Après la drogue et la prostitution, c’est le marché le moins régulé au monde, à la différence près qu’il ne produit pas autant d’argent que les deux autres [1]…
En à peine dix ans, le chiffre d’affaires du marché de l’art contemporain a augmenté de 1078% [2].
L’art ne rapporte pas autant que la drogue…., certes…, mais ça rapporte quand même plus que la bourse.
Les performances de ce marché battent tous les records…, de 2003 à 2014, l’argent placé dans l’art contemporain rapporte plus que l’immobilier, la bourse ou l’or physique [3] :
– Art contemporain : +71%
– Immobilier : +54%
– CAC40 : +41%
– Or physique : +23%
A leur insu, les artistes sont devenus des instruments financiers, et plus précisément des produits dérivés dont la valeur fluctue en fonction de leur sous-jacent, à savoir leur cote.
L’art contemporain désigne l’ensemble des œuvres produites par des artistes nés après 1945 [4].
Aujourd’hui, les œuvres de ces artistes s’apparentent à une forme d’investissement alternatif très juteux…, à condition de connaître l’art et la manière de faire du business.En 2011-2012, le marché de l’art contemporain gagnait son premier milliard.
Historique, le dernier cru 2012-2013 affichait plus exactement un résultat d’1,126 Md€, un milliard de plus qu’il y a 10 ans.
Le record fut allègrement battu l’année suivante, car la vente d’œuvres contemporaines y a représenté 1,5 Md€, un résultat en hausse de +33 % [5].
Pour nous autres, les 99% de la population (surtout ceux qui prennent leurs comprimés de BSP [6] matin-midi-et-soir), les placements dans le marché de l’art contemporain spéculatif est un loisir construit pour et autour de ceux qui ont de la thune.
Ceux pouvant aligner 6.000 années de salaire pour une toile sans rien, le vide, le monochrome quoi…Quand une poignée profite de cette manne financière, l’écrasante majorité des artistes vit dans une relative précarité.
Autant vous dire que les 50.000 inscrits à la Maison des Artistes [7] ne pèsent rien face aux américains Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons et Christopher Wool qui génèrent à eux trois 22% du chiffre d’affaires mondial du marché de l’art…
Ce marché est devenu fou au point de complètement décorréler la valeur esthétique des œuvres de leur valeur financière.
Une scène du film Intouchables résume à merveille l’incompréhension des 99% envers ce secteur financiarisé à l’extrême : la scène où Driss, le personnage joué par Omar Sy, critique une œuvre d’art contemporain, une toile blanche avec des tâches rouges.
Son patron l’admire et veut l’acquérir mais Driss est mal à l’aise avec le prix annoncé par la galeriste et trouve que c’est cher payé car : “le mec, il a saigné du nez sur un fond blanc et il demande 30.000 euros !!?”.
Il finit par dire qu’il peut faire la même chose en allant chez Casto avec juste 50 euros…
Les acteurs du marché de l’art contemporain ne se rendent pas bien compte de ce que nous autres, profanes, voyons de l’extérieur…, à savoir un marché non régulé, où des bizarreries produites dans des ateliers à la chaine sont vendues des millions.
Un artiste comme Damien Hirst ne peut quasiment rien produire seul, c’est via son entreprise Science Limited qu’il fait travailler des ouvriers qu’il n’hésite pas à virer une fois qu’il décide d’arrêter une production [8].
Le marché s’est tellement transformé qu’il ressemble à s’y méprendre au CAC 40.
En trois clics, l’entreprise française ArtPrice.com [9], le Bloomberg [10] de l’art contemporain, vous donne la cote de l’artiste, sa performance, les tendances, etc…, comme à la bourse.
Pas étonnant d’ailleurs que ce site soit devenu le numéro 1 mondial des données sur le marché de l’art…
Le marché seconde main de l’art contemporain, ou appelons-le l’art financier, est l’endroit où aucune régulation n’existe…, c’est le terrain de jeu d’investisseurs d’un genre nouveau, véritables promoteurs d’une bulle spéculative qui propulse certains artistes dans un véritable “art système”.
En 2004, la société ArtPrice.com comptait 1.800 institutions financières au nombre de ses abonnés (principalement des gestionnaires de fortune).
Aujourd’hui, elle en compte 11.700, notamment des banques de détail qui n’hésitent pas à proposer des montages financiers aux prêteurs avec des œuvres d’art comme gage [11].
