La manipulation monétaire…
La création monétaire par le crédit commercial est la forme la plus importante de création monétaire et l’escompte est le mécanisme qui accompagne automatiquement l’essentiel de la création de biens réels.
Ainsi, l’équation fondamentale monnaie = richesses réelles est assurée.
La création monétaire opérée lors des opérations d’escompte est bel et bien parallèle à la création de richesses réelles.
Car derrière toute traite émise et escomptée, il ne peut y avoir que production de biens.
Par ce biais, d’un côté on met donc en circulation les produits pendant que de l’autre côté on crée l’argent nécessaire pour les faire circuler.
Mais cette égalité, qui a toujours été au coeur de l’équilibre économique, et qui l’est chaque jour davantage, est bien fragile.
Si elle est rompue, les pires catastrophes peuvent se produire, notamment l’inflation ou la déflation.
On parle d’inflation (du latin inflare, gonfler) lorsque la masse monétaire augmente plus vite que la production.
Il y a trop de monnaie par rapport aux biens: les prix augmentent (ou, ce qui revient au même, la monnaie se déprécie).
La déflation est au contraire une contraction, un “dégonflement” de la masse monétaire.
Dans ce cas, les prix baissent.
L’hyperinflation allemande…
L’exemple le plus spectaculaire d’inflation eut lieu dans l’Allemagne de Weimar, dans les années 1920.
Tout au long de l’après-guerre, les prix augmentent en Allemagne plus qu’ailleurs.
Au cours de l’été et de l’automne 1923, la hausse des prix connaît une envolée hyperbolique.
Les prix flambent de jours en jours, puis d’heure en heure.
La Banque centrale allemande n’a même pas le temps d’imprimer de nouveaux billets : on les surcharge avec des zéros supplémentaires à coups de tampon.
Les ménagères vont faire les courses avec des brouettes remplies de billets et reviennent avec quelques poireaux.
Les ouvriers sont payés deux fois par jour: ainsi, à midi, ils peuvent faire quelques courses et éviter l’inflation de l’après-midi.
On raconte l’histoire d’un journaliste américain arrivant en Allemagne : il n’a qu’un dollar en poche et désire dîner, il entre dans un restaurant et demande si on peut lui servir quelque chose pour un dollar…, on lui sert un repas gargantuesque…, après le dessert, alors qu’il est en train de fumer un cigare, il est surpris de voir le garçon lui apporter une entrée…, étonné, il demande la raison de cette prolongation curieuse de son repas : “le dollar vient encore d’augmenter”, répondit simplement le garçon.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, en 1919, 1 dollar valait 14 marks, fin novembre 1923, ce même dollar valait la bagatelle de 4.200.000.000.000 marks.
Oui, vous avez bien lu: quatre mille deux cent milliards de marks !
Les problèmes monétaires internationaux…
Admettons que, grâce à la puissance de l’État et à sa crédibilité, une monnaie soit acceptée et utilisée dans un pays.
Mais que se passe-t-il dès qu’on sort des frontières et qu’on achète ou vend des produits à l’étranger ?
Il est évident qu’un vendeur ne voudra accepter un paiement que s’il est effectuée dans sa monnaie, la seule qu’il connaisse.
L’acheteur, lui, n’aura pour payer que la monnaie utilisée dans son pays.
Un problème épineux se pose donc: celui du change.
Écartons pour le moment l’existence d’un moyen de paiement commun à l’acheteur et au vendeur, ou reconnu par les deux.
Cela a existé et cela existe : le pétrole se paie aujourd’hui en dollars, mais c’est une exception.
La règle veut plutôt que les contrats soient signés dans la monnaie du vendeur et que l’acheteur paie dans cette même monnaie.
Il doit donc s’adresser à sa banque pour une opération de change.
On voit immédiatement la question délicate qui doit être réglée : quelle est la valeur de l’autre monnaie ?
Dans l’histoire, on a connu trois systèmes réglant le problème du change ou de la parité entre monnaies : l’étalon-or, l’étalon change or et les changes flottants.
L’étalon-or…
Le Royaume-Uni promulgue en 1817 le Gold Standard Act.
La loi stipule que chaque livre vaut quelque 8 grammes d’or.
