Intégralité de la Sentence d’arbitrage
(Affaire Bernard Tapie – Adidas – Crédit Lyonnais)
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« La sentence arbitrale rendue récemment dans l’affaire Tapie a donné lieu à tant de déclarations inexactes sur l’arbitrage, souvent injurieuses pour les arbitres, qu’une brève mise au point s’impose.
Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur une sentence arbitrale dont nous ignorons le dossier, et les fondements et qui, comme toute décision, peut être critiquable.
Mais il est difficile de rester sans réaction devant une accumulation de contre-vérités, dans la meilleure des hypothèses fruit de l’ignorance.
Qu’entend-on en effet ?
Qu’il a suffit à l’Etat d’accepter un recours à l’arbitrage pour obtenir une décision contraire au droit.
L’arbitrage en tant qu’institution, est présenté comme le support naturel de magouilles et les arbitres comme leur instrument.
C’est oublier que l’arbitrage est une institution juridictionnelle régie par des dispositions précises et détaillées du Code de Procédure Civile, qui ne compte pas moins de 56 articles sur le sujet.
Les arbitres doivent respecter, comme les juges, les principes directeurs du procès, être impartiaux et, sauf rares exceptions, trancher le litige en droit et non en équité.
C’est aussi faire fi de l’appui que le juge français, en particulier la Cour de cassation, à l’avant-garde de la jurisprudence mondiale, apporte en vertu de ces dispositions à l’organisation de l’arbitrage et de son contrôle final sur la sentence, sans lequel elle ne peut faire l’objet d’exécution forcée.
Si l’arbitrage était, comme on le laisse entendre, un moyen habituel de fraude, on comprendrait mal que depuis 50 ans, la communauté internationale favorise activement son développement.
La convention de New York de 1958 sur l’exécution des sentences arbitrales, qui s’applique tant aux sentences rendues en matière interne qu’en matière internationale, est en vigueur dans plus de 140 Etats.
Rare sont les Etats qui ne se sont pas doté d’une loi moderne sur l’arbitrage.
Ce n’est sans doute pas pour faciliter des arrangements plus ou moins douteux !
Enfin, il est pour le moins surprenant d’entendre déclarer de façon péremptoire que lorsque les intérêts du contribuable sont en jeu, c’est un principe absolu du droit que l’arbitrage est interdit.
Rien n’est plus faux tant dans les relations commerciales internationales de l’Etat qu’au plan interne.
Il est vrai que le droit français est l’un des rares à interdire, du moins en principe, l’arbitrage à l’Etat et aux collectivités et établissements publics ; mais l’interdiction ne s’applique pas aux sociétés commerciales ou industrielles dont l’Etat est actionnaire, lesquelles y recourent régulièrement.
De plus des lois spéciales ont été adoptées pour déroger au principe d’interdiction.
Nous espérons que cette mise au point permettra d’éviter qu’une institution qui contribue de façon non négligeable au développement économique de notre pays soit ternie par un débat politicien sans fondement. »
Serge Lazareff, Président de la Commission de l’Arbitrage du Comité National Français de la Chambre de Commerce Internationale
Yves Derains, Président du Comité Français de l’Arbitrage
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INTERVIEW de Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique à Sciences Po (Paris), qui décrypte la décision de l’Elysée de contester l’arbitrage rendu dans l’affaire Tapie…
Le feuilleton de «l’affaire Tapie» n’en finit pas de rebondir. Ce jeudi, l’exécutif a sauté le pas en annonçant que l’Etat «a l’intention d’intenter un recours en révision» pour contester en justice l’arbitrage favorable à Bernard Tapie qui a abouti au versement de 403 millions d’euros. Professeur de droit économique à Sciences Po (Paris), Marie-Anne Frison-Roche explique les conséquences de cette décision.
– L’Elysée va contester en justice l’arbitrage rendu dans l’affaire Tapie, quelles sont ses chances de succès?
– Le recours en révision d’un arbitrage est une voie de recours extraordinaire prévue par le code de procédure civile. Ce recours est peu souvent formé car il est rare qu’il soit couronné de succès, c’est-à-dire que la sentence arbitrale soit annulée, voire que l’ensemble de l’arbitrage soit anéanti. En effet, la révision suppose la révélation d’éléments nouveaux découverts après la sentence arbitrale et à l’expiration des voies de recours ordinaires. C’est le critère commun à toutes procédures de «révision». Pour ne prendre qu’un exemple, et le plus célèbre, dans l’affaire Dreyfus, le recours en révision a été couronné de succès puisque le vrai coupable avait été découvert. Ainsi, dans l’arbitrage Tapie contre Crédit Lyonnais, si de nouveaux éléments pertinents apparaissent, l’Etat peut obtenir la révision. Dans ces conditions, on peut estimer qu’il est opportun pour l’Etat d’engager un tel recours.
