J’empire…, l’empire tout autant…
Les bonnes nouvelles ne m’apportent aucune satisfaction… et si elles sont mauvaises, cela ne me coupe pas l’appétit. Je les digère mieux, positives ou négatives, en les assimilant dès le petit déjeuner avalé et, sur ma lancée, le précieux document achevé. Je reconnais que le côté obscur de la force m’habite à la lecture d’un événement fâcheux ; s’il y a une bonne performance sportive, je me surprends à souhaiter une blessure pour le champion. Mais je ne vais jamais jusqu’à espérer une avarie en plein vol de l’avion qui transporte une équipe de foot, par exemple, ni un accident de l’autocar des supporters qui suit – forcément – à distance…, quoique, vraiment, franchement, en y réfléchissant…, c’est le contraire !
A force d’écrire des horreurs, il m’arrive de prendre du plaisir lorsque j’en découvre dans les médias… et je fais très souvent le rapprochement entre les infos morbides et les errances démoniaques des auteurs de thrillers. Ce n’est pas du vice, non, c’est une expression maquillée de la déformation professionnelle… Et si j’étais un spécialiste de romans à l’eau de rose, nul doute que j’eusse aimé que tout le monde épousât l’âme sœur de ses rêves et fondât une famille, avec de nombreux bambins joufflus, tous plus beaux les uns que les autres. Je n’accorde aucun crédit au lecteur de canard affirmant ne pas être fasciné par les drames et les guerres. Si c’est pour collectionner les informations heureuses, autant lire les magazines “people”, non ?
Créer des contextes de folie me rend bizarrement sage…, mes aventures sont des péripéties haletantes, même si ce n’est que me rendre à un guichet de poste ou m’en aller acheter un pain…, c’est à chaque fois une quête d’idées à puiser sur le terrain. Un safari-images, en quelque sorte, que je feuillette ensuite en dormant, grâce à mes songes qui, depuis une poignée d’années, sont de plus en plus maudits…, mots dits aussi.
Mes textes sont des cauchemars éveillés, et ce sont eux, justement, qui me nourrissent l’esprit, c’est un cercle vicieux.
Je manie la plume en tapotant le clavier de mon ordinateur, nuitamment, cultivant l’insomnie, arrosant en finale mon adrénaline de café chimique le matin, actionnant ainsi comme une sirène d’alarme…, car je vais me coucher aussitôt entendu son ululement rauque et cassé, pour sommeiller deux heures, avant d’endosser mes irresponsabilités, tuer le temps, faire frissonner les macchabées, fuir les spectres…
Baroudeur-oisif dérivant au gré d’idées délirantes, je note tout en mémoire de mon carnet secret d’un, les yeux cernés d’incertitudes, mais luisants d’espièglerie et de satisfaction.
Rien n’est simple et routinier dans ce que j’écris ; à l’inverse, je sors des sentiers battus et empiète sur des plates-bandes minées que le lecteur n’ose même pas imaginer avant de me lire. Ainsi, il met les pieds dans des contrées totalement inconnues, après avoir été parachuté il ne sait ou par un avion fantôme. L’effet de surprise est une drogue aussi dure que l’habitude, plus perverse… et bien plus enrichissante. Les lecteurs accros à l’achat de magazines à parutions régulières et calibrées ont, au moment de payer, un visage éteint où se dessinent déjà la lassitude et l’ébauche d’un futur renoncement. Mes lecteurs sont autres, tout excités, ils frétillent, car ils savent que je vais les tournebouler hors du vide de leur existence, les menant à un pas du bord du puits sans fond de la bêtise humaine, eux qui jusqu’alors s’inquiétaient d’en ignorer la profondeur et par qui il est squatté !