Ce système, appuyé par la domination incontestée de l’Angleterre dans les domaines économique, monétaire et financier s’étend au monde entier comme référence.
Dès lors, le problème du change et de la parité entre monnaies trouve une solution simple : chaque pays possède une masse monétaire et un stock d’or.
Le rapport masse monétaire/stock d’or donne la parité or de la monnaie.
Le taux de change entre monnaies est fixé par une simple règle de trois : si la livre vaut 8 grammes d’or et que le franc en vaut 4, alors la livre vaut 2 francs.
Enfantin.
Parité or et échanges commerciaux…
Dans ces conditions, les échanges se déroulent sans encombre.
Imaginons que France et Angleterre aient des échanges équilibrés : dans ce cas, l’entreprise anglaise qui importe demande à sa banque mettons 200 francs, qui vont lui coûter 100 livres.
De l’autre côté de la Manche, l’entreprise française qui importe demande 100 livres qui lui coûtent 200 francs.
Si les échanges sont équilibrés, deux autres entreprises expriment une demande contraire de même montant.
Dans ce cas, les banques à qui les entreprises s’adressent ont exactement de quoi satisfaire les demandes en devises de leurs clients.
Imaginons qu’il n’y ait qu’une banque.
Lorsque le client anglais, importateur de produits français, vient lui demander 200 francs, elle lui donne les 200 francs que le client français, acheteur de produits anglais, lui a donné pour acheter les 100 livres dont elle a besoin.
Ainsi, offre et demande de devises dans les deux pays sont identiques.
Les francs restent en France et les livres en Angleterre.
Les masses monétaires des deux pays ne varient pas, ni leurs réserves en or.
Masses monétaires stables, stock d’or stables : la parité entre les deux monnaies reste la même.
Tirons-en cette conclusion : si les échanges extérieurs d’un pays sont équilibrés, la parité de sa monnaie ne varie pas.
Que se passe-t-il si ce n’est pas le cas ?
Simplifions : si un pays achète plus qu’il ne vend, la mécanique ci-dessus ne joue qu’à hauteur de la partie des importations couverte par des exportations.
Et le reste ?
Et le déficit ?
Là, il n’y a qu’une possibilité : sortir de l’or.
Soit pour payer le vendeur directement, soit pour acheter sa devise et le payer avec celle-ci.
Mais la sanction est immédiate : le pays déficitaire a moins d’or et sa monnaie est dépréciée, dévaluée.
Pourquoi ?
Parce ce que dans le pays il y a autant de monnaie en circulation, mais cette monnaie est désormais garantie par moins d’or : sa parité or baisse.
Et si le pays a un excédent commercial, c’est le contraire.
Tirons-en cette conclusion : lorsqu’un pays a un déficit commercial, sa monnaie se dévalue ; lorsqu’il a un excédent, elle se réévalue.
Gardons en tête ce principe, car il est valable pour tous les systèmes monétaires.
Punition et rééquilibrage…
Ces mécanismes ont un sens économique précis.
Un pays qui a un déficit commercial est sanctionné par la baisse de sa monnaie.
Concrètement, cela signifie qu’il est “puni”.
Punition immédiate, impitoyable.
Avec la baisse de sa monnaie, tous les produits étrangers lui coûtent plus cher.
Parallèlement, ses produits deviennent moins chers pour les étrangers.
En clair, le pays s’appauvrit.
Pour avoir la même quantité de produits étrangers, il doit céder une plus grande quantité de ses produits.
Son travail, ses terres, son patrimoine, toutes ses richesses sont dépréciées.
Mais quelle faute est la sienne ?
Une faute impardonnable : il a moins donné qu’il n’a pris aux autres : il a eu plus besoin des autres que les autres n’ont eu besoin de lui.
En clair, il a vécu au-dessus de ses moyens.
C’est la dure loi du marché.
Mais si le marché est dur il sait se monter magnanime.
La punition de ce pays frivole est aussi le moyen de sa rédemption.
S’il comprend la leçon et sait en tenir compte, tout devrait rentrer dans la normalité.
Les produits étrangers sont devenus plus chers ?
Qu’à cela ne tienne : le pays devra en consommer moins.
Ses produits sont devenus moins chers ?
Tant mieux : il pourra en vendre plus.
Ainsi, si la logique est respectée, la balance commerciale devrait se rééquilibrer.