– Quelles peuvent être ces faits nouveaux ?
– Personne ne le sait, c’est la suite de la procédure qui a vocation à les faire apparaître. Ces «éléments nouveaux» sont l’objet même des investigations des juges qui agissent dans la procédure pénale. Celle-ci progresse notamment par le biais des mises en examen successives. Nous avons aujourd’hui connaissance de celles de Stéphane Richard, l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et de Jean-Louis Borloo, ainsi que celle de Jean-François Rocchi, l’ancien président du Consortium de réalisation (CDR), structure de droit privé chargée de gérer le passif du Crédit Lyonnais. La qualification retenue pour la mise en examen est «escroquerie en bande organisée». Elle est donc la même que celle retenue pour la mise en examen de Pierre Estoup, l’un des trois arbitres, qui fut mis en examen le 29 mai. Cette circonstance aggravante de «bande organisée», accompagnant ici la qualification plus commune d’escroquerie, circonstance aggravante qu’une loi de 2004 inséra dans notre droit, permet aux juges de disposer de moyens d’investigations beaucoup plus puissants. Ceux-ci peuvent par exemple faire procéder à des écoutes téléphoniques, mode d’obtention de preuve très encadré ou à des perquisitions non seulement de jour mais de nuit, ce qui est ordinairement exclu, sur toutes personnes.
–Que peut-il se passer désormais ?
– Il y a plusieurs cas de figure. Les magistrats de la cour d’appel de Paris peuvent rejeter la demande de révision. Mais si les faits nouveaux révélés et avérés sont suffisamment graves et qu’il y a eu fraude, ils peuvent décider d’annuler la sentence qui avait décidé en juillet 2008 d’octroyer à Bernard Tapie 403 millions d’euros, intérêts compris, obligeant alors à un nouvel arbitrage, voire annuler le principe même de recours à l’arbitrage, ce qui renverrait l’affaire devant les juridictions ordinaires. Il faut être prudent et ne pas faire de «droit-fiction». Tout est encore au conditionnel: il faut que des faits nouveaux apparaissent, qu’ils soient avérés; en outre, c’est leur teneur qui va déterminer ce qui sera annulé, par exemple soit seulement la sentence et pas l’ensemble de l’arbitrage, soit non seulement la sentence mais encore tout l’arbitrage, y compris la décision de recourir à ce type de justice non-étatique.
– Bernard Tapie pourrait-il devoir rembourser les 403 millions d’euros ?
– Oui, si la sentence arbitrale est annulée et cela peut arriver assez vite, un recours de ce type étant examiné en 18 mois, sauf complication procédurale. Mais cette affaire, débutée en 1992, ne sera pas finie pour autant. En effet, à l’époque, Bernard Tapie avait saisi le juge étatique en affirmant que le Crédit Lyonnais avait commis des fautes dans la cession d’Adidas, allégation que les juges avaient estimée fondée. Pour les juges étatiques, dans le cadre du litige qui l’oppose au Crédit Lyonnais, Bernard Tapie est la victime. En effet, en 2005, les magistrats de la cour d’appel de Paris ont estimé que l’homme d’affaires avait été lésé par le Crédit Lyonnais. La cour avait alors estimé le préjudice de Bernard Tapie à 135 millions d’euros. Son statut de victime demeure. Ainsi, dans le cas où la sentence arbitrale serait annulée, obligeant Bernard Tapie à rembourser les 403 millions d’euros, il pourrait quand même par la suite demander à nouveau à être indemnisé en agissant contre le CDR. Le ferait-il devant un tribunal arbitral? Le même que celui qui rendit la sentence rendue en 2008 ou un autre tribunal arbitral ? Devant une juridiction arbitrale ou un juge étatique? Les diverses décisions des juridictions judiciaires et administratives qui émaillent cette saga auront-elles une autorité de chose jugée sur les comportements des uns et des autres? Dans ce cas juridiquement très complexe, il est encore trop tôt pour le dire.