Le prêtre s’avance vers la croix. Immense, sombre, aiguë, elle se dresse comme un pilori au fond de l’église. A sa droite, dans la pénombre, la chair : une femme, une pécheresse, une ennemie.
La tentation. Tout en dentelles et parures fines.
C’est l’été, en milieu de journée, dehors la chaleur est suffocante. Qui songerait à se réfugier dans cette oasis de pierre ? Seuls des êtres d’exceptions peuvent se croiser en ces lieux, à cette heure, en cette époque de l’année. A part le prêtre et cette femme, nul hôte dans l’église désertée.
Le Christ en croix devant lui est décharné, agonisant, ascétique, marmoréen. La femme à proximité est voluptueuse, éclatante, ses lèvres sont animales, ses yeux embrasés.
L’abbé est un bel homme contemplatif de cinquante ans, une sorte de personnage monastique d’un autre siècle, un théologien austère et séduisant, un esprit cultivé plein de raffinement. Cette femme dans l’obscurité, une aristocrate flamboyante, pourrait devenir son amante, il le sait. L’homme d’Église s’est exquisément attardé sur les appas de la tentatrice, dévorant du regard sa poitrine opulente à demi découverte. Il a même béni la démone du bout des lèvres, comme s’il avait récité une prière.
La créature s’approche du prêtre qui détourne aussitôt le regard et semble supplier le Christ en croix d’éloigner ce serpent au venin délicieux… Trop tard. Les deux êtres se sont reconnus, se sont compris au premier regard. Épris l’un de l’autre dans l’instant, priant et bourgeoise se désirent mutuellement, elle la lascive, lui le chaste. Leurs lèvres se rencontrent, la fièvre les unit. Dieu ! Que le péché est délectable quand depuis toujours on s’en est privé ! D’ailleurs n’est-il pas légitimé par les circonstances ?
Face à l’autel, sous le regard du Crucifié, les deux amants se donnent l’un à l’autre. Mais très vite le prêtre se reprend, repoussant violemment la licencieuse :
– Non, il ne faut pas, je ne peux succomber à de si faciles appels. Arrière, tentatrice ! Ne m’éloigne pas des beautés célestes avec tes promesses charnelles, bohémienne guindée que tu es !
Mais dans son fort intérieur, se répondant à lui même :
– “Regarde cette femme, elle est belle, elle te plaît et tu la désires. Elle te désire aussi, tout prêtre que tu es, pauvre homme qui voudrait se prendre pour une statue ! Vois cette gorge vers toi déployée, cette bouche qui ose les mots interdits, ce flanc nu qui s’offre… Cette femme est un verger de l’éden, prends les fruits de la terre, savoure-les comme un homme que tu es au lieu de les rejeter comme un saint que tu n’es pas… L’instant est propice, ce jour de ton existence est beau, ne le laisse pas passer. Prends cette amante, elle sera ton salut : elle fera de toi un homme, un homme comme les autres, un mortel de chair issu de la terre et non un livre ambulant plein de dogmes et de théories.”
Tiraillé entre ses aspirations opposées, il embrasse de nouveau l’amoureuse, puis la repousse dans l’instant qui suit, la reprend dans ses bras, la repousse…
Finalement, complètement désemparé, il maudit la femme et se précipite au pied de la grande croix, en larmes, repentant. Et, dans un geste théâtral, à genoux se frappe la poitrine en prononcant des paroles en latin.
Il entend les pas de la belle qui sort de l’église. Il ne se retournera pas et restera jusqu’au crépuscule à prier, à genoux.
Le Diable en petits souliers s’en est retourné dans la fournaise de l’été.
Raphaël Zacharie de Izarra
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