Je flirte avec l’opposition : pour que mes personnages soient bien vivants, angoissants… et baignent dans une boue sanguinolente, je revêt tel que caricaturé par ma signature avatar en fin d’article…, la panoplie du parfait pantouflard un chouïa vieux garçon. C’est le paradoxe absolu… et la condition sine-qua-non pour m’évader dans l’infini du web…
L’auteur-journaleux d’articles à l’eau de rose, qui s’acharne sur des descriptions techniques, parce qu’il sait que ses lecteurs espèrent secrètement vivre un jour diverses mésaventures sirupeuses jamais vécues…, se défoule souvent dans la création commerciale car il sait pertinemment que ses fantasmes appartiennent à tout le monde et qu’il est le mieux placé pour entretenir les besoins d’un lectorat frustré. Cela renvoie les psychiatres à leurs chères études… et la démarche, vue sous cet angle, m’interpelle et me plaît assez pour la caricaturer.
De mon côté, ce que je fais endurer à “ceusses” qui sont venus se perdre dans mes texticules, seuls mes pires ennemis mériteraient d’en subir les contrecoups féroces, tant je les manipule, les trimbale à un rythme d’enfer, les soumets à un régime de forçat…
C’est comme un bourreau qui serait un papa gâteau et n’aurait aucun scrupule à générer des orphelins en coupant des têtes.
Je l’avoue, oui…, je suis un serial-killer de la prose et je mène une double vie : l’une peinarde, bien calée dans mes charentaises, l’autre totalement amorale, souvent cynique, chaussée de bottes de sept lieues pour enjamber des territoires de haine et de mort.
Bien à l’abri dans mon loft quasi cybernétique…, en tant que Quelqu’un de génial et athée congénital…, au départ de GatsbyOnline…, mes textes et pamphlets sont, selon moi, ce qui n’engage par ailleurs que moi-même, seul au milieu de la “foultitude”…, des sortes de virus informatiques qui se propagent dans les esprits par le biais d’Internet. Passant par l’écran, mes rayonnements textuels sont calculés pour amplifier l’intelligence des internautes, rendre leur mental plus fort, plus rigide, totalement hermétique au spirituel, aux idées reçues et à toute forme de “politiquement-correct”…. Cela devrait, à mes yeux… les rendre plus cartésiens en véhiculant la négation absolue de l’existence des fantômes, de la réincarnation, des soucoupes volantes, des médiums, des voyants, des radiesthésistes et autres fricoteurs de surnaturel et charlatans… Et, bien sûr, en finale…, chacun serait alors capable, enfin, de chasser de son esprit redevenu sain… : le grand méchant loup : Dieu !
Ahhhhhhhh ! Traquer les adeptes de cette secte maquillée, récupérant au passage les brebis galeuses égarées ; on pourrait après deux mille ans d’esclavage, organiser des safaris musclés pour déloger les colporteurs de légendes chrétiennes, les faux prédicateurs, les prophètes d’opérette. L’esprit de mes texticules serait ensuite transmis par le regard de chaque cybernaute initialement exposé, qui deviendrait dès lors un vecteur, un messager, transmettant sa conviction nouvelle par magie hypnotique, une épidémie réelle via le virtuel. Un truc de dingue. Vous êtes une grenouille de bénitier, vous lisez un de mes textes… et patatras…, vous voilà subitement devenue une mécréante et vous partez sur l’heure en croisade contre les bigotes. Il est impossible d’orienter une amnésie vers un domaine précis ; la foi n’est pas localisée dans le cerveau ; quand on oublie, tout passe à la trappe, on ne cible pas la case à effacer sur l’échiquier. Ce détail m’interdisait une attaque chimique généralisée !
