La Zgallery n’a jamais existé…
Dirk Blondeel, Patrice De Bruyne, Guy Evens
World-Press : Jean Rouve : Qu’en est-il de la Zgallery ?
Patrice De Bruyne : Au hasard d’une discussion avec mon ami Guy Evens que je connaissais depuis presque 15 ans, c’était vers le 16 août 2008, je lui ai suggéré d’ouvrir une galerie d’art, ensemble, à Zeebrugge, un port que je sentais devenir assez rapidement un endroit particulièrement branché avant-garde, à quelques minutes de Knokke-le-Zoute, la cité balnéaire de la Jet-Set Belge…
World-Press : Jean Rouve : Sitôt dit, sitôt fait en quelque sorte !
Patrice De Bruyne : Quelques jours plus tard nous tracions les plans d’aménagement, définissions les grandes lignes directrices et nous nous mettions d’accord sur un nom… : Zgallery ! Tandis que Guy débutait les travaux, je mettais au point divers articles de lancement ainsi que la base d’un nouveau site-web destiné à soutenir et promouvoir notre galerie d’art. Dans la foulée, j’ai créé un graphisme inédit, pour bien marquer la différence entre ce que nous voulions faire et les galeries d’art traditionnelles, c’est à dire, une sorte de renouveau des mentalités faisant fi des fausses tendances spéculatives.
World-Press : Jean Rouve : Et ensuite ?
Patrice De Bruyne : Nous avons alors décidé d’alterner, par période de 2 mois : peintures et photographies.
Pour débuter, visant une ouverture fin août/début septembre 2008, Guy a proposé que nous présentions les œuvres “Marines” de Dirk Blondeel…, ce qui fut approuvé à la majorité…
World-Press : Jean Rouve : Dirk Blondeel est un grand artiste en Flandres…
Guy Evens : Ses tableaux témoignent d’une immense force spirituelle et intellectuelle, avec l’amour de la mer en une sorte de fusion…, alliée à une maîtrise technique personnelle qui vient de nombreuses années de vie dédiées à l’art. Mais c’est aussi un homme qui abhorre de faire des compromis et qui, donc, a choisi de rester à l’écart de la gent mondaine de l’art moderne, pour rester fidèle à lui même.
Patrice De Bruyne – Je pense qu’on a, dans l’art, complètement annihilé, supprimé, le devoir de juger. Personne ne juge plus. Le jugement est mort. Personne ne se donne plus le mal de juger. On juge pour tout le monde et le résultat c’est que c’est tout à fait le contraire… Ce n’est même pas un nivellement par le bas, c’est, si on va au fond des choses, une dégradation des mentalités… On peut constater que ce nouveau siècle repose presque entièrement sur de fausses valeurs… et ces valeurs sont faites par l’argent et pour l’argent ! Les galéristes ne cherchent plus à faire partager leurs découvertes artistiques, mais cherchent quasi-exclusivement un client, très fortuné et particulièrement stupide sous des dehors de Monsieur-je-sais-tout…
Guy Evens – C’est tout un système, mais il est relativement simple, c’est-à-dire que la “profession” fabrique des cotes aux artistes… et cela tout à fait artificiellement. J’ai vu, dernièrement, un galeriste que je connais, acheter pour presque rien des tableaux d’un peintre qui venait de mourir, un peintre abstrait, un peintre non figuratif. Il a mis ensuite ces tableaux dans une vente aux enchères et puis il les a rachetés lui-même très cher. Et du coup ensuite les autres, il les a tous vendus 20% plus cher que ces prix-là qui étaient vingt fois supérieurs aux meilleures cotes d’avant la mort de l’artiste. Une opération très claire.
World-Press : Jean Rouve : Le coffre-fort de la Zgallery c’est vous, Dirk ?…
Dirk Blondeel – Il faut que le tableau me parle quand je peint, il faut que même ma peinture soit vivante, il faut que la toile soit en face de moi comme un être vivant autonome… J’ai eu une vénération pour Rembrandt, j’ai beaucoup admiré Van Gogh, Soutine. Goya est peut-être le peintre que j’ai le plus admiré quand j’étais adolescent. Et si vous regardez, par exemple, toute l’œuvre de Matisse, il n’y a aucun tableau qui a cette faculté de vivre par lui-même.