Mais…, au cours de la Première Guerre mondiale, le système de l’étalon-or, qui s’était bâti au XIXe siècle autour de la puissance britannique, vole en éclats et un autre système se met en place.
Des monnaies pivots…
Les pays européens ont connu au cours de la guerre, en sus des autres, un double malheur monétaire : leurs masses monétaires, exagérément gonflées par le recours massif des États au crédit, ont littéralement explosé.
Parallèlement, leurs stocks d’or ont fondu.
Les Américains avaient beau être les alliés de la France et de l’Angleterre, ils n’acceptaient en paiement de leurs armes, de leur nourriture et de leurs marchandises que de l’or en barres.
Au début des années 1920, la vérité apparaît dans toute sa cruauté : les deux tiers de l’or mondial qui, avant la guerre, se trouvait en Europe sont désormais aux États-Unis.
En Europe, il ne reste que la moitié de l’or de 1914, mais les masses monétaires sont multipliées par sept ! Dans ces conditions, plus question d’étalon-or (sauf pour les États-Unis, bien sûr).
Une drôle de conférence monétaire se tient à Gênes en 1922, qui va donner naissance à un drôle de système.
Á Gênes, les Américains sont absents.
Depuis la victoire des républicains aux élections, le mot d’ordre est à l’isolationnisme : les affaires du monde ne les intéressent plus.
Á l’inverse, la Russie soviétique est là, on se demande pourquoi.
Dans le désarroi ambiant, on imagine un système palliant l’impossibilité de bon nombre de pays de revenir à la parité or et à la convertibilité de leur monnaie : ils n’ont qu’à utiliser les devises convertibles en or comme garantie et étalon de valeur de leur monnaie.
Ainsi, toutes les monnaies se trouvent rattachées à l’or ; certaines directement, d’autres indirectement, en passant par des monnaies pivots.
C’est ce système qu’on appelle alors l’étalon change or (Gold Exchange Standard).
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce système bâtard ne satisfait personne.
Surtout pas la France et l’Angleterre qui, ayant gagné la guerre et étant à la tête de deux empires coloniaux s’étendant sur la planète entière, se voyaient mal ravalées au rang de puissances monétaires de banlieue.
Lénine n’avait-il pas d’ailleurs dit: “La dévaluation est l’arrêt de mort du capitalisme ?”.
Et la dévaluation était bien là.
La livre et le franc n’étaient que l’ombre de ce qu’elles étaient en 1914.
La décision catastrophique…
Dans le système de Gênes, tout pays en ayant les moyens pouvait revenir à la convertibilité de sa monnaie.
L’égoïsme et la prétention des vainqueurs fit le reste.
En 1925, Churchill décréta le retour de la livre à la parité or et, qui plus est, avec la même valeur qu’en 1914.
J.K. Galbraith devait dire que ce fut “la décision la plus radicalement désastreuse des temps modernes en matière monétaire”.
Un tel jugement mérite quelques explications.
Pour revenir à la parité or de 1914, le gouvernement britannique a dû pratiquer une politique durement déflationniste.
Compte tenu de la situation anglaise de l’après-guerre, cela signifiait “dégonfler” la masse monétaire, la réduire.
Comment s’y est-il pris ?
En augmentant les taux d’intérêt d’abord, en pratiquant un strict équilibre budgétaire ensuite, c’est-à-dire en limitant les dépenses de l’État et en augmentant les recettes, ce qui veut dire alourdir impôts et taxes.
Socialement, cette politique s’est traduite par des conflits sociaux très durs, notamment la célèbre grève des mineurs de 1926, le conflit le plus ravageur de l’histoire britannique.
Mais le jugement sévère de Galbraith sous-entend que la décision de Churchill eut un impact bien plus dévastateur encore que cela.
Probablement faut-il chercher là une des causes essentielles d’une des crises les plus dramatiques de l’histoire : la crise de 1929.
L’attachement à la parité or des monnaies fut en effet le dogme le mieux partagé des années 1920.
Les États-Unis s’y sont tenus avec rigueur, les Anglais y ont sacrifié leur croissance dès 1925 et la France n’a pas été en reste publique dès 1926 elle s’est lancée dans la même politique aboutissant au retour de la parité or avec le franc Poincaré en 1928.
