La fuck attitude...
C’était il y a 40 ans, si pas plus, oui, début des années ’80, à Paris, les débuts de Chromes&Flammes, alors qu’après quelques courses frugales chez Fauchon et Petrossian, je revenais avec ma Rolls dans mon quartier privé de Chantilly, j’aperçus devant le portail blindé quelques polissons écroulés, les crêtes roses et vertes dressées sur la tête, leurs Doc’s couvertes de vomi et leurs T-shirt “Core y gang” lacérés. Après avoir signalé à ma voisine, la baronne du Glantier de Pomperonelle, que sa fille avait encore trop noyé la précarité de son existence dans la 8,6 ° avec ses amis du collège St Antoine de Padoue et qu’elle avait oublié le digicode, je me suis versé un verre de fine Napoléon hors d’âge, gagné par la nostalgie.
Ah, ces belles années, à la croisée des seventies et eighties !
Afin de vendre leurs surplus de l’armée sur lesquels ils avaient renversé malencontreusement de la peinture, Malcolm Mc Laren et Vivienne Westwood avaient lancé cette mode du punk, qui fit vite fureur auprès des jeunes désœuvrés de la perfide Albion. Quand le phénomène eut traversé la Manche, il fallut bien qu’il serve à quelque chose. Et c’est là que le grand gourou de cette époque, Valéry Giscard d’Estaing, eut ce coup de génie : plutôt punk que rouge !
Alors que se profilaient les dangereuses législatives de 1978, il fallait à tout prix détourner la révolte des jeunes du vote bolchevik, pour des combats plus futiles. C’est ainsi que tout l’appareil du Parti se mit en action, avec la grande victoire au bout : la rupture du Programme commun et la déculottée encaissée par Mitterrand et ses mods en 1978. Malheureusement, en 1981, malgré toutes les tentatives, personne ne put réitérer la manipulation : le punk se mourait.
Certes, tout le monde était là : la sœur de Nancy Spungen venue de Bolbec, Siouxsie au premier rang caché derrière des grosses lunettes, même Johnny Rotten en porte-parole, étrennant sa nouvelle coiffure… Mais le nouveau slogan, “Vive l’avenir”, ne faisait pas autant recette que “No future”. Les mauvais jours s’annonçaient, ceux de la dictature socialo-communiste et de la new wave. Pourtant, au bout du cauchemar, les bonnes idées ont repris le dessus, en même temps que l’irruption du punk revival ! Et cela, nous le devons à un homme, venu du Québec pour rallumer la flamme du libéralisme en flanelles et hypnotiser les jeunes hébétés avec ses brûlots nihilistes :
Et tant pis, si je me détruis
Et je fais le tour
De tes mots, tes promesses
Et tes envies d’ailleurs
Et tant pis, si tu m’interdis
D’être pour toi l’unique objet
De tes désirs.
En une strophe, tout était résumé : la destruction, la frustration sexuelle, l’indifférence… No future, no sex and no feelings… en version originale !
Roch Voisine fut bien le punk ultime. Il nous a transmis le flambeau de la Fuck attitude ! Avec une petite variante : là où Johnny Thunders initiait Sid Vicious à la poudre, Roch, lui, initiait à la mucoviscidose… Calling to the faraway towns… Oui… Bon….
Roch est devenu en quelques semaines un héros et un millionnaire. Mais cela ne lui servira à rien… Sa réalité ressemblait moins à de l’humanité qu’aux entrailles démêlées d’une souris de dissection. Les angles irréguliers de son être semblaient avoir été poncés puis vernis. Par endroits, des traces de poudre croûtaient ses yeux. Sa face était une tache rouge presque ronde, trouée de deux yeux sombres écroulés en accent circonflexe au-dessus du nez. Son front s’adossait à la courbe des sourcils qui allait bientôt craquer. La bouche avait peut-être été gourmande, mais il n’en restait qu’une moue honteuse et la lèvre supérieure, fendue en son centre, réprimait le souvenir d’une sensualité défunte. Le menton s’esquivait entre deux bajoues gonflées comme à l’hélium.
Et ses yeux gémissaient lorsqu’il chantait l’amour…
J’ai rencontré la fille de ma baronne de voisine alors qu’elle était venue à mon agence de pub proposer ses sévices en tant que maquettiste. Elle œuvrait avec passion, n’écoutant que du Roch Voisine sur son Walkman… Je l’ai cherchée au milieu du vide qui restait tant Roch avait aspiré tout ce qu’il pouvait en demandant au vide : Où est-ce qu’elle est passée ? Puis finalement la retrouvant prostrée sous son bureau j’ai susurré : Qu’est-ce que tu fais là ma Puputte ? Ça ne va pas ? Tout le monde commence à s’inquiéter !
Elle ne voulait pas, c’est moi qui ati insisté, un peu gêné d’avoir à la consoler maintenant qu’elle s’était bêtement mise à pleurer. Elle aurait aimé peut-être boire un chocolat chaud pour se requinquer, m’expliquer d’où venait cette émotion soudaine. D’habitude elle était d’une humeur égale, pas chochotte pour deux sous. Même en flirt, elle ne pleurait pas.
