Jouissances anglaises…
Les aiguilles imaginaires de l’horloge qui “tic-que-tac-quent” dans ma tête jouent avec les quatorze heures, accueillant de leur approbation muette l’heure la plus chaude du jour. Pas un souffle d’air ne vient faire bouger les grains de sable patiemment amassés durant la nuit dans les caniveaux désespérément secs des ruelles alentours. D’un coup d’œil, je repère la somptueuse Jaguar XK150 Cabriolet Drophead qui m’attend, Anastasia me fait signe de la main, son amie est à ses côtés qui joue la star hollywoodienne en MGA Cabriolet… Je tourne le dos à la chaleur infernale qui m’accable déjà. L’autoradio de la Jaguar joue une de ces compilations maison, mélange des accords sombres de Dépêche Mode, de la voix de tragédienne de Laura Brannagan, et du West-End girls des Pet Shop Boys2, à moins que ce ne soit le dernier album de Britney Spears ou la cassette des Trois petits cochons par Walt Disney…, de quoi f…. en l’air mon hégémonie musicale sur les trajets quotidiens.
Nous roulons tranquillement dans les rues désertes, sans trop de but apparent ; j’ai faim, mon dernier en-cas remontant au second déjeuner du matin, celui de dix heures trente. Nous entrons bientôt dans la cour de l’ancienne résidence du consul de Papouasie, dont seule la gigantesque piscine marque encore la présence passée. En grimpant la volée de marches qui sépare la cour dallée de marbre de la lourde porte d’entrée, savant assemblage de verre, de bois et de fer artistiquement réalisé, je réalise soudain à quel point cette journée va être marquée par le sexe. Devant moi se dresse une immense maison vide de tous ses habitants, exception faite d’Anamary qui s’est installée dans une chambre isolée, un rempart pour elle contre les assauts toujours plus violents du soleil, et aussi un endroit pour régler ses ballets amoureux avec Vanessa, son amante, la pire chipie du sud de la France…. La pénombre de l’entrée me happe brusquement, étouffant le bruit de mes pas sous l’épaisseur d’un tapis persan du dix-huitième siècle. À la touffeur de l’extérieur succède la fraîcheur d’une maison climatisée. Je pose négligemment mon attaché-case dans un coin de porte et me dirige vers la cuisine où m’attend un repas hâtivement préparé par Vanessa, repas dont la composition ne restera pas dans les annales.
Quinze heures sonnent quelque-part, mais pas ici, quand je pénètre enfin dans le salon, havre de paix pour cette fin de journée que je pressens orgasmique, en tout cas pleine de stupres et jouissances. Murs tendus de bleu, meubles tendus de bleu. Quelques huiles et une peinture sur soie représentant un paysage de marais dont les couleurs avoisinent les visions d’un drogué sous acides en fin de trip… égayent quelque-peu les murs. La table basse en métal brossé et au plateau de verre tranche curieusement sur les tapis anciens d’un autre âge qui jonchent le sol, lui aussi de marbre. Depuis le cambriolage assorti du viol de Vanessa et d’Anamary par une bande de loubards défoncés aux extasy et à la cocaïne, une chaîne Kenwood dernier cri, full digitale, double cassette autoreverse et platine laser – un luxe incroyable – remplace la vieille Sony partie sous d’autres cieux. Je farfouille un instant dans le fouillis de cassettes, mélange de variété française, de brit’ pop encore balbutiante et de disco alors plus has been qu’un vieux soixante dix-huit tour de Bill Halley and the Comets. Mon choix se porte bientôt sur Alphaville-Forever Young, dont les accords hyper synthétiques portent la voix de castrat du leader chantant l’été à Berlin et l’amour en Allemagne en un écho infini que seuls les meubles et moi entendrons jamais.
Installé dans un épais canapé, buvant une Pina Colada glacée, je savoure le temps qui passe, Anastasia à côté de moi me masturbe, les yeux humectés de mon propre plaisir tandis que son amie Claire enrage, farfouillant son sexe avec ses doigts en poussant de petits cris… Je commence ma jouissance avec une circonspection liée à l’inconnu ; diverses images de seins et tétons durcis défilent sous mes yeux à une vitesse folle ; une fois, deux fois, trois fois, dix fois, je m’approche de la “frontière de la vie” sans vraiment la franchir ; je suis fasciné par les gestes d’Anastasia, subjugué par l’intensité du scénario à nulle autre pareil qu’elle a concocté pour moi, sous le charme de cette héroïne sans concession. Je me laisse porter au gré d’une histoire magnifique tandis que Claire se lance à la conquête – bien facile – de mon corps dénudé, et sa main tendue m’invite à une partie triangulaire.
