Gretchen-Ana-Laurenz-Wünderschönersatzman, lesbienne.
C’est après la victoire de la nageuse est-allemande Gretchen-Ana-Laurenz-Wünderschönersatzman aux jeux olympiques de Bambiderstroff de 1968 que ma mère décida du prénom de sa future fille.
Ainsi fus-je donc prénommée Anne-Laurence. Plus qu’un patronyme, ce choix allait sceller ma destinée. Du moins, c’est ce que croyait ma mère.
Comme beaucoup de parents déçus par leur vie et surtout par leur manque de prédisposition athlétique, ma mère projeta et focalisa son rêve de gloire sportive sur ma personne. J’appris à nager à l’âge de trois ans et demi. J’appris à sauter dans l’eau trois mois plus tard quand mon frère me poussa. Et j’appris à plonger lorsque mon cousin me suspendit par les pieds au-dessus du grand bassin pour se venger de la raclée qu’il avait prise pour m’avoir malmenée.
Rapidement, je développai des qualités physiques exceptionnelles qui poussèrent mon professeur de natation à se promouvoir au rang d’entraîneur, ma mère à ponctuer ses phrases de l’expression bêtifiante « mon petit poisson », mon père à continuer à s’en foutre éperdument.
Les années s’écoulèrent et je continuai à entretenir l’admiration de mes proches en remportant compétitions locales puis nationales. Quant à eux, ils s’ingéniaient à chercher des solutions pour augmenter ma vitesse de pénétration dans l’eau. Successivement, on me rasa le crâne, m’épila tout le corps, me fit nager totalement nue… ce qui souleva un tollé général au sein de la fédération.
Hélas, trois fois hélas, l’adolescence vit le début de ma déchéance sportive. Et de ma déconvenue familiale. Le développement de mon corps et principalement de sa partie supérieure – en gros de mes seins – allait mettre un terme aux rêves de reconnaissance de ma génitrice. Laquelle adopta un comportement bizarre en portant des T-shirts avec l’inscription “Fuck Hormones”.
Mes volumineux avantages étaient deux boulets que je traînais derrière moi autant qu’ils m’attiraient vers le sol. Indéniablement, je ne pouvais plus concourir.
C’est ainsi que je passais du statut de “pointdemiredelafamille-déessesportive-blondeathlétique” à celui de “bimbo”.
Je recouvrai alors une vie normale. Enfin, ordinaire devrai-je plutôt dire.
Très rapidement, je développai un talent relationnel manifeste. Et mes parents ne tardèrent pas à s’en rendre compte.
A 13 ans, ils me surprirent sur les genoux de ma “professoresse” de piano (une spendide rousse avec des seins qui rendraient ridicules ceux de Paméla Anderson) et eurent quelques difficultés à croire que nous rendions hommage à une tradition russe. Mais c’est lorsqu’à 16 ans ils me trouvèrent dans le lit de ma “professoresse” très particulière d’économie politique qu’ils se concertèrent et décidèrent qu’il était temps de faire soigner la petite.
Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à suivre une psychothérapie. Ce fut pour moi une épreuve prodigieuse. Après 14 mois de rendez-vous hebdomadaires, il en découla que j’associais l’arrêt de la compétition à mes seins. Comme cette partie du corps représente la féminité, cela se manifesta par le refus de ma féminité. En gros, ce type m’expliqua que je croyais être attirée par les femmes parce que je ne me considérais pas moi-même comme une femme. De plus, Œdipe ou Electre, il ne savait pas trop… mais il était sûr que je voulais coucher avec ma mère !
Je décidai d’approuver ses dires afin de d’échapper à ces séances devenues prévisibles et ennuyeuses. Et pour la première fois de ma vie, je simulai. Ma mère en fût tellement enchantée qu’elle organisa une grande fête où elle nous prépara sa spécialité : le taboulé bavarois.
En dernière recommandation, mon dévoué psychothérapeute conseilla à mes parents de me trouver un substitut à la natation, afin de me redonner un équilibre sexuel acceptable. Voyant l’opportunité, je fus prise d’une passion soudaine pour les cabriolets et on m’en offrit un pour mes 18 ans. Ce qui me permit d’emballer… euh, pardon… de séduire les jeunes demoiselles encore plus facilement.
Depuis, je cours après ma Diane qui pourrait être l’une de vous.
Ah, le coming-out… Nous sommes toutes passés par là… Sûrement un des sujets les plus galvaudés des conversations entre lesbiennes !