Or, la crise de 1929 a été une crise déflationniste, caractérisée par la contraction de la masse monétaire, la baisse des prix, des salaires, de la production et de l’emploi.
Les politiques de rigueur monétaire des années 1920 ont probablement fait le lit de la catastrophe de 1929. Milton Friedman lui-même qualifie la politique monétaire des États-Unis à la veille de la crise : “d’ineptie”. C’est dire…
Bretton Woods et l’étalon dollar…
Après la Deuxième Guerre mondiale, les vainqueurs absolus, les États-Unis, ont visiblement retenu la leçon. Le système qu’ils mettent en place en 1944 à la conférence de Bretton Woods sous entend la volonté, totalement exclue en 1919, d’assumer pleinement leur rôle de puissance dominante.
Le projet du représentant britannique, un certain J.M. Keynes, est rapidement écarté.
Ce projet était fondé sur la création d’une monnaie internationale : le bancor.
Fi de la monnaie internationale spécifique, cette monnaie existe déjà : c’est le dollar.
Le système mis en place est encore un étalon change or, mais cette fois-ci, la seule monnaie convertible en or est le dollar.
La devise américaine devient ainsi le pilier d’un système solide, tenu par des règles strictes, enfin en accord avec la situation réelle.
Les parités fixes…
Le dollar est convertible en or sur la base d’une parité de 35 dollars l’once et les autres monnaies sont théoriquement rattachées à l’or par l’intermédiaire du dollar.
Le système de change entre monnaies est un système de parités fixes.
La valeur du change est définie une bonne fois pour toutes : seule une variation de ou -1% est autorisée.
Au-delà, les pays doivent entamer une procédure complexe de dévaluation ou de réévaluation.
Les banques centrales des différents pays sont tenues d’intervenir sur le marché des changes pour éviter des variations excessives, c’est-à-dire supérieures à 1%.
Comment font-elles ?
C’est simple : si leur monnaie a tendance à monter, elles doivent en vendre.
Si elle a tendance à baisser, elles doivent en acheter.
Concrètement, si le mark monte au-delà de 1%, la Bundesbank doit vendre des marks ; si le franc baisse au-delà de 1%, la Banque de France doit acheter des francs.
Ainsi l’équilibre entre l’offre et la demande sera rétabli et la parité de la monnaie préservée.
Mais un problème se pose ici : où les banques centrales vont-elles chercher les devises nécessaires pour ces interventions ?
Si tout va bien, elles peuvent puiser dans leurs réserves de change constituées par l’accumulation des devises issues d’un commerce extérieur excédentaire.
Sinon, elles doivent demander des prêts à un organisme ad hoc : le Fonds monétaire international (FMI).
Le roi dollar…
Dans ce système, le dollar a un rôle privilégié.
Seule monnaie convertible en or, il devient as good as gold (aussi bon que l’or).
Le système des parités fixes fait par ailleurs de la monnaie américaine l’outil privilégié des interventions sur le marché des changes.
Deux bonnes raisons pour faire du dollar la monnaie de réserve privilégiée.
Ce n’est pas tout.
Étant la monnaie pivot, le dollar jouit de deux prérogatives princières : la première est que le risque de change si on utilise le dollar pour les paiements internationaux est moindre.
Voyons comment.
Le risque de change est la possibilité de payer plus cher que prévu un produit acheté à l’étranger.
Dans le commerce international, comme dans toute forme de commerce entre entreprises, les paiements se font par traite.
On signe un contrat aujourd’hui, on paie dans un mois, deux mois, plus éventuellement.
Le contrat étant stipulé dans la monnaie du vendeur, l’acheteur peut, au moment où il va à la banque acheter des devises, payer ces devises plus cher si leur cours a augmenté.
Dans le système de Bretton Woods, chaque monnaie peut, sur une période donnée, varier de ou -1% par rapport au dollar.
Si on compte bien, en tout, on a une possibilité de variation de 2%.
Si, pour les besoins du commerce, on doit passer, par exemple, du franc au mark, le risque de change est de 4% (2% de baisse totale du franc 2% de hausse totale du mark).
Si on utilise le dollar, le risque est limité à 2%, c’est-à-dire la variation maximale autorisée entre une monnaie quelconque et le dollar.
