La fin de rien…
Jadis, avant l’acte manqué du bug de l’an 2000, avant la partie de dominos du World Trade Center, avant que chaque fœtus soit équipé d’Ipod de série, j’étais à la fois obsédé par la touche autoreverse et totalement paralysé à la vue du logo REC.
Il m’arrivait, du goulot au caniveau, de lorgner vers le rétroviseur tout en accélérant pied au plancher.
Le décor chronologique défilait en moon walk devant mes rétines si dilatées que je ne savais plus qui croire entre mes souvenirs recomposés et le moment présent, toujours absent.
Après quelques heures de conjugaisons et un coma éthylique effervescent, il me restait la veille dans la gorge, puis des images floues et enfantines dans le crâne.
Et mon bonheur se résumait à cela.
J’aurais pu m’en plaindre, en pleurer, mais j’ai failli en mourir de rire !
Demain, sachant que c’est déjà aujourd’hui, demain donc, sait tout.
Il nous a à l’œil, en préconisant la vérité absolue à la décimale près comme l’unique façon de justifier la mémoire.
Puisque que nous sommes dans l’ère de la preuve à tout prix, il y a certes une chance pour que nous finissions plus intelligents à force de nous le faire croire, mais nous abandonnerons l’infini pour cela.
Pourquoi cotiser pour l’immortalité lorsque j’ai un disque dur externe de 2 Teraoctets ?
Idem pour mon passé, il faut tout garder : les photographies, les vidéos et même les historiques de conversation.
Ma vie numérique est un grand sac à main, un chaos organisé où tout est rangé comme il faut, sans être indispensable.
Tout a un nom, tout est à sa place, jusqu’à la prochaine mise à jour, jusqu’à la prochaine coupure internet, jusqu’à la fin des temps.
Big Brother avait au moins l’humanité que notre cannibalisme binaire ne tolère pas.
Alors stockons, stockons, parce que nous en avons les moyens, parce que tout le monde le fait, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire.
Hum, je me dis en grimaçant pour trouver une fin digne de mon clavier que ce qui est automatique n’est pas nécessairement naturel.
Je vais aller prendre l’air ou plutôt le louer, en espérant me vider, enfin déconnecter pour peut-être me perdre dans ce qu’il nous reste d’obscurité…
Avant d’avoir du papier avec des lignes, un stylo perdant son pétrole, un clavier à crédit, un blog en sursis, il y avait ce monde invisible.
Une terre transparente, une succursale du service des objets perdus où les anonymes s’appelaient par ce qu’ils étaient comme les indiens.
Et pour rejoindre cet eldorado, j’avais une machine à flashs pour m’endormir dès que les rats creusaient entre les murs et que les rodéos faisaient rage.
Miracle, il y avait une vie mécanique au bout de ma cage.
Parce que les rêves et les cauchemars, c’est comme le mal et le bien, c’est une affaire de pouvoir et de théologie !
Je ne savais comment nommer ce huis clos !
Par la suite, j’ai opté pour les crissements de pneus à la place du mort.
J’avais la bouteille, mais pas la mer.
J’avais le goût du risque et trop de volants.
Quand il n’y a rien à dire, il est dur de répondre !
Avant de manger du dictionnaire à chaque repas, je ne parlais pas, sauf pour répondre aux ordres généalogiques… et je vivais dans ma tête de la première tournée de balançoire à l’âge de raison.
Je ne disais rien mais je n’en pensais pas moins.
Dorénavant, lorsque mon site se suicide, que la nuit et la petite voix dans ma tête se taisent, je débranche tout, le regard dans le vide, l’apesanteur dans le vrai.
Et je me rends compte trop tard que je suis cerné par des écrans éteints n’ayant que faire de mon image.
Certes le miroir obnubile les hommes, mais il leur laisse un reflet d’eux-mêmes pour les jours de défaites ordinaires, le service contentieux au bout du fil.
Je ne sais pas s’il existe un dictionnaire où cacher tout cela !?
Quoi qu’on en dise, peu importe comment on les vend, certains mots perdent leurs racines avec le nombre, avec les gens, avec le temps.
