Pierre dit Dédé-l’Orang-outan n’a pas bougé de cette miteuse chambre de squat’ depuis douze heures.
Des crampes lui remontent du bas des chevilles jusqu’à la nuque, en passant par les aléas imparfaits de son dos.
Il est près de la fenêtre, assis sur une chaise élimée en bois.
Pierre Dédé regarde sans cesse d’un œil alerté en direction de la rue.
Poussière grise envahissant à moitié le bitume défoncé, des oiseaux noirs se posent sur des fils électriques.
Les poteaux électriques sont faits de bois et seulement distant chacun de quelques mètres.
Cette rue est remplie aussi de poubelles débordant de merde.
Et il y a enfin ce banc avec un vieux posé dessus.
Le vieux ne bouge pas et ne relève pas sa tête qui reste fixée au sol.
Il sait maintenant que “Le Grand” comme il l’appelle, le fameux Quelqu’un, le Maître du Web, va débarquer d’un instant à l’autre.
Son cœur s’accélère.
Sa main va et vient sans cesse de l’avant bras au menton.
Son corps sursaute comme par à coups et ses dents se resserrent idem à un étau de fer.
Pierre Dédé est un homme qui n’a pas dormi depuis deux jours.
Il pue.
Le temps mécanique du réveil farfouille dans sa tête comme un tic tac tautologique.
Etape du parcours du condamné – tic tac.
Si Pierre Dédé ne connaît pas la peur, c’est qu’il n’avait jamais cru jusque là affronter la mort.
Face à lui, il n’est pourtant rien, à l’exception de cet air rempli de rien et envahissant chaque recoin de la pièce.
Lourd et pesant, il se diffuse à petite dose, infecté de cette présence absente de chair.
Pierre Dédé a les traits du visage tendus.
Dans ses yeux, des lignes électrifiées d’un rouge sang semblent se mouvoir pareilles à celles d’un fumeur de hash.
Ses sourcils ondulent sur son visage oblong en des expressions saccadées si contradictoires, qu’elles en expriment la folie.
« Je vais pas mourir, Pitinggg » est la seule phrase qui affecte sa raison.
La survie face à la mort …
« Je veux pas mourir, Pitinggg ! »
Une semaine avant qu’il finisse dans ce squat’ pouilleux, Quelqu’un lui avait confié une tâche importante, s’occuper d’un nouveau site-web dédié aux conneries en tous genres…
Pierre Dédé avait commencé par publier quelques textes, puis avait débuté une relation avec une pseudonyme soumise du nord et il avait oublié de s’acquitter du travail de confiance que lui avait confié Quelqu’un.
Il s’était rendu à Valenciennes, dans le nord de la france, un endroit lugubre, gris, froid…
Il obéissait à une pulsion sexuelle incontrolable.
Il avait été attiré par cette soumise surnommée “La lumière des ombres“.
Sa jouissance devait être spermatée au plus vite.
Dans le quartier sud, il devait rencontrer cette soumise, une Allemande d’origine Juive naturalisée Espagnole et qui avait été mariée à un Nigérien.
Seulement, ce qui aurait dû normalement se passer ne s’est pas déroulé comme convenu.
Certes, sa soumise était bien là au rendez-vous, mais les poulets de la brigade des moeurs avaient rameuté aussi leurs fesses, alertés par un pseudonyme anonyme qui espionnait Pierre Dédé sur le Web et avait affirmé aux flics qu’il était un spermateur dangeureux….
Ils les guettaient, planqués en civil ou dissimulés dans la foule.
Cette flicaille attendait le moment opportun pour intervenir.
L’expérience de Pierre Dédé-L’Orang-outan le plaçait dans une situation qu’il avait déjà connue maintes fois.
Il pouvait renifler un flic à 200 mètres.
Une tête de poulet, et surtout une odeur de poulet, n’échappent pas à l’expérience d’un vieux branleur.
Mais ce n’est pas les flics qui alimentaient son angoisse.
Des goûtes de sueurs perlaient à l’orne de ses sourcils.
Ses yeux ne regardaient plus en face.
Dédé-l’Orang-outan se retourna brusquement, plusieurs fois, comme si une main de jeune femme lui caressait la nuque.
Certes, les flics en civil, il les voyait – dans des voitures banalisées ou en couple idéal sur une terrasse de café – mais il sentait quelque chose de plus fort que la présence policière.
Il l’a vu alors du coin de l’œil.
Comme une ombre de chair qui marchait juste à quelques mètres derrière lui.
Une voix monocorde et incompréhensible faisait écho en même temps dans sa tête.
Et à chaque pas, il semblait qu’on lui cajolait tendrement la nuque.
Mais ce n’est plus la nuque que la chose touchait maintenant, mais son cou.
Une main invisible forçait peu à peu l’étreinte.
De la salive commença à couler du coin de sa bouche.
