J’suis un branleur de gode…
Paraît qu’y aurait des filles aiment et qui trouvent ça joli.
J’les ai pas encore rencontrées.
J’vis seul dans un pauv’ studio puant, derrière la gare routière.
L’appart’ d’à côté s’est vidé y a à peu près deux ans, juste avant une descente de flics, belle coïncidence.
Plus personne depuis, à part les cafards qu’j’entends grouiller, gratter, griffer nuit et jour.
Croyez-moi, on s’y fait.
On s’fait à tout. La voisine d’en face est une pute.
C’est son métier.
Le cliché d’la pute, à la fois moche et sexy.
La clientèle défile de plus en plus rarement à sa porte, elle vieillit, la truie, mais j’croise encore de parfaits inconnus à des heures où j’préfèrerais traîner seul dans les cages d’escalier.
Sont pas méchants, pour sûr.
Mais y a pas à chier, si on veut vivre vieux sa vie de merde dans ce quartier pourri, faut pas oublier d’être prudent.
Au rez-de-chaussée, y avait un concierge, dans l’temps.
On l’a poignardé une nuit d’pleine lune, on nana profité pour lui piquer son ordi nanavec un branchement qu’mon pote a pu faire avec un wifi piqué au Carrefour du coin.
Pratique, on capte le branche de la gare, paye pas un rond, c’est la fête tous les jours depuis, surtout les nuits.
Une nuit d’pleine lune, j’me suis branché sur un site de ouf, à donf les mecs de c’te fourbi : GatsbyOnline, les chienneux, la classe !.
C’est la pute qui m’a soufflé d’aller-là.
Cette salope doit dévorer les secrets interdits du mec qui dirige c’te boite de ouf à donf ; Quelqu’un…, dès qu’elle en a l’occasion.
Probable que c’est l’seul truc qu’il lui arrive de lire.
Remarque, bon, j’dis ça un peu vite, j’lis pu que c’te site-web…
Pas tout, rien à foutre des pages de cinoche, des chroniques d’humeur d’ataraxie que j’y comprend que dalle, j’m’en tartine le happeau d’ces conneries.
Mais j’abuse de tout l’reste : les bagnoles, les tafs, les nanas, les secrets interdits et surtout le forum, les trucs longs du chief, les trucs du singe lubrik…
Ca m’énerve, m’exaspère, me hérisse et j’râle et j’gueule dans mon foutu cloaque quand y passent pas d’nouveaux texte tous les jours.
J’deviens Colère et j’existe, me retient juste de pas casser l’bastringue.
Le reste du temps, je mène tant bien que mal une existence glauque et grise.
Plus insignifiant, tu crèves.
Plus dérisoire, tu peux pas.
J’suis une ombre parmi les ombres.
J’ai pas de vie sociale.
Pas de famille, pas d’amis, pas d’anciens camarades, de classe ou du parti, pas d’ancien d’l’armée, j’suis passé au travers, pas d’collègue.
Faut dire qu’j’ai appris à vivre avec peu de besoins.
J’mange pas beaucoup et j’bois pas plus.
J’économise l’eau et l’électricité.
J’sors presque jamais et ma bagnole c’tune vieille amerloque, un hot-rod pourrave que j’ai customizé.
Avec ce train-train, mon RMI me suffit largement depuis que mon proprio m’a gracieusement exempté de loyer, après que mon kodak jetable et moi l’avons surpris entre les cuisses grasses et dépareillées de ma putain d’voisine.
Monsieur est très généreux, c’est vrai qu’Monsieur est très marié.
Il m’arrive de bosser.
Oui, des fois, j’ai un peu la dalle.
Et pis y a la pute, hein, ça coûte des sous, à force.
Alors j’fais n’importe quel boulot à la con que j’mets toujours mille ans à trouver.
J’fais le pion, le gardien d’nuit ou d’musée, j’fais l’ménage avant l’aube dans de vastes bureaux vides, j’donne des cours de soutien à de sinistres boutonneux, j’repeins la façade d’un immeuble de banlieue, j’fais l’voiturier dans un casino un peu cheap, j’vends des paninis dans une rue commerçante, remplis les boîtes aux lettres de pubs et prospectus, effectue des sondages auprès de blondes étudiantes, assassine un clochard, un soir, en rentrant ivre, ramasse les ordures à l’heure où c’est pas l’heure, travaille à la chaîne pour des machines qui s’fatiguent pas, livre des parodies d’pizza sur une mob qui me hait, déménage des rupins dans de grands camions blancs, me tape l’inventaire annuel de Casto, Brico et Ikéa, j’fais la plonge et j’tiens un bar, un stand ou un standard.
Finalement, moi aussi, j’fais la pute.
Mais comme j’vous l’ai d’jà dit : on s’fait à tout et j’m’y suis fait.
Ces grâce à ces extras que j’peux m’payer la customization d’mon Hot-Rod américain, j’pique parfois un mag’d’nitromaniaque qui donne des conseils à la con que j’décortique à toute heure.
J’les lis, les relis, découpe et classe, confronte et croise, constitue des dossiers.
Rien ne m’est étranger dans la customization des Hot-Rod’s.
J’connais chaque nouvelle, chaque info, chaque événement, chaque concentre.