La financiarisation du marché de l’art contemporain….
A l’occasion de la Foire Internationale d’Art Contemporain (Fiac) en octobre 2014[12], Paul McCarthy honora Paris avec une installation, appelée Tree, place Vendôme.
L’artiste de son propre aveu nous apprenait que son œuvre pouvait tout aussi bien faire penser à un sapin de Noël ou à un très poétique “plug anal”.
Suite à sa déclaration, son Tree fut vandalisé…, pour se consoler, Paul a néanmoins vu ses arbres, cette fois-ci en chocolat, exposés à la Monnaie de Paris…, un endroit parfait pour les artistes du “start système”.
La monnaie, la thune, l’oseille…, des mots qui riment et qui vont à l’art financier comme un gant.
Paul n’était pas au top de sa forme en 2014…, ses déboires place Vendôme sont venus lui apporter une publicité bienvenue après une année morose.
Mal coté, classé 220e sur 500 par ArtPrice.com sur 2013-2014 [13], il n’a vendu que 12 œuvres pour 700.000 euros…, autant dire un petit joueur face aux performances de ses compatriotes Jeff Koons (115 millions d’euros), Christopher Wool (62 millions d’euros) ou encore Richard Prince (28 millions d’euros).Un tour sur les sites Internet des maisons de vente les plus connues, à savoir le duopole que forme Christie’s et Sotheby’s, vous donne un aperçu de la direction que prend ce marché.
Une petite chanson ?
Money, money, money, must be funny, in the rich man’s world…
Les financiers investissent le marché…
Dan Loeb [14], patron de Third Point, le hedge fund détenant 9,65% de Sotheby’s, a milité pour obtenir l’éviction du PDG [15], accusé de ne pas redistribuer assez de dividendes aux actionnaires et de ne pas avoir optimisé les coûts de la maison.
Il a d’ailleurs réussi à négocier trois sièges au comité de direction.
Trois financiers sans aucune expérience dans l’art siègent chez Sotheby’s…, pas étonnant.
De l’expérience dans l’art ?
Pas besoin j’vous dis, un financier est certainement plus compétent pour gérer ce business.
Start système et méga galeries…
Assurer la rentabilité d’un artiste commence par le marché primaire, chasse gardée des galeries.
Pendant que les petites galeries artisanales se meurent, l’ère de l’art financier ne récompense que les méga galeries avec des stratégies marketing et financières globales bien huilées.
Bien placer son artiste dans des foires prestigieuses, des musées, des expositions, des collections de rêve… est tout un art.
Quand Beyoncé sort un album, elle ne le fait pas toute seule… pour assurer le succès commercial de ses chansons, elle s’appuie sur le support de sa maison de disques qui orchestre sa promotion.
Une galerie fait exactement la même chose pour l’artiste qu’elle promeut.
Jeff Koons est l’artiste vivant le plus bankable…, le Beyoncé du marché de l’art…, il s’est imprégné de la stratégie marketing de son galeriste, Larry Gagosian, pour devenir une véritable marque de luxe.
Gagosian, c’est le mec à connaître dans le milieu, c’est THE galeriste, celui que tout le monde admire pour avoir appliqué les lois de la finance au marché de l’art contemporain.
Le mec est une légende, il repère un artiste, met le grappin sur son stock, l’expose dans sa galerie puis dans les foires les plus en vues (Fiac à Paris, Art Basel [16] à Bâle ou encore Frieze à Londres), il obtient des critiques dithyrambiques et encaisse à travers des ventes ou des locations [17].L’impact d’une exposition sur les ventes est considérable, c’est la meilleure campagne de pub que peut s’offrir une galerie pour promouvoir un actif artiste.
C’est ainsi que l’exposition de Jeff Koons à Versailles ou de Christopher Wool au Guggenheim de New York a explosé leur performance financière dans les maisons de vente.
La cote de Jeff Koons n’est pas prête de redescendre, même si on l’accuse de plagiat [18]…
On vous le présente comme l’artiste du siècle avec ses objets tout droit sortis de son usine/atelier où des petites mains viennent l’aider mettre en forme ses chiens et autres objets kitsch en acier inoxydable qui éblouissent les acheteurs.
Ces nouveaux riches, oligarques russes, qataris, émiratis ou chinois, qui veulent faire du bénéf en investissant massivement dans des œuvres reconnaissables parmi toutes, dont la valeur s’appréciera avec le temps.
