Il paraît aussi que ça s’appelle la Vie…
Dans ma grande ville il y a des passants aux visages gris qui transportent leurs malheurs et leurs carcasses le long des trottoirs glissants.
Il y a des jeunes aussi, ceux-là ont encore le sourire aux lèvres, les doigts rougis par le froid qui arrive peu à peu et les yeux brillants d’espoir.
A ceux-là je ne leur donne pas 5 ans pour déchanter et rejoindre la ronde de l’ennui.
Il paraît aussi que ça s’appelle la Vie…
Des jolis couples passent devant les vitrines illuminées, pourtant ce n’est pas Noël, juste l’automne qui pointe.
La période est loin derrière où tout le monde pense au soleil, aux plages de sable blanc, aux régimes qu’il faudra commencer dès la fin du mois de Mars, à vivre.
Voilà à quoi ils pensent les jeunes beaux et belles qui terminent leurs études et qui se disent que la vie est devant eux, qu’ils ont le temps avant de ressembler à ceux du trottoir d’en face.
En face justement, il y a la frontière entre la vie et la survie.
Déjà, il y a le supermarché avec ces néons qui donnent aux gens une gueule d’enterrement, peu importe la saison.
Il y a aussi ces rangées bien alignées de caddies, ces petites prisons à roulettes avec leurs grandes grilles qui aident à contenir la survie.
Toutes les possibilités d’avenirs et de fins, réunies à travers les rayons.
C’est ça le pire dans les supermarchés, c’est que vous, les jeunes beaux et belles, avez beau rêver de mieux, vous finirez sans doute comme tous ceux là.
Même que si vous méprisez les cons qui se font photographier par Voici, Voilà ou Gala, vous aimeriez bien voir vos gueules juste une fois à côté de la leur.
Qu’on vous admire un peu et qu’on sache que vous existez.
Même si la gloire ne vous fait pas jouir, vous aimeriez de la reconnaissance et avoir un peu d’importance, et tant pis si ça ne dure qu’un quart de seconde.
Vous ne me voyez pas, moi le râleur, le déjanté snob qui trainasse sur mon site de conneries désabusées que vous ne lisez même pas…
Je suis là et las, revenu à mes 19 ans, je suis vous, votre ombre invisible, un vieux con d’un autre âge, même pas Gainsbourg ni Gainsbarre, pas même sa resurrection.. j’ère entre vous, entre vos maux et vos mots, vos dires et dédires, dans le même bus, un de ceux qu’on déserte toutes et tous, un peu, quand il commence à faire noir, parce qu’il nous ramène dans notre univers de banlieues et faubourgs, là où paraît-il, les perspectives d’avenirs restent tout aussi limitées qu’en mon temps d’avant.
Le style d’endroit où pullulent les gens sans ambitions, sans rêves, sans pouvoir de décision, qu’on lobotomise de sportivités débiles, de Druckerisation, de Bruelisation, de choses sans aucune importance autre que faire croire qu’elles le sont…
Et aussi la pension…, le mirage, la finalité d’une vie de conneries à payer pour payer et repayer pour n’en avoir que des moins que rien, alors trop vieux que pour enfin se révolutionner…
Les sans importance, en somme.
Moi, c’est là où je vivais, entre ma naissance et ma révolution…
Au milieu du plus petit échelon établit par la société.
Ceux qui ne paient pas leurs impôts parce qu’ils n’ont pas assez de thunes pour le faire.
Et à ceux-là on a de quoi leur en vouloir, parce que dans le quartier un peu plus loin, celui où les gens sont assez respectables pour mériter un square avec un jardin d’enfants et tout le bordel, on bosse soi-disant pour faire vivre tous les branleurs de la terre.
Ca pourrait faire une petite guerre civile si tous ces braves gens et ces moins braves osaient s’expliquer un jour.
Mais faut rien espérer de la raclure humaine, ça préfère… et de loin, les ragots et les médisances, les télévisualités, la Star-ac, les chanteurs, chantonneuses, idoles, coureurs escrocs et assassins…
J’ai essayé de changer de quartier, une fois, pour voir ce que ça donne de l’autre côté de la barrière.
Tout ça pour me rendre finalement compte que ça grouillait des même rêves déchus, que ça respirait la même merde et que ça se laissait porter par le même courant.
Je crois que j’ai alors tout compris de la nature humaine, et je me suis dis : quitte à être entouré d’incapables autant qu’ils soient les moins chiants et les moins moralisateurs possibles…
Alors à mes 19 ans, à l’âge ou on compte en printemps avant de rire en étés, de compter en automnes et décompter en hivers…, je suis parti…
Vous ? Non ?
