Une nuit d’automne…
Assis, sur un banc de bois dans la cage de fer, l’homme comprend qu’il n’y a plus d’échappatoire.
Très vite il a compris qui sont ceux qui l’ont enlevé, car le passé rattrape toujours le présent et finit par se rembourser.
Ceux qui le regardent, sans dire un mot, ont dans les yeux la victoire des chasseurs qui contemplent leur proie.
Rien, aucune émotion ne peut se lire sur leurs visages.
Leur haine est tellement forte qu’elle a, depuis longtemps, banni toute émotion et sentiment de leur règle de vie.
Seul le désir de vengeance les motive à se lever chaque nouveau jour depuis presque dix longues journées.
Le décor où se joue cet avant-dernier acte, a la taille et l’envergure du plaisir que va leur procurer la torture de ce “tordu responsable”…
GIGANTESQUE.
C’est que, malgré une gueule de premier de classe, il est le mal personnifié.
Fonderie du siècle passé, fermée puis abandonnée pour on ne sait plus trop quelles raisons, l’endroit ou est installée la cage, offre une tranquillité idéale pour tout règlement de compte où le nombre de vivants est toujours inférieur à la fin du débat qu’à son début !
C’est un lieu hors du temps, où le noir et le gris donnent l’impression de jouer une scène dans un film des années cinquante.
Le premier des deux bourreaux à ouvrir les hostilités n’a pas de nom, du moins pas de vrai nom, c’est juste un homme dont le physique de bûcheron et la gueule de mauvais garçon est connue et respectée par les plus grands truands.
Sa réputation a depuis longtemps traversé les frontières et le classe parmi les plus dangereux des fous furieux.
Pour lui, le silence est presque devenu une religion.
Aussi chaleureux qu’un congélateur, personne n’a dans sa mémoire le souvenir de l’avoir vu un jour rire ou même sourire… et la couleur de ses cheveux et de ses yeux est aussi noire que son âme.
Il ouvre la cage, agrippe solidement l’homme et le traine jusqu’au centre de l’ancien atelier ou il lui arrache tous ses vètements et l’attache sur un fauteuil métallique…
En se relevant, il ramasse une barre de fer qui ne demandait rien d’autre que de continuer à rouiller en toute tranquillité et la fait penduler devant l’homme terrorisé…
La poussière soulèvée par ce va-et-vient, confirme l’abandon des lieux.
Sans mise en garde et avec une rapidité foudroyante, il frappe et casse le tibia de la jambe gauche de l’homme attaché.
La douleur semble tellement forte, que celui qui la subit en a la bouche ouverte alors que, pourtant, aucun son n’en sort…
Je suis resté impassible mais je me rassasie du regard.
Nouveau venu dans la «famille», j’ai gagné mes lettres de noblesse par un acte qui en dit plus sur mon état d’esprit que tout les mots…
“La roulette russe”.
Un jeu de dingue, 5.000 euros la balle, une seule dans le barillet que je fais tourner…
Click, 5.000 euros…
Click encore, 5.000 euros…
Click toujours, 5.000 euros encore…
Encore et encore….
10 click’s sous les cris des friqués, des bourges surexités et de leurs femelles de défonce !
Une soirée à 50.000 euros en défiant la mort, mon amie de longtemps qui me croyait à elle…
Puis une autre soirée, et encore….
200.000 euros… et encore !
A 250.000 j’ai stoppé.
J’ai dit non.
Un autre à pris l’arme, pour 5.000 euros… et a fait click !
Boum !
Mort !
Je suis béni de l’enfer, sauf que mes gains ne m’ont pas été versés, c’est cet homme et ces deux copains qui les ont gardé !
Gardé et dépensé.
En putes, alcools et autres plaisirs, comme la BMW 535 Hartge bleue qui est parquée dans la cour de l’usine…
Aussi impassible qu’une statue exposée au milieu d’un square, j’attends mon tour pour m’acharner sur le premier des trois fils de putes que j’ai enfin retrouvé.
Mon taiseux m’assiste sous la seule promesse d’un tiers de l’argent récupéré, ou de sa contre-valeur…
Ce que nous allons faire subir à ce salopard, nu et ligotté sur la chaise métallique, n’est autre qu’un besoin de vengeance espéré depuis plus de dix jours.
Par notre acte, nous allons rajouter à notre statut, celui d’assassins, nous le savons, mais tel est le prix à payer pour ce qu’ils nous ont fait et pour laver l’affront d’un manque de parole donnée…
Une parole donnée est comme un contrat, sauf que dans le milieu, un contrat est plus qu’un contrat…
Ils m’avaient dit qu’à la roulette russe, dans leur tripot du diable, leurs clients des beaux quartiers donnaient blé, chicon, briques, oseille, de l’argent quoi…, pour jouir du spectacle.
Je n’avais plus rien à perdre, j’étais perdu, ruiné, j’ai accepté…
5.000 euros… J’ai fait 50 click’s…
50 fois la mort, 50 fois la vie !
Salopards !
Le taiseux se prépare à frapper une seconde fois, quand un mot, devenu ignoble en sortant de la bouche de ce condamné à mort, le stoppe net dans son élan…
-Pitié…Les tueurs du Brabant, je sais qui c’est, je sais que vous les cherchez, épargnez-moi, je vais tout vous dire…
Le taiseux se retourne, les yeux exorbités de colère, et me regarde.