Cette raison, avec d’autres, a fait du dollar la monnaie la plus utilisée dans les échanges internationaux.
L’autre privilège du dollar est également lié à sa nature de pivot du système.
Les États-Unis, en effet, font l’économie d’interventions dispendieuses sur le marché des changes pour garantir la parité du dollar.
Comment est-ce possible ?
Si le franc baisse, par exemple, la Banque de France achète des francs.
Avec quoi ?
Des dollars entre autre.
La Banque de France évite ainsi que le dollar ne s’apprécie exagérément.
Si le mark monte, la Bundesbank va en vendre.
Contre quoi ?
Des dollars probablement.
La Banque centrale allemande empêche donc que le dollar baisse.
Ce sont ainsi les banques centrales du monde entier qui s’occupent de la sale besogne.
C’est tout bénéfice pour la FED, la Banque centrale américaine !
Eurodollars et capitaux fébriles…
La conséquence de ce système ne s’est pas fait attendre.
Le dollar est devenu, et reste, la monnaie la plus utilisée dans les échanges internationaux, bien au-delà des échanges américains.
Le pétrole, c’est bien connu, se paie en dollars…, il est devenu également une monnaie de réserve pour bon nombre d’États et, in fine, s’est en quelque sorte émancipé de son créateur pour devenir eurodollar.
Les eurodollars sont des dollars qui circulent en dehors des États-Unis.
On doit leur nom au code d’une banque soviétique (”eurobank”) qui la première a détenu des comptes en dollars (le rouble n’ayant jamais été accepté pour les échanges avec l’Occident).
Ainsi, une masse colossale de billets verts s’est mise à circuler à travers le monde, se déplaçant d’un pays à l’autre au grès d’opérations légales ou illégales (la drogue et les armes se paient en dollars) dans un but qui s’est affirmé comme définitivement prioritaire : la spéculation.
Le système a parfaitement fonctionné pendant une vingtaine d’années.
Il a notamment permis une extraordinaire croissance des échanges mais, à partir de la fin des années 1960, Bretton Woods s’est transformé en un monstre ingérable.
Pour les États-Unis et pour le monde.
Fluctuat et agitatur…
Ce qui était arrivé aux monnaies européennes à cause de la guerre arrive également aux États-Unis, en pleine paix.
La masse de dollars, gonflée par l’essor des échanges et par une demande toujours inassouvie, finit par dépasser allégrement sa couverture en or.
Dans le deuxième moitié des années 1960, des esprits malins ou clairvoyants, dont la France du général de Gaulle, comprennent que la parité or du dollar ne va pas pouvoir être maintenue éternellement.
Ils se sont mettent donc à demander la conversion de leurs dollars en or.
Les États-Unis doivent faire face à une véritable hémorragie.
Et une ultime et calamiteuse tentative de retour à la parité or de la livre (décidément…) fait basculer le monde dans le cauchemar.
En 1971, pour la première fois, la balance commerciale américaine devient déficitaire.
Le dollar ne peut que baisser.
Sa parité or devient intenable.
Le 15 août, Nixon proclame l’inconvertibilité du dollar.
Tous ceux qui s’étaient accrochés à une monnaie as good as gold sont servis.
Le désordre monétaire international…
Les années 1970 commencent par la longue agonie du système monétaire qui avait scellé la domination américaine.
Elles s’achèvent par la réaffirmation de cette même domination, mais de manière bien plus perverse.
Le système de Bretton Woods est attaqué de toutes parts.
Son pilier, le dollar, s’effrite : détaché de l’or, il plonge au fur et à mesure que les États-Unis sombrent dans une des périodes les plus noires de leur histoire : chocs pétroliers, défaite au Vietnam, Watergate et, pour finir, la révolution iranienne.
Les parités fixes ne tiennent pas face aux mouvements spéculatifs puissants.
Le FMI n’a plus de devises à prêter, on essaie de lui inventer une nouvelle monnaie de référence: les droits de tirages spéciaux (DTS) : c’est l’échec.
En 1973, on effectue un replâtrage du système : les marges de variations sont élargies ( ou – 2,25%), mais ça ne fait qu’exciter la spéculation.
Les monnaies faibles (livre, franc) sont dévaluées à répétition.
Les monnaies fortes (mark, yen, franc suisse) s’envolent.