Puis l’air a soudainement manqué.
Pierre Dédé est devenu comme fou.
Sa respiration s’est affolée dans un halo saccadé et convulsif.
Ses bras se sont agités à l’instar de ceux d’un pantin.
A quelques mètres de sa soumise, il a alors sorti son sexe et spermaté trois coups, au hasard….
Tout le sperme glaiseux a atteri sur la tête d’une petite vieille qui revenait du Carrefour avec son cabas, le sperme se répandant jusqu’aux pieds du branleur exhibitioniste.
Il venait de spermater bètement une petite vieille qu’il ne connaissait même pas….
Dédé-l’Orang-outan a eu cependant le temps de fuir jusqu’à une petite rue isolée.
Une poubelle bouchait l’impasse.
Il y est resté planqué plus de six heures, pour ne sortir qu’une fois la nuit tombée.
En finale il est allé chez sa soumise, un sordide appartement qu’elle squate dans un HLM abandonné et partagé avec une bande d’Algériens sans papiers…
Cela fait maintenant sept jours qu’il croupit dans cette pièce crade.
Pierre Dédé a peur.
Peur de se faire arréter par les poulets ou par n’importe qui.
Et il repense à cette ombre venue pour l’étrangler et le rendre fou.
Il est coincé dans Valenciennes, un bled paumé.
En espérant que ce ne soit pas la mort qui frappe à la porte ou qui déambule au coin de la rue.
« Si j’ai spermaté c’est à cause de l’ombre ! »
L’instinct a été plus fort que la raison.
Mais un singe agit aussi par instinct rétorquerait “Le Grand“, Quelqu’un….
Pierre Dédé mate une nouvelle fois.
Rien, sinon un vieillard assis sur un banc.
Il semble dormir et ses bras reposent en balance sur sa canne. « Le Grand fait parfois exception à la règle, je n’ai pas obéi, je n’ai pas écrit les textes à la con qu’il me demandait, mais il n’osera pas se venger sur un con comme moi » se dit Pierre, « mais peut-être aurais-je un sursis ? Peut-être ne vais-je pas mourir ? »
Jaune et pisseux.
Le plafond est comme les murs.
Jaune et pisseux.
Pierre Dédé est menotté à une chaise.
Entièrement nu.
Des phrases en Ch’ti, le patois du nord, lui reviennent au hasard de ses pensées, sans qu’il ne comprenne un seul mot de ce dialecte qui va trop vite pour un Toulousain exilé.
Tout ici va de toute façon trop vite.
Jusqu’à la mort qui semble se rapprocher d’heures en heures.
De minutes en minutes.
Le Grand est là !
Présent.
Derrière Pierre.
Sous le lit.
Ou peut-être même sous ses semelles.
Quelqu’un est partout avec lui sans qu’il puisse le toucher ou le voir.
Pierre Dédé regarde encore par la fenêtre.
Cela fait peut-être plus de vingt fois qu’il voit la même chose : ce putain de vieux à la canne en bois ; et toujours rien autour.
Mais le rien donne l’impression de se remplir.
Ses dents se resserrent et ses poings se crispent.
Pierre Dédé le sent.
Cette présence.
Dans l’air.
Jusque dans sa chair !
Il ferme les yeux une minute pour se réveiller la minute qui suit, se rappelant inexorablement à la mort qui refuse encore de se montrer.
Il a bien senti qu’on l’assomait, qu’on le menottait sur cette chaise puis qu’on le branlait… “Pitinggg, les salauds, moi qui croyait que c’était un jeu sexuel“…
Une envie de pisser le surprend.
Il hurle ; “Pitinggg, j’ai envie de pisser, détachez-moi bande de pédés…”
Détaché par sa soumise, harnachée de cuir, Dédé-l’Orang-outan s’accorde avec courage à remuer son corps aussi lourd qu’un monticule de fagot.
Chaotique et infini, de la chambre aux chiottes, il est un voyage aux risques multiples.
Alors Pierre Dédé zieute.
Il zieute avec méfiance si personne ne se cache derrière la porte entrebâillée de la salle de bain – pièce obscure où semble se dessiner de multiples ombres.
La survie est dans le toucher vers l’interrupteur.
Pierre Dédé sait ça !
D’un geste vif et désordonné, il actionne l’interrupteur.
La lumière surgit enfin pour en finir avec l’étreinte des ombres ; la mort disparaissant brusquement dans un halo de luminescence sacré.
Il sort alors son chibre et pisse à côté.
Les yeux exorbités et la tête retournée en arrière – au cas où “Le Grand” se déciderait à le rencontrer maintenant.
L’air est de plus en plus chaud.
Re-menotté à sa chaise, Pierre Dédé-l’Orang-outan transpire et les mouches l’entourent.
Un tas de mouches à merde.
En harmonie avec ce squat poisseux.
Partout.
Dans le placard.