Elle est d’un roc comme Roch, c’est ce que je disais d’elle au début. Mais un jour que nous avions croisé un mendiant cul-de-jatte dans la rue et qu’elle avait refusé de lui donner un centime, parce qu’il ressemblait à Roch Voisine et aussi parce qu’elle avait lu dans le journal que ces gens-là avaient des souteneurs comme les putes, qui les choisissaient spécialement pitoyables, histoire de rapporter plus, je lui ai dit : Même s’il a un souteneur, ça n’empêche pas qu’il est misérable, tu ne crois pas ? Elle a préféré aller déguster un café avec moi et parler d’autre chose.
C’était une mauvaise idée d’écouter Roch Voisine et de s’en mettre à pleurer, c’était une idiotie qu’elle ne se pardonnerait pas : Ce n’est rien, vraiment, ça ne s’explique pas, j’ai presque oublié…
Elle aurait mieux fait de laisser Roch dans une case retranchée du cerveau.
Il faudrait acheter des hibiscus pour mettre sur le bord des fenêtres, ça égaierait.
Et partir après déjeuner, pour aller courir.
Il y a un parc en face de l’immeuble, il faut en profiter.
A défaut d’amis, les collègues, mieux que rien.
Quand j’avais commencé à la baiser, ma maquettiste, toutes mes amantes ont cristallisé leur déception en vitupérant contre cette intrigante de maquettiste qui tentait de s’élever socialement en sortant avec le publiciste que j’étais qui voulait devenir éditeur. C’était une petite brunette qui disait bonjour en levant tout juste le bout de son nez quand on lui adressait la parole. Mais brillante. Même très jolie.
A la photocopieuse les filles lui demandaient si elle savait faire la cuisine “au patron” ? Elle répondait qu’elle savait tout faire, et les filles se mordaient les lèvres d’excitation. Elle ne saura jamais pourquoi un jour je n’ai plus pu supporter que la petite brunette du deuxième étage s’absorbe dans la contemplation d’un paysage absurde en tournant le dos à tout le monde. Elle enchaînait les mises en pages et les corrections couleur sans broncher, chaque jour lui donnait de nouvelles raisons d’espérer. Elle le racontait à sa mère, le soir au téléphone : Je te jure, il n’est pas seulement beau, il s’intéresse à tout, il est sportif, ses yeux sont d’un vert transparent… La mère disait : C‘est un conte de fées, ça me donne envie !
Elle avait redouté le moment de faire l’amour parce qu’elle imaginait que j’avais connu beaucoup de femmes, et l’idée de leur être comparée était désagréable. Elle avait mis du temps à oublier le fantôme entêtant des autres femmes. Parfois, elle se disait qu’elle aurait préféré un homme moins séduisant.
Maintenant qu’elle me connaissait bien, elle se détendait un peu. Elle craignait encore par moments de ne pas arriver à s’abandonner, à surmonter la crispation de la rencontre, mais elle ne se laissait plus submerger par l’angoisse. Elle me regardait, elle se concentrait sur moi. Et finalement elle se laissait surprendre. Elle avait une conscience aiguë du miracle. Elle avait quelque chose de japonais, dans les yeux, dans le maintien. C’est aussi ce rouge à lèvres qui tranchait avec les cheveux bruns et la pâleur du visage. Elle sentait la cannelle. J’avais l’impression, en l’embrassant, de manger une tarte aux pommes. Elle s’émerveillait chaque fois. Son regard de reconnaissance filtrait malgré elle après l’amour, et c’est sûrement ce que j’aimais le plus.
J’ai entrepris de faire son portrait, en photos, mais j’avais beau multiplier les shots, je n’étais jamais satisfait. Elle faisait l’enfant, elle grimaçait, elle demandait toujours à voir avant que ce soit fini, disant : Tu ne vas pas me faire des photos comme pour Vogue, hein ? Parce que je refuse d’accrocher ça dans le salon, je te préviens…
Je répondais : Pas comme dans Vogue… c’est pour mon nouveau magazine Calandres, ce sont mes vues… Magique moment… Click !
L’autre soir, après quelques courses frugales chez Fauchon et Petrossian, revenant dans mon quartier privé de Chantilly, j’aperçus devant le portail blindé quelques désœuvrés écroulés, brandissant des photos de je ne sais qui, les baskets couverts de vomi et leurs T-shirt “I love C&F” maculés de chocolat.
Après avoir signalé à ma voisine, la baronne, que j’avais réalisé quelques photos de sa fille qui avaient été remarquées… qu’elle ne devrait plus à l’avenir noyer la précarité de son existence dans la 8,6 ° avec ses anciens amis du collège St Antoine de Padoue parce qu’elle allait devenir mannequin, que déjà Karl voulait qu’elle lui fasse quelques pipes, preuve qu’elle plaisait… ensuite.., je me suis versé un verre de fine Napoléon hors d’âge, gagné par l’euphorie… et je l’ai baisée, elle était plus expérimentée que sa fille, un meilleur coup ! J’étais un dévoyé… Pendant ce bref moment, sa fille a mis le feu à ma Rolls !