En 1976, à la conférence de la Jamaïque, on prend le taureau par les cornes : les parités fixes sont abandonnées, l’or est définitivement démonitisé.
Il faut dire que sur le marché, il ne se négocie plus à 35 mais à 500 dollars l’once !
Les changes flottants…
Bretton Woods est mort et enterré.
Les gouvernements abandonnent une partie perdue d’avance : on ne peut plus contrôler le cours des monnaies.
Le professeur Friedman et les économistes libéraux tiennent là leur première victoire : désormais, c’est le marché, et lui seul, qui va fixer la valeur des monnaies.
Leur cours va varier quotidiennement selon les variations de l’offre et de la demande.
Le marché des changes brasse désormais quotidiennement plus de capitaux que la Bourse elle-même.
Le dollar touche le fond : en 1979, il vaut moins de 4 francs.
Avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan, les choses vont prendre une toute autre tournure.
De stricte obédience libérale, le nouveau Président s’en prend violemment à l’inflation et à l’État.
Pour terrasser l’inflation, la FED augmente les taux d’intérêt de manière plus que conséquente : on n’est pas loin de 20%.
Par ailleurs, libérés de toute contrainte, les salaires s’effondrent, ainsi que les dépenses sociales de l’État.
L’inflation est vite jugulée par cette cure violente.
Sur le marché des changes, le dollar s’envole.
Attirés par les taux américains, les capitaux fébriles se ruent sur le billet vert, d’autant plus que la politique étrangère de Reagan restaure très vite la crédibilité américaine mise à mal par ses prédecesseurs.
Le dollar se hisse à plus de 10 francs.
Un droit de cuissage planétaire…
Tout va bien donc.
La politique de Reagan est efficace : l’économie américaine repart, l’inflation baisse, le chômage également.
Le dollar est fort.
Le président américain se permet même de narguer ses collègues.
Á François Mitterrand (1916-1996) qui lui fait remarquer que le dollar est trop haut, Reagan répond : “Ce n’est pas le dollar qui est trop fort, ce sont les autres monnaies qui sont trop faibles”…
Reste un détail.
La libération du marché des changes aurait dû rendre les devises à la vérité des prix, si chère aux libéraux.
On l’a vu, ce qui devrait établir la valeur d’une monnaie, c’est la situation du commerce extérieur d’un pays : à déficit commercial, monnaie faible, et à excédent commercial, monnaie forte, avec les rééquilibrages automatiques que l’on sait.
Une monnaie faible devait permettre de vendre plus et obliger à acheter moins et le contraire pour une monnaie forte.
Qu’en est-il des États-Unis ?
Depuis 1971, ce pays a un commerce extérieur chroniquement déficitaire.
Bon an mal an, les Américains achètent au minimum 100 milliards de dollars de plus qu’ils ne vendent.
Cela fait trente ans que ça dure.
Dans une telle situation, n’importe quel autre pays aurait été réduit à la faillite.
Sa monnaie ne devrait même pas valoir le prix du papier sur lequel elle est imprimée.
Rien de tel ne s’est produit pour les États-Unis.
Comment est-ce possible ?
Même détaché de l’or, le dollar reste le moyen de paiement et de réserve le plus utilisé au monde.
Les dollars avec lesquels les Américains paient leurs déficits ne reviennent pas aux États-Unis.
Cela veut dire qu’ils ne paient pas leur déficit.
C’est exactement comme si vous payiez vos achats avec des chèques que personne n’aurait l’idée d’encaisser.
Tant que la confiance règne, tout cela ne pose guère de problèmes.
Lorsque les États-Unis n’ont plus d’argent pour payer leurs importations ou le déficit de leur budget, ils émettent des bons du trésor.
Le monde souscrit avec empressement.
On leur prête leurs dollars.
Depuis 1971, les États-Unis vivent des crédits que leur fournissent les autres pays.
Un gigantesque plan Marshall à l’envers, dont le colossal endettement américain donne la mesure : quelques 10.000 milliards de dollars si on additionne la dette publique et la dette externe, 30.000 milliards de dette total, soit 31% du produit mondial brut.
Une paille !
Du serpent à l’euro, la construction d’une alternative monétaire…
Le désordre monétaire international qui s’est généralisé dans les années 1970 ne pouvait laisser l’Europe indifférente.
