Julian Assange l’est mourrru fort…
J’ai observé, lors d’un moment d’inactivité assez rare dans ma vie trépidante, un miroir dans lequel je voyais une image peu reluisante.
Avec la plus grande attention, j’ai scruté cette apparition terne au milieu du bois patiné, la figure brillante que je suis censé incarner n’était alors qu’un obscur personnage.
La réflexion sur une image réfléchie pouvait paraître absurde, néanmoins, les yeux étant, d’après les poncifs ringards “le reflet de l’âme”, j’ai quand même brassé l’air pour évacuer l’opaque nuage de fumée et prêter attention à mes pupilles dilatées.
En l’espèce, c’était donc dans mes propres yeux qu’il me fallait trouver des réponses.
Ceux-ci avaient la vivacité d’un incompris, autant que la tristesse d’un désenchanté.
Pas de mélancolie larmoyante, non.
Juste la constatation d’une certaine cruauté dont chacun est capable : la perte progressive d’humanité sous couvert d’individualisme désaxé.
Ma transformation était progressive, à mesure de mon enlisement dans les limbes du web.
Je m’en rendais compte, mon changement devenait de plus en plus flagrant… et ce n’était pas si facile à accepter.
Le dégoût de cette virtualité à la dérive, asexuée et pervertie avait pris le dessus sur ma joie de vivre aveugle de la réalité.
Cette vision semi-nostalgique teintée d’amertume à eu au moins le mérite de me faire commencer mon introspection.
Mais ce n’est pas à l’intérieur de moi-même que j’allais plonger, plutôt dans un verre de Mojito au fin fond d’un bar crasseux.
A ce propos, une légère digression s’impose.
Je dois préciser que j’aime les prolétaires, les exclus, les asociaux, tous ceux que la société faussement bourgeoise composée de métro-sexuels boutonneux rejette et méprise.
Mais qu’elle jalouse au fond d’elle même, sans se l’avouer.
Dans l’absolu, n’importe quel ouvrier, cloche-pouille ou autre smicard aura toujours plus de choses à raconter qu’un mécheux blond et toujours pré-pubère à 25 ans, prisonnier de sa bulle de conformisme.
Un voyage dans les bas-fond, en somme…
Pour en revenir à ma préoccupation principale, j’allais donc m’installer en terrasse, seul espace de liberté pour le fumeur qui souhaite s’encrasser les poumons en s’engorgeant le foie. Exemple typique de la chape de plomb qui avait définitivement enterré la logique au rang de souvenir du XXième siècle : le bar était désert, la terrasse bondée.
Je me suis donc positionné sur une petite table coincée entre la vitre sur ma gauche et la porte d’entrée derrière moi.
Une fois à l’aise dans ce bistro, ma commande effectuée, je me suis à nouveau observé.
La nuit étant déjà tombée depuis longtemps, j’étais à nouveau face à mon reflet, très net dans la vitrine, mis en relief par les réverbères de la ville.
L’atmosphère polluée de cette morne nuit rendait mon éclat sur le verre aussi fluorescent que la jupe d’un travesti opéré.
Je me mirais, de façon presque obscène à en croire le visage de la serveuse qui croyait sans doute que je la matais, malgré sa maigreur, ses quarante piges bien tassées et ses cheveux de garçon manqué.
Cela me donnait envie de replonger dans une tranquillité imaginaire, je me contais dès lors de belles histoires…, des historiettes plutôt, comme autant d’explications à ce que je voyais.
Je voyais d’ailleurs une forme, tantôt aux contours nets, tantôt ectoplasmique, en proportion à mon degré d’ébriété croissant.
De même mon sexe se mettait à vibrer, au fur et à mesure que mon double s’obscurcissait.
J’étais dans un drôle d’état.
En transe, peut-être, en délire, sûrement, en érection certainement !
De ces délires qui font voltiger, planer, prendre conscience de la populace qui s’agite sans ressentir la moindre compassion pour cette addition d’individus, d’anonymes qui ont vocation à le rester puisque tristement enfermés dans leur solitude.
La lèpre intellectuelle qui gagne notre monde de plus en plus robotisé achève de faire partir en lambeaux les derniers reste de conscience collective.
Mon narcissisme resurgissait ainsi de plus belle, j’étais en pleine auto-admiration, alors qu’il n’y avait vraiment pas de quoi.
Retour au bar, donc, après cette petite phase d’égocentrisme brut.
Me détournant de mon image, je pus apercevoir les abrutis d’en face plier bagage.
Enfin !
Leur attitude larvaire d’émerveillement devant leur seule et unique bière devenait insupportable, surtout qu’il ne buvaient pas, se contentant de jacasser bêtement.
Je partis également quelques minutes plus tard.
En marchant sur la chaussée mouillée, je me suis penché sur une flaque d’eau…
J’y ai vu se dessiner quelqu’un d’aigri, demi-saoul, les yeux rouges et le teint pâle : Julian Assange, c’était moi !
Je n’ai pas voulu en voir plus, c’était bien assez pour ce soir.
Jetant nonchalamment une pièce de 10 cents d’euro dans ce reflet pénible, l’image s’est dissipée dans de petites ondulations, à mesure que je disparaissais dans les brumes, suffoquant et titubant.
J’étais heureux.
Ma soirée était réussie, mes réflexions finies, ma conscience rassurée, je venais de comprendre…, j’ai crié : “Wikileaks-Euréka”…
J’allais pouvoir en écrire un livre avant de retourner dans mon monde…, autre…