La beauté du ratage…
Il y a dans la faillite quasi totale de notre univers consumériste, quelque chose d’étrangement beau, comme le fascinant naufrage d’un navire qui s’obstine à rester à flots, se raccroche à tout…, suscitant une curiosité lasse puis une sidération grandissante à mesure qu’il s’engloutit sous lui-même.
Cela commence comme l’impression d’un appauvrissement, où le démantèlement de nos structures qui nous paraissaient immuables, se subit comme un cauchemar répétitif, que nous scannons corps et âme.
Ensuite…, ensuite…, l’impression, au fil des nuits blanches, des jours noirs, on ne va pas s’en cacher, fait place à l’acceptation d’une réalité… et une ellipse de vingt ans nous projette dans un univers en animation qui est, pour faire court, un monde parallèle généré par les hallucinations de ceux qui s’y trouvent, et issu d’un basculement psychédélique porté par des intérêts commerciaux.
On entre dans une phase de trip interminable, où on se lance à la poursuite d’une idée qu’on devrait receler pour ne pas être entrainé au fond de l’âbime, mais qu’on n’arrive jamais, jamais…, à saisir.
Le pompiérisme, le mélange des genres, le vulgaire, comme ancrés au plus profond, se mêlent à l’essence hallucinogène du monde, prétexte à un foisonnement de références inutiles, mais aussi à un fiévreux penchant pour les symbolismes, à grand renfort de visions végétalo-sexuelles, plantes magiques, larmes roses et jardin d’Eden new-âge.
Ça n’en finit plus.
Il y a en nous, il faut bien le reconnaître, une sorte de beauté du ratage.
Toutes, tous…. et plus…, pendant une courte phase (avant l’écœurement, aux premières gorgées de cette mixture bourrative) on se trouve séduit par les errances fantasmatiques de cet univers en perpétuel basculement, cauchemar éveillé rythmé par la récurrence d’images-refuge ayant trait à un temps révolu.
Les réminiscences cycliques de ces objets devenus des fétiches ont même quelque chose de rassurant, en somme, un panache de catastrophes, une empreinte tragique du jusqu’au-boutisme absolu général qui nous fait suivre les démocrates-dictateurs pris dans leurs propres spirales, et ou ils finissent par perdre complètement pied.
Les glorieux honneurs de leur disgrâce, sifflés, rejetés, bafoués, étrillés sans ménagement par une presse internationale toujours particulièrement remontée lorsqu’elle est payée pour affirmer les mensonges de propagande des suivants.
C’est parfois agaçant, souvent inégal, toujours déroutant, mais en finale ces diarrhées sanguinaires, à l’arrache, ne présentent que les scènes choc d’existences vouées à gagner toujours plus, sans appréhender l’ensemble.
La sourde hostilité du monde, s’observe ainsi, dans nos cauchemars, en revers de ça, dans ce chaos se trouvent pourtant les beautés d’une nature changeante (concrète, spirituelle, indicible, menaçante) dans un seul et même geste, dans une seule et même globalité, une même cosmogonie.
On y trouve donc le présent, l’inconscient, les rêves, le souvenir, les images du futur et la conscience de ce qui nous entoure.
Le sentiment d’une certitude qui se fragmente, qui s’est éparpillée, avec l’absence au bout…, plutôt qu’essayer de donner ou de trouver un sens à nos troublantes introspections, secrètes, intimes en profondeur, dans lesquelles on se laisser couler, ou on accepte de se noyer.
Trip hallucinatoire, ensorcelant, éreintant aussi, qui, débarrassé de conventions et de contraintes, permet de chercher à se réinventer en proposant une exploration personnelle des réalités autour de nous.
Entêtant.
Est-ce un rêve tragique, ou plutôt un cauchemar fiévreux ?
Un songe primal annonçant le délire à venir, exploration sublimée, névrotique, de la perte essentielle de notre monde, dans une inimaginable douleur…
C’est qu’il ne faut pas chercher à rationaliser le purement symbolique, préhensible à toutes transpositions, mais davantage le vivre comme une expérience introspective absolue, profane, et dont le sens premier appartiendrait entièrement à notre ressenti, à nos esprits et nos agitations intimes, sans pour autant chavirer lentement vers la fable mystique et des métaphores hallucinées, violentes…
La nature révèle ainsi son essence ambivalente, génératrice à la fois d’angoisse et de sérénité, d’oppression et d’apaisement où les figurations de la vie, s’opposent aux forces noires d’un chaos alentour.
Mais le trouble, la révolte du corps et de ses démons, de ses pulsions animales, finissent par se subordonner.
L’imagerie maléfique vibrante de nos cauchemars ruisselle, exsude puis s’estompe…
C’est une eau-forte sombre et palpitante que l’on admire, que l’on contemple comme l’on s’impressionne d’un tableau de Bosch, Goya ou Zoran Music, grands peintres de l’horreur et de la folie qu’on tutoie l’instant d’un voyage dépecé vers les arcanes surgis soudain de l’inconscient…