Sur le Vieux Continent, l’abolition des frontières au sein de la Communauté économique européenne (CEE) n’était pas un vain mot : les pays européens sont les pays les plus ouverts au commerce international ; l’instabilité monétaire est pour eux particulièrement insupportable.
On comprend donc que l’Europe se soit lancée très vite dans la mise en place d’un système monétaire rompant avec les mouvements erratiques des monnaies.
Dès 1969, au sommet de La Haye, les Six s’étaient donné comme objectif la réalisation globale d’une union monétaire.
En 1972 d’abord, avec le “serpent monétaire” puis en mars 1979, avec le “Système monétaire européen” (SME), on réinstaure en Europe ce qui avait progressivement disparu au niveau mondial : un système de parités fixes avec des marges de variation limitées.
Mais les problèmes s’accumulent: choc pétrolier, entrée de nouveaux pays dans le CEE…
Pratiquement tous les ans, telle monnaie est dévaluée, telle autre réévaluée.
Certaines monnaies ne rentrent pas dans le système.
D’autres y rentrent pour en sortir aussitôt.
Les marges de flottement flottent-elles mêmes allègrement: selon le moment et la monnaie, elles sont élargies à 6% ou ramenées à 1%.
Mais au-delà de ces difficultés, la véritable nouveauté du SME est que, désormais, les taux pivots sont fixés en une unité de compte européenne : l’ECU (Européen Currency Unit), une sorte de synthèse des monnaies européennes, où chaque devvise compte pour un pourcentage tenant compte du poids économique et monétaire de chaque pays.
L’idée d’une Europe monétaire…
En 1986, l’Acte unique réaffirme l’objectif de l’union monétaire.
Le traité de Maastricht, en 1992, fixe les critères de convergence et les conditions à remplir pour accéder à la monnaie unique.
Il s’agit de mesures strictes visant à limiter l’inflation, les déficits budgétaires et l’endettement.
La même année, une tempête s’abat sur les monnaies européennes les plus faibles : franc, peseta, lire, livre sterling.
Le processus continue malgré tout.
En 1995, on choisit le nom de la future monnaie européenne: le nom ECU est abandonné (notamment à cause d’une assonance désagréable en allemand avec “die kuh” : la vache) au profit de “euro”, plus digeste dans les différentes langues.
Le lancement de la nouvelle monnaie a lieu officiellement le 1er janvier 1999.
Á cette date, onze pays sont “éligibles”.
Les Britanniques ne sont pas de l’aventure, ni les Danois et les Suédois qui refusent par référendum de l’adopter.
Les Grecs, qui ne remplissaient pas alors les conditions d’adhésion, rejoignent les onze élus en 2000.
Le 1er janvier 2002, l’euro entre physiquement en circulation dans douze pays.
Euro qui comme Ulysse…
La monnaie européenne n’en est qu’au début d’un long voyage, mais déjà on ne peut que constater sa réussite.
Elle est d’abord la manifestation la plus tangible de la construction européenne.
L’Europe passe dans nos mains quand nous payons une baguette avec une pièce allemande ou espagnole.
Nous nous sentons moins à l’étranger quand nous payons un café au Portugal (0,50 euro…) avec la monnaie qu’on nous a rendu à Paris.
Mais le plus important n’est pas là.
C’est avec l’euro que l’Europe est devenu réellement un grand marché unique.
Les entreprises y ont réalisé des économies colossales et le marché est devenu réellement transparent (voir le prix du café portugais).
C’est avec l’euro que nos pays se sont soustraits au désordre monétaire international et à l’emprise du dollar !
C’est grâce à l’euro que le dernier choc pétrolier, pourtant violent, a pu être encaissé sans trop de dégats.
Ose-t-on imaginer ce que seraient devenus le franc ou la lire dans les grandes tempêtes de ce début de millénaire ?
C’est par (et pour) l’euro que nous profitons de faibles taux d’inflation et de faibles taux d’intérêt.
Déjà deuxième monnaie mondiale après le dollar pour les échanges, la monnaie européenne est utilisée par des pays tiers pour libeller contrats et emprunts.
Des accords spécifiques la lient aux monnaies d’Europe de l’Est et de la Méditerranée.
