L’angoisse du simple passage du dimanche au lundi…
Ce texte, je vous préviens d’avance, est rêche comme du papier de verre frotté sur une plaie laissée là, grande ouverte.
L’angoisse du simple passage du dimanche au lundi suscite chez moi une appréhension croissante au fur et à mesure que la nuit s’apprête à tomber de son oppressante noirceur.
Isolé dans ma chambre, les sombres images d’un week-end tourmenté martèlent mon esprit.
Une bouteille de Martini Bianco à demi-entamée à portée de main, je débute ma réflexion.
Grâce à la simple vision d’un porno amateur agrémenté de déviances à la mode, couplé aux effets du Martini désinhibiteur, mes pensées deviennent profondes.
De plus en plus en plus profondes.
A l’instar de la double-pénétration que subit la jeune demoiselle à l’écran, hagarde devant les obscénités qu’elle se prépare à subir.
Une pensée métaphorique, sans doute, la comparaison étant trop évidente.
Image d’une fausse vertu, d’un vernis puritain, totalement écaillé par les agissements sordides d’individus en pleine déliquescence.
C’est un déversoir d’excréments qui semble assouvir les pulsions scatophiles de notre société malade d’elle-même.
Je crois que je réalise à quel point j’ai trop focalisé sur des erreurs de jeunesse que nous faisons tous, plus ou moins.
Il faut hélas des années avant de réaliser à quel point on a une pleine responsabilité dans tout ce que l’on vit.
Et même quand on subit ce que j’ai hélas vécu de plein fouet sans rien pouvoir faire, il faut avoir la maturité et l’intelligence de ne pas se crucifier avec le souvenir, de ne pas imposer sa douleur et son amertume à des personnes qui n’ont pas à en essuyer les frais…
C’est bien, finalement.
Ça me permet de faire du vide.
Quand on est jeune, on court après chaque expérience pour en goûter l’intensité, pour s’en faire une médaille, une cicatrice ou même une blessure de guerre.
On garde tout, on est fier de tout, ne serait-ce que parce qu’on y a survécu.
Arrivé à un certain âge, il faut se débarrasser de ce fatras sans quoi on n’arrive pas à avancer.
Alors voilà…
A sentiment nouveau, philosophie nouvelle et vie nouvelle…
De la lumière, plus de lumière !
Et puis, des couleurs…, c’est un peu grisâtre dans ma vie…
Faut pas voir que l’artiste, en moi !
J’ai des trips…
Je craque sur des gadgets tous pourris, sur des bagnoles de merde, sur des meubles déco qui vous donneraient la nausée…, je me vide la tête devant des émissions intellectuelles que vous ne supporteriez pas trois minutes…
Ce qui me dérange dans le monde d’aujourd’hui, ça n’est pas qu’il soit tourné vers la médiocrité, c’est que cette médiocrité soit exclusive et addictive.
Le nombre de gens qui me disent se vider la tête tous les soirs devant je ne sais quelle connerie à la télé, alors qu’ils ont déjà pas grand-chose en tête au naturel…, c’est impressionnant.
Quel intérêt de vider une tête déjà vide en regardant des émissions de variété… ?
En chanson française, hélas, on n’admet que trois sortes de chanteuses :
– le boudin-mémère sublimé avec le cœur débordant d’amour,
– la prolétaire gouailleuse façon années 50,
– la nympho mélancolique vaguement bobo.
La première catégorie touche un public de ménopausées et d’obèses en manque affectif…
La deuxième catégorie séduit à la fois les trentenaires molles et quelques mecs un peu timides et prenant la vulgarité affichée pour une force de caractère…
La troisième catégorie touche principalement une génération de machos protecteurs, à qui l’approche de la quarantaine confère une urgence sensuelle légèrement condescendante.
Quand j’étais jeune, je pensais que les stars étaient vraiment des stars, je pensais qu’un ou une artiste ne se préoccupait que de créer.
Je ne savais pas qu’en fait, il ou elle passait les trois quarts de sa carrière à essayer de convaincre tout le monde qu’il ou elle est déjà au top, ceci afin de pouvoir un jour y arriver véritablement.
Ça s’appelle être professionnel(le) !
Ce n’est pas de la mythomanie, puisque les menteurs et les menteuses ne croient pas en leurs mensonges, c’est juste que ces artistes montrent leur motivation et leur endurance à des gens qui n’en sont pas dupes, mais qui veulent être certains qu’ils sont vraiment sérieux dans la fausseté.
Avant même de vouloir, il faut qu’ils montrent qu’ils en veulent…
C’est comme ça qu’ils apprennent leur métier.
Ainsi, dans notre joli monde ludique, les amateurs sont tellement enragés d’avoir l’air professionnel qu’on ne fait plus trop la différence avec les vrais professionnels…
S’il en reste encore…
S’il n’y en a jamais eu…
Et d’ailleurs, c’est quoi être professionnel, sinon faire ce que l’on attend ?
Le journalisme, c’est très professionnel aussi.