Vous ne partez pas, sauf dans le bus qui vous fait la navette entre le désespoir et l’espoir, vers le fond…
Et, au fond, justement, arrive invariablement qu’une gamine habillée comme une pute se fait emmerder par deux gamins d’une vingtaine d’années, vos potes de loin, ceusses que vous évitez, ceusses qui graffitoles et vous font parfois les poches.
Vous pourriez très bien être héroïque et vous faire vitrioler la face en essayant de la sauver, mais au lieu de ça, vous restez à votre place.
Dans la position de merde soumise et vous ne faites rien, rien ne fait
C’était bien sa faute après tout, elle n’avait qu’à pas s’habiller comme une pute, à ne pas se trouver là au moment-là..
Il y en a une qui s’est fait brûler comme ça…
Les gens, les jeunes, les vieux, tous sont sortis du bus, parce que ça les foutait mal à l’aise, et parce qu’ils avaient peur qu’ils viennent leur demander du fric, ou des clopes, ou n’importe quoi, comme pour vos poches.
Vous aussi, n’en avez pas l’air comme ça, mais vous tenez trop à votre peau pour vous faire éclater par des gamins pitoyables en manque de dope.
En sortant de mes 19 printemps, je me suis engouffré dans le premier bar que j’ai croisé pour liquider la monnaie qui me restait au fond des poches.
Certains se saoulent avec de l’alcool, moi j’ai préféré me saouler aux gens.
Et croyez bien qu’avec le paquet de cons sans cesse renouvelé dont la terre regorge, j’ai compris, alors, que j’avais la possibilité de vivre une vie entière avec cet enivrement gratuit.
Dans le fond du bar, y avait un vieux flipper qui clignotait encore mais sur lequel personne n’allait jouer, sauf le serveur quand il s’emmerdait et que les clients se faisaient rares.
Il y avait un couple qui s’engueulait aussi, et un clébard tellement énorme qu’il renversait les chaises dès qu’il bougeait.
De son immense gueule coulait des litres de bave qui venait s’échouer sur les chaussures de sa maîtresse.
C’est ça que j’ai aimé en observant les gens, on trouve toujours plus pathétique que soi, et ça rassure.
Quoi qu’on en dise, une fois qu’on a compris qu’on aurait tous une vie de merde, on passe notre temps à chercher pire que nous, plus profond dans la connerie et dans l’insipide.
Dehors il faisait nuit, je n’avais ni envie de rester là, ni envie de sortir.
Le bar se vidait lentement et des groupes de gamines au teint mat se pressaient vers les chiottes.
Je crois que j’aurai aimé être une poignée de porte, pour me faire toucher par toutes ces salopes.
J’aurai aussi aimé être le chien du couple de vieux crevard, avoir une vie rodée, sans aucun désir mis à part celui de bouffer et de dormir.
En sortant du bar, j’ai croisé un clodo qui s’était endormi sur le macadam, la bouteille de rouge encore dans la main, l’air heureux, la face livide et le nez rouge.
J’aurai également aimé lui ressembler, rien que pour avoir l’air heureux quand je dors.
J’ai passé quelques secondes qui m’ont paru extrêmement longues à le fixer, puis j’ai continué à marcher.
J’arrivais au bout de la rue et en me retournant une dernière fois avant de me décider à passer mon chemin, j’ai vu une bande de gosses qui s’amusait à shooter dans le vieil SDF que je regardais tout à l’heure.
Je n’ai pas bougé, j’ai attendu qu’ils terminent.
Le vieux ne gémissait pas, il avait voulu garder une certaine dignité, il en était mort.
Finalement, puisque je n’avais rien d’autre à foutre je me suis assis sur un banc et j’ai appelé les urgences.
Quand l’ambulance à débarqué, les gosses étaient partis le vieux n’avait pas bougé, la rue était calme et le vent soufflait de plus en plus fort.
Vu le temps que les ambulanciers ont mis pour foutre le mec à l’intérieur de la camionnette, j’en ai déduit qu’il était bel et bien mort.
Peut-être qu’il l’était déjà quand je l’ai croisé, peut être que c’était pour cette raison qu’il avait l’air heureux et les gamins avaient juste eu envie de shooter dans un macchabée, pour voir ce que ça faisait comme impression.
Je me suis finalement levé de mon banc, parce que j’avais trop froid.
En marchant j’ai croisé un autre SDF, j’ai vérifié qu’il n’était pas mort celui-là, quand je l’ai touché il s’est relevé et il m’a foutu un coup de poing.
Mon nez pissait le sang et j’ai finalement décidé de monter vers le haut de la ville le plus vite possible, sonner à la porte de la femme qui m’avait donné rendez-vous un soir de dancing.
