La responsabilité de l’UE dans la crise ukrainienne…
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Fin 2012, le Conseil Européen propose que le traité d’association, complété d’un traité de libre-échange soit signé lors du Sommet du partenariat Oriental de Vilnius en novembre 2013, à la condition que l’Ukraine mène des réformes électorales, judiciaires et constitutionnelles.
La partie centrale du projet d’association économique de 1200 pages est le Deep and Comprehensive Free Trade Agreement (DCFTA). Il s’agit d’un accord de libre-échange étendu qui aurait éliminé les dernières protections pour ce qui reste de l’industrie ukrainienne. Ce traité est qualifié par l’UE « du plus ambitieux accord bilatéral » jamais signé par elle. Le chapitre 1 annonce que :
« la vaste majorité de tarifs douaniers seront éliminés aussitôt l’accord entré en application. […] Globalement, l’Ukraine et l’Union européenne élimineront respectivement 99,1% et 98,1 % des tarifs douaniers ».
“Source : The Deep and Comprehensive Free Trade Area (DCFTA)”
Au sommet Europe/Ukraine du 25 février 2013, Viktor Ianoukovitch indiqua qu’il ferait de son mieux pour répondre aux demandes européennes, et déclara :
« Je poursuis les négociations avec la Russie pour trouver le bon modèle pour une coopération avec l’Union Douanière orientale »
Mais ce même jour, le président de la Commission José Manuel Barroso indiqua que :
« Un pays ne peut à la fois être membre d’une union douanière et dans une zone avancée de libre-échange avec l’Union européenne »
“Source : UKRINFORM”
L’Union européenne commettait donc l’erreur tragique de demander à l’Ukraine de choisir son camp…
À ce stade, il semble qu’on puisse faire les hypothèses suivantes :
- Ianoukovitch a probablement pensé, que, vu sa position géostratégique, l’Ukraine allait pouvoir recevoir beaucoup d’argent de l’Europe ;
- Les Européens orientaux ont probablement pensé que le président ukrainien, une fois impliqué dans le processus de l’association avec l’UE et poussé par sa propre population, ne pourrait plus faire machine arrière, même en découvrant que l’Ukraine n’obtiendrait, de loin, pas tout ce qu’elle escomptait comme argent ;
- la seconde erreur de Ianoukovitch a probablement été de penser qu’il parviendrait à convaincre la Russie de maintenir le régime de libre-échange avec l’Ukraine. Profitant alors d’une zone de libre-échange à la fois avec les pays de l’Union douanière et ceux de l’UE, l’Ukraine aurait pu vivre confortablement sur le flux de marchandises qui aurait transité, par son territoire, depuis l’Union européenne vers la Russie et les pays de la CEI. D’autant que la Russie et les pays de l’Union douanière, ne disposant d’aucun levier d’action sur l’UE, auraient été contraints de faire appel à l’Ukraine en qualité de médiateur.
Mais le résultat fut tout autre. La Russie a alors commencé à prendre, fin juillet 2013, des premières sanctions commerciales contre l’Ukraine. Pour que le message soit clair, elle a commencé par fermer le marché russe… aux chocolats de l’entreprise Roshen de Petro Porochenko…
“Source : RFI”
Petro Porochenko indiqua cependant :
« Le business souffre plus d’être racketté par les policiers et les percepteurs que des sanctions russes. »
“Source : The Economist”
La Russie a ensuite placé début août la plupart des produits ukrainiens – tubes métalliques, meubles, produits alimentaires – dans la catégorie “à haut risque” : tous les poids lourds qui se présentent à la frontière ont été contraints de décharger leur cargaison pour d’interminables vérifications, ce qui s’est traduit par un très fort rallongement des procédures de contrôle à la frontière – et ce pendant 2 semaines.