Son regard veut dire “comment ose- t-il ?”…
Cela me renvoie aux semaines passées, là où la peur squattait mes nuits et jours en attente des séances de “roulette russe”.
Là où mon âme n’a jamais osé dire ce mot car j’avais besoin de ce putain de fric pour me refaire.
Soudain, une larme coule sur mon visage.
L’émotion que me procure ce mot provoque dans l’hésitation l’exode de mes choix décidés par la haine.
Pire qu’un coup de tête reçu à l’improviste, je ne comprends pas, ou, plutôt, je ne sais plus quelles sont les limites de la vie et de la mort…
Tout serait tellement plus simple si cette ordure avait décidé de mourir avec honneur, en silence.
Le taiseux me regarde dans l’espoir de trouver un repère ou une certitude pour continuer ce que nous avons commencé car, lui aussi, ne sait plus…
Le temps semble s’arrêter comme si, devenu notre complice, il lui fallait quelques secondes pour décider du futur.
Impulsivement, le taiseux se retourne vers notre condamné, laisse tomber la barre de fer de sa main et, calmement, tout en souriant à sa proie, saisit sous sa veste son Beretta 9 mm.
Celui qui va mourir essaie de se débattre sur sa chaise.
Sa peur est tellement forte qu’il ne dit plus un mot.
Le taiseux lui colle le bout du canon sur son front en transpiration, il ne lui reste plus qu’à appuyer sur la détente, click et boum…
C’est un click à 250.000 euros ce coup-ci….
Je regarde la scène finale.
Celle qui me faisait envie depuis dix jours passés à chercher ces 3 fils de putes.
L’acte que je croyais le seul capable de tuer mes fantômes.
Rien ne peut plus m’arrêter…
Sauf…
Sauf que c’est trop rapide !
Non…
Je viens d’intervenir.
Je me lève, fais trois pas et abaisse le bras du taiseux.
Pas comme ça…
Quelque chose m’empêche d’aller trop vite…
Je ramasse la barre de fer, puis écarte le taiseux de celui qui, assis, ne comprend plus.
La haine vient de reprendre le pouvoir.
Sournoisement, méthodiquement, elle réclame sa pitance de la main de celui rendu inhumain par le désir de vengeance.
Je prend délicatement mon amie entre mes mains…, mon amie de jouissances, ma tronconneuse…
Je la mets en marche, le bruit me transporte de plaisir, le salopard comprend qu’il va souffrir…
C’est d’abord un bruit de papier chiffoné, les dents de la chaîne entament les chairs.
Puis le bruit se fait plus strident, c’est l’os…
Encore un bruit de papier chiffoné et “Poc”, la jambe que j’ai coupé juste au niveau du genou tombe sur le sol.
“Rien à f… des tueurs du Brabant, je sais qui c’est…. Avec la poussière qu’il y a, sur que tu vas mourir du tétanos”… lui dis-je en souriant…
La douleur, il ne la sens pas encore, tétanisé à la vue de son moignon qui gicle du sang, puis, voyant sa jambe sur le sol, il a envie d’hurler, mais aucun son ne sort de sa bouche !
Le taiseux, de son coté, allume le bec d’un chalumeau et vient lécher le moignon sanguignolent pour cautériser sommairement…
A ce moment, le condamné hurle toute sa chienne de vie entre ses dents…
Le taiseux lui balance un gnon, le coup est d’une telle violence que le bruit des dents qui cassent et de l’os de sa machoire qui explose nous pousse dans un moment de folie démesurée.
Entrainés par notre besoin de vengeance, on s’acharne, comme si chaque coup donné devait effacer de notre mémoire ce que nous avons subi.
Le salopard tombe inconscient…
Le taiseux et moi en profitons pour nous asseoir et manger les deux sandwichs que nous avions acheté en prévision de cette longue soirée…
Le condamné finit par revenir à lui, aidé par un jet d’urine en pleine tronche…. de la part du taiseux !
Je reprends ma tronconneuse, la remet en marche et je lui coupe l’autre jambe pendant que le taiseux casse les mains du condamné à coup de barre de fer…
Soudain, je m’arrête et regarde le condamné, inerte sur sa chaise métallique.
Le taiseux, exténué, lui porte un dernier coup, puis, à nouveau, me regarde.
Nous avons envie de rire et de gueuler de victoire, mais rien ne se passe.
Le visage de notre proie semble avoir un sourire.
Vexé, le taiseux veut lui mettre un dernier coup pour l’achever mais…
“C’est assez, on s’en va chercher les deux autres…!“
Ne pas l’achever mais couper ses liens est la pire des choses, car personne ne risque de le retrouver avant des jours ou des semaines.
Il va mourir doucement, en une petite demie-heure, au purgatoire des humains, et que celui d’en haut décide de son devenir.
Assis dans la BMW du salopard, on ne dit pas un mot.
Le taiseux pense déjà au prochain et, moi, je prends du recul sur ce que nous venons de faire.
La joie devrait m’envahir mais, aussi soudainement que la vengeance m’a guidé, la lucidité me réveille.
Je constate, presque avec désespoir, que mes cicatrices sont toujours là.
Rien, tout ceci n’a servi à rien, mis à part la BMW et 15.000 euros que ce salopard avait dans son porte-feuille, je n’ai pas récupéré mes 250.000 euros !.
Malgré la satisfaction de lui avoir fait payer, je constate que je ne me sens pas mieux pour autant.
Patrick Henderickx et Patrice De Bruyne, “La cage” Editions P&P Sortie bientôt…