond de l’abîme, épuisé intellectuellement, épuisé physiquement, épuisé affectivement et moralement, Francis Scott Key Fitzgerald a terminé Tendre est la nuit, qui est accueilli comme l’un de ses meilleurs romans.
Mais le roman se vend mal.
Le coup est dur pour Fitzgerald qui escomptait plus qu’un simple succès d’estime.
Zelda a renoncé à guérir et s’enfonce dans sa maladie, refusant toute communication avec quiconque sauf avec Scott auquel elle écrit pour lui répéter son amour.
En 1936 paraît La fêlure.
Michel Déon a écrit à ce propos : “On n’a pas lu d’aveu plus atroce que la Fêlure de Fitzgerald, ce court texte lucide et dérisoire est un constat de faillite comme aucun écrivain n’osa jamais en établir“.
Fitzgerald élève alors sa paralysie à la hauteur d’une œuvre d’art.
C’est avec les trois essais de la Fêlure qu’il trouve spontanément, alors qu’il écrit : “pour dire qu’il ne peut plus écrire”, l’ironie percutante, le langage familier, le ton sobre et contenu qui vont caractériser la plupart de ses textes après 1935.
L’état d’urgence est atteint en 1937.
C’en est fini des nouvelles alimentaires qui assuraient l’essentiel de ses dépenses.
La vente de ses livres devient dérisoire.
C’est sans doute le caractère désespéré de sa situation qui le décide à presser un de ses amis, de lui procurer un emploi à Hollywood.
C’est ainsi que le 7 juillet Fitzgerald se trouve au service du cinéma, c’est un changement radical dans sa vie et ses activités, délibérément il renonce à la littérature conscient de monnayer non plus son talent, mais sa notoriété passée, d’emblée et un peu malgré lui il est plongé dans la vie hollywoodienne.
C’est à ce moment là qu’il fait la connaissance de Sheilah Graham, une journaliste anglaise de 28 ans avec qui il noue une liaison durable.
Les 18 mois passés à la MGM ont été, au plan du travail et des gains, les plus fructueux de sa carrière.
Il avait collaboré à six scénarios totalisant 2.400 pages.
Pour la première fois de sa vie il ne faisait pas de dettes, mais remboursait intégralement celles qu’il avait contractées.
Il avait réussi également à maintenir Zelda dans sa coûteuse maison de santé et à envoyer sa fille Scottie à l’université.
Francis Scott Key Fitzgerald s’était appliqué à abdiquer toute illusion et toute ambition littéraire, à devenir un professionnel qui n’écrivait que pour de l’argent.
Cependant en 1939 c’est le retour à l’écriture, reclus à Encino comme un ermite, travaillant couché il dicte les notes et les plans qu’il prépare pour son roman : Le dernier Nabab.
Malgré les récrimination et les scènes que lui fait Sheilah Graham, il boit maintenant ouvertement.
Le 21 décembre 1940 Sheilah lui apporte son petit déjeuner au lit et il travaille un peu à la suite de son roman.
Il parcourt les journaux, commente le pacte tripartite que vient de signer l’Allemagne, l’Italie et le Japon : cela signifie pour lui la participation inévitable des Etats-Unis au conflit : “Si mon livre a du succès, je ferais comme Hemingway et partirait pour l’Europe comme correspondant de guerre”.
Sheilah assise en rond sur le divan lit un livre sur Beethoven, du coin de l’œil elle le voit soudain se lever, s’accrocher au manteau de la cheminée et s’affaisser sur le sol sans un bruit.
Scott Fitzgerald est mort, il avait exactement 44 ans, 2 mois et deux jours.
La cause immédiate de sa mort : occlusion coronaire.
Zelda accepte son deuil avec moins de déchirement qu’on aurait pu le craindre.
Ce n’est que quelques mois plus tard qu’elle accuse le coup et doit retourner pour un temps à Asheville.
Elle continue à peindre et écrire, sujette à des crises de mysticisme, absente au monde.
Six mois plus tard le bâtiment principal, où elle loge avec une trentaine d’autres patientes, prend feu.