Sous l’évier.
Collées au plafond et l’air qui se raréfie.
Il pénètre maintenant de plein ses poumons.
Il le sent !
Dans sa trachée encombrée en train de couler lentement.
Il sent sa présence.
La porte tape.
L’œil alerté à son maximum, il se retourne…
“Qui est là ?” hurle t- il avec une voix tremblante. Sa soumise entre, toujours harnachée de cuir, elle s’approche, plante ses ongles dans sa verge et le branle…
Epuisé Dédé-l’Orang-outan tombe évanoui….
Son ventre crie maintenant famine.
Et c’est de faim qu’il va peut-être maintenant crever s’il ne bouffe pas.
Ses yeux semblent tourner en cercle dans leur orbite.
Sa bouche reste grande ouverte, comme si ses lèvres étaient écartelées par une tige de fer fixée de chaque côté.
Et il se cramponne nerveusement à sa chaise.
« Je l’ai vu. Il était là ! »
Ses dents claquent et ses mains tremblent.
Il l’a regardée du coin de l’œil, puis cette ombre à l’allure humaine s’est éclipsée dans le range-balais.
Mais ce sont surtout ces mains qui ont formé empreintes dans son esprit.
Larges et velues, ces mains ont glissé sur le mur comme si l’homme en noir était guidé par celles-ci – comme si le cerveau faisait partie de l’auriculaire et que l’auriculaire dictait sa loi au monde.
C’est alors que des cliquetis provenant du couloir, semblent maintenant s’étendre sur le palier pour se transformer en des craquements réguliers.
Sa voix ne lui est même plus d’aucun secours, se disant que “Le Grand” ne peut pas savoir encore où il est et que ces bruits ne sont que des bruits de rats.
« Pitinggg de rats ! Vont-ils partir ?! Vont-ils partir ?! »
Des larmes apparaissent sous les traits marqués de ses yeux.
Pierre Dédé est comme paralysé.
Chaque son de derrière la porte retentit comme un coup de massue asséné à sa nuque. « Vont-ils donc partir ? » se dit-il une dernière fois, tout en serrant ses poings autour de sa tête.
Une odeur âcre issue du mélange de pisse et de sueur lui remonte maintenant jusqu’au nez.
Pierre Dédé se voit comme mort.
Il semble flotter au-dessus de son corps et déjà ne plus faire partie des vivants.
Puis des nouveaux coups plus violents que les précédents s’échouent sur la porte.
Pierre Dédé hurle de toutes ses forces et se lève d’un coup brusque de sa chaise.
Mais son corps menotté se détend trop violemment.
Il bascule de tout son poids par la fenêtre.
La fenêtre explose en mille morceaux.
Vingt cinq mètres plus bas, le coup de gong résonne.
Etalé sur le toit d’une incroyable limousine de très grande valeur, Dédé-l’Orang-outan a le sourire aux lèvres…
« Putain de rat ! », s’exclame-t-il.
L’homme qui venait de frapper à la porte, lance un coup de pied en direction des rongeurs venus profiter des miettes de pains étalées dans tout le couloir du squat.
Puis d’une manière expérimentée, il défonce la porte du poids de tout son corps porté vers l’avant sur l’épaule droite.
Il pénètre d’un coup à l’intérieur et bondit vers la fenêtre qu’il vient d’entendre se briser.
Il n’en croit pas ses yeux.
Se penchant à la fenêtre, Quelqu’un scrute le corps de Dédé-l’Orang-outan… : “Le salaud, il est tombé en plein sur le toit de ma nouvelle Excalibur limousine“.
Il tient entre ses mains son ticket de TGV pour Toulouse.
Pierre Dédé devait rentrer aujourd’hui.
Quelqu’un appelé au secours par la soumise de Dédé-l’Orang-outan a fait spécialement le voyage pour aider son ami du web.
Il ne lâche pas du regard le visage blafard de Pierre Dédé dont le corps recouvre de sa chair la tôle abîmée de son extraordinaire Excalibur…. Revenu à lui, Pierre Dédé prend ses jambes à son cou et s’enfuit de ce quartier miteux aussi vite que son corps encombrant le lui permet.
Il se met à courir en zigzaguant, titubant comme s’il était ivre.
Ne sachant point où aller, il sait déjà que “Le Grand” l’épie.
Il sent son souffle se poser sur sa nuque.
“A l’instar d’une ombre qui se faufile derrière mon dos, il est déjà en train de m’agripper l’épaule ! J’veux pas mourir, Pitinggg”, gémit-il.
Et ses larmes coulent à flot.
Esprit compressé !
Yeux exorbités et bouches en lamelles !
Ame absente de tout refuge !
Mais y a-t-il donc un sursis au soleil ? “C’est par ou Toulouse ? Pitinggg“…
Et Dédé-l’Orang-outan s’enfuit, nu, dans la nuit….
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