L’absurdie, le pays des utopiques illusions revenues…
J’ai presque le Coeur qui s’accélère. C’est stupide. Ce n’est pourtant pas la première fois que j’entre dans www.SecretsInterdits.com cet îlot perdu au milieu du web. Seul bout de virtualité éclairée reliant encore les pseudonymes perdus à la société du dehors d’ici telle que nous l’imaginons. Imbibé de Lacan, Nietzsche, Dumas, Desproges et même Raymond Devos, rencontrés au gré de lectures peu anodines. Envoûté par les images qui me reviennent de quelques virées salées au large d’ailleurs d’ici, j’ai l’impression de rentrer un peu dans la peau de quelqu’un d’autre en franchissant le sas des utopiques illusions revenues. A pas feutrés, le sentiment de partager la masse émergée d’un iceberg “wébien” me submerge. L’ambiance y est particulière, y en a-t-il une autre ?
Il me faudrait plus de temps pour le découvrir… Pour l’instant, il est peuplé par une faune hétéroclite, mélange de vieux loups d’eaux douces, de professionnels de l’absurde, de pseudomaniaques qu’on croit anonymes. Le sont-ils, je tire des plans sur la comète. Certains prennent des notes, d’autres en déposent… Des journalistes ? Des passionnés ? Des âmes errantes en quète de sexe ? Peu importe nous sommes tous là pour la même chose. Les oreilles bordées sur des voix muettes et dans un silence de cathédrale.
La cession n’a pas débuté, elle ne débute jamais puisqu’elle ne fait que se terminer dans l’éther du web, les uns notent consciencieusement des citations, d’autres lisent les derniers messages. En ces instants, je me sens progressivement immergé dans la masse du vide des récits surréalistes, des images de départs qui s’en vont, passent et repassent. Chacun déambule dans ce grand carré de virtualité, orphelins des réalités, orphelins des voix et de ce petit bout de rêve que nous sommes tous venus chercher ici. L’heure est venue… En prenant place face à l’écran, je m’isole et imagine à cet instant précis le panorama qui s’offre aux navigateurs du web. Je sais qu’à des dizaines de millier de kilomètres d’ici, et là, un homme, une femme, dans leurs bulles flottantes, dévalent des paquets de méga-pixels, avec comme seuls repères, des paquets de pixels mélés à d’autres. Je sais et ils savent qu’en levant les yeux de leur clavier ils ne verront que des pixels, encore et encore, jusqu’à l’absurdie, le pays des utopiques illusions revenues….
L’attente toujours l’attente, et puis sortie d’outre web, un mince filet de lumière émerge. Puis plus tard, un autre et ainsi de suite. Une longue suite de mots, des textes, des descriptions, qui, diluées de mon écran, semblent apocalyptiques. Ces choses m’offrent une palette d’émotions colorées. De l’angoisse à la bonne humeur en passant par la déprime, la frustration et la peur, un concentré de vies sur fond de méga-pixels font parfois basculer ce périple dans l’aventure extraordinaire. Je perçois des émotions, je les connais à des degrés moindres. La souffrance et la vie qu’endurent ces pseudos en revanche je peux les imaginer. C’est sans doute la frontière entre un pseudonommé averti et un pseudonyme.
Deux heures ont passé comme une tempête devant cet écran pourtant bien immobile. Le web dans divers naufrages intellectuels perd en chaque instant bon nombre de ses figures de proue, des rescapés auront encore la malchance de les rejoindre. Pour l’instant ils se battent heure par heure, pixel par pixel pour décrocher le web. Je suis abruti par les bêtises, les gifs et les pseudos. Deux heures de voyage virtuel par procuration. Je m’en retourne alors à des occupations terrestres, des occupations du réel d’au dehors, heureux, avec le sentiment d’avoir reçu deux heures durant, un cadeau des navigateurs wébiens de l’extrême. L’atmosphère autour de mon ordinateur redevient presque banale, le calme est revenu. Je marche, mains dans les poches, ce cadeau dans la tête, à la fois subjugué et ébloui par certains écrits qui me reviennent. Un appel de dernière minute alors que je suis sur le point de sortir….
