Halloween, Jeanne Goupil et Einstürzende Neubauten…
Je vais encore passer pour un misanthrope absolu qui n’aspire qu’à transformer son logement en bunker souterrain, mais cela ne m’empêchera pas de poser cette question : Quand donc va-t-on se débarrasser de cette stupide célébration d’Halloween, importée de ce côté-ci de l’Atlantique pour de détestables raisons mercantiles ? Notez bien que je ne suis nullement opposé à ce qu’un ramassis d’employés de bureau désœuvrés et de secrétaires à l’intelligence intérimaire prenne plaisir à se grimer en monstres de trains fantômes ou en sorcières de chez Eurodisney. De même, je ne suis pas particulièrement choqué par les soirées carnavalesques prétextes à de somptueuses ripailles pour réveillonneuses d’une beaufitude infinie mais qui ont au moins le bon goût de demeurer privées. Ne croyez pas non plus que j’adhère des deux mains aux campagnes anti-Halloween de base, qui sont menées par des sinistres individus atteints dans leur chair par le fait qu’on célèbre une fête qui n’est ni française, ni chrétienne ! Vu aujourd’hui sur un blog, dont je tairai le nom par charité non chrétienne : Halloween ! Non merci ! Non au morbide, à l’horreur et au satanique. Oui à la vie et aux valeurs positives !
Evidemment, ce genre de sottise sent la grenouille de bénitier à plein nez. Le Catholicisme agonisant bouge encore et saute sur n’importe quelle occasion pour nous balancer quelques slogans bien sentis qu’on trouverait méga-top chez Lutte Ouvrière. Voilà que les corbeaux ont peur des citrouilles !
Qui l’eût crû ?
Donc non, Halloween, c’est tout de même moins morbide qu’une messe de minuit et plus positif qu’un discours. Le problème d’Halloween, c’est que c’est un peu vide de sens, mais qu’est-ce qui n’est pas vide de sens à notre époque, dès qu’il s’agit de faire tous ensemble les mêmes rituels consuméristes ?
Donc, plutôt qu’un long discours, j’ai envie de faire bref, car le sujet ne vaut pas que l’on s’y étale, en poussant un cri d’alarme. C’est très chic, de pousser un cri d’alarme. Ca interpelle tous les gens pressés, et ça ne coûte pas grand-chose. Mon cri, le voici : Gardez vos enfants chez vous ! Car le vrai souci d’Halloween, ce sont les enfants, ces tendres têtes blondes à qui on a oublié de dire qu’Halloween est une pourriture du monde moderne. D’ailleurs, pour eux, Halloween, ça n’est rien d’autre que l’occasion une fois l’an d’envahir tout le quartier pour réclamer des friandises. Et en ce qui les concerne, je peux vous garantir que le Travailler plus pour gagner plus, c’est bien passé ! En voilà au moins une de leçon, qu’ils ont foutrement retenue. Je vous resitue à peu près ma journée : j’ai timidement mis le nez dehors en début d’après-midi, guettant de loin quelque odieuse manifestation halloweenesque. Mais non, rien à l’horizon !
Pas de déguisement farfelu, ni de horde échevelée de chiares en rut glucidesque. Je gagnais le centre de la capitale dans un climat toujours aussi pacifique.
Magnifique ! Je pouvais donc sereinement remplir ma mission, qui pouvait se résumer ainsi : trouver chez une de mes adresses favorites le dernier album d’Einstürzende Neubauten à un prix raisonnable, album sans lequel il m’était de plus en plus difficile de vivre. C’était une mission de routine pour moi, et je l’accomplis avec une grande habileté, mais je ne vous dirai pas où, car je tiens à mes plans personnels de CD-tombés-du-camion. Revenu chez moi, je commence donc à insérer non sans émotion ce nouveau petit chef d’œuvre dans mon lecteur CD et pousse le bouton “Play” avec le sentiment d’inaugurer un musée. Je ressentis alors une petite déception : ça a beau être une musique industrielle, où l’on trouve souvent percussions métalliques et bruits d’objets divers, je trouvais à cette première écoute que le groupe avait un peu trop abusé des bruits de sonnerie.
Il me fallut quelques minutes pour me rendre compte que lesdits bruits de sonnerie ne venaient pas du tout du disque mais de ma porte d’entrée.
Là, d’odieuses larves humaines d’1m30 en moyenne martyrisaient consciencieusement ma sonnette d’entrée, avec l’espoir hélas vain que cela me travaillerait au niveau de la fibre paternelle. Gâcher aussi irrespectueusement le dépucelage de mon album d’Einstürzende Neubauten (Oui, un disque, ça se dépucèle, mais allez donc expliquer cela à des enfants) ne faisait rien vibrer d’autre en moi que des idées de meurtre. Rien n’est prévu pour déconnecter la sonnette. C’est une grave erreur. Je passais donc en revue quelques idées pour faire fuir tous ces singes. Relier la sonnette à une prise de terre, par exemple, ce qui aurait l’intérêt de faire passer un courant de 220 volts dans le corps des importuns. Sur le coup, tuer des enfants ne m’aurait pas spécialement dérangé, mais leurs vies insignifiantes ne valaient vraiment pas que je passe vingt de mes précieuses années en prison. Vingt ans ou même plus !