Investir en bourse ou dans l’immobilier, en ces temps de crise, ça ne rapporte pas assez…, ils sont très souvent entourés d’une armada de consultants en art financier qui préparent le terrain pour leur garantir un accès privilégié aux artistes les plus demandés.
Thierry Ehrmann, président-fondateur d’ArtPrice.com le confirme ; “Le marché de l’art a faim. Nous sommes passés de 500.000 collectionneurs dans l’après-guerre à près de 70 millions de consommateurs d’art, d’amateurs et de collectionneurs dans le monde entier. L’art est un placement intéressant pour les collectionneurs, qu’ils soient financiers, gestionnaires de patrimoine, investisseurs institutionnels, etc…, car le marché est de plus en plus mature et liquide, offrant des rendements de 10% à 15% par an pour les œuvres supérieures à 100 000 euros” [20]
Jeff Koons, l’a bien compris…, cet ancien broker qui a fait ses classes à Wall Street ne fait plus dans l’art mais dans le business…, il produit des œuvres à la chaine mais toujours en édition limitée de cinq.
Sa marque est faite, il n’a plus rien à prouver, son Balloon Dog orange s’est vendu fin 2013 à 58,4 millions de dollars…, qui dit mieux ?
Il se déplace sur les plateaux télés comme un banquier irait pitcher (ou en langage de la street “bicrave” ou si vous préférez “vendre sa came”) auprès d’un potentiel client. Costard taillé au laser, regard vif, grand sourire, l’homme est pressé de conclure ses affaires.
Jouer à l’art bourse sur les marchés émergents.
Le directeur des galeries Tornabuoni, Michele Casamonti, déclarait au Magazine Challenges qu’il faut respecter trois règles : choisir les artistes les plus connus, leur meilleur période et leur meilleur support.
Règles qui ne s’appliquent plus lorsqu’il s’agit d’une niche du marché de l’art : le marché des jeunes émergents.
Les observateurs du marché constatent que certains jeunes artistes sont introduits dans le milieu comme des sociétés introduites en bourse…, en regardant de plus près les chiffres de cette niche, je ne peux qu’être d’accord avec eux.
Des exemples ?
Il y en a à la pelle [21].
Le jeune Paker Ito, 27 ans, a vu son œuvre The Agony and The Ectasy, vendue à 500 dollars en 2011 grimper à une valorisation de 16.300 dollars en 2014 soit +3160% en à peine trois ans.
Lucien Smith, 24 ans, a vu sa toile d’une immense profondeur intellectuelle, un paysage tiré des histoires de Winnie L’Ourson, vendue 10.000 dollars en 2011, être raflée par la famille Mugrabi pour 389 .000 dollars…, soit une flambée de +3790%.
Le champion est certainement Oscar Murillo et son Untitled (Drawings off the wall) vendu à 7.000 dollars en 2011 et revendu à 401.000 dollars en 2013, soit un profit de 5629%.Vous l’avez compris, pour se faire une place au soleil, il faut mettre la main sur tout le stock de matière première dès que la mine d’or est découverte.
Plus un artiste est payé cher, plus il se valorise…, logique de nouveaux riches oblige.
Quand un acheteur débourse plus de 100.000 euros sur une œuvre, elle lui rapporte 15% par an…, c’est 15 fois plus que le “Livret A” du prolo, rémunéré à 1%.
La manipulation des prix est systématique.
Le marché de l’art contemporain est devenu un énorme bazar, ou plus exactement une foire du grand n’importe quoi, où les prix sont manipulés systématiquement.
Les œuvres sont devenues des produits échangés sur un marché où certains collectionneurs ou galeristes détiennent tout le stock de marchandises. Au début des années 1990, “Monsieur Cuivre” [22], plus connu sous le nom de Yasuo Hamanaka, à la tête de la branche métaux de la société de trading japonaise Sumitomo, manipulait le cours du cuivre avec une part de 5% du stock mondial.
La manœuvre avait fait scandale et le régulateur, la Commodity Futures Trading Commission, était intervenu pour siffler la fin de la partie.
Aujourd’hui, le collectionneur israélien José Mugrabi détient 10% du stock mondial d’Andy Warhol (environs 800 œuvres)…, il fait la pluie et le beau temps sur le marché, sans que cela ne choque qui que ce soit.
Warhol est l’artiste le plus “liquide” sur le marché de l’art…, à sa mort, on décomptait 8.000 œuvres produites entre 1953 et 1987 [23].