Imaginez, jadis j’avais des liens, aujourd’hui, j’ai des câbles et un paquet d’embrouilles. J’attraperais peut-être quelqu’un d’autre au passage, d’un coup de lasso parmi mes followers. Un quelqu’un d’autre avec une caméra à la place de la bouche !
S’il est sûr que nous communiquons, parler, c’est une autre affaire, nous implosons en silence, submergés par un flot discontinu d’images muettes, parfois monochromes, souvent sépia et usées…, des packs de dessins, de films, de flashs allant de la psychanalyse régressive à l’anticipation prémonitoire en passant par l’imagination impalpable.
Trop de séquences pour en faire un montage exploitable, mais pas assez pour faire griller ma carte mère.
Dommage, j’attends le sommeil pour un peu d’humanité sur place, jamais à emporter !
Maintenant, dans un bureau trop grand pour mon égo, je rejoue la même scène, entre le choc frontal et les détours, entre les résolutions et l’upgrade.
Plus de rats besogneux, plus d’expéditions punitives pneumatiques, mais les insomniaques de ma timeline et des joies fugaces suffoquant dans une ruelle sombre et humide à l’heure de l’after. Je suis dans ce moment.
Sans territoire, sans pour, ni contre.
Parfois j’endors la nuit, mais souvent c’est elle.
Au rendez-vous de ce point de rupture, de non retour, j’aimerais être en retard pour ne plus me réveiller dans la même journée perdue quelque part dans le calendrier de ma vie.
Il fait nuit nègre, la faune urbaine a coupé le son pour mieux se blottir meurtrie dans cette solitude qui peuple ceux ayant plus d’histoires que de mystères.
Et au milieu de ce champ de détails, les gouttes d’eau indisciplinées s’échappent dans l’indifférence générale pour mieux s’écraser en contrebas, afin de maculer l’évier sale ou combler le vide d’un bol à l’abandon.
Même à l’abri dans ce qui reste de ma bulle, la guerre feutrée orchestrée depuis la cuisine délaissée me mine le moral, la routine et l’écriture automatique.
Je cherche à me concentrer, mais je ne trouve qu’à me distraire.
À force de me dissiper, je pourrais disparaitre sans que nul ne s’en doute.
Pas d’éclair de génie préfabriqué, ni de révélation divine et encore moins d’inspiration sous influence.
Je pars à la rencontre de mes entrailles en me débarrassant tant bien que mal de ma cervelle de substitution, de mon âme de location pour cerner ce que j’ai dans le ventre.
Enfin, ce qu’il en reste.
Pour ainsi dire, c’est peut-être tout ce que je cherche lorsque j’extirpe de leur enclave toutes ces images logées dans mon passé afin d’aligner l’intégralité de l’alphabet dans un désordre parfait.
J’offrirais bien au monde ma lobotomie en direct, si seulement cela servait à quelque chose ! Mais l’horreur est à la mode et mon égo ne croit pas en la postérité.
Il n’y a que maintenant.
Alors, je serre le robinet jusqu’à ce que ses angles droits s’impriment sur ma paume, puis je retourne à mon bureau.
La porte une fois claquée, je fais le tour du propriétaire en faisant du surplace, épiant les ombres de mes contemporains vivant dans le futur proche.
Il faut croire qu’avenir rime avec électronique vu le monticule de plastique qui meuble leur vie. Mais au bout d’un moment, les lumières se retirent, les ombres les quittent et le noir étend son empire.
Rideau.
Circulez, il n’y a plus rien à voir, à épier, à emmagasiner pour tout recracher entre l’ascenseur et la machine à café.
Devant tant d’obscurantisme technologique, je retourne à mon trône d’usine dans l’espoir d’asseoir ma suprématie sur le futur !
Je laisse des indices au fur et à mesure de ma dépression collaborative.
Je suis dans le brouillard.
J’aimerais avoir des warnings pour faire une pause, mais je n’ai qu’un phare.
Donc je le poursuis.
Le voilà, lui, l’écran qui tient en otage une civilisation entière de pixels, il m’illumine comme il le peut tandis que ma colonne vertébrale joue son récital en craquant de toutes parts, histoire de me rappeler qui tient qui !