Les gens sont si méchants…. Qui me dit que je m’en serais sorti à aussi bon compte que Bertrand Cantat ? Bref, j’évoquai quelques autres solutions : mettre sur ma porte un panneau : Ici, on chie sur Halloween… ou Pas de bonbons si tu sonnes, mais des coups de pieds au cul… A moins que je ne cède à ce vieux fantasme que je caresse depuis des années : acheter spécialement pour Halloween des bonbons au poivre, à dispenser avec largesse et grands sourires.
Mais je n’y ai pas pensé cette année, ce sera donc au mieux pour l’année prochaine. Dommage.
Il y eût une accalmie à l’heure du dîner. Je crus mon calvaire terminé. J’en profitais pour compulser ma vidéothèque. J’avais une grosse envie de Jeanne Goupil, ce soir-là. Jeanne Goupil est mon idéal féminin le plus absolu. J’évite d’en parler à mon amante car elle ne comprendrait pas… et il est des sommets magnifiques de l’adulation masculine qu’elle estt incapable de comprendre. Je l’ai découverte il y a six ou sept ans dans un film grandiose, datant de 1970 : Mais Ne Nous Délivrez Pas Du Mal.
Actrice fétiche du réalisateur Joël Séria, dont elle est aussi la compagne, Jeanne Goupil fut une adorable Lolita des années 70 à qui je trouve quelque chose d’indéfinissable et de magique. Joël Séria, en pygmalion amoureux, a su d’ailleurs toujours la mettre en valeur devant la caméra, même lorsqu’elle a fait des petits rôles. Jeanne Goupil et moi, c’est pour la vie ! C’est ma maîtresse secrète et uchronique, mon amour arsenic et jeunes dentelles de ces belles années de révolution culturelle que j’ai vécu. J’aimerais bien la rencontrer un jour, d’ailleurs, Jeanne Goupil, pour qu’elle me raconte cette jeune fille qu’elle était et que j’aurais tant aimé connaître. Rien ne m’empêche de rêvasser sur cette icône d’un autre âge dont je suis un des rares à perpétuer le souvenir, au point d’appeler parfois les très jeunes filles que je croise des marie poupées, surnom que le personnage de Jeanne Goupil confesse dans Les Galettes de Pont-Aven en 1975 et qui deviendra le titre d’un film dont elle sera l’héroïne l’année suivante.
Tout cela pour dire que c’est un moment privilégié que celui que je passe à retrouver Jeanne dans un de ses films, car en plus, Jeanne a joué dans d’excellents films, son compagnon étant un grand réalisateur trop injustement méconnu. Et ce soir-là, je décidai de me repasser Les Galettes de Pont-Aven, chronique douce-amère particulièrement réussie que je n’avais pas revu depuis quelques années. Jeanne Goupil fait dans ce film une apparition relativement brève et tardive, mais elle y est sublime. J’étais donc dans un recueillement attentif et touchant de sa personne lorsque la horde de gueux bonbonophages s’est à nouveau manifestée à ma porte d’entrée, à quasiment 22h. Là, je perdis patience et je me jetai vers la porte que j’ouvrai d’un grand coup. Je suis resté un moment interdit, en voyant sept gosses ébahis par mon apparition et… pas déguisés ! C’était hallucinant ! Ils ne jouaient même pas le jeu !
Ils mendiaient des bonbons, c’est tout. On aurait dit qu’ils avaient fait ça toute leur vie et qu’ils continueraient à le faire pour le restant de leurs jours. Ils avaient des regards perdus et brillants de convoitise, comme les clochards dans le métro. Ils étaient glauques ! Passe encore qu’un adulte soit glauque, mais un enfant, c’est terrible ! L’un d’eux se remit péniblement de sa surprise et bravant mon regard hostile et écœuré me demanda d’une voix mourante quelques bonbons ; « VOUS AVEZ VU L’HEURE QU’IL EST ??? FOUTEZ-MOI LE CAMP, BANDE DE PETITS CONS, ET QUE JE NE VOUS REVOIE PAS AVANT UN AN ! » Je peux être terrifiant quand je me mets en colère… et les petits monstres en civil ne se le firent pas dire deux fois. La horde s’enfuit en courant, faisant un vacarme épouvantable dans la rue. Je refermais la porte d’un air rageur. Mon royaume pour une ville fantôme ! Mon âme pour un no-man’s land irradié !
Bon, c’est vrai qu’ils n’avaient rien fait de très dérangeant, et que Jeanne Goupil et Einstürzende Neubauten, ça les dépassait un peu, beaucoup même. C’est vrai aussi que les films, les disques, on en profite quand on veut, et que je n’avais qu’à remettre toutes ces extases au lendemain. Mais bon sang, pourquoi est-ce si difficile dans ce monde d’arriver à passer une soirée tranquille chez soi sans se faire coloniser par son prochain ? C’est pour ça que je vous le dis, à vous, parents qui me lisez : Gardez vos enfants chez vous pendant Halloween ! Sinon, je vous jure qu’un de ces jours, ça ne sera plus seulement des foetus qu’on retrouvera congelés au fond des caves ! Il y aura aussi des écoliers à la gourmandise indélicate. Car, le lendemain d’Halloween, c’est le 1er Novembre, la Fête des Morts ! Vous êtes prévenus…