La vie, c’est quoi ?
Plutôt que de penser la vie et vous écrire mots et phrases, je vais essayer d’écrire la façon dont je la ressens. Le commencement c’est la naissance. Certains, certaines aussi et surtout, en discourent comme si c’était un miracle. Un miracle c’est un évènement heureux qui vous tombe dessus sans vraiment qu’on s’y attende… Quoique… De toute façon, un miracle est une chose inexplicable que les religions expliquent à leur seul profit. La naissance n’est pas nécessairement un miracle, donc pas nécessairement un évènement heureux. Ni miracle, ni catastrophe, c’est un hasard. Et la vie qui va s’ensuivre (ou non) sera elle aussi résultante de hasards très hasardeux.
La naissance, que personne ne peut choisir, gouverne tout le reste de la vie. C’est la condition de tout ce qui suit et c’est déjà une série de déterminismes contre lesquels on ne peut pas grand-chose. Il suffit de regarder attentivement un nouveau-né pour comprendre que chaque être humain n’est pas un choix absolu puisque chaque être humain ne peut choisir quoique ce soit qu’à la condition d’être d’abord, ce qui va gouverner ses choix. Comme chacun nait par hasard, chacun doit essayer de ne pas vivre au hasard, la liberté n’étant pas à l’origine du processus de la vie, mais dans le processus lui-même, voire au bout de ce processus, quoique, qu’est-ce que la liberté alors qu’à peine né on commence à mourir… On ne nait pas libre, on le devient… Quoique là encore, certains, certaines sont d’emblée plus libres que d’autres.
Le premier souci, reste de se libérer de l’enfance. Pourquoi ? Je n’en sais fichtre rien. C’est comme ça… Bête et con ! Pourtant, si l’enfance est malheureuse, on n’aura pas assez de toute sa vie pour s’en consoler. Pourtant, si l’enfance est heureuse, on n’aura pas assez de toute sa vie pour se remettre de l’avoir perdue. Personne n’a demandé à vivre et personne ne l’a mérité puisqu’avant de vivre il n’y avait pas d’existence. Savoir qu’on vient de rien pour aller nulle part est finalement angoissant. Beaucoup veulent alors laisser des traces. Pourquoi ? Je n’en sais fichtre rien… Quoique… Khéops a laissé une trace, sa pyramide, cela a dû le transcender de son vivant, mais mort, lui, qu’est-ce que cela a changé de sa condition de mort ? Et les millions de milliards d’autres, les non-Khéops, les anonymes qui pourtant ont laissé des traces, d’autres types de traces ? Plus rien ! Rien ne permet d’affirmer que Khéops était un génie qui méritait une plus grande trace que Noël Roquevert, que Charles Tartempion ou que Jacques Chirac… Pas plus que vous, pas plus que moi… Alors, pourquoi ?
On n’a finalement que le choix entre la nostalgie et le regret et c’est cette dernière alternative qu’on devrait dépasser en accédant à une sorte de gratitude. Le regret c’est le manque de ce qui n’a pas eu lieu. La nostalgie, c’est le manque de ce qui a eu lieu. La gratitude, c’est la joie de ce qui a eu lieu, c’est aussi le souvenir heureux de ce qu’on a vécu. Les adolescents, stade après l’enfance, ne sont pas encore dans la nostalgie parce qu’ils sont dans l’espoir ou parfois dans le désespoir. Ils sont dans une étape de transition ou l’essentiel est théoriquement devant. C’est l’étape de la béatitude. Etre adulte, c’est comprendre que l’essentiel n’est plus devant soi, dans l’avenir, mais au présent. Vivre l’amour adulte, c’est ça, ce n’est que ça, mais c’est tout, pas plus, pas moins. Vivre dans le passé, c’est la nostalgie. Vivre dans l’avenir c’est l’espoir. La seule position juste, c’est de vivre au présent. De là, on pourrait penser que vivre justement, serait de vivre sans espoir ni nostalgie. Désespérant, non ?