Tant pis si je croisais encore un ou deux cadavres…
En longeant les rues, tout ce que je trouvais à me dire, mis à part qu’il faisait vraiment un temps de merde, c’est que j’avais étrangement assisté à beaucoup de scènes de violence et de mort dans une même journée.
Et en croisant un immeuble grisâtre, j’ai lu la phrase qu’un jeune rêveur, idéaliste de mai 68 avait écrit : “Sous les pavés, la plage“.
J’ai souris en me disant que si j’avais eu un marqueur en poche j’aurai bien ajouté que moi, je savais ce qu’il y avait sur les pavés.
Rien que des cadavres, des saletés de corps en putréfaction qui n’avaient même pas la décence de crever noblement.
Des ratés qui continuaient de mener une vie sociale alors que leurs entrailles se décomposaient et faisait d’eux les pourritures abjectes qu’ils sont.
C’est juste ça l’humanité, un gros tas de chairs qui moisissent ensemble, les unes sur les autres, et ça se complait là dedans en se disant que tout ce qui arrive, c’est humain après tout.
Ils ne veulent pas réaliser qu’aujourd’hui il n’y a plus rien d’humain.
Ils ne sont que des morts en sursis, qu’on attend d’enterrer, puisque pour l’instant, les caveaux sont pleins.
Ahhh oui, la femme ?
Belle, eurasienne, comme l’était la Maîtresse de Sélim Sasson, un journaliste de la TV belge…
Elle m’a ouvert, comme son double d’elle-même trois ans plus tôt, elle m’a fait monter, en double sens, m’a fait boire et, comme j’étais toujours aussi jeune et con, quoique moins inexpérimenté, elle m’a jeté…
Je me suis retrouvé pareil qu’à mes 16 ans…, dans le caniveau, seul, la nuit, loin de chez moi-ma chambre…
J’ai erré clochard, dormi dans un porche, dans le froid…
Repensant à elle, je suis certain que c’était la même…
Nos vies sont suffocantes.
L’air inspiré est sitôt vicié.
A chaque nouvelle rencontre, de nouveaux fantômes, alors, maintenant, j’apprends à composer avec tous ces passés entremêlés.
Ceux dont j’entends parler, qui ont compté, tellement, à en déformer le présent.
Les histoires ne s’achèvent que dans les livres et les films, du théâtre de rue aux mauvais acteurs à la réalité crue qu’on aimerait romancer.
Nous jouons dans notre tête le plus mauvais scénario, celui qui n’aura jamais de musique de fin, piètres comédiens à l’humour douteux qui confondent Broadway et Hollywood, l’endroit où l’on regarde et celui où ça se passe, attendant de se faire offrir le premier rôle en passant sa vie à quémander de l’attention, des yeux pour se faire voir ou pleurer, et des oreilles pour entendre son texte récité depuis des siècles.
C’est rongé par les remords d’une intrigue déplacée à la trame effilée qu’on s’invente un présent à défaut de le vivre.
Le futur n’est qu’un mensonge en promesse.
Alors, j’essaie d’oublier que je suis l’un de ces fantômes revivant des épisodes que j’aurais voulu voir achevés et qui m’emmerdent toujours.
Toutefois, maintenant, je ne m’excuse pas aujourd’hui encore, si et quand je dérange !
J’aimerai aussi raconter une histoire, peu importe qu’elle soit jolie ou non, j’aimerai parler du train dans lequel je suis monté en ces temps lointains et des fantômes que j’y ai croisé, de ceux qui sont encore présent, et que je n’ai pas écartés, éclatés, d’une balle en pleine tête.
Ce serait sans doute mentir que d’affirmer qu’un flingue suffit à éliminer tous les personnages encombrants, alors, c’est avec ma raison que je me suis toujours battu.
Je me suis fait de moi un allié au lieu de chercher les failles à combler.
Dans mes souvenirs, je suis monté à bord de beaucoup de trains qui ne m’ont jamais mené nulle part.
Alors je suis descendu, parfois trop tôt, souvent trop tard.
A chaque fois je me suis trompé sur la destination, emportant dans mes valises beaucoup de merde et dans ma tête trop de passé.
Alors, comme un serment envers moi-même je suis reparti seul, bien qu’en me trouvant déjà superflu.
Ces voyages m’ont semblé longs, les cauchemars entêtants, et même la distance imposée par mes fuites en avant n’ont pas suffi à couvrir les cris de ma tragédie.
Je la croise souvent dans ces wagons fantômes, au milieu des autres oubliés aux visages en partie effacés.