C’est tellement professionnel, que ça repompe fidèlement les dossiers de presse et que ça s’adapte automatiquement aux impératifs publicitaires.
Un journaliste génial, c’est un journaleux qui a la reconnaissance du ventre, c’est là une spécificité anatomique insoupçonnée.
Quand l’argent rentre à flots, pourquoi chicaner ? …
Le salaire de la honte…, en refusant ce genre de proposition, ils mettent fin à leur carrière…
Une carrière de quoi, d’ailleurs ?
De rédacteur-pub ?
De bonimenteur à la ligne pour chefs de produit ?
Ça tient à tellement peu de choses, une carrière, quelquefois…
L’ami d’un ami d’un ami…
Le vrai journalisme, c’est un idéal, ça n’existe pas.
Quand je me lève le matin, j’ai une tête pas possible.
Si j’ai bu trop de Martini ou de Mojito la veille, je fais des cauchemars, je rêve aux nanas si belles en photoshop…, je les imagine hors objectif, elles passent l’aspirateur chez elles pendant des heures, il y a quasiment tout le temps une lessive en marche, elles restent des heures sur leur canapé à cajoler leur chatte, elles se promènent des journées entières avec des bigoudis sur la tête quand elles font des mèches, elles passent leurs soirées à chat-ter avec leurs copines, elles sont gravement pas sexy quand elles mangent un cheeseburger…
Le romantisme, c’est un plaisir solitaire, c’est une forme de masturbation, sans début ni fin, sans orgasme.
Un frottement ininterrompu et lancinant, sans doute pour qu’il s’harmonise avec les battements du cœur.
Le romantisme, c’est une promesse faite au vide.
A force de fellations et de plagiats, je finirai par être assez digne de figurer parmi les “grands” de ce siècle.
Tous ces éminents intellectuels s’adonnant à la masturbation groupée, tous ces penseurs racolant et baissant leur froc pour le plus infime subside, j’aspire un jour à être l’un d’eux.
Je veux moi aussi faire dans la production d’ersatz littéraires, dans la vulgarisation minimaliste et bâclée d’auteurs du passé.
Je veux vivre de la médiocrité collective, m’enrichir de l’abêtissement général.
Je veux moi aussi être invité en prime-time, pour qu’on encense un torchon que j’aurais écrit entre deux cuites et une branlette.
Je veux faire partie de ce petit cercle parisien étriqué, rencontrer des cinéastes complexés, des auteurs stériles et des journalistes frustrés.
Je veux être reçu à la table des grands couturiers sodomites qui, à force d’enculades portent des couches, me taper des top-models décérébrées, des putes anorexiques et shootées.
Et par dessus tout je veux mépriser mes lecteurs, cracher à la face de ceux qui me font vivre, de tout ce petit peuple loin de ce luxe obscène et des tergiversations frivoles, abruti par un travail déshumanisant et des médias débilitants.
Sous mes allures joviales, charismatique, sorti de nulle part, j’exacerbe !
J’ai des envies de justice sommaire contre les exploitants de misère qui détressent les désœuvrés, cherchant une crédibilité, une justification à leurs crimes.
Entre pauvreté, déroute sociale, abus sexuels et parfois meurtres brutaux de masse débités comme des hamburgers aux journaux télévisés, le monde ne fait ni dans la dentelle ni dans le manichéisme.
Il saisit avec ferveur l’engrenage impitoyable d’une violence qui se déploie progressivement à l’image du serpent dévorant lentement sa proie, puis frappant plus tard avec une brutalité inouïe, guidé par l’envie de jeux qu’ont les beaufs affalés devant leur lucarne magique, par la symphonie des sensations, des atmosphères et des lumières d’une puissance évocatrice rare !
Les gens ainsi lobotomisés sont comme arrachés à leurs songes et jetés dans un autre monde.
Sous les lambeaux du constat social, tout cela se déroule peu à peu en un poème noir, un conte de fées morbide et initiatique.
Par exemple, supporter Drucker, c’est physique, parce que le fond est glauque au possible quand on connaît les frasques du bonhomme, mais il dégage chez les ménagères de plus de cinquante ans qui regardent ses émissions de variétés, une force insondable, des oscillations rythmiques, des pulsions archaïques qui leurs remontent de leur vagin jusqu’à leurs seins…
C’est hypnotique, sur le fil, pas loin de l’instantané orgasmique, cela s’accroche férocement, crûment, à ces âmes à l’abandon, dociles et bouffies face à cette dérive pathétique qui parvient à mener ces ménagères au fond de l’abîme insondable de la bêtise humaine…, sans broncher et sans qu’elles y trouvent à y redire.
Combien de ces femmes, avec fièvre, se sont-elles ensuite laissées à dépasser toutes les limites qui les retenaient encore à une forme de normalité ?
Voilà, je pense grâce à une pleine bouteille de Martini Bianco avec glaçons et tout un citron coupé en lamelles…, avoir saisi brillamment tout ce climat délétère et malsain d’où se forme et émerge à la nuit, les démons rampants d’une société décomposée, en marge, poisseuse et vénéneuse…