Une alternative vitale pour les temps qui courent.
Le coût de l’euro…
Pourtant, des voix s’élèvent régulièrement pour protester contre la monnaie unique et ses sous-entendus.
Le sous-entendu le plus évident, c’est que l’Europe, qui a tant de difficultés à s’accorder sur une quelconque politique commune, s’est livrée pieds et poings liés à une politique de rigueur pour atteindre l’objectif de la monnaie unique.
Le choix fait par François Mitterrand en 1983 d’abandonner la politique de relance de Pierre Mauroy (né en 1928) vaut désormais pour tout le monde.
Contrôle sévère des dépenses publiques, limitation des déficits, privatisations : le pacte de stabilité n’est pas fait pour plaire à tout le monde.
La philosophie de base de l’euro est toute allemande et la localisation de la Banque centrale européenne à Francfort n’est pas fortuite.
On a voulu une monnaie forte, on a voulu terrasser l’inflation, cette vieille phobie allemande : tout cela passe par de la rigueur, encore et toujours.
C’est pour cela qu’on reproche à l’euro la croissance molle et éventuellement le chômage, qui sévit sur le Vieux Continent.
Un pays semble particulièrement touché : l’Italie.
Le cas de ce pays est instructif : longtemps habitué aux délices d’une monnaie faible qui favorisait ses exportations, l’Italie est confrontée, avec l’arrivée de l’euro, à une perte catastrophique de compétitivité.
Ses produits sont de plus en plus concurrencés par ceux des pays asiatiques, Chine en tête.
Dès lors, le populisme des hommes politiques (dont certains ministres de Berlusconi) n’hésite pas à mettre sur le dos de l’euro tous les malheurs du pays, y compris la violente hausse du coût de la vie qui s’est manifestée lors de l’abandon de la lire.
Le vrai problème de l’Italie, ce n’est pas l’euro, mais l’euro confronte l’Italie a ses vrais problèmes : énergie trop chère par refus du nucléaire, innovation insuffisante, système d’enseignement dépassé.
Le vrai problème de l’Italie est de trouver d’autres arguments de vente que le prix de ses marchandises.
L’euro, quant à lui, a un seul vrai défaut : il condamne l’Europe à l’innovation, à la qualité et à l’excellence.
Et puis…
Et puis…
C’est l’Amérique qui innove.
Depuis que son dollar perd pied face à l’euro, et que son faux ennemi, l’URSS, quasi créé de toute pièce pour avaliser son industrie d’armement est devenu la Russie, il lui manque un ennemi universel.
Reagan avait songé à un ennemi extra-terrestre, mais cette image surréaliste n’a convaincu personne.
Le nouvel ennemi sera invisible : le terrorisme…
Et pour lancer ce nouveau système, le gouvernement Bush crèe les attentats du 11 septembre 2001, tout en affirmant sans rire à tous les gouvernements du monde : “Vous êtes avec nous, ou contre nous”…
Aucune alternative !
L’Europe est alors obligée de suivre les USA dans ses guerres et d’y engloutir des fortunes tout en y perdant quasi toutes ses relations privilégiées.
Second acte…, 2008 : les subprimes, c’est à dire l’art et la manière de vendre la quasi totalité de tout ce qui existe comme obligations pourries aux autres nations…
L’Amérique s’auto-finance avec l’argent non dépensé, elle n’a jamais remboursé ses dettes extérieures, c’est l’Europe, crédule, qui subit le choc…
Histoire de décontenancer sans perdre la pression, l’allié Israélien des USA, perpétue l’insécurité des approvisionnement pétroliers en menaçant d’atomiser l’Iran, ce qui crèerait pire que toutes les guerres connues depuis le début de notre monde, ce qui permet de jouer avec les relations entre l’Europe, la Russie, la Chine et l’Iran…
Le commerce Européen est au plus mal, crise de confiance, peur de l’avenir, évasion des derniers capitaux “flottants”…
Et c’est la Grèce qui craque la première…
Le but du jeu : que les gens abandonnent leurs euros, les convertissent en dollars…
L’euro à 0,70 pour un dollar, l’euro ne sera plus qu’un souvenir, il suffira de racheter les industries exsangues à un infime pourcentage de leur valeur…
La suite ?
Dans quelques semaines…