On ne sait jamais, si je me sentais pousser des ailes, à défaut d’avoir des racines…
Je suis prêt !
Mais à quoi au juste ?
Peut-être à tout, en fait sûrement pas.
Avant de déplier mes pattes de plantigrade, il me faut grogner pour faire appel à la bête en sommeil, celle qui vit entre l’instinct et l’instant.
Ici et maintenant.
Premièrement, j’ouvre, puis je tape et enfin j’enregistre.
La liberté n’a jamais autant ressemblé au travail la chaîne.
Enfin, nous y voilà, un texte de plus, des virgules en moins, les lettres à la bonne place, les mots justes, les phrases de circonstance, une illustration adéquate, le même nombre de tags et l’inévitable vidéo pour le référencement, j’y suis.
Mais où ?
Non, je me suis perdu, car il n’y a plus rien à raturer.
Si même mon crash-test suit dorénavant les règles de la nature, je ne vois que l’auto-destruction comme projet d’avenir valable.
L’ennui est une honnête erreur, mais l’oisiveté est un aveu d’échec sans motif acceptable.
Je fais le tour de ma petite planète qui me sort par les orbites et essaye tant bien que mal de me faire passer pour l’un de ses satellites.
Après des années de cahier de brouillon, j’ai fini par remplir toutes les pages, la couverture, le dos, chaque marge et bas de page.
Il ne reste rien, plus de place, mais je ne faisais que m’échauffer, que m’entraîner, qu’envisager.
L’essai est transformé, mais l’expérience est encore trop loin pour je puisse l’écrire.
Pourquoi parler de but et de fin, alors que je n’ai pas encore commencé ?
Mes amies, amis et autres…, il est l’heure de tout quitter pour avancer, prendre l’horizon à témoin sans se retourner entre l’essence et l’allumette.
Je vais mettre le feu à ce site pour vous en faire un souvenir et moi un mémoire.
Et au petit matin, la fumée à l’agonie sous la rosée et l’aube en retard, j’irai planter mes racines ailleurs, mes premières, afin de coloniser d’autres espaces sous une autre forme au fond, peut-être étais-je en perdition.
L’époque a les héros qu’elle mérite.
Et c’est pour cela aussi que j’aurais pu aller loin de l’infini à portée de clics.
Sur mon trône, trop étroit pour un déploiement d’ischio-jambiers, j’aurais relu mon roman aléatoire de prédilection : le dictionnaire…, rien d’original !
Mais là encore, l’immédiateté émancipatrice s’évertue à mettre le mot buzz sur le même pied d’égalité que liberté.
Si je n’étais pas là, vous auriez pu également imaginer que je ne pouvais plus écrire avec mes mains de pianiste aveugle mais seulement avec mes pieds de botteur de derrières.
Hé oui !
J’essaie de ne pas m’endormir pour ne plus avoir à me réveiller.
Perdu, je ne suis toujours pas là.
J’aurais pu tout aussi me perdre dans ma tête en mangeant de l’austérité et de la rigueur trois fois par jour depuis mon enfance, mais l’appel du gouffre en une a une vertu cathartique sur mon mauvais profil.
Les temps sont à la misère des autres que l’on voudrait toujours étrangère.
La solidarité se soucie peu du cœur, elle préfère la raison tout en gardant un œil sur ses frontières boursières.
Mais je n’ai pas d’actions à perdre, ni un pacte de stabilité à respecter depuis ma précarité livrée avec une carte bancaire et une muselière.
Je joue ma vie avec un distributeur automatique.
Alors pourquoi donc cette pénurie de textes ?
L’ennui ? La panne ? Le soleil ? La fin de rien ?
Rien de tout cela en fait, j’aurais pu rêver d’une pause que j’aurais regrettée avant de la savourer, mais le rythme des derniers jours n’était pas configuré pour cela…
Pour tout vous dire, j’aurais pu tout aussi bien partir en garde-à-vue à de multiples reprises.
Il est temps pour moi de boucler mon manuscrit, cette période de l’année est propice, sûrement des séquelles du syndrome du troisième trimestre. Sans oublier que l’été autobronzant et exhibitionniste dicte sa loi aux timelines les plus omniscientes, d’après leurs statistiques…, voire celles dotées du don d’ubiquité.