Patrice De Bruyne – Matisse vit sur sa réputation, une réputation totalement fabriquée. Matisse est un peintre de dizième ordre. C’est un marché qui s’est créé. Il n’y a pas de public en art. C’est comme les touristes japonais qui photographient à tour de bras, ils ne voient rien mais font click de tout et n’importe quoi. On a dit aux gens que Matisse était un géant, eh bien les gens viennent… et puis c’est un géant et puis c’est tout. Mais ils le voient pas. C’est pareil maintenant pour Combas qui avant peignait sa rage avec ses tripes… et qui maintenant peint à la chaine selon une technique sans cesse répétée pour faire un max de blé… Dans une des galeries d’art de Knokke-le-Zoute, j’ai attentivement regardé une de ses oeuvres de 2004 dont le nom est un total f… de g… envers ses clients… C’est à jeter, ce n’est pas vers cela qu’il faut aller, il faut en revenir à l’essence même de l’art, exposer des œuvres de cœurs et de tripes, mais à des prix accessibles…
World-Press : Jean Rouve : Vous y allez fort, Patrice ! Est-ce aussi votre avis, Guy ?
Guy Evens – Je déteste toutes les religions, toutes, absolument toutes, mais l’art est certainement ce que devrait être la religion, c’est d’ailleurs une vocation, en fait, une sorte d’élection à rebours…
Dirk Blondeel – J’ai toujours peint, surtout j’ai toujours dessiné… et le dessin était ma plus grande joie d’enfant. Je passais mon temps à ça. Je donnais des dessins à tout le monde et je me suis aperçu que je devenais adulte justement parce que le dessin a commencé d’être une joie, d’être un plaisir. Vers treize ans à peu près, treize ans, quatorze ans, j’ai commencé à demander à mes dessins quelque chose que j’ignorais. Je ne savais pas ce que je cherchais, mais je sais maintenant que je ne suis qu’une mer de peinture…, je suis persuadé que si Van Gogh avait pu être autre chose que Van Gogh, s’il avait eu le choix, il aurait bien préféré ne pas être Van Gogh.
World-Press : Jean Rouve : Amusant…
Patrice De Bruyne – Ca n’a rien de très drôle. Et, non, je crois que l’artiste, le créateur, est le maître de sa création. Et ce n’est pas l’œuvre qui doit décider. C’est à lui de concrétiser… et son rôle, c’est de se transcender. Je ne sais pas d’où vient cette énergie créatrice, mais c’est quelque chose qui précède l’être. A un moment donné, comme Dirk vient de le dire, le fait pour lui de dessiner a été plus qu’un jeu. C’est devenu quelque chose de primordial pour lui et il a bien senti qu’il devait tout sacrifier à ça.
Dirk Blondeel – Je ne peins qu’avec force, il y a la violence du geste aussi, ça je peux pas le nier. Par moment je perds apparemment le contrôle de ce que je fais, mais c’est pas vrai, je ne le perds jamais parce que c’est à ce moment-là que je travaille le mieux. Des voisins m’ont dit qu’ils m’entendaient peindre à deux cents mètres.
Guy Evens – Je pense que notre époque est dévoratrice d’artistes. C’est une époque ogre. C’est un ogre. Et on y voit beaucoup de commencements, de beaux commencements et pas beaucoup de fins parce que les artistes se font dévorer par le plus grand ennemi de l’art et de la création qui est la facilité. Facilité intérieure, facilité matérielle, toutes les facilités. L’art est le contraire de la facilité. Dès l’instant que l’on compose avec la facilité, on est perdu.
World-Press : Jean Rouve : Et tout cela vous vient d’où ?
Patrice De Bruyne – J’ai été trente ans dans l’édition, particulièrement des magazines décalés sur les automobiles hors-normes, mais avant cela je me suis éclaté en réalisant des magazines de décoration et d’architecture ou je proposais des idées révolutionnaires…, mais les gens, même s’ils achetaient mes mag’s, restaient de facture classique, style fermette reconstruite… J’ai alors vécu comme un drame intérieur, le sentiment que ce n’était pas facile de faire évoluer les mentalités rétrogrades… J’ai toujours placé mes éditoriaux comme des tribunes qui me donnaient toute liberté et qui étaient un peu plus à part de tout le reste, ce qui a été un peu toute ma vie d’ailleurs. Toute ma vie j’ai été dans des situations en marge. Toujours, toujours. J’ai toujours conservé ma liberté et j’ai toujours eu la possibilité de le faire et la possibilité de me battre. Et aussi j’ai toujours eu, ce qui est quand même très important et j’estime que j’ai eu beaucoup de chance…, j’ai toujours eu des preuves que j’étais dans le bon chemin.