Abandonner l’espoir, sans nostalgie, pour s’attacher à l’essentiel…, ça ne veut strictement rien dire ! La vie n’est pas un examen, il n’y a pas de diplôme de vie, la mort seule ramasse les copies et ne les note pas. La vie n’est pas une course, il n’y a rien à gagner, il n’y a que la mort en finale. La vie n’est pas une énigme qu’il faut résoudre, la vie n’est pas un problème dont il faut trouver la solution. La vraie question n’est pas de réussir sa vie, puisqu’on meurt finalement, on ne peut donc qu’affirmer que l’histoire de toute une vie est l’histoire d’un échec, puisqu’on n’y survit jamais. Il ne s’agit pas dès-lors de réussir sa vie, il s’agit simplement de la vivre. C’est ça, simplement ça, qui est difficile à comprendre. C’est d’autant plus difficile à comprendre que nous sommes endoctrinés d’idées fausses, de religiosités, de politiques, d’idées d’autres qui ne servent qu’aux autres. Il n’y a pas de but en dehors de la vie, il n’y a rien d’autre que la vie, il n’y a pas “quelque chose” qu’il faille réussir, ni pour soi, ni pour les autres.
Les philosophes ne connaissent pas plus que vous et moi les secrets de la vie, il n’y a pas de vie bonne, pas de vie mauvaise. La philosophie aide à comprendre comment on vit plutôt que comment il faut vivre. La philosophie sert à réfléchir, à penser, à comprendre plutôt qu’à juger. Le rapport le plus profond à l’existence, c’est de se libérer de la normativité. L’humanité importe davantage que la sagesse. Mais qui est encore vraiment humain ? Le travail n’est pas une valeur morale, c’est un moyen, pas un devoir ni un but en soi. Le travail n’apporte pas la dignité, le travail n’apporte que l’obligation de travailler comme un moyen de faire fonctionner une société qui est tout sauf humaine. Le travail abêtit. Le travail ne crée que des obligations de travail… au fil du temps, la moitié de la société travaille pour surveiller l’autre moitié qui travaille, ce qui crée l’absurdité. A bien y réfléchir, le travail ne crée que du temps passé à travailler, tout cela fait tourner tout le monde, mais tourner fou, tourner en rond, tourner pour finalement rien… Non…
Tout cela n’est que prétextes à ponctions, on prend du fric, on reprend, on reprend encore et tout le monde fait pareil, ceux qui n’ont rien veulent avoir, quand ils en ont des miettes ils ne donnent rien en retour tandis que d’autres en veulent aussi… Et ça dure, et ça dure… On en vient à ce que les gens se tapent dessus pour travailler, font grève pour travailler, et travaillent pour ne plus devoir travailler plus tard… Quand ? A l’orée de la mort… Absurdité d’absurdies ! Tous les êtres humains sont égaux en droits, certains plus que d’autres, mais tous sont inégaux en travail. S’inquiète t-on de la dignité perdue des milliardaires sans travail ? Pourtant on s’inquiète de la dignité perdue des “travailleurs” sans emploi… Ceusses qui ont perdu leur travail, n’ont pas perdu leur dignité, ils ont perdu de quoi gagner de l’argent, ils ont gagné la misère, l’exclusion, la solitude et un sentiment d’inutilité… L’inverse de ce qui devrait être.
Finalement, la vie c’est quoi ? Lentement crever, avec douceur, sans arrogance ni credo. Avorton esseulé dont les territoires mêlaient Buck Danny, Blake & Mortimer, Tintin, Spirou, Milou, j’étais le capitaine Haddock, forcément mes pirates en fer blanc pas encore plastique cuvaient leur vin avec le chien des Baskerville, jolis joujoux, petit chou, cailloux lorsque sonne l’âge hostile où les corps se cognent, où le désir suinte et sue, seins de ma voisine sous le corsage, abricots croquants, gicle et gémis, c’est le vit, les crachins solitaires dans la cuvette des waters. Je suis l’enfant bâtard de Bob Dylan et des Rolling-Stones, de Sergio Leone et Joan Beez, Dirty Harry et Orange mécanique. Je suis né il y a trop longtemps, taureau ascendant gémeaux, dans une ville de province à l’ombre d’une trop grande cathédrale, un matin de mai, pondu complet en un pays plombé de crucifix où filles-mères et catins mettaient au monde.