Je pense qu’ôter les idées religieuses de la tête des croyants du monde entier annihilera leur envie de s’affronter, de se nuire, de se détruire. A la base, c’était une idée altruiste, l’embryon d’un bon sentiment dégénéré et mégalomane, de ceux qui vous rendent dictateur sans même vous en rendre vraiment compte au début. Après, tout s’enchaîne naturellement… et la tête enfle, les idées se tordent pour grandir plus vite, en force. Je compte ainsi étouffer dans l’œuf les poussins guerriers s’apprêtant à se métamorphoser en coqs de combat. Je suis persuadé que croire en Dieu est une maladie, une altération de l’esprit… Seulement, sur le territoire de la vie, plane une ombre en forme de nuage d’orage… et elle est de taille ! Elle s’étale si vite qu’elle recouvre en un unique battement d’aile le monde voué à sa propre perte. La réaction tant redoutée par les résistants, les rescapés du lynchage à l’échelle planétaire ne doit pas se faire attendre : détruire les Bibles, que les authentiques athées considèrent comme un très bon livre de science-fiction ; trépaner les réticents du Clergé et leur enfoncer un crucifix dans la cervelle ; pendre le Pape par les pieds au sommet de l’antenne de la Tour Eiffel, après qu’on l’eût ramené du Vatican dans un wagon à bétail bourré de cochons… Et surtout, prendre le pouvoir et détruire l’intégralité des lieux de culte. Et c’est à ce moment précis que mes texticules spermateraient le monde… C’est loufoque, je sais, mais c’est si bon…
Mais non !
La situation du monde est bien plus déjantée, incontrôlable… Le décor, par définition surréaliste lorsqu’on voyage au sein d’un rêve, est peint par un artiste au cerveau rongé par l’acide.
Je marche au bord du vide, au sommet du puits insondable de la bêtise humaine…, plus bas, des soucis en attente volettent dans tous les sens en émettant des cris stridents. Il flotte dans l’air l’odeur du néant ; quelques fragrances d’amour en devenir, d’illusions perdues, de souvenirs de chairs…, rien qui n’évoque la proximité d’autres choses. Inquiet, je me penche pour vérifier à quelle hauteur se situe leur vol par rapport au niveau de ma compréhension et du lieu où j’erre tel un somnambule…, mais surtout pour vérifier ce qui vient mourir à la base de la stupidité. Je m’attends à découvrir tout naturellement des espoirs et leur ressac perpétuel… peut-être même, certains seraient-ils coiffés d’écume de bonheurs éphémères.
Grossière erreur, bévue monumentale. impardonnable cauchemar.
J’aurais dû remarquer plus tôt l’absence…, cette folle qui meuble les solitudes… Tout est d’un noir d’encre, d’une tristesse à mourir aveugle. Une bulle de nuit, un brouillon de deuil, une ébauche de renoncement à la lumière…
Ici, on se balade au cœur d’un quasar, on baigne dans le néant ; ici, l’absence se conjugue à tous les temps, mais le temps est absent. Seuls les désespoirs semblent y représenter une caste de survivance, uniques rescapés d’une expérience mandatée à l’échelle universelle par un dieu suicidaire.
Je me trouve dans une grotte surdimensionnée, sur une corniche, en équilibre, à un pas d’un précipice mortel, aucun point d’appui, le vertige !
Soudain, un gros souci me percute à la tempe ; l’effet de surprise plus que le choc me fait réagir…, je recule, étourdi, rebondis sur une paroi étrangement caoutchouteuse qui s’est subitement matérialisée dans mon dos, et tombe en avant, la tête la première, dans ce vide qui m’aspire inexorablement, comme une friandise. Battant des bras dans le vide…, quelque chose m’agrippe, et je remonte aussitôt. Des griffes lacèrent mes épaules, une voix caverneuse résonne dans ma tête : “Laisse-moi mordre dans ton âme… et non seulement tu sortiras indemne de ce songe maudit mais, en prime, tu deviendras un grand auteur de best-seller, un élément de l’élite littéraire… et, par la plume, tu loueras la puissance de la bêtise, son pouvoir”…
Sans réfléchir, je réponds : “Oui, oui, d’accord, tout ce que vous voulez, je redeviendrai bête, ferai l’éloge de la bêtise, louerai le sport, surtout le football, la F1, pire encore, le Cricket, le Base-ball et le tennis de table, le ballon ovale aussi”….
Depuis peu, je collectionne les songes maudits, c’est le surnom qu’ils m’inspirent désormais. De plus, ils s’emboîtent, imitant les poupées gigognes… et il n’est pas rare de les voir se succéder d’une nuit à l’autre, dans un schéma très réaliste, tel un puzzle onirique dont les pièces se mettent miraculeusement en place toutes seules.