World-Press : Jean Rouve : Ca ne peut pas être des preuves, ça peut être une conviction mais pas des preuves !
Patrice De Bruyne – J’ai écrit plusieurs livres aussi, c’était presque avant toute une lutte… et ma grande chance, c’est de n’avoir jamais eu de succès total, mais de garder en tête que je pouvais l’avoir. C’est très difficile de résister. C’est sans doute plus difficile de résister à l’insuccès qu’au succès. Notez que c’est avec les livres, parce qu’avec les magazines, le succès était total : 500.000 exemplaires mensuels en 5 éditions/5 langues… Avec GatsbyOnline, je renoue avec le même succès, ce site affiche 550.000 visites en 2 ans d’existence.
Guy Evens – Cela t’a fait beaucoup d’ennemis…
Patrice De Bruyne – Ca m’a fait des amis aussi. Zgallery c’était un rêve qui s’est précisé, qui a trouvé sa réalisation. C’était un désir, j’étais sûr de la nécessité d’une galerie d’art différente. C’était le seul moyen d’essayer de donner une autre liberté à la peinture, à la sculpture et à la photographie… et une place dans l’histoire de l’art. D’abord, montrer qu’il y a des auteurs, des créateurs de mondes, pas seulement des œuvres dues au hasard.
World-Press : Jean Rouve : Recruter et convaincre des artistes peintres et photographes dans tous les milieux, ne sera pas nécessairement simple…
Dirk Blondeel – C’est vrai que les milieux rigides sont dangereux, par leur volonté de rationaliser, de classer, d’évincer, de contrôler, ils ne sont pas assez à l’écoute, pas assez curieux.
Patrice De Bruyne – Zgallery va, pour cela, alterner : deux mois pour un ou une peintre, deux mois pour un ou une photographe… Pendant les années où les peintres s’adonnaient avec talent à la destruction de la peinture, la photographie a grandit et s’est fortifiée. Il y a eu des galeries, des collectionneurs, des musées, le pire et le meilleur.
World-Press : Jean Rouve : Marchand d’art…, quel métier est-ce ?
Patrice De Bruyne – Un rapport avec l’art où on est débarrassé de l’ego. Un espoir de dévoiler des mystères, une tentative de maîtriser ce qui, heureusement reste sauvage. Un jeu de la vérité où on peut tricher sans que cela se voie, c’est pour cela que je trouve que Dirk a pleinement sa place dans la Zgallery.
Guy Evens – Son art est accessible à tous. Choisir ce qu’il est important de conserver de l’art de son époque ne sera ainsi plus réservé à quelques-uns mais appartiendra à chaque acheteur, même occasionnel. C’est démocratique et particulièrement créatif.
Dirk Blondeel – Grâce à vous deux, Guy et Patrice, je vais vivre une aventure de plus, à ranger parmi les plus passionnantes de ma vie. On ne connaît encore qu’une petite partie de mes peintures, de nouveaux aspects se révèlent à moi maintenant, ils deviennent intéressants dés qu’on j’y attache mon attention. La diversité est immense. Mes tableaux sont toujours une confrontation au réel, une première fois par moi qui les peint, ensuite par ceux qui les regardent, y adhèrent ou les rejettent… et en finale par ceux qui vont les acheter.
Guy Evens – On pourra dire que les toiles de Dirk, exposées dans notre Zgallery, c’est ce que le public pourra aimer ou accepter de la vie…
World-Press : Jean Rouve – Et la suite ?
Patrice De Bruyne – Un an plus tard, la ZGallery redevenait le bureau de Guy, qui préférait s’investir dans www.CollectionCar.com que continuer à attendre en vain qu’un chaland (un client) passe et achète…
Guy Evens – En un an, pas beaucoup de clients, pas énormément de visiteurs, presqu’aucune vente… Bilan positif en amitié, négatif en business… Pour simplifier, la Zgallery n’a jamais existé !
Patrice De Bruyne – J’ai donc repris le nom et le logo que j’avais créé pour que mon concept serve au sein de www.GatsbyOnline.com…