Enfermée à clé au cinquième étage de l’hôpital elle brûle vive pendant la nuit du 10 au 11 mars avec six autres victimes.
Son cadavre carbonisé ne put être identifié qu’après un examen de la denture.
Dans son Autobiographie, Gertrude Stein écrivit prophétiquement : “Fitzgerald sera lu quand nombre de ses contemporains célèbres seront oubliés“.
Les livres de Fitzgerald furent les premier de leur espèce et les plus caractéristiques.
Que ses personnages aient des malheurs, ou que les choses s’arrangent à la fin, l’arène de leur activité était toujours celle de quelque nouvelle offensive philosophique… et ce qu’ils faisaient était lié à de nombreux projets saillants de l’époque.
Calme feutré de halls d’hôtels…, somptuosité des façades…, vapeurs d’orchidées, aspirations dorées d’un âge vaillant et protestataire, taxis stationnés comme en mi-sommeil au cœur des profondes nuits d’été…
Ainsi Fitzgerald concevait bien des contes tragiques ; sagas d’homme et de femmes modelant la vie à leur mesure, commensurable et compatissante.
Sa vision était amère, ironique et spectaculaire et séduisante : ainsi était la vie.
Il n’y avait guère en ce temps là d’autre vie que celle dont sa plume rendait toute la gloire poétique et poignante, offrant ainsi une réconciliation avec les familiarités de la tragédie.
“Repose en paix”…., c’est ainsi qu’après la mort de son mari, Zelda Fitzgerald écrivit un hommage de huit feuillets, probablement destiné à The Crackup.
La vie de Fitzgerald avait une certaine grandeur épique.
Fitzgerald était un héros aux nombreuses imperfection, mais c’était un héros.
Sa vie ne fut pas autre chose qu’une quête d’héroïsme, une sorte d’épopée.
En 20 ans de carrière professionnelle il a écrit trois des meilleurs romans américains (dont 1 inachevé : Le dernier Nabab) et 20 nouvelles très brillantes.
Du premier roman à la dernière nouvelle l’œuvre autobiographique, Fitzgerald raconte sa “Fitzgerald story“.
Dans cette œuvre à clés il y a quelque chose de brisé, une fêlure… il avait d’ailleurs sous titré sa dernière œuvre, d’essence romantique.
Son art de chroniqueur, au lieu de dater rend éternel l’éphémère.
Il y a chez lui, un génie de l’instantané, un pressentiment de la fin, un acharnement à saisir la beauté de l’instant.
Ses personnages sont dégagés du conditionnement réaliste : ce ne sont pas des types sociaux, mais des sensibilités.
Son romantisme ne date pas, cette disponibilité de la sensibilité est toujours moderne.
Mais, Francis Scott Key Fitzgerald a gaspillé ses dons et sa facilité avec la prodigalité d’un Boris Vian, d’un Roger Nimier ou d’un Musset.
C’est qu’il avait, comme l’âge du jazz, le génie de l’improvisation.
Gatsby le magnifique…
Gatsby, est son meilleur livre, selon les critiques.
Il décrit avec ironie la vie à Long Island, début des années ’20, à un moment où le Gin était la boisson nationale et le sexe l’obsession nationale.
Fitzgerald y donne le meilleur de lui-même, sa faculté de saisir en une seule phrase la saveur d’une époque, le parfum d’une soirée, une bribe de vieille rengaine.
Ce sont les aventures, d’un jeune homme ambitieux, sans culture et romantique, issu d’une famille pauvre du Middle West.
Gatsby est un aventurier sympathique.
Sorti de la guerre de 1917-18 Gatsby devient un super-bootlegger à la personnalité mystérieuse : “Je crois, murmure une jeune fille, qu’il a tué un homme”… et l’éclat de sa réussite n’aura d’égale que la soudaineté de sa chute.
Dans une luxueuse propriété de Long Island, Gatsby reçoit toute la haute société de New York pour qui rien ne compte que le dollar…, Francis Scott Key Fitzgerald décrit les fêtes éblouissantes que donne l’aventurier romanesque à ses hôtes, dont plus d’un est “incurablement malhonnête“.