C’te char, beau comme un truck, c’est ma vie, sur qu’un jour j’srai légal de tous les customeux que j’reluque, tous fiers comme des paons en quète de s’faire branler par des putes journaleux pires que ma voisine.
C’est ça qu’jaime, m’faire branler, alors j’travaille pire sur mon Hot-Rod américain.
Et j’ai une mission : j’dois gagner la coupe du plus beau custom de franchouille pour m’taper toutes les nananas qui s’exhibent les nichons à l’air…
Cette révélation m’est pas venue d’un coup.
Au début, j’avais une lecture un peu paresseuse.
J’lisais chaque article comme s’il s’agissait d’une réalité indépendante et abstraite.
J’voyais pas les fils qui reliaient le tout.
D’où un certain penchant pour le premier degré distillé par le Quelqu’un dans GatsbyOnline, un super mec celui-là !
J’comprendou pourtant pas toute son ironie ni ses sarcasmes, que j’distinguo même pas de sa distanciation froide, mais, j’le crois.
J’peux le soutenir mordicus.
Et si j’lis l’inverse par ailleurs, j’me laisse persuader sans effort.
Dans le genre girouette, j’me pose là.
Forcément, j’ai un peu déconné quand l’Quelqu’un s’est pris l’mou sur un site d’américaines françaises, un club chic, j’ai cru que le Quelqu’un allait agoniser, pas du tout, la été fortiche, la foutu la merdouille.
Assez logique, au fond.
Du coup j’ai attrapé la haine, pour l’défendre, qu’est-ce que j’ai pu dessouder comme Clubistes, Forumistes, Fumistes, RMIstes, SMICards, Clodos, Socialos, Vieillards atteints d’Alzheimer, Cancéreux cancérigènes, Fonctionnaires, Avorteurs et Anti-Quelqu’un…
Je sais pas trop, j’fais toujours ça dans un état second.
J’ai jamais aucun souvenir de l’acte en lui-même, mais j’me reconnais toujours dans la rubrique faits-divers.
Sensation étrange, d’ailleurs.
En définitive, j’suis un serial killer qui s’ignore.
J’sais même pas si j’éprouve du plaisir à tuer.
En fait, si plaisir il y a, il n’apparaît qu’à la lecture de mes exploits, le lendemain.
J’souris toujours un peu connement, comme si j’retrouvais avec tendresse la trace d’un vieil ami oublié. Parfois, j’ai les yeux qui s’mouillent.
Parfois, j’regrette.
Parfois, pas souvent.
En général, je me sens orgueilleux, fier de ce jumeau qui vit dans l’ombre.
J’l’encourage pas vraiment, mais j’suppose que mon admiration suffit à l’motiver.
J’suis mon propre prétexte, si on veut.
Evidemment, quand j’ai compris qu’j’étais un tueur en série, j’me suis un peu renseigné sur le sujet.
Le seul truc qui colle pas des masses à la sacro-sainte définition du phénomène, c’est l’mode opératoire. Apparemment, j’en change tout l’temps : attaques à l’arme blanche relativement variées, passages à tabacs des plus brutaux, pyromanie galopante, simulations d’accidents de tout type.
Bref, j’trouve que mon alter ego est un peu négligent sur ce point.
En attendant, tout ça ne fait que me conforter dans l’idée que j’suis un être unique et exceptionnel.
L’un dans l’autre…
Au bout de quelques temps, j’ai commencé à percevoir des fragments d’réalité dont j’soupçonnais même pas l’existence.
Eplucher le web revient à éplucher le réel.
Et sous la peau, encore une autre peau.
L’expérience montre que ça peut durer très longtemps.
Honnêtement, j’sais pas s’y a un noyau.
Toujours est-il qu’à chaque nouvelle épluchure, la nature de mes cibles a changé.
J’ai commencé par ceux qu’j’appelais à l’époque des customeux franchouilles.
J’me suis repenti pour me rabattre sur les principaux détracteurs de mon idole de GatsbyOnline, mon Quelqu’un, mon Gourou, mon chief, celui qui m’inspire : les petits commerçants, les petits artisans, les petits patrons, les petits flics, les petits cons, les petits journaleux, les conducteurs de petites autos, les petites femmes aux petits seins et les ceusses aux petites idées, dans le même sac que les petits chefs et sous-chefs.
J’ai eu ma période anti-libérale, ma période star-system, une parenthèse agressivement athée et diverses passades.
J’me souviens d’avoir lu j’sais plus dans quoi plusieurs analyses alarmantes concernant la surpopulation mondiale et la hausse de la natalité.
Pas la peine de faire un dessin : le temps de digérer l’info, un mois et demi facile, j’ai mis à mort une bonne vingtaine de nourrissons.
J’ai pas trop d’remords, vu qu’j’y croyais dur comme fer, mais j’aurais pu m’en passer.
Puis mon Quelqu’un a critiqué la Druckérisation des masses, y cause bien Quelqu’un…, alors y m’a fallu déboulonner un ponte de la tévé…, j’ai tapé sur la télé, la explosé et Drucker avec…
Aujourd’hui, tout est clair.
J’crois qu’j’ai mon noyau.
J’ai dressé une liste noire et j’me suis mis en tête, y a pas d’raison, faut qu’j’sois l’premier d’ma liste…
Boum…