Parfois, vers minuit, je ne peux m’empêcher de me lever ; chaussé de mules, je pars vers le frigo à la recherche de la pire bêtise que j’ai pu faire, responsable de cette remise en ordre inopinée. D’une gorgée de Martini blanc au goulot de la bouteille, je re-situe mes rêves, les classant en ordre de marche, les remettant dans le bon sens, en recollant certaines bribes au bon endroit, de façon à ce qu’ils soient bien agencés et offrent à ma vue un kaléidoscope soigné…
Mais, bien vite, pas plus tard que maintenant, j’ai retrouvé mon équilibre psychique tandis que je me plantais devant le miroir de ma salle de bains, contemplant, ahuri, le grand fada qui s’y mirait en affichant une moue grimaçante de gargouille.
Mes songes maudits…
Ils s’apparentaient trop à un véritable feuilleton… et les épisodes en étaient réglés comme du papier à musique ; mais rien d’improvisé ou d’anarchique, ainsi que doivent l’être tous ces voyages sous la couette qu’ils symbolisent. Or, même s’ils sont immobiles et horizontaux, ils simulent le mouvement en altitude car, par le biais de cet imaginaire que l’inconscient met à notre service, on monte à l’assaut de nos si précieux fantasmes (D’autres voyages sous la couette se réalisent en duo ; toutefois, ceux-là sont organisés).
Mes nuits se métamorphosent en romans… et chaque plongée dans le sommeil donne naissance à un chapitre…
Le rêve, c’est le seul moyen de voyager sans quitter son chez soi, son lit ; et quand on dort, nous sommes tous des écrivains en herbe. Le problème, c’est la mémoire et le talent pour recopier ces drôles d’impressions nocturnes. Comment imaginer que des auteurs à la plume féconde puisent leurs sources dans l’encrier de la réalité ? Ils piochent leurs idées, leur inspiration au sein des cauchemars, les yeux fermés et l’esprit proche du coma. Et je suis certain que, pour eux, l’insomnie est une sorte de page blanche.
Le temps va passer, et avec lui, coulera de l’eau sous les ponts, des larmes sur mes joues, du sang dans mes veines…
A bientôt trop d’années passées et pas assez restantes, je vais m’enraciner en faiseur d’écrits-vains, solidement ancrés sur des acquis instables. Apparemment indéracinable mais déracinable ! Je foncerai sur des plates-bandes de certitudes bâties sur des sables-mouvants d’incertitudes. Je pondrai un best-seller par an, jamais moins de quatre cents pages, et, au vu des résultats, cela conviendra parfaitement. Tout le monde en aura pour son argent : les comptes seront bons. Ma devise sera : Quand la vie est belle, c’est un label de vie !.
Je bosserai énormément, dormirai juste le temps de la récupération physiologique et d’alimenter mon inspiration. Je me coucherai tôt, me lèverai bien avant le soleil.
Aussi, malgré ma célébrité et les avantages dont elles auraient pu profiter rien qu’en se montrant câlines, si l’on se réfère aux bons vieux clichés, les femmes me fuiront, déserteront mon lit. Mais je ne m’en plaindrai pas, au contraire, j’aurai l’esprit libre, je créerai grâce à ma bêtise récupérée… cette complice, ma meilleure amie.
Il est difficile de dormir avec une créature de rêve allongée à ses côtés, sous la couette !
Le matin, au lever, il est toujours ardu de recouvrer ses esprits, car, juste au moment où on s’empare de la souris d’ordinateur pour travailler un texticule, en pétrir les phrases, malaxer les idées… et éjaculer le sens de la vie… , voilà qu’une autre souris, bien plus charnelle, s’interpose, poussant dans le néant de l’oubli le clavier et coupant net le fil des pensées créatrices…, castratrice.
On prends alors le petit déjeuner légèrement plus tard…
Désormais, mes nuits sont profondes, hors des songes maudits, plus d’êtres de cauchemar…
Et mon imagination se fixe dans la réalité, sans le support du chant de l’inconscient au clair de l’aube. Croyez-moi…, c’est pire ! J’empire…, l’empire tout autant…