J’ai le cœur mouillé de messages venus de l’autre bout des océans. Les heures passent, s’étirent… et se dénouent dans un déferlement de bulles grisantes. Mon ordinateur se vide alors aussi brutalement qu’il s’était rempli. Pas d’images rassurantes, puis inquiétantes, inquiétantes puis rassurantes, pour illustrer les récits hallucinants de pseudonymes illettrés. Le silence est ici plus douloureux, il ne me laisse plus fasciné par tant de résistance et de volonté. Il m’entraîne entre deux eaux et rend l’attente irréelle, car ils sont tous sans nom sauf une. L’heure des polémiques, des interrogations indécentes n’est plus.
Et pour cause, “elle” est arrivée, enfin, au milieu de nulle part, au milieu des pixels. La dernière grande aventure humaine, l’amour, reprend son sens, son intimité, partagée entre crainte et espoir, peut-être orpheline. Les yeux du web entier sont posés sur “elle”.
Le web, le grand vide, dans lequel surnagent les naufragés, les déçus, les autres. Tous attendent les arrivants qui à leur tour renforcent les bordées de multiples pseudonymes. Ils scrutent l’horizon pour voir arriver, un à un, ces explorateurs wébiens des temps modernes. Ils scrutent leurs écrans, dans l’espoir aussi de voir débarquer un des leurs, pour enfin, peut-être, au dehors du virtuel, dialoguer entre extra-terrestres, avec celui et/ou celle dont le pseudonyme sonne comme un personnage de nulle-part… J’ai décidé de redevenir enfant, mieux même, de redevenir gamin… J’ai rédigé un document en ce sens que je vous livre en exclusivité…
Je soussigné, Moi-Même, roi d’Absurdie, déclare par la présente, que ;
– Je veux donner ma démission du monde des adultes, ayant décidé d’accepter de reprendre les responsabilités d’un enfant de huit ans.
– Je veux aller au McDonald en pensant que c’est un restaurant 4 étoiles.
– Je veux croire que les M&Ms sont meilleurs que l’argent parce qu’on peut les manger.
– Je veux installer sur les berges du lac de Genval un kiosque de limonade par une belle journée ensoleillée de l’été pour y boire exclusivement avec Lorenza.
– Je veux remonter dans le temps jusqu’au moment où ma vie n’était que couleur, table de multiplication et rimes de gardienne alors que rien ne me dérangeait.
– Je le veux parce qu’en ces temps révolus je ne savais rien et que je m’en moquais, la seule chose qui m’importait était d’être heureux car j’étais tout à fait inconscient des choses qui pouvaient me tracasser et me choquer.
– Je veux croire à nouveau que le monde est juste, que les gens sont honnêtes et bons.
– Je veux croire que tout est possible.
– Je veux être inconscient des complexités de la vie pour m’attarder, m’émerveiller et m’exciter avec toutes les choses simples de la vie
– Je veux revivre simplement, ne plus voir mes journées consister en pannes d’ordinateur, en montagne de travaux à faire, en nouvelles négatives, en comptant les journées où je pourrai vivre normalement dans le mois en comptant l’argent que j’ai à la banque et tout ça à travers le mémèrage quotidien, la maladie et la perte d’êtres chers.
– Je veux croire au pouvoir du sourire et des caresses, à un monde gentil, à la vérité, à la justice, à la paix, au rêve, et à l’imagination en créant de petits anges avec la neige sur le point de tomber.
– Donc…, voici mon carnet de chèque, mes clefs d’auto, mes cartes de crédit, mes comptes à payer et ma lettre de démission.
– Je me retire officiellement du monde ses adultes.