Après réflexion, cet été durant la masturbation quotidienne du Roi Soleil à la plage, avant de prendre une posture laid back digne des plus grands narcoleptiques tout en spéculant sur mon devenir, j’envisagerai un come back.
Oui je sais, demain c’est loin et je ne fais pas les calendriers.
Voilà pourquoi, parfois, sans prévenir personne, au creux de la vie, je disparais ailleurs avant que le temps y soit pour me tenir en laisse…
Que je reprenne les armes de l’encre bleue dans les veines et de la poussière familière plein les mains, je regarde les pixels d’un côté et la fenêtre de l’autre.
Certains préfèrent se lier jusqu’à l’asphyxie, les autres optent pour la défenestration, moi je choisis le pourrissement en trônant dans mon siège solitaire.
Dans chaque cas, la mémoire se dépeuple en apprivoisant le temps à mesure que celui-ci prodigue ses bons offices.
Et, durant un bref instant, je sers de passerelle à deux mondes qui se croisent trop souvent pour être heureux, ensemble.
Il est minuit passé, j’ai les paupières trop lourdes pour me faire un avis sur le sujet et mon ventre fait la grève de la faim en maugréant à qui veut l’entendre que mon frigo ne le respecte pas assez.
Alors, je décide de prendre l’air en marche arrière, je remonte ma timeline à l’aide des frusques d’un autre âge pour mieux claquer la porte sur ce présent parlant au futur…, il ne me reste qu’à surfer sans perdre pied.
Mais une fois la ligne d’arrivée franchie, aucun triomphe, juste une autre porte, le monde et le reste de l’humanité.
Tandis que la nuit somnole encore et que le petit matin apprendra qu’il est victime d’une gueule de bois dont il n’est pas coupable, je joue à l’homme invisible au milieu de personne.
Pour sûr, le monde s’éveille et sent ses excès, puis ses excuses.
À peine mon exode sur le bitume est-elle commencée qu’une légion entière de mots pourchasse ma caboche de fortune qui ne demande que le vide.
Soit, mais à trop presser le pas, poursuivi par moi-même, je finis par prendre de la vitesse pour cracher mes poumons à la face de mes contemporains.
Puis, pendant que le ciel dérape et joue à la bipolaire de service en pleurant par intermittence, ma vision se dilate et le décor se déforme.
Les jeux sont faits, la faim me guette ou la folie me gagne, à vous de me dire !
Personne ne m’a ordonné de m’infliger de tels sévices à longueur de nuits blanches, mais j’ai toutefois l’intime conviction que ma tête est trop pleine pour continuer son travail à la chaîne. Mais pleine de quoi ?
Je me suis perdu dans mes pensées, à la dérive entre les plaques commémoratives des illustres qui sont nés et morts à un moment donné.
Et pour changer, j’ai échoué sur un banc scarifié avant de prendre un arbre en frontal.
Secrètement, je dois espérer que tout s’arrête et que quelqu’un d’autre viendra me sauver.
Réflexion faite, je suis trop pragmatique pour songer à la postérité du romantisme, surtout lorsque mon public se compose de mon chat et de son armée de poils sécessionnistes.
Soit, mais avant de penser au modèle économique de mon merchandising et à l’oisiveté de mes ayants droit, je vais aller faire un acte insensé !
Écrire sans rien attendre en retour.
Si elles le pouvaient mes mains témoigneraient mieux que moi de la distance qui sépare l’origine de l’inconnu.
Et pour cause, il y a ce qui se voit, ce qui se décrypte entre les lignes, puis ce qui reste sur les paumes, le bout des doigts et parfois les phalanges.
Une mémoire immédiate à portée de main, juste sous mon nez, mais trop étrangère pour que nous parlions la même langue, aujourd’hui.
Tout ce sens se passant de mots, d’explications, de consentements, de reconnaissance où l’anonymat est un bonheur que l’on cultive de l’ombre quotidienne à l’obscurité éternelle.
Mais, mes textes intimes, ne complètent-ils pas, malgré moi-même…, le puzzle orphelin du grand jeu de ma vie, des pièces qui sont portées disparues entre mes rêves et mon imagination ?