“Source : L’Expansion.com”
Dans une note du 16 aout 2013 de la firme d’analyse des relations internationales Eurasia Group, l’analyste Alex Brideau écrit :
« La stratégie de M. Ianoukovitch consiste à obtenir le plus de profits possibles pour l’Ukraine en maintenant des relations à la fois avec la Russie et l’UE. Cette approche a peu de chance de réussir car les deux côtés poussent l’Ukraine à choisir. »
“Source : L’Expansion.com”
Le 22 aout 2013, Vladimir Poutine déclare :
« Si nos voisins (ukrainiens) libéralisent notablement leur régime douanier avec l’Union européenne, le marché ukrainien sera inévitablement envahi par des produits dont la qualité et le prix sont assez bons, mais qui évinceront les produits d’origine ukrainienne du marché national. […] Il s’agit d’un accord d’association dont les conditions seront assez dures pour l’économie ukrainienne, selon nos experts
Par ailleurs, cela pourrait mettre nos producteurs dans une situation assez difficile […] Les pays membres de l’Union douanière seront donc obligés de prendre des mesures de protection. Cette possibilité existe. »
“Source : RIA Novosti”
“Source : Libération”
Le porte-parole de la Commission européenne John Clancy, déclare alors le 23/08/2013 :
« Toute menace économique russe dirigée contre l’Ukraine et liée à la signature éventuelle d’un accord d’association avec l’UE est inadmissible. »
“Source : RIA Novosti”
Alexeï Moukhine, directeur du Centre d’informations politiques russe, indique alors que :
« Bruxelles a qualifié de “menaces” les démarches légitimes entreprises par la Russie pour défendre son économie. […] La mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Ukraine et l’UE entraînerait une révision des accords commerciaux entre Moscou et Kiev. […]
Ce n’est pas parce que l’Ukraine envisage de signer un accord d’association avec l’Europe que la Russie doit négliger ses intérêts nationaux et économiques. L’Union douanière défend en premier lieu ses propres intérêts. Ceux des autres pays viennent après. L’Ukraine doit en tenir compte. »
“Source : RIA Novosti”
Enfin, l’économiste russe Alexandre Abramov indiqua ;
« La Russie se verra obligée d’introduire des restrictions douanières à l’égard de l’Ukraine. Celles-ci concerneront deux aspects. Premièrement : l’introduction des droits de douane à la hauteur de ceux qui sont établis avec l’Union européenne. Deuxièmement : l’introduction des procédures plus compliquées des formalités douanières. »
“Source : La Voix de la Russie”
Le 27 août, le vice-premier-ministre russe Igor Chouvalov indique :
« L’Ukraine ne pourra pas conserver son régime douanier assez libéral avec la Russie après l’intégration à l’Union européenne (UE). Kiev doit se préparer au durcissement du régime jusqu’à l’application d’un tarif douanier commun à toutes les marchandises ukrainiennes.
L’Ukraine ne peut pas faire partie de l’Union douanière et conclure un contrat de libre-échange avec l’UE. Les Ukrainiens veulent trouver un format compatible. Nous avons essayé de trouver une solution, même avec une période de transition. Mais même si l’on avait trouvé un compromis et que nous étions prêts à le faire, ils n’auraient eu aucune liberté en ce qui concerne le tarif douanier commun (TDC). Ils sont complètement liés par l’accord sur la zone de libre-échange avec l’UE. En analysant la situation, nous avons compris qu’aucun compromis n’était possible.
Avec l’accord UE-Ukraine, près de 95 % des marchandises seraient exonérées de taxes douanières. Par conséquent, en cas de double-jeu de l’Ukraine avec l’Europe et la Russie, les marchandises européennes arriveraient d’abord sur le marché ukrainien avant de pénétrer de manière incontrôlable dans l’espace de l’Union douanière. Pendant ce temps, les produits ukrainiens seraient également propulsés sur le marché de l’Union douanière. »
“Source : RIA Novosti”
Le 30 août, le Premier ministre ukrainien indique sur sa page Facebook :
« La partie russe craint que des marchandises européennes n’envahissent l’Union douanière en cas de mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Ukraine et l’UE, car un accord de libre-échange est également en vigueur entre l’Ukraine et les pays membres de l’Union douanière.