Au zénith de son destin, Gatsby, cependant, demeure un garçon secrètement triste et pathétique, sa fortune aura la durée d’une météore, il mourra assassiné par Tom Bouchanan, un arrogant milliardaire dont il courtisait la femme, Daisy… et ne sera pleuré par personne.
Gatsby le Magnifique est la satire mordante de l’égoïsme d’une certaine société américaine, fondée exclusivement sur l’argent : “où les riches “laissent aux autres le soin de balayer”.
On y reconnaît l’amertume de Fitzgerald qui avait essuyé leur mépris et fut, après la Première Guerre Mondiale, le porte-parole de la “génération perdue“, celle des “roaring-twenties“, les “rugissantes années ’20” par lui baptisées “l’âge du jazz“.
Scott Fitzgerald fut toujours fasciné par l’argent : “Les gens riches sont différents de vous et moi” disait-il à Hemingway, “les bijoux, les Rolls-Royce, les châteaux, les domestiques les protègent, en font une race à part“.
Toute sa vie Fitzgerald cherchera son Diamant “gros comme le Ritz”.
“Les gens qui sont nés riches appartiennent à une autre espèce biologique” : telle est la moralité de ce roman d’un écrivain typiquement américain par son outrance et sa liberté d’esprit.
Ses propres déboires, du reste, prédisposaient Francis Scott Key Fitzgerald à conter les aventures du Trimalcion d’outre-Atlantique, aventurier, bohème et passionnant pour un raté, l’écrivain avait connu, tant à l’université et dans l’armée que comme chômeur, ou familier d’Hollywood, les hauts et les bas d’une destinée hors du commun.
La richesse de la prose tient à l’impression de mouvement qu’elle donne : “la pelouse saute, court, dérive”.
La technique de Gatsby est scénique et symbolique.
La fastueuse vulgarité de Gatsby est omniprésente, il y a quelque chose d’excessif dans tout ce qu’il possède, et il se fourvoie dans ses essais d’imitation des riches : Jay Gatsby confond les valeurs de l’amour et le pouvoir de l’argent, il est convaincu qu’avec de l’argent il peut tout faire, même reproduire le passé.
Malgré sa prodigieuse confiance en l’argent, Gatsby ignore comment il fonctionne dans la société, et ne comprend pas l’arrogance des riches qui connaissent la fortune depuis des générations.
La longue liste des invités aux fêtes de Gatsby est une piteuse litanie des personnages médiocres qui usent de sa maison comme d’un parc d’attractions.
Gatsby le magnifique c’est aussi un drame autobiographique du déclassement : Gatsby ne peut épouser la fille d’un milliardaire, qui lui échappe : “C’est ce que j’ai toujours vécu“, avoue Fitzgerald, “un garçon pauvre dans une ville de riche, pauvre dans une école de riches, pauvre dans une université de riches. Je n’ai jamais pu pardonner aux riches d’être riches, ce qui a assombri ma vie et toutes mes œuvres. Tout le sens de Gatsby, c’est l’injustice qui empêche une jeune homme pauvre d’épouser une jeune fille qui a de l’argent. Ce thème revient parce que je l’ai vécu“.
“Il ne peut y avoir de bonne biographie d’un bon romancier. Il est trop de personne à la fois s’il est de qualité”.
Francis Scott Key Fitzgerald
“Son talent était aussi naturel que les dessins sur les ailes d’un papillon. Au début il en était aussi inconscient que le papillon, et quand tout fut emporté ou saccagé, il ne s’en aperçut même pas. Plus tard, il prit conscience de ses ailes endommagées et de leur dessin, et il apprit à réfléchir, mais il ne pouvait plus voler car il avait perdu le goût du vol et il ne pouvait que se rappeler le temps où il s’y livrait sans effort“.
Ernest Hemingway
“Le besoin de s’exprimer par écrit naît d’un mauvais ajustement à la vie ou d’un conflit intérieur que l’adolescent ou l’adulte est incapable de résoudre par l’action“.
André Maurois
Bibliographie :
André Le Vot – Scott Fitzgerald – Editions JulliardMatthew
Bruccoli – Une certaine grandeur épique – Editions La Table ronde – Laffont-Bompiani