200 de ses œuvres reviennent chaque année aux enchères…, l’arnaque réside dans le fait que pour défendre sa position et son stock, Mugrabi est présent à toutes les enchères pour s’assurer de la tendance haussière des prix, quitte à mettre la main à la poche pour faire monter les enchères.
Ce qui a fait dire au marchand Richard Polsky [24] que les gens ne réalisent pas que Warhol est le Dow Industrial Average [25] du marché de l’art contemporain…, les Mugrabis le savent et font tout ce qui est bon pour leur famille.
L’artiste anglais Damien Hirst s’est également essayé à la manipulation des prix.
Contournant son galeriste, Larry Gagosian, il mit aux enchères de nouvelles créations directement chez Sotheby’s. Assis sur un stock important de Hirst, Gagosian s’est retrouvé coincé par la manœuvre de sa poule aux œufs d’or, en mettant la main au porte-monnaie pour faire monter les enchères [26].
Sans la main invisible du galeriste, Hirst se vendait avec une décote de 30%.
En résumé, les mecs rachètent les artistes qu’ils ont sous le coude pour soutenir le prix et maintenir une tendance haussière [27].
Dans le milieu, on vous dira qu’il est normal qu’un collectionneur ou un galeriste veuille protéger son artiste.
Dans le monde réel, c’est juste une manipulation des prix.
Nous sommes bien loin de l’époque d’un Van Gogh, qui de son vivant n’avait vendu qu’une seule toile, La Vigne Rouge, pour une somme ridicule (400 francs en 1890).Dans n’importe quel marché, car n’oubliez pas que l’art contemporain a son marché, de telles manœuvres feraient scandale et le régulateur interviendrait illico presto pour mettre en taule les manipulateurs.
Le système des garanties ou comment tout est joué d’avance.
En plus d’être manipulés, les prix sont fixés d’avance par les maisons de vente.
Pour comprendre ce qui va suivre, mettez de côté le baratin habituel que l’on vous raconte, à savoir
qu’une maison de vente internationale dirige les ventes à travers son commissaire-priseur en s’assurant de la confrontation transparente de l’offre et de la demande.
Ça, c’était avant.
Avant la financiarisation du marché de l’art.Sur l’année fiscale 2013, les 12 plus grandes maisons de vente ont enregistré 9,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires [28].
La part de Christie’s (38% pour 21.492 lots) et de Sotheby’s (33% pour 12.592 lots) atteint 71%, autant dire qu’elles contrôlent le marché.
Les deux maisons ont une position à défendre quitte à rogner sur leurs marges et spéculer sur les prix.En théorie, les maisons de vente se rémunèrent sur les commissions qu’elles facturent aux deux parties, acheteur et vendeur.
Or, pour s’assurer les lots les plus glamour lors des enchères, elles ont pris l’habitude de renoncer à cette commission côté vendeur…, ce qui, bien entendu, vient réduire leurs marges surtout sur les œuvres les plus chères.
Pour se refaire, comme au poker, elles garantissent un prix plancher au vendeur, pour le pousser à mettre son produit aux enchères et lui éviter toute déconvenue.
Une œuvre invendue perd immédiatement près du tiers de sa valeur et ne pourra revenir à la vente au même niveau de valorisation qu’après 4 ou 5 ans…
Le patron de Sotheby’s s’est même fendu de cette déclaration au mois de novembre 2014 : Les garanties des enchères ont été significativement profitables pour l’entreprise. [29]
Comment fonctionnent les garanties [30] ?
La maison de vente promet un prix minimum pour une œuvre.
Deux options sont possibles.
– Garantie directe par la maison de vente :
si le prix dépasse le minimum garanti : l’écart est partagé entre la maison de vente et le vendeur
si le prix est en dessous du minimum garanti : la maison de vente paye la différence au vendeur.
– Garantie indirecte, externalisée à un tiers, très souvent un financier :
le tiers promet de racheter l’œuvre à un prix donné (généralement le bas de la fourchette de l’estimation faite par la maison de vente) en contrepartie d’une commission payée par la maison de vente.Dans les catalogues de vente, un petit signe indique que les œuvres sont sous garantie.
Cependant, le détail sur l’arrangement financier est confidentiel et crée une distorsion car le tiers, qui connaît le prix minimum, peut également faire monter les enchères car il partage le surplus avec la maison de vente…
La pratique est hautement spéculative.