Ces craintes sont-elles justifiées ? Théoriquement oui. Mais pratiquement, elles peuvent être réduites à zéro si l’on utilise les mécanismes définis par l’OMC, par exemple les certificats d’origine ou les postes conjoints de contrôle douanier. »
“Source : RIA Novosti”
Le 19 septembre, Romano Prodi déclare :
« L’Ukraine doit décider si elle veut développer ses relations avec l’Union européenne ou avec l’Union douanière. Nous voyons la proposition alléchante faite à l’Ukraine par l’Europe. Mais il existe aussi l’Union douanière qui regroupe la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie. Je trouve qu’il s’agit de propositions incompatibles. »
Du 19 au 22 septembre se tient alors à Yalta le forum annuel du YES – Yalta European Strategy, avec le président Viktor Ianoukovitch, le couple Clinton, Tony Blair, Gerhard Schröder, Mario Monti, l’ancien général américain David Petraeus (ancien directeur de la CIA), Bill Richardson (ancien ministre de l’énergie américain) et « bien sûr », Dominique Strauss-Kahn et Pascal Lamy… Ainsi que tous les leaders de l’opposition.
“Source : 10th Yalta Annual Meeting, 2013”
“Source : Participants – Yalta European Strategy”
La galerie des portraits vaut le coup – surtout sachant ce qui se passerait 6 mois plus tard…
Viktor Ianoukovitch y indiqua alors :
« L’Ukraine s’est décidée à signer l’accord d’association. Maintenant, nous attendons une réponse de l’Europe. »
Comme le commente RFI :
Peu après qu’Hillary Clinton vante les « excellents chocolats ukrainiens », le clou du YES a été la joute verbale entre Petro Poroshenko, propriétaire de Roshen, et Serguei Glazyev, conseiller auprès de Vladimir Poutine. Si l’un a dénoncé des « pressions évidentes et injustifiées », l’autre a multiplié les avertissements à l’encontre de la signature de l’Accord, qui « mettrait fin au partenariat stratégique entre l’Ukraine et la Russie […] Qui paiera pour le défaut sur la dette de l’Ukraine, qui deviendra inévitable ? L’Europe veut-elle prendre cette responsabilité ? » Et de promettre de nombreuses tensions à venir, notamment entre les communautés ethniques du pays.
“Source : RFI”
Le 7 octobre 2013, l’ambassadeur russe auprès de l’UE indique :
« L’économie ukrainienne rencontrerait des difficultés dans le cas d’un accord de libre-échange avec l’UE, car les produits ukrainiens ne répondent pas aux normes européennes. De plus, la Russie devrait renforcer les contrôles frontaliers avec ses voisins du sud, afin de se protéger contre l’afflux massif de produits de l’UE non soumis à des droits de douane, ce qui pourrait nuire aux intérêts de Moscou. […] Nous estimons aussi que la décision unanime du gouvernement ukrainien de signer [l’accord d’association] ne reflète pas complétement les différentes opinions de la population ukrainienne. »
“Source : EurActiv.com PLC”
À Bruxelles, le 15 octobre 2013, Sergy Lavrov, Ministre des Affaires Etrangères de la Russie déclare :
« En général, les discussions au sujet des moyens de renforcement de la sécurité européenne mettent en exergue un déficit de confiance persistant, ainsi qu’une volonté de ressusciter la logique de “guerre froide”, impliquant que vous soyez avec nous ou contre nous. Cependant, on oublie l’expérience historique qui démontre avec évidence que toutes les tentatives d’isoler la Russie avaient inexorablement entraîné des conséquences très graves, voir tragiques, pour le continent européen tout entier. Et, au contraire, des périodes prolongées de développement pacifique de l’Europe ont entraîné la participation active de la Russie au règlement des problèmes pan-européens. […]
Il est évident que nous ne pouvons avancer qu’en nous appuyant sur les principes d’égalité, de respect mutuel et de prise en compte de nos intérêts respectifs. […] Nos relations devraient ainsi se baser plutôt sur l’intérêt mutuel de deux acteurs majeurs de l’espace européen à un rapprochement fructueux qui, sans aucun doute, permettra de renforcer nos positions communes dans notre monde contemporain avec sa concurrence effrénée.
