La machine à bonheur…
L’ours regarda le monde bien en face.
Il trouva qu’il y avait beaucoup trop de gens malheureux.
Lui-même ne se sentait pas très heureux.
Alors, il prit une décision.
Il allait inventer une machine pour rendre les gens heureux.
Le problème, c’est qu’il était un grand ours en peluche tout simple, et qu’il n’avait jamais construit de machine de sa vie.
Dans une vie antérieure il avait été humain et il vendait des voitures de collection, il avait créé un magazine pour faire rêver les fous de voitures, il avait vendu des gaufres, il avait imaginé des maisons différentes pour rendre la vie plus pratique et plus jolie, mais il n’avait jamais fabriqué de machine pour rendre les gens heureux…
Il décida alors d’aller voir de grands savants pour leur demander comment s’y prendre.
D’abord, il ouvrit l’annuaire des “grands savants” et ne trouva rien.
Puis il chercha à “créateurs de machines” et ne trouva pas grand-chose non plus.
Il fallait certainement préciser de quelle machine il s’agissait.
Alors, il regarda à “machines” et là, il trouva toutes sortes de choses.
Des machines pour faire le café, des machines à laver, des machines pour traire les vaches, des machines pour regarder le soleil, et même des drôles de machines à plaisir… mais pas de machines pour rendre les gens heureux.
Cependant, il imaginait que quelqu’un qui savait faire une machine pour regarder le soleil pourrait l’aider, car le soleil rend plus heureux que la pluie en général.
Du moins, c’est ainsi qu’il voyait les choses.
Il se rendit donc à l’adresse qu’indiquait l’annuaire.
Le magasin de machines pour regarder le soleil était tout jaune à l’extérieur, et tout sombre à l’intérieur. “Pour regarder le soleil, il vaut mieux être dans le noir“, expliqua le vendeur.
Le grand ours regarda attentivement les machines puis demanda au vendeur :
“Est-ce vous qui les avez construites ?”
“Non“, répondit le vendeur, “Nous, on les vend, c’est tout. Le constructeur, c’est Monsieur Delsol. Un très grand créateur de machines“… L’ours n’était pas timide, aussi demanda-t-il l’adresse de Monsieur Delsol sans se démonter.
“26, rue du Soleil levant“, répondit le vendeur.
Et l’ours s’y rendit sans plus attendre.
“Avez-vous rendez-vous ?” demanda une jolie secrétaire avec un accent espagnol…
“Non, mais j’ai des choses très importantes à dire à Monsieur Delsol“, dit l’ours d”une voix affirmée.
“Mais sans rendez-vous, ce n”est pas possible. Monsieur Delsol a beaucoup de travail” fit la secrétaire en levant son nez bien haut.
“Alors donnez-moi rendez-vous dans cinq minutes” dit l’ours fermement.
La secrétaire hésita puis lui demanda de se rendre dans la salle d’attente.
L’ours en profita pour regarder les photos du soleil accrochées au mur, et trouva que décidément, le soleil et le bonheur avaient beaucoup de choses en commun.
Cinq minutes plus tard, il était reçu par Monsieur Delsol en personne, un petit monsieur à l’air doux et aux cheveux argentés.
“Que désirez-vous … ?” demanda le vieux monsieur.
“Ce que je veux, c’est fabriquer une machine pour rendre les gens heureux“, répondit l’ours, “mais à vrai dire, je n’ai jamais construit de machines de ma vie, et je ne sais comment faire”
Le vieux monsieur le regarda d’un air perplexe.
“Une machine pour rendre les gens heureux ? Mais pourquoi me le demandez-vous à moi ?”
“Le soleil rend les gens plus heureux, n’est-ce pas ? Et vous savez construire des machines” affirma l’ours en le regardant droit dans les yeux.
“Ma foi, je ne suis pas sûr de pouvoir vous aider. C’est vrai que regarder le soleil rend heureux, mais quand vient la nuit ou la pluie, c’est terminé. Ça ne résout pas le problème. Et puis, je ne suis pas psychologue“, répondit monsieur Delsol d’un air très ennuyé …
“Psychologue ?” demanda le grand ours…
“Allez voir mon ami monsieur Souriron“, conseilla le créateur de machines, “Il habite 45, rue du Bonheur”
Cette adresse était idéale.
L’ours serra la main du vieux monsieur et prit congé aussitôt.
“Vous avez rendez-vous” dit la secrétaire avec un accent slave et d’une voix sèche.
“Non, mais j”ai des choses très importantes à dire à monsieur Souriron” répondit l’ours sans se démonter.
L’histoire semblait se répéter, mais cela n’arrêterait certainement pas le grand ours .
“Donnez-moi un rendez-vous pour dans cinq minutes“, ajouta-t-il, et il se rendit directement dans la salle d’attente.
Il n’était pas seul.
A côté de lui , une jeune femme était assise, l’air très triste et penseuse.
“Vous attendez depuis longtemps ?” Lui demanda le grand ours gentiment.
“Non, de toute façon je m’en fiche, je ne suis pas pressée“, dit-elle …
“Je suis un ours en peluche, et vous ?”
“Euh… Lorenza” répondit la jeune femme avec des grands yeux étonnés qu’un ours puisse parler, presque en pleurant, puis elle rentra la tête dans ses épaules et s’enfonça dans un profond silence.
L’ours n’osa pas lui parler davantage, mais il était très ému de voir cette jeune femme à l’air si malheureuse.
Ah, si seulement sa machine à bonheur voyait le jour !
Elle pourrait rendre le sourire à Lorenza, c’est sûr !
Il était plongé dans ses réflexions quand on appela Lorenza.
“Au revoir !” lui souffla-t-il avec un sourire lorsque la jeune femme sortit de la salle d’attente…
Une heure plus tard, l’ours était enfin dans le bureau de monsieur Souriron, mais il était tellement impatient qu’il commença à se mettre en colère…
“Oui ?” dit monsieur Souriron en le regardant à peine… “Dites-moi comment faire une machine pour rendre les gens heureux“, cria l’ours, “Sinon, ça ira mal !”
Monsieur Souriron le regarda d’un drôle d’air et, sans autre forme de procès, l’enferma dans un sac.
“Boum !”
Le sac avait été déposé sans ménagement devant une porte.
“Aïe !” cria le grand ourson à l’intérieur.
Une sonnerie retentit, puis un bruit de porte, et enfin, une petite voix :
“Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?”
Mais monsieur Souriron était parti aussi vite qu’il avait pu.
Alors, la jeune femme à qui appartenait la petite voix, décida d’ouvrir le sac, tout doucement, un peu effrayée par ce qu’elle pourrait y découvrir.
“Lorenza, qu’est-ce que c’est ?” cria sa soeur Elodie dans la cuisine…
“Oh ! C’est le grand ours de la salle d”attente ! Euhhh.., il y avait un… un … ohhh rien..”
“Tu as du t’endormir dans la salle d’attente chez le docteur !” dit encore sa soeur.
“Ce que je suis heureuse!” s’exclama Lorenza, et elle serra bien fort “son” ours dans ses bras…
La machine à bonheur, c’était lui…