En 2008, au début de la crise financière, le duopole s’est délesté de 200 millions de dollars de pertes sur des invendus sous garantie [31].
Raison pour laquelle la garantie externalisée à un tiers est, aujourd’hui, la pratique la plus répandue.Sur les seules ventes de novembre 2014, Christie’s a garanti 44% de ses 853 millions de dollars de chiffre d’affaires.
Pour Sotheby’s, la garantie s’est élevée à 43% des 422 millions de dollars de chiffre d’affaires.Alors oui, il n’y a plus de transparence sur le marché.
Et les garanties soulèvent des questions éthiques…, même si elles s’en défendent, comment ne pas soupçonner les maisons de vente de ne plus garantir une équité entre acheteurs ?
Ou encore de ne pas promouvoir un artiste sous garantie plus qu’un autre ?
Le parallèle entre les marchés financiers et le marché de l’art contemporain est frappant.
Les acteurs du marché vous rétorqueront toujours que l’art est à leur yeux une passion, ils ne discuteront jamais oseille.
Parler argent, c’est vulgaire voyons…, pourtant, le constat est implacable, les gestionnaires de fortune parlent même de SWAG (Silver, Wine, Art, Gold) [32] pour décrire les classes d’actifs alternatifs réservées aux très riches pour dégager des rendements intéressants en très peu de temps.
Citée dans un article de Challenges [33], la directrice du conseil en art de BNP Paribas Wealth Management déclarait que “seulement 10% de nos client aisés ont un intérêt réel pour l’art”.
Autrement dit, 90% des acheteurs, soit l’écrasante majorité, s’en tape, pourvu que l’actif dégage un retour sur investissement confortable…, raison pour laquelle les œuvres changent de mains très vite, le but étant d’empocher les plus-values, et monétiser l’investissement de départ.
Le taux de rotation des œuvres est assez important, un produit peut changer de mains plusieurs fois par an…, dans les pays anglo-saxons, on appelle les investisseurs s’adonnant à cette pratique de la patate chaude les art flippers.
En 2014, Israel Lund a vu l’une de ses toiles changer de mains quatre fois en seulement 11 mois… avec un profit de 1567% [34] !
Exemple flagrant que les œuvres sont devenues des titres financiers comme les autres.
En plus de monétiser les plus-values sur la revente d’une œuvre, les acheteurs français peuvent compter sur les largesses de l’administration fiscale [35].
Les œuvres d’art ne sont pas intégrées dans l’assiette de l’impôt sur la fortune (ISF), ce qui facilite la défiscalisation.
D’ailleurs, un député centriste, Philippe Vigier, s’est cassé les dents avec son amendement au budget pour réintégrer les œuvres d’art dans l’ISF pour une plus grande équité fiscale…, une écrasante majorité des députés ayant voté contre [36].
Quand sur vos produits du quotidien on vous prélève une TVA à 20%, les plus riches ne payent que 5,5% [37] sur leur monochromes.
En plus de ne payer que 5,5% de TVA, quand ils revendent, deux solutions s’offrent à eux :
– payer un forfait de 6,5% sur le total du montant de la vente
– payer une taxe sur la plus-value de 31,5%Si vous ne spéculez pas et que vous gardez cette œuvre au chaud, un abattement de 5% s’appliquera par année, avec une exonération au bout de 22 ans.
Très intéressant pour constituer un patrimoine complètement défiscalisé pour sa retraite ou sa descendance.Il s’agit bien d’une fiscalité très avantageuse à destination des « 1% », ceux qui veulent transmettre un patrimoine en contournant les droits de successions, les œuvres d’art étant considérées comme des meubles estimés à 5% de l’héritage…, François Pinault, propriétaire de Christie’s depuis 1998, ne vous dira pas le contraire.Je ne m’attarderai pas sur la première fortune de France, Bernard Arnault, et ses optimisations fiscale que nous sponsorisons tous avec nos impôts [38]…
Vous n’êtes pas au courant ?
Vous avez contribué à travers de gracieuses subventions à bâtir la Fondation Louis Vuitton.
Bénéficiant de la générosité fiscale de l’Etat, sous couvert du caractère éminemment culturel de l’endroit, vous payerez, comble du cynisme, 14 euros [39] pour y accéder.
Art et argent, les liaisons dangereuses.