J’ai encore un peu la tête qui tourne, mais le vertige s’est calmé, et je peux raisonnablement songer à me relever sans risquer de m’effondrer à terre comme une vieille poupée de chiffons. C’est déjà la nuit. La seule lumière dans le salon est celle de l’écran d’un PC illuminant la pièce. Une image se forme devant mes yeux, d’abord floue, puis de plus en plus précise, jusqu’à se figer devant mon regard, hologramme improbable immortalisé pour une éternité toute relative, et bien fou celui qui voudrait s’en détacher, en aurait-il le pouvoir. J’entend sans écouter une mélopée de Gainsbourg qui m’arrive comme un bourdonnement, peinant à entrer dans mon monde. Pas ici. Pas maintenant. Je me sens comme dans du coton; il ne me viendrait même pas à l’idée de bouger. Je suis peut-être mort ; je me prend secrètement à espérer qu’ils aient des machines de la mort qui tue “là haut”, et qui ne chauffent pas aussi. L’idée d’anges dotés d’ailes immenses et de l’épée de Justice codant sur leur nuage me parait tellement ridicule que j’esquisse un sourire bien malgré moi.
Je suis dans un cocon, si bien. Je voudrais ne jamais en sortir. Je souris, ferme les yeux. Je suis si bien. Je crois même que je suis heureux. Je rêve… Ca fait maintenant trois jours que la villa a été littéralement prise d’assaut et occupée par un bataillon de l’armée des femmes pour la domination mondiale et le chocolat (AFDMC). Celle qui semble les commander est grande, brune, d’une trentaine d’année et pilote une Jaguar Type E V12 bleu nuit. Les trois autres, semblent être sous ses ordres d’une manière absolue.
Une invasion de femmes, c’est un peu comme un débarquement de touristes le premier août sur une plage de la côte d’Azur : mon espace vital s’amenuise à vue d’œil, et un bazar monstre semble se déposer en strates dans toutes les pièces de manière inégale, me reléguant d’abord au salon, puis dans ma chambre, puis, sous la violence de l’attaque, sur le balcon, seul endroit encore épargné par le raz de marée féminin si l’on excepte peut-être l’arrivée discrète et fourbe d’un bac de pétunias maintenant à moitié morts d’avoir été tantôt laissés à l’abandon les jours de grande chaleur et inondés les jours de pluie. Des objets étranges apparaissent un peu partout, et j’avoue que je suis inquiet : fer à repasser, sèche cheveux, bouteilles et flacons de toute sorte, qui me laissent penser que j’ai affaire à un quelconque détachement d’alchimistes de combat.
Pareillement, les pièces les moins usitées de la villa semblent maintenant être animées d’une vie propre: la cuisine et la salle de bain. Je ne sais pas ce qu’elles ont prévu de faire de moi, mais je m’attends au pire. Ce matin, pendant le petit déjeuner, je les ai entendu parler entre elles de ranger – surement pour dissimuler leurs traces – de reconvertir mes placards en penderie pour vêtements, puis de m’emmener dans un endroit étrange nommé “roseraie”. Où que j’aille, elles sont là. Elles épient chacun de mes faits et gestes. Elles sont partout. J’ai peur. Et puis, la voilou…. Grande, ses cheveux bruns se déroulant en cascade sur ses épaules nues, le brun de sa peau mate rehaussé par le rouge de sa robe aussi simple qu’elle est sexy, qui laisse entrevoir deux jambes magnifiques, rallongées par des chaussures à talons. Une véritable pin-up qui se serait matérialisée devant moi uniquement pour me faire baver d’envie. Elle observe autour d’elle avec une sorte de mépris dans les traits qui la rend encore plus belle, mais son regard ne s’arrête même pas sur moi, il s’arrête sur le corps de Vanessa tout en embrassant ceux de Claire et d’Anastasia.
Elle s’approche de moi : “Huh!, vous semblez avoir joui très cher…”… Nous nous dévisageons, des sourires fugaces apparaissant sur nos visages par intermittence, tandis que les ombres s’agitent autour des pauvres mortelles avides d’orgasmes… Mes yeux parcourent son corps à peine discrètement, lui faire comprendre qu’elle me plait sans lui dire tout en lui disant, tandis qu’elle m’évalue et me jauge à la fois sévère et goguenarde, échange silencieux et terriblement sensuel de deux êtres seuls au monde. Elle se lève alors et mes yeux tombent soudain sur ses deux tétons à moitié dénudés qui dépassent de sa robe comme deux iles volcaniques sur une mer de volupté. Mon cœur bat plus fort à mesure que les secondes s’égrènent comme les billes d’un chapelet. Je sens la tension monter en moi, il me semble évident que la nuit sera chaude. C’est vrai que j’ai les mains un peu moites que mon cœur bat un peu (beaucoup) plus fort que d’habitude, et que le temps s’allonge indéfiniment à mesure qu’il passe comme aux abords d’un trou noir, mais je ne m’inquiète plus outre mesure, c’est maintenant devenu une habitude…