Il n’y a plus aucune trace de beauté en elle, tant psychique que plastique.
Alors je me décide à laisser geindre cette figurante défigurée en espérant qu’un jour, sa voix se taira.
Depuis notre rencontre, je laisse ma tragédie sur le quai les charlatans, artistes à la rue et martyrs du nouveau monde.
Je m’éloigne en les laissant surjouer la fiction sans ne plus rien attendre d’eux qu’un murmure diffus, à peine perceptible.
Sitôt prononcé, sitôt oublié.
J’ai déjà tant à faire, nourrir ce souvenir, le dépoussiérer puis le ranger.
A l’abri des mensonges et du mythe, de tout l’emballage synthétique et anecdotes pathétiques que j’ai pu y mettre.
Au cinéma de la télévision en Druckérisations lobotomiques, les émissions, jeux et sitcoms apprennent que tout est blanc ou noir et qu’a la fin, on ne peut que gagner ou perdre.
Je ne peux m’en vouloir de m’être menti à moi-même, parfois, d’avoir cru perdre plusieurs batailles avant de gagner la guerre.
Je ne peux me moquer de ma rage, cherchant seulement à sauver la face, quelqu’en soit le prix, évitant d’être médiocre et de flotter dans un environnement neutre.
A l’écran, tout parait intense et profond, mais la réalité n’a que l’échec en justification.
Je n’ai pas des masses de conneries à raconter ces temps-ci…
Je me sens comme en flottement, rien ne m’enthousiasme et rien ne me désespère.
Je me suis transformé en une sorte de grand vide qui aspire les émotions pour mieux les déformer.
Alors j’attends que tout passe et que le froid de l’automne s’installe pour balayer les feuilles mortes de divers livres…
Je lis un bouquin de Michel Onfray sur Georges Palante.
D’une pierre deux coups.
Je n’avais jamais connu Onfray ailleurs que dans les bouquins des autres et des émissions Télé pas forcément intéressantes où il était lui-même très peu intéressant.
Je n’ai jamais lu un bouquin de Palante non plus.
Inculte que je suis !
J’ai raté un monument de la joie de vivre.
Palante est un démocrate individualiste, ce que Michel traduit par : “un Nietzschéiste de gauche“, il est anti-marxiste tout comme il n’aime pas les anarchistes qui sont selon lui, coupable d’un optimisme angélique.
Son crédo c’est plutôt l’athéisme, le pessimisme et le nihilisme social.
C’est sur que c’est pas l’optimisme qui a tué ce loustic.
J’y apprends des trucs, comme quoi : “La quantité de vitalité d’un corps écrit le destin d’un être” ou bien : “Être libre, c’est accepter ce que la puissance exige de nous“…
Ça paraphrase du Nietzsche à chaque page dans un style romanesque, afin de tenir le lecteur en haleine.
Ajouté d’un peu de psychologie de comptoir, parce que Freud c’est merveilleux et ce serait bien dommage de s’en passer dans un bouquin pareil.
C’est le genre de livre qui me met de bonne humeur dans un moment de déprime, tout est nul, tout n’est rien on va tous mourir, la vie se rate immanquablement, c’est dans l’échec que l’on considère sa force.
On pourrait le vendre dans un magasin de jardinage, à côté de cordes et de pelles en promotion, d’un point de vue commercial et publicitaire, ça gagnerait en force de vente.
Je ne crache pas sur tout non plus, y a des passages avec lesquels je suis d’accord, sur lesquels je m’enthousiasme, mais alors ce marasme de pessimisme et de pathos raconté par l’autre philosophe de mes deux, c’est dur à digérer…
Entre deux chapitres j’essaie de m’aérer l’esprit, je vais chez mon amante cuisiner une côte-à-l’os, déguster un Spumante, boire un Nescafé et s’aimer…
Tout ça pour écrire que ça va.
Je relativise que dalle.
Je compte seulement les jours et les heures en attente de la voir.
Il fait gris dehors, comme la belgitude, ça m’aide à m’enfoncer.
Je suis comme les cons, je me laisse influencer par le temps.
Je mesure ma solitude en instants d’ennui, moments improductifs pendant lesquels je me demande bien à quoi ça sert tout ce foutoir, j’envisage tout, dresse une liste d’actes essentiels à réaliser, et puis tout s’allonge dans des proportions que je refuse de mesurer.
Je me sens connement seul devant une montagne de conneries à vider, de saloperies à nettoyer, de crétins à assassiner.
Mais je ne fais rien de tout ça, je me saoule au Mojito et j’attends que la gueule de bois se passe !
J’ai répondu à quatre annonces de demandes de renseignement pour mes bagnoles et envoyé trois é-mails de prospection spontanée hier soir.