En 2007, l’artiste écossais Peter Doig découvrit avec dégoût que l’une de ses toiles, White Canoe, s’était vendue aux enchères par le collectionneur Charles Saatchi (via Sotheby’s) pour près de 10 millions de dollars… alors qu’il l’avait vendu pour un peu moins de 2.000 dollars dix ans plus tôt [40].
Au New York Times [41], il déclarait que cette vente l’avait rendu nerveux : allait-on parler de son œuvre ou juste de ses performances financières ?
Il ajouta que cette situation l’avait rendu cynique, peindre devenait difficile.
Pourquoi le faire ?
Pour rendre les riches plus riches ? [42]
Doig est l’un des premiers peintres à avoir arrêté de vendre au collectionneur Charles Saatchi, véritable architecte de l’art financier.
Connu pour sa maîtrise de la loi de l’offre et de la demande, il amasse les œuvres pour les vendre quand les prix explosent.
Bien entendu, Saatchi s’en défend.
Dans une tribune assez drôle publiée par The Guardian en 2011, il déclarait qu’être acheteur d’art de nos jours est comprehensively and indisputably vulgar [43].
Ben voyons !
Le marché de l’art contemporain est devenu un endroit étrange.
Oubliez la finesse et le bon goût…, chez nos amis investisseurs, seule la rentabilité compte.
Pour l’instant, le marché présente toutes les caractéristiques d’une bulle spéculative, qui fera mal aux maisons de vente et par extension à tout le secteur en cas de retournement de conjoncture.
Au mois de novembre 2014, l’historien Bendor Grosvenor [44] faisait remarquer que l’installation de Robert Gober représentant trois urinoirs, d’où le titre Three Urinals, avait été vendue par Christie’s pour 3,52 millions de dollars, soit plus d’un million de dollars par urinoir, sans faire le moindre bruit dans la presse.
Grosvenor s’étonna, et à juste titre, qu’un artiste inconnu, dont personne n’a jamais entendu parler, puisse se vendre plus cher qu’une toile de maitre.
Visiblement sous BSP, il en tira la conclusion suivante : “Le marché de l’art contemporain n’évalue plus les œuvres selon des qualités esthétiques mais bien financières. Car ces trois urinoirs n’ont rien de biens différents que des urinoirs que vous trouverez facilement chez Bricorama ou Leroy Merlin. Les professionnels de l’art business, les galeries et autres maisons de vente qui ont aidé à la promotion de ces urinoirs ne laisseront à l’acheteur qu’un amer arrière-goût de pisse une fois Robert Gober décoté et oublié”…
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[1] Citation de Matt Carey-Williams, directeur des ventes de la galerie White Cube – Big Bucks: The Explosion of the Art Market in the 21st Century, 2014 http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2014/06/17/03015-20140617ARTFIG00008-art-basel-l-art-contemporain-ce-nouvel-eldorado.php [2] Rapport Annuel 2013-2014 d’ArtPrice.com http://imgpublic.artprice.com/pdf/artprice-contemporary-2013-2014-fr.pdf [3] Challenges N°406 – 3 octobre 2014, page 61 [4] Pour ArtPrice.com, les chiffres publiés ne concernent que des « artistes classés “contemporains” selon leur année de naissance, soit les artistes nés après 1945 ». [5] Rapport Annuel 2013-2014 d’ArtPrice.com http://imgpublic.artprice.com/pdf/artprice-contemporary-2013-2014-fr.pdf [6] Bon Sens Paysan [7] La Maison des artistes est un organisme français agréé par l’État pour la gestion administrative de la branche des arts graphiques et plastiques du régime obligatoire de sécurité sociale des artistes auteurs. [8] http://www.telegraph.co.uk/finance/financialcrisis/3500553/Hirst-lays-off-workers.html [9] « Artprice.com, la première » Dot Corp® » introduite au Nouveau Marché Euronext de Paris est détenue majoritairement par le Groupe Serveur (60 %). Le Groupe Bernard Arnault détient, au travers d’AGAFIN, une participation significative et stratégique dans artprice.com (17 %), avec laquelle il développe des synergies industrielles. Un pacte d’actionnaires déposé au C.M.F. liait le Groupe Serveur à Europ@web (Groupe Bernard Arnault et Suez Lyonnaise des Eaux). […] Artprice.com est le leader mondial des banques de données sur la cotation et les indices de l’art avec plus de 4 millions de résultats de ventes –3,2 millions en ligne– couvrant 290 000 artistes du IV ème siècle à nos jours en provenance de 2 900 maisons de vente. » – http://www.serveur.com/FR/03.html [10] Leader dans l’information financière. [11] Les œuvres sont devenues des placements financiers, article publié le 10 août 2014 sur LaMontagne.fr [12] La Fiac est une foire annuelle organisée à Paris au mois d’octobre. C’est la foire la plus fréquentée au monde, avec 191 galeries triées sur le volet et 75 000 visiteurs. [13] http://imgpublic.artprice.com/pdf/artprice-contemporary-2013-2014-en.pdf [14] http://www.bloomberg.com/news/articles/2014-05-29/billionaire-loeb-confirmed-as-sotheby-s-new-board-member [15] Sotheby’s est d’ailleurs en pleine recherche d’un nouveau PDG, n’hésitez pas à envoyer un CV. Amis financiers, vous avez toutes vos chances ! [16] Fondée en 1970, l’Art Basel de Bâle est la plus connue de toutes les foires, la sélection des galeries y est redoutable (70 000 visiteurs pour 300 galeries sélectionnées). Les fondateurs ont répliqué le modèle avec l’Art Basel Miami Beach en 2002 (70 000 visiteurs pour 285 galeries sélectionnées) et l’Art Basel Hong Kong en 2013 (60 000 visiteurs pour 245 galeries sélectionnées). [17] http://news.artnet.com/in-brief/gagosian-loans-art-to-roman-museum-83935 [18] http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2014/12/24/03015-20141224ARTFIG00208-koons-sa-sculpture-naked-serait-le-plagiat-d-une-photo-d-art.php [19] http://www.jeffkoonsversailles.com/en/ [20] http://www.boursorama.com/actualites/artprice–perspectives-2015-29c40257a76d40ff7f496b7c562d86a8 [21] http://www.bloomberg.com/news/articles/2014-02-06/art-flippers-chase-fresh-stars-as-murillo-s-doodles-soar [22] Mister Copper [23] http://www.wsj.com/articles/SB119940749725466431 [24] http://richardpolsky.com/ [25] Indice boursier regroupant 30 entreprises basées aux Etats-Unis cotées sur le NYSE ou NASDAQ[26] http://www.theguardian.com/artanddesign/2013/jan/06/damien-hirst-larry-gagosian-art [27] Cette opération s’apparente à celle d’un programme de rachat d’actions mené par les entreprises qui a, très souvent, un effet positif sur le cours de l’action. [28] http://blogs.lesechos.fr/echosdataviz/marche-de-l-art-le-top-12-mondial-des-maisons-de-vente-a14241.html [29] http://www.nytimes.com/2015/01/08/arts/design/sothebys-and-christies-return-to-guaranteeing-art-prices.html [30] http://www.christies.com/features/guides/buying-guide/related-information/financial-interest/ [31] http://www.economist.com/blogs/prospero/2011/11/art-market [32] Argent, Vin, Art, Or[33] Challenges N°406 – 23 octobre 2014, page 62 [34] http://www.bloomberg.com/news/articles/2014-05-23/lund-painting-sold-for-1-500-gain-as-art-flippers-return [35] Challenges N°406 – 23 octobre 2014, pages 64 – 65 [36] http://www.lefigaro.fr/impots/2014/10/17/05003-20141017ARTFIG00301-les-oeuvres-d-art-ne-seront-pas-integrees-a-l-isf.php [37] http://www.lamaisondesartistes.fr/site/retablissement-de-la-tva-a-55-sur-la-vente-doeuvres-dart-par-leur-auteur/ [38] http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/10/27/fondation-louis-vuitton-le-mecenat-d-entreprise-sans-la-generosite_4513157_3232.html [39] http://www.fondationlouisvuitton.fr/conditions-tarifaires.html [40] http://www.theguardian.com/artanddesign/2013/jul/27/peter-doig-scottish-gallery-interview [41] http://www.nytimes.com/2014/08/18/arts/design/barbarians-at-the-art-auction-gates-not-to-worry.html [42] « I became more cynical. I just wondered why I was doing it: ‘Am I doing it to make rich people richer? » [43] http://www.theguardian.com/commentisfree/2011/dec/02/saatchi-hideousness-art-world [44] http://www.ft.com/intl/cms/s/0/ce063c76-6f32-11e4-8d86-00144feabdc0.html#axzz3KC7Y8YLSwww.GatsbyOnline.com