Il est des vagins que la société isole mais que la miséricorde accueille. Je suis le fils, l’éponge absorbant les turbulences divines, entre Paraclet et putains, foutre et foudre, Sainte Rita rayonne, Sœur catin pleure, je suis l’enfant aux yeux verts, le lendemain, la Vierge remontait des égouts. Je garde l’hostilité revancharde de ceux à qui la vie accorde un statut intermédiaire, une hostilité de classe, l’esprit de vengeance qui fait les ordures, les parvenus ou les désespérés. La haine. Une haine qui n’est pas des zones suburbaines où le salopard se plaint et s’affiche en soupapes teutonnes, qui n’est pas le sanglot long et dégénéré des consanguinités déconfites de l’aristocrate plaisanterie de la vie, qui n’est pas la fanfaronnade fine de siècle de la pénible progéniture polytechnico-scribouillarde de la bourgeoisie civilisée, non plus le dédain cynique ou caritatif des élites.
Je suis le glaviot sanglant dérivant solo selon mon origine, mécréant, nain et géant, ivre de vie à en cuver la mort, sublime et parfois médiocre, une morve mauve, morne et engourdie, dont les soliloques autodidactes ne renient rien mais guettent l’issue à travers l’effort. Je suis le sagouin cerné, je suis un humain déshumanisé. Définitivement extra et ordinaire. Je mate les mélos et les larmes me montent, retour au Rock’n’roll, et aux mélopées de chanteurs de salle de bain, Capri c’est fini, idem, trémolos identiques, les connes dansent toujours et j’attends le quart d’heure américain, je n’aime pas l’éternité des hit-parades. Les chansons populaires sont les requiems de nos rêves, synthétiques slows et modernes fados, métriques mélancoliques où j’abîme mes fantômes, et marche l’émotion, Les mots bleus, dans le cœur des macaques. Puis, avec Brel, chanter être une heure, une heure seulement, beau et con à la fois… Ou se réfugier à l’intérieur d’un bistroquet cosmopolite, où s’excitent, sous les néons frénétiques de rutilants exotiques, occupés à parier, jouer, crier, tandis qu’une blondasse demi-pute cassée fripée claque du talon, virevolte et danse, sur les rythmes suaves et poisseux dégueulés d’un antique juke-box, chantant à tue-tête de coulants couplets d’Enrico Macias. Ordinaire.
Anti-dandy, no-wave, j’emmerde les minorités éthiques, sexuelles ou esthétiques, et autres préséances de clan, rites, tics, tocs, sécuritaires tribus et séminaires où l’individu est sommé de se situer, de se soumettre, je n’appartiens pas. Moi, et ma propre définition du crime. Sous les postures, sous les postiches, apparaissent les profondeurs empoisonnées, la crasse des cycliques cénacles de cloportes : ravers, babos, anti-mondialistes, gothiques, rasta, trotskistes, liste non-exhaustive de posses à pousser vers les falaises. Ni peuple, ni patrie, je suis le gadjo à la dérive dans les villes, l’air terriblement normal, misanthrope balbutiant sa névrose et son dégoût. Éloge du conformiste, quiet et inquiet, autoportrait, au-dessus des sphères, silencieux, fébrile, fleur bleue, susceptible, orgueilleux, secret, isolé volontaire un peu mégalo, pessimiste et forcené, énigmatique, banalement sain d’esprit. On commence par rêver au surhomme et on finit par étaler sa merde sur les murs.