Alors ce matin, en ouvrant ma boite mail j’ai eu la joie de recevoir quelques lignes qui racontaient que mes tutures n’avaient pas la couleur recherchée…
J’ai répondu à chacun qu’il n’avait pas le profil pour récurer mes chiottes ni pour vendre des fringues dans une boutique pour classes aisées, mais qu’adaptable, quitte à côtoyer la merde, il pouvait apprendre et faire avec…
J’attends donc, en consumant mon âge, de me fixer des objectifs réalisables, il paraît que ça rend le quotidien moins merdique et que ça valorise à court terme.
Deux heures du mat’, je marche, je contourne des fêtards qui s’attardent devant la sortie des bars.
Ces cons qui n’arrivent jamais à décoller et font chier mon voisinage à beugler comme des veaux.
Il y a toujours l’heure fatidique où le temps me fait rentrer chez moi, me retrouver loin des autres et leurs solitudes individuelles noyées dans l’alcool.
Alors sur le chemin qui me ramène à mon chez-moi, démarche chaloupée, je croise des types et des nanas un peu étranges.
L’éternel groupe de looseurs assis près de mon parking, qui sifflent les gonzesses quand elles passent et qui quémandent un peu d’attention si on ose leur accorder un regard, une demi-seconde d’existence alors.
Je navigue entre les gens, me fait un chemin en évitant l’attroupement de connards bourrés en starco et mocassins vernis.
Toujours les mêmes gueules de balafrés qui s’éreintent en semaine à tenir un stylo Bic entre leurs doigts.
Ils gardent le geste, s’allument une Marlboro, la jette à moitié consumée sur les pavés et gesticulent en mouvements décalés.
C’est bien souvent les plus lourds, les plus cons, ceux qui s’autorisent toutes les bassesses en prétextant décompresser le vendredi soir.
C’est toujours ceux-là qui reluquent le cul d’une femme, d’un air attardé, de haut en bas, sans dire un mot alors qu’elle continue à avancer et qu’elle sent leurs regards se poser sur ses fesses, puis se rassure en voyant s’approcher une autre fille, un peu mieux sapée.
Une plus belle victime qui avance, c’est le maître mot, ne pas rester là, faut presser le pas, fermer son blouson bien haut, les poings au fond des poches qu’elle garde serrés, rasant les murs en regardant droit devant : “Vous allez quelque part Mademoiselle ? Vous avez besoin de compagnie ? Vous avez un rendez-vous ? Hey-toi ! T’as pas peur la nuit toute seule ?“…
Bien sûr le connard lambda sait qu’elle a peur, alors qu’elle devrait savoir qu’il ne va rien lui arriver dans cette place et cette rue bourrée de monde, mais elle a le cerveau déficient quand on vient lui adresser la parole.
Alors elle s’écrase quand l’autre sait très bien qui mène la danse et qui va rester sur le carreau.
C’est la petite séance d’humiliation quotidienne.
Il en faut bien, des gens qui se valorisent sur le dos des autres, ça fait partie du jeu.
On est toutes et tous, toujours quelque part, pour les autres, de la chair à paté qui partons se faire charcuter.
Les mots et maux des autres, moi ça me tue.
La présence de n’importe quel con envahissant mon espace vital à moins de deux mètres, c’est une agression que je ne pardonne pas.
Les gens, je ne les aime déjà pas tellement, mais cons, ça me donne des envies de génocides sévères.
Il ya aussi les couples, dans la rue.
Ceux qui se lavent les amygdales en public et ceux qui lavent leur linge sale.
La vie de nuit c’est tout un spectacle en représentations illimités.
On y entre gratuitement si on accepte de payer les pots cassés à la fin de la prestation.
On a beau matter en spectateur, on fait partie de la scène, un spectacle de rue qui digère et dégénère.
Et puis enfin, ma porte en fer.
D’un coup de pied je la repousse, j’allume le hall et referme, entendant encore les cris de ceux qui se donnent la peine de croire qu’ils vivent et s’amusent dehors.
Et puis je m’éloigne, je jette un oeil au garage, dis “bonne-nuit” à mes voitures, certaines me répondent en grinçant… je monte les escaliers, il fait chaud, je suis déjà mieux.
Pas de gueule de bois demain mais je me promets de vomir en mots les gestes des autres.
Je leur donnerai du sens à ma façon.
Faut bien que je m’accorde une petite place dans l’histoire, que je me donne un rôle et forcément le meilleur !
La faune de nuit ce n’est pas mon monde, j’ai le désespoir trop solitaire.
Mon monde c’est le monde sans le monde…