La petite biquette…
Voici une petite histoire cruelle sortie de l’imagination d’un ou une sadique…
Aaaaah ! Qu’elle était jolie la petite biquette…
Qu’elle était jolie avec ses yeux doux, ses jolis pis tout roses, ses chevilles fines et gracilles, ses boucles de mousses chataignes…
Et puis, docile avec ça, caressante, se laissant traire (peloter) sans bouger, un amour de petite biquette…
Mais un jour, elle se dit en regardant au loin dans la vallée : “Comme on doit être bien là-bas. Quel plaisir de gambader dans la bruyère sans cette maudite corde qui m’écorche le cou !”…
A partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade…
Elle maigrit, son lait se fit rare….
C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur la corde, la tête tournée du côté de la forêt en faisant : “Mêêêêêêêê“… tristement…
Son maitre s’apercevait bien que sa biquette avait quelque chose, mais elle ne savait pas ce que c’était…
Un matin, comme elle achevait de la traire, elle se retourna et lui dit dans son patois : “Ecoute, maitre, je me languis, laisse-moi aller voir plus loin….” !
– Ah !!!! mon dieu ! Biquette, tu veux me quitter!
– Oui maitre !
– Tu es peut-être attachée de trop court, veux-tu que j’allonge la corde ?
– Ce n’est pas la peine…
– Alors, qu’est-ce qu’il te faut ? Qu’est-ce que tu veux ?
– Je veux aller dans la vallée et la forêt mystérieuse maitre !
– Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la làs-bas…?
– Que feras-tu quand il viendra ?
– Je lui donnerai des coups de talons !
– Le loup se moque bien de tes talons!
– Il a mangé des biques autrement tallonées que toi…
– Tu sais bien, même la petite espagnole, Ana, qui était ici l’an dernier, une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc…, elle s’est battue avec le loup toute la nuit…, puis au matin, le loup l’a…violée et l’a… mangée…
– Pauvre Biquette Ana ! Ça ne fait rien, maitre, laisse-moi aller dans la forêt…
– Bonté divine ! dit le maître, Encore une que le loup va manger… Eh bien, non…, je te sauverai malgré toi, coquine ! Et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t’enfermer dans l’étable, et tu y resteras toujours !”…
Là-dessus, le maitre emporta la biquette dans une étable dont il ferma la porte à double tour…
Malheureusement, il avait oublié la fenêtre… et à peine eut-il le dos tourné que la petite s’en alla…
Quand elle arriva dans la vallée, ce fut un ravissement général !
Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli !
On la reçut comme une petite reine…
Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches…
Les genêts d’or s’ouvraient sur son passage et sentaient bon tant qu’ils pouvaient…
Toute la vallée et la forêt lui fit fête !
Plus de corde, plus de pieu…, rien qui l’empêchât de brouter et de lècher à sa guise…
Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes !
Et les fleurs !
De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux…
La biquette rousse se vautrait là-dedans et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes…
Puis, tout à coup, elle se redressait d’un coup sur ses pattes.
Hop ! La voilà partie la tête en avant, à travers le maquis… jusqu’en haut des monts cernant la vallée.
Elle s’avança au bord d’un plateau, une fleur de cystise aux dents, et aperçu en bas, tout en bas dans la plaine, sa maison avec le clos derrière.
Cela la fit rire aux larmes…
“Que c’est petit ! Comment ai-je pu tenir là-dedans ?” se dit-elle.
Tout à coup, le vent fraîchit…
La vallée devint violette : c’était le soir…
En bas, le clos disparaissait dans le brouillard et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée.
Un gerfaut la frôla de ses ailes en passant.
Elle tressaillit…
Puis ce fut un hurlement dans la montagne : “Hou! hou ! houuuuuuuuuuuu“….
Elle pensa au loup !
Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée,
C’était son gentil maitre…
– Hou ! hou ! Houuuuuuuuuuu…. faisait le loup !
– Reviens ! Reviens ! Criait la trompe…
Biquette eut envie de rentrer, mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa qu’elle ne pourrait plus se faire à cette vie et qu’il valait mieux rester…
Biquette entendit derrière elle un bruit de feuilles…
Elle se retourna, et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux verts qui reluisaient…
C’était le loup !
Énorme, immobile, il était là, regardant la petite biquette brune et la dégustant par avance..
Comme il savait qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas…
Biquette se sentit perdue…
Un moment, en se rappelant l’histoire de la pauvre petite biquette madrilaine qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite, puis, s’étant ravisée, elle releva sa garde..
La tête basse et en avant, comme une brave petite biquette qu’elle était…
Seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la malheureuse biquette espagnole…
Le monstre s’avança… et les petits talons entrèrent en danse…
Ahhhhh ! La brave biquette !
Plus de dix fois, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine.
Alors, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe, puis elle retournait au combat, la bouche pleine…
Cela dura toute la nuit !
De temps en temps biquette regardait les étoiles danser dans le ciel clair et elle se disait : “Oooh ! Pourvu que je tienne jusqu’à l’aube…” !
L’une après l’autre, les étoiles s’éteignirent….
Biquette redoubla de coups de talons, le loup de coups de langue et de dents…
Le chant du coq monta d’une métairie…
“Enfin !“, dit la pauvre biquette, qui n’attendait plus que le jour pour mourir… et elle s’allongea par terre…
Elle vit soudain au loin, son maître qui arrivait la sauver, courant à perdre haleine, criant : ma petite biquette, je t’aime, je suis là, quelques instants encore, nous serons ensemble”….
La petite biquette repris espoir, comme elle regrettait maintenant son maître si doux, si prévenant, qui toujours s’était occupé d’elle, la choyant au delà de tout.
Alors le loup se jeta sur la petite biquette et là,.. là… et bien il la viola et la mangea…
On croit toujours que l’herbe est plus verte ailleurs, même si entouré d’amour, à force, on ne le sens plus…
On ne se rend compte du bonheur que quand on l’a perdu !