Mettre fin à une rhétorique de confrontation au sujet des valeurs contribuerait au renforcement des positions compétitives de la Russie et de l’Europe, ainsi que de la civilisation européenne entière. On a parfois l’impression absurde que la ligne principale de partage des valeurs dans le monde contemporain passerait par le continent européen. La Russie part du principe inébranlable de la nécessité de respecter la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les valeurs traditionnelles, y compris les fondements moraux qui font partie du christianisme et de toutes les autres religions du monde. Renoncer à ces fondements en faveur de l’hédonisme et de la permissivité, mène à la perte de la dignité humaine, à l’autodestruction de la personne comme de la société. »
“Source : Ministère des affaires étrangères de Russie”
Le 25 octobre 2013, Vladimir Poutine indique de nouveau :
« Si l’Ukraine signe l’accord d’association avec l’Union européenne, elle ne pourra pas adhérer à l’Union douanière (Russie-Biélorussie-Kazakhstan). Ce sera impossible, parce que cette association prévoit la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et l’Ukraine. […]
Or, l’origine des produits est un facteur important. Les produits assemblés en Ukraine seront considérés comme ukrainiens, même si leurs éléments sont fabriqués en Europe. Cela s’appelle l’assemblage externalisé. Mais nous ne souhaitons pas avoir beaucoup d’usines d’assemblage externalisé sur notre territoire […] Nous ne souhaitons pas recevoir un cadeau sous forme d’assemblage externalisé par la porte dérobée. Cela pourrait compliquer la coopération dans les secteurs hautement technologiques comme l’aéronautique ou la construction des navires. »
“Source : RIA Novosti ”
Le 27 octobre 2013 a lieu un sommet Ukraine / Russie. Un diplomate russe indique :
« La Russie n’apprécie pas que l’Union européenne contraigne Kiev à faire un choix de politique étrangère aussi déterminant dans un délai si court. La Russie n’a rien contre la libéralisation du régime commercial entre l’Ukraine et l’Union européenne dans la mesure où la perspective est de créer un marché commun. Cependant, on estime à Moscou que Russie et Ukraine doivent se rapprocher de l’Union européenne en même temps. Pas maintenant mais dans deux ans – lorsque les économies des deux pays seront plus compétitives relativement à l’UE. […]
De plus, il existe une alternative à une intégration européenne de l’Ukraine, tout en maintenant un certain lien : Kiev pourrait bénéficier du même compromis que les pays membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), tels la Suisse ou la Norvège, qui ont des accords avec Bruxelles. »
“Source : Le Courrier de Russie”
Le 28 octobre, Sergy Lavrov, Ministre des Affaires Etrangères de la Russie déclare :
« Si l’Ukraine signe l’accord de libre-échange avec l’UE, il n’y aura aucun blocus commercial de l’Ukraine. Mais, en revanche, elle perdra évidemment les avantages issus l’accord de libre-échange dans la Communauté des États Indépendants. »
Source : MAE Russie
Le 29 octobre, Peter Balazs, chef adjoint de la Direction générale du commerce de la Commission européenne, indique :
« L’Ukraine ne pourra pas avoir être dans une zone de libre-échange avec l’Union européenne si elle adhère à l’Union douanière. Si un pays adhère à l’Union douanière, il ne peut plus mener une politique commerciale souveraine […] Si l’Ukraine suit l’exemple de l’Arménie et adhère à l’Union douanière, elle ne pourra plus avoir de relations commerciales libres avec l’UE ou avec d’autres pays.
En revanche, si Kiev signe l’accord d’association avec l’Union européenne, elle ne sera pas obligée de limiter son potentiel commercial et sera libre de collaborer avec d’autres partenaires. »