Après quatre ans d’atermoiements, j’ai enfin pris mon courage à deux mains et j’ai décidé d’annoncer à ma meilleure amie que ma grande passion pour Catherine Zeta Jones n’était pas uniquement esthétique ! Me trouvant à l’étranger et à 10 000 km de distance, la solution la meilleure m’a paru être le mail. J’ai donc écrit une missive euphémisante. « Je me demande si je ne préfère pas les filles » et j’ai cliqué sur « Envoyer »…
Plusieurs jours d’attente interminable et je reçu enfin la réponse attendue dont le contenu me laissa perplexe. Aucune mention de la confession qui m’avait tant coûté et, à la place, un compte rendu détaillé sur la passion de son chef de bureau pour le chocolat Crunch. Etait-ce là un message codé, une métaphore cacaotière dont les vertus aphrodisiaques bien connues signifieraient qu’en terme de comportement sexuel, nous avions tous nos petites déviances et que la mienne n’était pas plus répréhensible qu’une autre ? J’ai renvoyé tout de même un mail désespéré condamnant le manque de réaction de mon amie… qui tomba des nues, n’ayant pas reçu mon 1er mail ! Bill Gates doit être homophobe… et mon premier coming-out ne s’est donc pas fait en douceur, mais, comme dans les contes de mon enfance, tout est bien qui finit bien (mais je ne sais pas si j’aurai beaucoup d’enfants !) et la réponse de ma meilleure amie a été comme d’habitude en tout point admirable : « Je t’aime comme tu es ».
Enhardie par ce succès, j’ai donc entrepris de mettre au courant mes autres amies. Deux d’entre elles ont très bien réagi, m’assurant que cela ne changeait absolument rien. La troisième, tout en tenant le même discours, a tout de même lâché un « du moment que tu ne me dragues pas… » qui m’a paru un peu déplacé – vous avez remarqué que lorsqu’on fait un coming-out, c’est toujours votre amie la moins gâtée par la nature qui a le plus peur pour sa vertu ? (Envoyez-moi vos témoignages que je puisse vérifier mon intuition mathématique…) – mais bon, c’est toujours mieux qu’une réaction ouvertement hostile…
Je vous passe l’inévitable réaction du mâle en rut qui, apprenant vos penchants saphiques, vous crucifie d’un stupide « mais c’est parce que tu n’as pas rencontré un vrai mec » – sous-entendu « m’essayer, c’est m’adopter » et je passe à mon dernier coming-out en date : Antoine., mon voisin de palier, venu me rendre une visite de courtoisie – j’habite une résidence étudiante et il n’est pas rare d’aller chez les uns et chez les autres pour boire un coup ou juste papoter. J’étais d’ailleurs en grande discussion avec une de mes très bonnes amies et voisine. J’ai fait rentrer Antoine et celui-ci remarqua mes murs chargés en photos féminines – j’ai toujours rêvé d’avoir ce genre de chambre étant ado, mais je m’étais censurée pour ne pas mettre la puce à l’oreille de mes parents, m’accordant tout de même trois ou quatre posters de Steffi Graf (ce qui a persuadé ma mère que, décidément, j’adorais le tennis, alors qu’en fait, j’ai toujours davantage admiré le jeu de jambes de la belle Allemande que son foudroyant coup droit !). Bref, celui-ci se lança dans une réflexion du type « Je ne comprends pas pourquoi les filles ont toujours des posters de nana, pourquoi tu n’affiches pas plutôt des mecs ? » — occasion en or pour lui dire que j’étais lesbienne… Il prit un air étonné, puis enchaîna par un « ah, désolé les filles, je dérange peut-être ? » (encore le fameux mythe de la sexualité débridée des lesbiennes ?). Série de plaisanteries douteuses, puis on changa de sujet. J’ai appris le lendemain qu’il avait cru pendant 30 bonnes minutes que je n’étais pas sérieuse ! Après consultation, le diagnostic unanime de mes amis proches a été : « C’est parce que tu ne ressembles pas à une lesbienne ». J’avoue que cette idée m’est passée un peu au-dessus de la tête : dites, dessinez-moi une lesbienne ?
Deux écoles apparaissent lors de l’examen de mon cas : il y a les amateurs de comédie populaire, partisans du : « Tu ne ressembles pas à Josiane Balasko dans Gazon maudit » et les fans de films d’auteurs : « Tu n’as rien de Rita dans Mulholland Drive ». Merci les gars, en gros je ressemble à rien quoi ! Traduit en langage lesbien, la conclusion est que je ne suis ni butch ni lipstick. Juste une fille ordinaire qui a comme particularité statistique de préférer les filles. On en revient à la constatation que n’importe qui peut être lesbienne, il n’y a pas d’image d’Épinal contrairement à l’idée répandue dans la société.
Décidément la meilleure volonté ne triomphe pas toujours du manque de visibilité lesbienne… Mais je continue le combat !
Anne-Laurence